1. La monnaie, une innovation ignorée.
La monnaie a été une innovation majeure que nos ancêtres étaient parvenus à
cerner et dont vous et moi bénéficions aujourd'hui avec les échanges de
marchandises que nous effectuons.
Mais depuis lors, entre temps, la monnaie a été en partie déformée et
dénaturée à la fois, surtout à partir du XXè
siècle, par des règlementeurs de toute nature (en
particulier, interdiction du jour au lendemain de la convertibilité des
substituts de monnaie bancaires en marchandise-or, à la demande et à taux
fixe).
Et le bénéfice tend parfois à disparaître aujourd'hui: il n'y a plus alors
d'échange, de "marché" comme on dit, pour les gens qui veulent
échanger ou bien il y en a mais à des prix en monnaie très élevés,
c'est-à-dire coûteux, trop coûteux.
2. Echanges, monnaie, prix en monnaie.
Depuis que la monnaie avait existé, les échanges de
marchandises en nombre ou en quantité que les gens cherchaient à effectuer,
étaient effectués par le truchement de quantités de monnaie échangées.
Des prix en monnaie des marchandises étaient conclus: en
d'autres termes, des quantités de monnaie unitaires de ces dernières étaient
convenues.
Il y avait, entre autre conséquence, des échanges de marchandises dont les
quantités ou nombres pouvaient être écrites dans des "comptes" et
qui faisaient dire à certains que la monnaie était une "unité de
compte" à défaut de mettre l'accent sur l'"unité de - la quantité
de - monnaie".
3. Sans compte, pas d'unité de compte.
Soit dit en passant, sans "compte", il n'est pas
possible de parler d'"unité de compte".
Le "compte" n'est jamais que le nom donné aux résultats d'un
ensemble de règles de bon sens articulé sur, à la fois, des règles de droit
et des règles arithmétiques (ou algébriques).
L'impossibilité correspond, économiquement, à un coût que chacun ne peut
qu'évaluer très élevé et qui explique son refus de procéder à l'échange qu'il
espérait.
Au contraire, il faut être un savant qui déforme ou qui dénature ce qu'il
voit pour faire croire qu'il y parvient et parler, par exemple, de la
fonction "unité de compte" de la monnaie.
Et, dans la voie absurde ouverte, beaucoup en parlent sans se soucier qu'ils
n'ont pas précisé ce qu'il faut entendre par "compte" et ce que ce
dernier suppose ou cache.
De même, sans monnaie, il n'est pas possible de parler d'"unité de -
quantité de - monnaie" ou de "quantité unitaire de monnaie".
Et, a fortiori, une unité de monnaie ne saurait être confondue avec
telle ou telle unité de compte.
4. L'abstraction flottante.
L'économie politique ou la science économique n'a pas,
pour domaine, les fonctions des marchandises à quoi des savants s'efforcent
de faire référence en évoquant, par exemple, l'"unité de compte"
pour désigner une fonction donnée à la monnaie.
La monnaie n'est d'ailleurs pas plus "réserve de valeur" ou
"moyen d'échange" qu'"unité de compte".
Ces artifices, colportés à l'envie, des fonctions de la monnaie contribuent à
dissimuler la réalité de ce qu'on dénomme "monnaie", à rendre
celle-ci "abstraction flottante" au lieu d'insister sur
l'innovation qu'elle n'a cessé de constituer.
5. Le coût de l'échange et sa rhétorique.
L'Histoire n'a pas de sens mais l'économie politique en a
un: c'est la diminution des coûts d'opportunité que vous ou moi donnons aux
échanges de
marchandises que nous envisageons d'effectuer et qui nous
amènent à décider tel ou tel choix: c'est la "loi de l'économie" au
sens premier de l'expression.
Quoiqu'ils se situassent dans le cadre de la théorie de l'équilibre
économique général qui, a priori, met de côté le coût d'opportunité de
la monnaie, Ulph et Ulph
faisaient remarquer en 1975 que:
"It has long been realized that
the exchange of commodities is
a costly activity and the
recognition of such costs
will play an important part
in explaining certain economic
phenomena" (Ulph
et Ulph, 1975, p. 355)
Mais, répétons-le, en théorie, quand les fonctions de la monnaie ne sont pas
prises - à tort - pour la "définition" de celle-ci, les coûts sont
le plus souvent laissés de côté par de prétendus savants ou bien ils sont
supposés nuls, tout cela sans justification pertinente.
"La monnaie facilite les
échanges".
En vérité, la tradition est qu'au lieu d'évoquer les coûts
en relation avec l'échange des marchandises et la monnaie, il est question en
général que "la monnaie facilite les échanges".
Reste que, dans ce cas, on n'est plus dans la théorie, mais dans la
rhétorique au mauvais sens du mot.
Parce que les personnes juridiques physiques évaluent abordable ou moins
élevé le coût d'opportunité d'un échange avec monnaie comparé au coût
d'opportunité d'un échange sans monnaie, mais qu'elles ne connaissent pas en
pensée la notion de "coût d'opportunité", elles disent à la place
que "la monnaie facilite l'échange".
Et, sans le vouloir, les gens qui adoptent cette mauvaise rhétorique ouvrent
la voie à la définition de la monnaie par la "fonction de moyen
d'échange"!
Au lieu de dire que "la monnaie facilite l'échange", expression non
scientifique, dénuée d'intérêt, chacun devrait dire que "la monnaie
contribue à diminuer le coût évalué de l'échange", sous-entendant que
telle est son innovation permanente et que rien ne dit que les
réglementations qui lui sont assénées vont dans le même sens.
6. Les échanges de marchandises indirects.
L'important est donc l'évaluation du coût de l'échange par
les personnes juridiques physiques, rien d'autre.
Et, dans cette perspective, on peut s'attendre ou faire en sorte de trouver
des artifices pour diminuer le coût de l'échange.
C'est ce qui s'est produit à l'origine: des marchandises - qui vont donc être
dénommés "monnaie" par la suite - ont été considérées réduire le
coût de l'échange en contribuant à permettre de passer des échanges dits
"directs" de marchandises - d'un certain coût - à des échanges dits
"indirects" - d'un coût moindre -.
Par la suite, mais longtemps après, des théoriciens ont mis le doigt sur le
fait.
Cette façon de s'exprimer a présenté l'intérêt scientifique particulier de ne
pas établir un lien entre l'économie politique et la physique en faisant la
référence habituelle à la notion de temps ou à celle de durée.
Le concept fondamental d'échange de marchandise de la personne juridique
physique était ainsi accentué.
Autre intérêt scientifique, la monnaie connaissant des innovations techniques,
son domaine élargi est resté dénommé monnaie au regard de la diminution du
coût de l'échange à quoi il contribuait.
7. Le ravage de l'économie politique.
Mais cette façon de s'exprimer a présenté des
inconvénients.
Parmi ceux-là, il y a l'inconvénient de cacher une considération importante
de l'échange des marchandises par les gens, à savoir le service que peut être
la marchandise, objectif de l'acte d'échange de chacun.
La monnaie, un service innovant.
Elle n'a pas exclu que la monnaie soit, par nature, un
type de service.
On aura l'occasion de revenir sur ce point dans un billet futur.
La rhétorique débile.
Elle a ouvert la voie à faire croire qu'il y aurait des
services marchands et des services qui ne le seraient pas, au prix d'une
confusion, volontaire ou non, entre la liberté et la réglementation
(interdiction ou obligation de faire).
Et cette confusion a été développée par des économistes jusques à aujourd'hui
inclus.
Elle a ouvert aussi la voie à faire croire qu'il y aurait des services et des
biens comme si les services pouvaient être autre chose que des biens dans un
monde de liberté.
Et, là encore, des économistes n'ont pas hésité à dire les pires bêtises sur
le sujet.
Bref, elle a contribué au ravage de la terminologie de l'économie politique.
8. La croissance sans compte.
Reste que les comptables nationaux se sont engouffrés dans
ces absurdités, bien véhiculées à l'occasion par maints économistes.
Avant de les additionner ou d'introduire des "objets frontières"
(cf. Desrosières, 2003), ils ont construit, l'agrégat des
services marchands et l'agrégat des services non marchands, l'agrégat des
services et l'agrégat de biens.
Et ainsi, le "produit intérieur brut" (P.I.B.) est devenu
l'agrégat des biens et services par excellence.
Quand on est en situation de monopole comme l'est
l'I.N.S.E.E. en France, on peut évidemment tout se permettre, jusqu'au jour
où...
Reste aussi que les politiques et autres commentateurs pour qui l'économie
politique "ce sont les agrégats de la comptabilité nationale et rien
d'autre", se sont mis à employer des nombres d'agrégats pour asseoir ce
qu'ils péroraient et, par exemple, à expliquer la croissance (cf. aussi ce texte
d'avril 2014).
On n'en est pas sorti...