|
1. Les
régimes de retraite obligatoires.
Il existe aujourd’hui, en France, un grand nombre de régimes de
retraite obligatoires.
Ces régimes ne résultent pas de traditions, mais de coups de
force successifs récents – à l’échelle de
l’histoire -, voire de coups d’Etat, dans les décennies
1940-1970, qui ont mis un terme aux traditions de la famille, de
l'épargne et de l'assurance.
Autre dénominateur commun de ces régimes, des gens sont
affiliés de force à tel ou tel et doivent s'y acquitter
obligatoirement de « cotisations ».
Pour les gens concernés, les cotisations qui sont
prélevées à la source ne peuvent qu’être
synonymes d’impôts quoique les régimes soient
juridiquement indépendants de l’Etat.
Les montants des cotisations versées sont plus ou moins totalement
ignorés pour la raison qu’est pratiquée une distinction
nulle et non avenue entre "cotisation employé" et
"cotisation employeur".
Les gens savent seulement que ce qu’ils versent leur donnera
«droit à» une retraite à partir d’un certain
âge, s'il l'atteigne.
Mais ils ne savent pas combien ils recevront.
S'il ne l'atteigne pas, ce sera "tant pis" pour leur famille
(conjoint ou enfants).
En attendant, ils ne savent pas souvent que ce qu’on leur prend en
cotisations est immédiatement dépensé en retraite et non
pas mis en réserve.
Un régime domine tous les autres, en nombre de personnes
concernées, depuis sa création en 1945-46 : le régime
dit «régime général de la sécurité
sociale » ou encore, aujourd'hui, en relation avec la retraite, «
régime de base vieillesse ».
Ce régime n’a rien à voir avec le seul régime
véritablement ancien, à savoir le régime des
fonctionnaires de l’Etat, objet de diverses réformes au
XIXème siècle, qui sert des pensions civiles ou militaires.
Le régime général n’a rien à voir non plus
avec les régimes obligatoires dits « complémentaires
» concernant, les uns, la catégorie de salariés
dénommée « cadre » et, les autres, la
catégorie de salariés dénommée « non cadre
». Les régimes complémentaires « vieillesse »
du régime général font en vérité que ce
régime devient « régime de base ».
2. Le prétexte
arithmétique : une erreur méthodologique.
Ce qui est en question aujourd’hui, en 2010, c’est d’abord
ce « régime de base » au prétexte d’ordre
arithmétique que le montant des cotisations reçues couvrent de
moins en moins le montant des retraites à verser…
Malheureusement, le prétexte arithmétique est pris pour la
question économique : il s’agit d’une véritable
erreur méthodologique.
Est-elle volontaire ou involontaire ?
Je laisse la réponse en suspens et renvoie à tout
ce que j’ai pu écrire sur le sujet,
à commencer par le livre La sécurité sociale
et comment s’en sortir et
à suivre par les livres que Jacques Garello et moi-même avons
écrits sur la retraite en 2008 et 2009, à savoir :
-
Futur des retraites et retraites du futur. I. Le futur de la
répartition (mai 2008),
-
Futur des retraites et retraites du futur. II. Les retraites du futur : la
capitalisation (décembre 2008),
- Futur des retraites et retraites
du futur. III. La transition (mai 2009).
La réponse à la question économique que soulèvent
les régimes de retraite obligatoires ne doit pas porter sur le
prétexte arithmétique même si cela soit le leitmotiv
officiel, mais sur l'économie des régimes.
3. La correction inachevée
de l’erreur économique.
En fait, le régime général repose sur une erreur
économique magistrale.
3.A. Les
ordonnances de 1967.
En 1967, le législateur de l’époque avait compris une
partie de l’erreur commise au départ et s’était
attaché à la corriger par ordonnances.
Il en était arrivé ainsi, entre autres, à diviser en
deux la cotisation dénommée « assurances sociales »
jusqu’alors en deux cotisations dénommées respectivement
« cotisation de sécurité sociale maladie » - ou
"cotisation d'assurance maladie" - et « cotisation de
sécurité sociale vieillesse » - ou "cotisation de
retraite" -.
Il reconnaissait ainsi, avec lucidité, que la gestion de
l’indemnisation des dépenses en matière de maladie
n’avait que peu de choses à voir avec la gestion des pouvoirs
d’achat des gens âgés de plus d’un certain
âge. Sauf à vouloir faire vivre les gens au jour le jour, tels
des bêtes de somme ou autres, les deux gestions devaient être
très différentes.
Mais le législateur s’est arrêté là et, on
peut le dire, en chemin...
Il n’a pas mis le doigt ou n’a pas compris l’autre partie
de l’erreur économique.
Pourtant cette partie avait été relevée dès
l’origine, par maintes voix françaises ou
étrangères. Elle consiste à soutenir que la consommation
serait la garantie du plein emploi et de la croissance économique.
3.B. La
position de Jacques Rueff sur la théorie de John Maynard Keynes.
Par exemple, en 1947, Jacques Rueff écrivait ainsi :
«
Mon sentiment, c'est qu'à l'égard de tous ces programmes, dont
l'inspiration est généreuse et respectable, il y a une question
qui toujours se pose : c'est de savoir dans quelle mesure on peut attendre de
la sagesse des peuples qu'ils acceptent de faire, en application de conseils
ou de recommandations, voire d'engagements internationaux, ce que le jeu des
forces affectant les marchés eût fait ou les eût
obligés à faire.
Cette question se pose d'autant plus — et ceci est la dernière
observation que je veux présenter — qu'en même temps que
ces programmes de reconstruction des échanges internationaux, le
rapport contient une troisième série de suggestions : celles
qui tendent à l'application de la politique formulée par Lord
Keynes : la politique du plein emploi.
Cette politique est fondée sur la Théorie
générale de l'emploi, de l'intérêt et de la
monnaie, publiée en 1936 par Lord Keynes.
Dans cet ouvrage, l'économiste anglais prétend réfuter
la vieille théorie de Jean-Baptiste Say, suivant laquelle il
était inconcevable qu’un pays pût être en
équilibre permanent dans le sous emploi, toute production engendrant
nécessairement les revenus susceptibles de 1'absorber.
Lord Keynes affirme qu'il a démontré l’absurdité
de cette vieille théorie, qu'en réalité il peut exister
un équilibre permanent dans le sous-emploi, c'est-à-dire un
état de chômage qu'aucune force naturelle ne tendrait à
résorber.
La théorie keynésienne repose sur un argument de psychologie
économique.
Pour son auteur, le trait essentiel de l'homo
oeconomicus véritable, c'est qu'il a cette tendance
fâcheuse à ne pas employer à des consommations
l'intégralité des suppléments de revenus qu'il est
susceptible d'obtenir.
De ce fait, si on réussit à augmenter l'emploi, les hommes
nouvellement employés, ou plus employés et qui obtiendront un
excédent de revenu, ne demanderont pas de richesses sur le
marché pour l'intégralité des ressources
supplémentaires qu'ils auront reçues.
Une partie des produits qui auront engendré ce supplément de
revenu, ne pourra donc trouver de débouchés : il y aura
équilibre dans le sous emploi.
Je me propose de publier, d'ici quelques semaines, un article dans lequel
j’exposerai mes vues sur la valeur économique de cette
théorie (1); mais ce serait abuser de votre attention que de les
présenter ici.
1.
« Les erreurs de la Théorie Générale de Lord Keynes », Revue d'Economie
Politique, 57, janvier-février 1947, pp 5-33.
Réédité dans les Oeuvres Complètes, tome II : Théorie Monétaire, troisième
partie, chapitre XII.
Ce que je dois vous dire, c'est que cette théorie a engendré
une politique qui a été, avec une extraordinaire
rapidité, acceptée par la quasi-totalité de l'opinion
économique dans le monde, et qui est devenue partie importante des
programmes de presque tous les gouvernements du monde.
Cette politique, universellement admise, conduit à glorifier la
consommation, à stigmatiser l'épargne et à indiquer
qu'il n'est pour parer au sous-emploi, qu'une seule solution pratique :
combler par des dépenses systématiques d'investissement,
consenties par l'Etat, en cas de sous emploi, l'insuffisance de la demande
effective afin de créer des débouchés aux produits que
la demande des particuliers ne saurait absorber.
Ce que je voudrais seulement que vous compreniez ici, c'est que cette
politique (dont je ne discute pas actuellement la légitimité)
si elle est pratiquée d'une façon
généralisée dans le monde, fera naître des forces
exactement opposées à celles qui tendent à
rétablir les équilibres économiques.
Elle créera, en effet, des excédents de pouvoir d'achat
à l'intérieur de chaque économie nationale, donc,
augmentera les déséquilibres existants.
Si on la pratique dans une large mesure, elle ne pourra pas ne pas
éloigner ces économies de l'état d'équilibre
nécessaire pour que puissent être rétablies de libres
relations entre Etats. » (Rueff, "Conditions financières
des liens entre nations", dans D. Serruys et alii, Liens
entre Nations, Spid, Paris, 1947, pp. 139-173.)
3.C. La
position des économistes étrangers.
J’ai fait référence à Jacques Rueff, mais je
pourrais faire référence à des économistes
étrangers tels
* Ludwig von Mises, par exemple dans:
"Lord
Keynes And Say's Law" dans Hazlitt H. (ed.), The Critics of Keynesian
Economics (with an introduction and new preface), The Foundation For
Economic Education, Inc. Irvington-on-Hudson, New York , 1995, pp. 315-321 ;
* Friedrich von Hayek, par exemple dans :
"La
critique autrichienne", The Economist, 11 juin 1983 ;
* Murray Rothbard, par exemple dans:
Le "multiplicateur"
keynésien", Man, Economy and State, chap. 11, 1962 ;
* Hanz Hermann Hoppe, par exemple dans:
" The Misesian Case against Keynes
", Mises
Daily, 30 January 2009 ;
cet essai a été d'abord publié dans Dissent
on Keynes, A Critical Appraisal of Economics, ouvrage collectif
réalisé par Mark Skousen, pp.199–223, publié sous
les auspices du Ludwig von Mises Institute © 1992. Praeger, New York, Westport, Connecticut, London (1992) ;
etc.
pour ne pas parler de L.A. Hahn, par exemple dans
"Common Sense Beats
Keynesian Sense", Mises Daily: Monday, April 12, 2010,
[Preface to Common Sense Economics (1956)] ou dans The Economics of
Illusion, publié in 1949.
Soit
dit en passant, pour une espèce de synthèse de tout cela, on
pourra se reporter à mon billet intitulé "Suicide
ou masochisme pré-suicidaire" d'octobre 2009.
3.D.
Le "plein emploi".
Le « plein emploi » est donc une notion économique pour le
moins fâcheuse.
Si on veut à tout prix l’employer, il faut reconnaître que
ce qu'elle désigne dépend de la croissance économique et
que le moteur de celle-ci est l’épargne et
l’investissement, l’accumulation du capital, libres, non pas la
consommation.
En limitant la liberté de chacun, en réduisant l’épargne
et l’investissement, l’accumulation du capital, comme elles le
font, les cotisations obligatoires de sécurité sociale
vieillesse pénalisent doublement la croissance économique et,
par conséquent, l'emploi.
Tels qu'ils ont été construits, les régimes de retraite
obligatoires nuisent, pour le moins, à la croissance
économique, qui est leur condition nécessaire
d’existence, et à l'emploi.
En d'autres termes, ils détruisent et s'auto-détruisent !
Seuls des régimes de retraite, même obligatoires, fonctionnant
par capitalisation, peuvent favoriser la croissance économique et
l'emploi, et renforcer ainsi, à la fois, leur condition d'existence et
leur pérennité.
4. Le respect de la science
économique non falsifiée.
Pour cette raison de l’ordre de la science économique, et sauf
à falsifier celle-ci (cf. Hayek, 1974, son discours
de réception du prix Nobel), devrait être en question
aujourd’hui, dans le cadre des discussions sur la réforme des
retraites, non pas le prétexte d’ordre arithmétique, mais
le respect de la science économique digne de ce nom.
Rien ne changera dans le bon sens quelles que soient les mesures convenues,
tout empirera si la science économique reste écartée
comme elle l'a été jusqu'à présent et l'est
désormais, le cas échéant, au profit de modèles
économétriques plus que discutables.
Jules Verne avait imaginé, au XIXème siècle, le voyage
dans la lune – dans De la terre à la lune -, Georges
Méliès l’avait représenté
cinématographiquement en 1902 (ci-contre), mais c’est la
découverte des lois de la nature et la technologie qui a
respecté les lois de celle-ci, qui ont permis de le réaliser en
1969.
De même, on peut imaginer faire vivre des gens qui ont
dépassé un certain âge en « prélevant
» des ressources à des gens qui font des efforts pour les rendre
disponibles, mais c’est la propriété et le respect de la
propriété de ce que chacun a la liberté de gagner
légitimement qui permettent d’y parvenir.
Cela est enseigné par la science économique et ne saurait être
démenti par un accord de conviction contraire passé entre les
hommes d’un gouvernement – soutenue par une majorité
politique – et les « partenaires sociaux » qui s'en moquent.
Georges
Lane
Principes de science économique
Georges Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec l’aimable
autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par
l’auteur
|
|