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Alors que les
autorités nationales sont parvenues au XXème siècle
à s’emparer, directement, de la monnaie et, indirectement, de la
gestion des «instruments monétaires» (que sont les
pièces de monnaie en alliage de métal, les coupures de billets
en papier ou les dépôts bancaires à vue ou autres), tant
nationalement qu’internationalement – par accord entre elles -,
elles n’ont pas eu la même réussite jusqu’à
présent en matière de finance et d’instruments
financiers.
A défaut de s'en être emparées, nos autorités en
usent et en abusent surtout, comme, par exemple, en a témoigné
récemment le sort qu’ils ont réservé aux
«subprimes» ou aux "dérivés de
crédit" et en témoignent les déficits des budgets
des Etats – à commencer par celui de
l’Etat de la France –. Mais, à coup sûr,
cela ne pourra plus perdurer longtemps.
1. La finance.
Les innovations incessantes dans le domaine de la finance, surtout les
dernières décennies, sont telles que, tantôt les
instruments financiers leur glissent entre les doigts, tantôt ils leur
explosent dans les mains.
1.A. Les "subprimes".
Rappelons que le "subprime" est un instrument financier d’origine
américaine - un type de contrat hypothécaire, comme on dirait
en français -, qui permet à des personnes en difficulté
financière a priori
momentanée, d’acheter une maison… (cf. subprime)
Le contrat peut être, en particulier, «à taux
d’intérêt fixe» ou «à taux
d’intérêt variable» : dans ce dernier cas, il est
indexé sur le taux d’intérêt géré par
la politique monétaire de la banque centrale.
Le "subprime à taux d’intérêt variable"
qui a été implicitement la cible des critiques il y a quelques
trimestres et est devenu le bouc émissaire de la crise
financière qui se serait déclenchée au cours de l'été
2007, n’était pas congénitalement un instrument
financier «toxique», comme il a été qualifié
par la suite.
Il l’est devenu en raison :
- de l’idéologie « social démocrate » qui a
forcé les banques à le développer (dans le cadre de la
politique de l’«affirmative action» américaine, de
la «discrimination
positive» comme on dit en français, voire d’autres
politiques),
- de la politique monétaire de taux d’intérêt bas,
voire très bas, de la banque centrale des Etats-Unis qui a
«donné des incitations» à acheter une maison,
- et de l’irresponsabilité de certains gestionnaires de
patrimoine qui ne savaient pas de quoi il s’agissait ou qui croyaient
à l’intervention du prêteur en dernier ressort
"banque centrale" quoi qu’il arrive, avant les
dégâts.
1.B. Les «
dérivés de crédit » : des « contre subprimes
».
A l’opposé du «subprime» - surtout à taux
d’intérêt variable -, il y a le "credit default
swap" (de sigle C.D.S.) – littéralement «troc du
risque de perte du créancier» -, ce qu’on dénomme
en français, le «dérivé de crédit» et
que, par comparaison avec le subprime, j’appellerai le «contre
subprime» : en effet, autant l'un est "risqué", autant
l'autre ne l'est pas.
Cet instrument financier dont on parle beaucoup aujourd’hui,
explicitement ou implicitement (via les «hedge funds»), en
relation avec l’endettement de l’Etat de la Grèce, fait
partie de la catégorie des instruments financiers
dénommés en France «produits
dérivés», apparus mondialement dans la décennie
1980.
a) Définition.
L’instrument financier «dérivé de
crédit» permet à son acheteur, son possesseur – au
départ, et avant manipulation éventuelle, un créancier
qui connaît son débiteur – d’être
indemnisé par son vendeur si le débiteur ne respecte pas ses
engagements à son égard, l'instant de ceux-ci venu.
Si, par exemple, l’Etat grec ne rembourse pas les dettes qu’il
doit rembourser à l’instant "t", ses créanciers
qui ont acheté des dérivés de crédit, en
l'espèce "souverain",
se verront indemnisés par ceux qui leur ont vendu les
dérivés en question.
b) Propriétés.
Actuellement, l’acheteur d’un dérivé de
crédit portant sur une créance à 5 ans, de 10 millions
d’euros, d’une entreprise paie une prime annuelle qui est
égale à 1000 euros le point de base (0,01%) de la prime de
risque. Si la "prime de risque" est évaluée
égale à 300 points de base, il versera ainsi annuellement 300
000 euros.
Mais la prime de risque dépend du débiteur et évolue
chaque jour.
Ainsi, le taux d'intérêt des obligations à 10 ans de
l’Etat grec est passé à 6,36% - soit une augmentation de
dix points de base -, le 19 mars 2010 sur le marché de Londres : c'est
le niveau le plus élevé depuis le 26 février(cf. tableau
ci-dessous), selon les données compilées par Bloomberg.
Cela a amené la "prime du risque souverain grec" que les
épargnants/investisseurs demandaient pour acheter la dette à 10
ans de l’Etat grec - par rapport aux obligations allemandes
comparables, a priori les
moins risquées -, à 325 points de base, soit un bond de 25
points sur les deux derniers jours (variations sur un passé
récent, cf.tableau ci-contre, source : BIS Quarterly Review,
March 2010).
En
d’autres termes, la prime d’«assurance» annuelle
à verser par les possesseurs de la dette souveraine grecque pour
«se protéger» d'une "insolvabilité" de
l'Etat de la Grèce est de €325000 pour 10 millions de dette
à 10 ans.
Et, en deux jours, la prime à payer annuelle a donc augmenté de
€ 25000.
1.C. Remarque sur la gestion de
patrimoine.
Il convient de souligner qu'étant donnés les subprimes
qu’ils avaient achetés, soit directement, soit indirectement
(via des «produits structurés»), les "gestionnaires
de portefeuille" responsables qui voyaient la tempête se lever en
2007, ont eu toute latitude pour acheter, jusqu’au début de
l'année 2008, des dérivés de crédit à des
prix "encore raisonnables", i.e. en versant des primes d'un montant
raisonnable, et ainsi pour se protéger contre les lendemains
désastreux qu'ont finalement connus certains (par exemple, Lehman
Brothers).
Soit dit en passant, le véritable "prêteur en dernier ressort"
n’est pas la banque centrale comme ils le croyaient vraisemblablement,
comme certains le soutiennent aveuglément, mais le marché de
l’assurance et plus encore, celui de la réassurance, dont le
marché de l’assurance n’est jamais qu’un
compartiment et le marché des dérivés de crédit,
un autre.
2. Les hommes de l'Etat : de
véritables « apprentis sorciers ».
Dans ces conditions, force est de reconnaître que les hommes de
l’Etat et leurs acolytes ont beau jeu de vouer aux gémonies les
marchés financiers, les spéculateurs, à commencer par
les hedge funds, et de voir en eux des apprentis sorciers.
Sans finance, ils ne
pourraient avoir de déficit de leur budget.
Et, sans l'évolution de leurs déficits budgétaires
depuis une quarantaine d'années, le marché financier n'aurait
pas acquis l'envergure qu'il possède aujourd'hui. Les déficits
des budgets des Etats sont aujourd’hui le véritable tronc
d’un marché dont la circonférence n’a fait
qu’enfler.
On est donc dans le "je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le
premier qui ... etc.". Comment cela va-t-il finir ?
2.A. Le marché des
dérivés de crédit.
Par exemple, à la fin de la décennie 1990, le marché des
dérivés de crédit représentait :
- en 1996, € 8,6 milliards,
- en 1997, € 50 milliards et
- en 1998, € 200 milliards,
ce qui démontrait déjà une augmentation
considérable en trois années.
Qu'en est-il aujourd’hui, début 2010 ?
L'augmentation exponentielle ne s'est pas démentie. On compte en
milliers de milliards...
Pour la réponse précise à la question, je renvoie
à la "Banque des règlements internationaux" (sigle
B.R.I. ; en anglais, B.I.S. pour "Bank for international
settlements") et aux statistiques sur la question qu’elle
établit depuis 1995 (cf. par exemple les commentaires en date
du 7 décembre 2009 en relation avec le graphique ci-dessous).
Les déficits
budgétaires et leur attente ont un effet reconnu sur ce marché
(cf. par exemple S.
D. Harrington et A. Moses, 27 janvier 2010).
2.B. La réglementation.
Les hommes de l'Etat ont beau jeu de vouloir réglementer les
structures des uns et les actions des autres.
a) La réglementation des
dérivés de crédit.
Soit dit en passant, il faut savoir qu’en France, malgré la
sécurité qu'elle apporte, l’application de la
"technique des dérivés de crédit" peut ouvrir
la porte à une «requalification» juridique lourde de
sanctions pénales : à savoir la requalification en
"opération d’assurance".
Si tel est le cas, étant donné le privilège de monopole
donné par le législateur français aux assureurs du
«risque financier», il y a en effet violation du monopole…
b) Le "fonds monétaire
européen" : dernier exemple de réglementation en date.
Ne voici-t-il pas que, dans la zone monétaire dite « des pays de
l’euro », faisant fi des traités qu’elles ont fait
voter et qu’elles ont signés, des
voix s’élèvent pour créer un « fonds
monétaire européen » ... en opposition avec ceux-ci.
Il court-circuiterait en effet tout simplement l’indépendance du
monopole de la monnaie "euro" qu’est la Banque centrale
européenne.
Il devrait être un pendant au «Fonds monétaire
international» dont l’action
cataclysmique n’est plus à prouver depuis qu’il a
été crée mi décennie 1940.
En d'autres termes, les hérauts de l'euro veulent ajouter une
réglementation de plus au panier
de réglementations qu'est déjà l'expérience
historique, sans précédent, de l'euro.
Ils pensent vraisemblablement que cette réglementation
"ultime" ou "marginale" - selon les sensibilités
théoriques - fera que l'expérience satisfera
enfin leurs espérances. "Balderdash" - foutaise -
aurait dit Milton
Friedman (pour reprendre un mot qu'il aimait bien employer).
3. Baisse des dépenses de
l'Etat et libération de vous et moi.
Ce n’est pas par la monnaie, dans la condition de "panier de
réglementations" ou d'"égout
collecteur des fausses créances" qu’ils lui ont
donnée au XXème siècle et qu'elle étale
aujourd'hui au grand jour, que les hommes de l’Etat pourront
maîtriser le marché financier comme ils l'espèrent car,
où ce marché est pollué, se trouvent les
conséquences de la violence de leurs dépenses.
Les dépenses en question sont en effet, à la fois, des
dépenses "budgétisées" mais sans contrepartie
comptable d'égale valeur (d'où le déficitt), et des
dépenses "non
budgétisées", de fait ignorées (par exemple,
les « prestations de sécurité sociale vieillesse »
futures en France) dont le montant
total est incommensurable – il était
«inimaginable» il y a encore quelques décennies-..
Dans ces conditions, ce sont donc eux, les hommes de l'Etat, les
véritables apprentis sorciers.
Il est vain de vouloir maîtriser le marché financier.
En revanche, lui-même a toute capacité de parvenir à se
maîtriser s'il y a réduction du montant de ces dépenses
publiques forcées.
L'augmentation conséquente de la liberté d'action de chacun,
i.e. de vous et de moi, de faire ce qu'il veut de ce qu'il a en
propriété légitime fera le reste.
De fait, le marché retrouvera alors la voie qu'il mettait à
jour quand il en a été empêché par les hommes de
l'Etat et qu'il n'aurait pas perdu de vue si ceux-ci n'y avaient pas
jeté des obstacles plus hétéroclites les uns que les
autres, au nombre desquels l'euro.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec l’aimable
autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par
l’auteur
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