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Il y
a un an, 8 mai 2009, j’ai écrit un billet intitulé
« La
banque centrale européenne ‘sort des clous’
» qui mettait en perspective l’action de la banque centrale
européenne (B.C.E.) depuis 1999.
Aujourd’hui, 15 mai 2010, où se trouve-t-elle ?
1. Le bilan de la
B.C.E.
La B.C.E. est dans la situation comptable suivante (cf. compte de
bilan schématique ci-dessous au 7 mai 2010) :
Compte de bilan
(en milliards d'euros)
____________Actif____!_____Passif_______
!
Or et créances
!
Billets
803
en
or
287 !
!
"Divers"
1696 ! "Divers" 854
!
! Comptes de
! réévaluation 249
!
! Capital et
! réserves
76,7
!
!
Total
1983 ! Total 1983
Le total du bilan de la B.C.E. a augmenté de 10,5% (passant de
€1795 à €1983 milliards).
A une époque où les économies nationales sont en
contraction, ce chiffre est remarquable (on y revient ci-dessous).
Le montant des billets - dont la B.C.E. a le privilège du monopole
d’émission - a augmenté de 5,7% (passant à
€803 milliards).
Il représente désormais 40,5% du total du bilan (contre 42,3%
l’année dernière, et 48,6 % en 1999).
Cette chute régulière devrait intriguer, mais elle n'est jamais
évoquée.
L’or et les créances en or, une des contreparties comptables des
billets, ont un montant qui a augmenté de 19,1% (passant à
€287 milliards).
Soit dit en passant, cette augmentation par rapport à
l’année dernière est due à l’augmentation du
prix de l’or comme le confirme l’augmentation des comptes de
réévaluation qui atteint €249 milliards (contre
€203 milliards).
L’augmentation s’est même faite malgré des ventes
d’or effectuées directement ou indirectement par la B.C.E. (cf.
ci-dessous le cas de la Banque de France).
Le montant de l’or et des créances en or représente 14,5%
du total du bilan (contre 13,4% l’année dernière et 15,2%
en 1999).
Contrairement à la chute régulière du poids des billets
dans le total, le poids de ce montant dans le total témoigne d'une
certaine stabilité.
Il représente aussi 35,7% du montant des billets (contre 31,7%
l’année dernière et 31,3% en 1999).
En d’autres termes, si on était en étalon-or, les billets
seraient couverts à concurrence de 35,7% par de l’or…
Les capitaux propres de la B.C.E. - augmentés des comptes de
réévaluation assimilables à des
"réserves" - sont passés à €325,7
milliards (contre €275,8 milliards l’année dernière).
Leur montant représente 16,4% du total du bilan (contre 14,4%
l’année dernière et 21,3% en 1999). On est donc
loin de la proportion de 1999.
2. Le chemin
parcouru.
La B.C.E. est parvenue à cette situation, entre autres, en ne
respectant pas certaines règles statutaires relatives à
l’achat de titres de créances et en devenant une espèce d’"égout
collecteur de fausses créances" - pour reprendre une expression
forgée par Jacques Rueff (cf. par exemple billets intitulés
« des
banqueroutes évitées à l'inflation potentielle
» ou bien « Les monnaies,
désormais égouts collecteurs d'actifs toxiques ») -.
La banque centrale européenne est en effet au sommet d’une
hiérarchie pyramidale de banques qui est constituée
d’abord par des banques centrales nationales (au nombre desquelles la
Banque de France, cf. ci-dessous) et ensuite des banques dites "de
second rang" et qui a résulté de la fusion des
systèmes monétaires nationaux des pays de l’euro
en 1998 selon des règles convenues entre les hommes de l’Etat de
ces pays.
A côté d'exploiter son privilège de monopole
d'émission de billets, elle achète et vend des titres de
créance qui doivent avoir une certaine qualité.
De même que les « critères
de Maastricht » et le « pacte
de stabilité » n’ont pas été
respectés par ceux-là mêmes qui en avaient fait
l’apologie et fait voter pour qu’ils le soient, de même,
certaines règles de fonctionnement de la B.C.E. ont été
détournées ces derniers temps en relation avec la
qualité des créances.
3. Un détour
par le seigneuriage de la Banque de France (BdF.).
Le Conseil général de la Banque de France s'est réuni le
1er avril 2010 pour arrêter les comptes
de l'exercice 2009 de la Banque de France certifiés, comme les
années précédentes, par les commissaires aux comptes.
Avant éléments exceptionnels et paiement d'un impôt sur
les sociétés qui s'élève cette année
à 1.676 millions d'euros, le résultat d'exploitation courant de
l'exercice, ce que les économistes dénomment le seigneuriage,
atteint :
€ 4 631 millions (+ € 447 M)
en hausse de 11% par rapport à 2008 , année où il avait
déjà bien augmenté par rapport à
l’année antérieure (cf. ce billet intitulé "Un grand
écart ? Non, une hyper inflation potentielle !").
D’où le commentaire du ou des rédacteurs du communiqué
en date du 1er avril 2010 :
« Le résultat de la Banque de France
s'établit sur des niveaux historiquement élevés
grâce aux revenus de ses placements et à la maîtrise de
ses charges de fonctionnement.
Deux facteurs ont contribué au niveau élevé des revenus:
1- La circulation fiduciaire dans la zone euro, qui constitue une ressource
partagée entre les banques centrales nationales, a fortement
progressé et entraîné un accroissement significatif du
volume des placements rémunérés de la Banque.
La circulation fiduciaire de l'Eurosystème s'est établie en
moyenne 2009 à 763 milliards d'euros, en progression de 11,3% d'une
année à l'autre, sous l'effet notamment d'une demande de
billets accrue au moment de l'aggravation de la crise financière, qui
ne s'est pas résorbée dans le courant de l'année 2009.
Par ailleurs, la poursuite d'opérations de cessions d'or a
également concouru à l'augmentation des placements
rémunérés avec 56 tonnes vendues pour 1,3 milliard
d'euros.
Il est résulté de ces différents éléments
un supplément de placements rémunérés pour la
Banque, de 15 milliards d'euros en moyenne sur l'année. »
Soit
dit en passant, on ne peut que regretter que le communiqué ne donne
pas le montant de la "plus value" réalisée à
l’occasion de cette vente d’or par la BdF.
Le commentaire continue en ces termes :
« 2- L'encours des placements a
bénéficié d'un taux de rémunération moyen
qui s'est maintenu à un niveau relativement élevé, la
baisse des taux enclenchée à partir d'octobre 2008 dans la zone
euro n'ayant que progressivement affecté les rendements des
placements.
Le revenu net d'intérêt a ainsi atteint 5,3 milliards d'euros.
Les produits financiers ont, de plus, été majorés par la
reprise partielle (à hauteur de 356 millions) de la provision
constituée en 2008, conformément à la décision du
conseil des gouverneurs de la Banque Centrale européenne (B.C.E.),
pour couvrir les risques résultant d'opérations de politique
monétaire engagées par des banques centrales de
l'Eurosystème avec des contreparties ayant fait défaut.
Par ailleurs, la BCE a versé des dividendes qui se sont
élevés à 184 millions d'euros pour la Banque de France.
Bien qu'assez ample, l'évolution des cours de change n'a pas
pesé sur le résultat de cette année : le cours de change
de l'euro étant passé en moyenne annuelle de 1,471 à
1,394 contre dollar, la contre-valeur en euros des revenus tirés du
placement des réserves de change n'a pas été
affectée par ces mouvements.
Les moins-values latentes de change constatées en fin d'année,
d'un montant faible, ont été affectées à la
réserve de réévaluation des réserves en devises
de l'État et n'ont donc pas eu d'incidence sur le compte de
résultat. »
Bref, sous une forme ou sous une autre, le seigneuriage de la
BdF. se porte bien.
- Résultat d'exploitation courant :
€4,6 milliards.
- Résultat avant impôt :
€4,1 milliards,
en hausse de 5% ; il prend notamment en compte une dotation de €475
millions au "fonds pour risques généraux" en raison
de l'accroissement des risques financiers encourus.
- résultat net :
€2,5 milliards
soit une progression de €13 millions par rapport à celui de 2008
(après, rappelons-le, paiement de 1,7 milliards au titre de
l'impôt sur les sociétés).
4. Quel avenir ?
A quoi font s’attendre ces évolutions ?
J’ai eu l’occasion d’écrire plusieurs billets
évoquant les phénomènes monétaires que sont
l’inflation et l’hyperinflation et à quoi peuvent faire
s’attendre certaines évolutions si … :
* "Un
grand écart ? Non, une hyper inflation potentielle !" ,
* "Un
renversement spectaculaire à conséquences ignorées pour
l'instant.",
* "Euronomie
(monnaie, prix et inflation aujourd'hui en "zone euro").",
* "Echanges,
monnaie et prix : soyons simples."
Si on a confiance dans la théorie monétariste qui donne un
rôle premier aux variations de la base monétaire et de ses postes
que gère la banque centrale, l’augmentation du total du bilan de
la banque centrale européenne ne dit rien de bon.
Certes, le chiffre de la variation de la circulation fiduciaire moyenne
donnée par les rédacteurs du communiqué de la Banque de
France tranche curieusement avec le chiffre de la variation du poste
«billets» qu’on obtient à partir des bilans de la
B.C.E. :
11,3% contre 5,7%.
Mais l’augmentation du total du bilan de la B.C.E. (+10,5%) autant que
ces derniers taux de variations sont considérables étant
donnée la contraction de l’activité économique
qu’ont connue les pays de la zone euro en 2009-2010.
Et
la tendance n'est pas nouvelle.
D'autre part, le poids des billets et celui des capitaux propres (et comptes
de réévaluation) ont diminué dans le total du
bilan.
Il y a donc eu une augmentation du poids de la base monétaire
"autre" dans le total.
Et cette base autre est adossée à des créances - d'un
montant presque double :
€1696 milliards contre € 854 milliards -
sur lesquelles des doutes croissants semblent pouvoir être émis.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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