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A une
époque où certains hommes
de l'Etat laissent imaginer la faillite des Etats - pour ne pas parler de celle de certain système
de sécurité sociale vieillesse -, il est bon de
s’interroger sur la grande façon de gérer cette
incertitude de perte et, a
priori, la plus efficace, à savoir l’assurance
du risque de faillite
On ne peut qu’être surpris qu’aucun assureur ne propose
pas, dès à présent, une telle assurance.
Maintes causes de ce choix peuvent être avancées sur lesquelles
ce billet n'insistera pas.
Il préfère reproduire le texte ci-dessous qui porte sur
l’assurance du risque de faillite de la firme avant quelques remarques
complémentaires.
Ce texte est l’introduction et la conclusion d’une étude
que j’ai réalisée en 1986-87 pour la
Société française pour l’assurance du
capital-risque (So.F.A.Ris.).
Ses trois chapitres feront l’objet de billets séparés.
[Début du texte]
Introduction
Tant en France qu'à l'étranger, le risque de faillite n'a
jamais été assuré jusqu'à présent. La
présente étude se propose de voir en quoi pourrait consister
une assurance contre ce risque.
Comme toute assurance, cette activité soulève a priori des
difficultés techniques liées à la définition et
à la mesure du risque de faillite ou à la technique d'assurance
à utiliser.
Mais elles ne doivent pas être exagérées. La technologie
de l'assurance offre aujourd'hui trop de moyens susceptibles de les
résoudre pour que l'un d'eux ne puissent convenir.
En fait, une partie de ces difficultés est factice si l'on prend soin
de s'intéresser à la demande. La définition et la mesure
du risque de faillite posent des problèmes majeurs tant que les motifs
qu'a l'entreprise de s'assurer sont ignorés.
En effet, si l'assureur offre un contrat d'assurance sans se
préoccuper des motifs de la demande, il ne peut qu'offrir un contrat
mal adapté, où la prime d'assurance est, aux yeux des
entreprises, disproportionnée par rapport aux garanties offertes.
D'emblée, certaines entreprises refuseront de s'assurer et tout se
passera comme si le risque n'était pas assurable.
D'autres s'assureront, mais simultanément déclencheront un
cercle vicieux (1) au terme duquel elles refuseront de continuer à
s'assurer et tout se passera comme si, en définitive, le risque de
faillite n'était pas assurable.
(1) Mécontente de son assurance à cause de la
disproportion des primes par rapport aux garanties, l'entreprise
atténuera son comportement de protection contre le risque de faillite
pour compenser une partie de ses dépenses et exposera ainsi l'assureur
à un risque supplémentaire.
Rapidement, l'assureur pourra adapter la prime à partir de la
technologie de l'assurance, mais le coût de l'assurance s'en trouvera
accru pour l'entreprise. Le contrat ne variant pas, la disproportion
deviendra plus aiguë, l'entreprise plus mécontente, son
comportement de protection s'atténuera davantage, etc... A terme,
l'entreprise abandonnera l'assurance.
Au total, le risque ne sera pas assurable, mais son assurabilité aura
pour cause une mauvaise adaptation du contrat aux motifs de la demande qui
auront été laissés de côté, et non quelque
prétendue impossibilité technique.
Au contraire, si les motifs de la demande d'assurance sont connus, un ou
plusieurs modèles de prime d'assurance en découleront
immédiatement.
A l'assureur de choisir alors celui qu'il veut mettre en oeuvre, étant
donné la technologie disponible.
Dans ces conditions, une question se pose : pourquoi l'entreprise
s'assurerait-elle contre le risque de faillite ? Pourquoi en d'autres termes,
choisirait-elle un modèle de prime d'assurance qui alourdirait ses
charges, et risquerait ainsi de compromettre son développement, voire
plus simplement son existence ?
Rien ne justifie a priori que l'entreprise souscrive une assurance en cas de
faillite au profit d'une personne physique ou morale, à moins qu'elle
y soit obligée par la puissance publique et qu'il soit dans sa nature
de respecter les obligations légales.(2)
(2) Certains répondront même par la négative
à cette question et pour justifier leur réponse, invoqueront
que l'entreprise n'est pas une unité de décision assurable et
que ses parties contractantes disposent de moyens propres pour s'assurer ou
se protéger contre le risque de faillite. On aura l'occasion de voir
que ces réponses sont pour le moins rapides.
Des réponses qui peuvent être données à cette
question dépend en fait l'assurance technique du risque de faillite.
C'est la raison pour laquelle le premier chapitre de la présente
étude est consacré à la détermination des motifs
de la demande d'assurance "faillite" de l'entreprise ; les deux
autres portent sur la technique que pourrait utiliser un assureur qui
désirerait exploiter cette branche d'assurance.
Il n'existe pas de méthode toute faite pour révéler les
motifs possibles de la demande. La méthode utilisée dans le
premier chapitre repose sur deux parallèles : l'un entre l'assurance
en cas de faillite de l'entreprise et l'assurance en cas de
décès de l'individu, l'autre entre l'assurance en cas de
faillite de l'entreprise et la réassurance de l'assureur.
Le premier parallèle a pour principe que la faillite est à
l'entreprise, personne juridique morale, ce qu'est le décès
à l'individu, personne juridique physique. L'entreprise est comme
l'individu une unité de décision dotée de volonté
et de libre arbitre. Comme celui-ci elle peut être isolée ou
membre d'une famille, d'un groupe informel de personnes.
Dans les deux cas, elle a un motif de souscrire une assurance-faillite au
profit d'un ou plusieurs tiers, très voisin des motifs
d'assurance-décès de l'individu : pouvoir contracter avec
ceux-ci, malgré l'anticipation de faillite, voire plus
généralement les amener à investir de façon
spécifique en son sein. L'assurance-faillite permet de
concrétiser financièrement le montant des investissements que
reconnaît avoir reçus l'entreprise. Seule, pour cette raison,
l'entreprise est susceptible de souscrire l'assurance.
En cas de faillite, les tiers choisis comme bénéficiaires de
l'assurance seront indemnisés des dépenses d'investissement
effectuées et non rentabilisées.
Si l'entreprise ne souscrit pas d'assurance-faillite (ou si celle-ci n'est
pas disponible), les tiers hésiteront à prolonger leur contrat
avec elle, ou à le renouveler dès qu'elles auront des
anticipations de faillite accrues.
Leur hésitation ne sera pas longue si l'entreprise est jeune car
l'investissement qu'elles auront effectué dans celle-ci et qu'elles ne
rentabiliseront pas en mettant un terme aux contrats, sera d'un montant
faible.
Si l'entreprise est ancienne, leur hésitation deviendra un dilemme :
rentabiliser ou ne pas rentabiliser ? Il en sera de même si la
conjoncture est mauvaise, quel que soit l'âge de l'entreprise : dans
une conjoncture de sous-emploi, les employés extérieurs
hésiteront à rompre leur contrat de travail.
Le second parallèle a pour principe que l'entreprise fournit aux
contrats implicites, qui sont conclus en son sein par certaines personnes,
des garanties comparables aux garanties que l'assureur fournit à ses
clients, les assurés. Mais les garanties n'ont de valeur qu'autant que
entreprise ou assureur sont en vie. En cas de faillite, elles deviennent
caduques.
Aussi, de même qu'il est admis et bien vu que l'assureur
réassure les garanties qu'il offre, de même l'entreprise devrait
pouvoir réassurer les siennes. Seulement les garanties de l'assureur
sont formelles et parfaitement délimitées alors que celles de
l'entreprise sont informelles.
L'entreprise est un noeud de contrats particuliers entre des personnes
juridiques responsables indépendantes les unes des autres. Les
particularités proviennent de ce que les personnes contractent chacune
explicitement avec l'entreprise, mais en fait elles contractent aussi
implicitement entre elles avec la garantie informelle de l'entreprise.
Dans cette perspective, l'entreprise a un motif original de souscrire une
assurance-faillite au profit de ces personnes : reconnaître les
contrats implicites conclus et les garantir. L'assurance-faillite permet de
concrétiser financièrement le montant des garanties que
l'entreprise décide de donner aux contrats implicites qu'elle
reconnaît. Là encore, seule l'entreprise est susceptible de
souscrire cette assurance car elle seule est à même de pouvoir
délimiter les contrats conclus.
En cas de faillite, les personnes bénéficiaires seront
indemnisées de la confiance qu'elles avaient mise dans l'entreprise et
des dépenses d'investissement qu'elles y avaient effectuées,
malgré l'anticipation de faillite.
Comme précédemment, on peut dire que si l'entreprise ne souscrit
pas d'assurance-faillite (ou si celle-ci n'est pas disponible), les
personnes, physiques ou morales, hésiteront à prolonger leur
contrat implicite ou à le renouveler, à partir du moment
où elles auront des anticipations de faillite supérieures
à celles qu'elles avaient à l'origine.
Tous ces motifs de la demande d'assurance-faillite de l'entreprise,
unité de décision ou garantie vivante d'un noeud de contrats,
ont un dénominateur commun : ce sont des motifs d'assurance
procédant du risque de faillite et indépendants des
modalités de l'assurance-faillite disponible. A ce titre, ils seront
qualifiés de "normaux" par les assureurs.
Mais d'autres motifs, fonction du contrat d'assurance-faillite proposé
par l'assureur et non plus du risque de faillite lui-même, peuvent
être imaginés : ils seront qualifiés de
"pathologiques". L'un d'eux fait référence à
l'économie des coûts que l'entreprise réalise en
souscrivant une assurance-faillite plutôt qu'en prenant la
décision d'effectuer des dépenses de prévention-protection
contre le risque de faillite ou plus directement en prenant moins de risques.
Un autre a trait au gain d'opportunité qu'elle considère
obtenir à la lumière de ses probabilités de faillite, en
souscrivant une assurance-faillite.
Rien ne permet de dire que ces motifs que les assureurs supposent être
à la base de certaines assurances disponibles couramment, soient
absents dans le cas de l'assurance-faillite. Mais rien ne justifie d'en
exagérer l'importance. Il faut seulement prendre garde de ne pas
être myope et de ne pas se cacher leur "vraie" source. Il
s'avère que le plus souvent les motifs pathologiques expliquent non
des décisions d'assurance "facultative", mais des
décisions d'assurance "obligatoire". Dans un monde où
l'assurance est facultative, l'assuré peut certes avoir des motifs
d'assurance qui reposent sur autre chose que le risque de perte, comme par
exemple les caractéristiques "avantageuses" du contrat
d'assurance disponible. Dans ce cas, on dira qu'il a des motifs d'assurance
pathologiques.
Mais dans un monde où l'assurance est obligatoire, peu importe en
définitive les motivations de l'assuré, seul importe son
respect de l'obligation. Dans ces conditions, ce n'est pas à la
disponibilité du contrat d'assurance qu'il faudrait imputer le motif
pathologique d'assurance, mais davantage à l'existence de l'obligation
d'assurance. A cet égard, les expériences de
l'assurance-chômage et de l'assurance-prêt participatif sont
à considérer avec circonspection. Par certains
côtés, facettes de l'assurance-faillite, elles laissent
présager ce que pourrait être une telle assurance. Par d'autres,
elles s'en éloignent beaucoup, ne serait-ce que parce qu'elles sont
des assurances obligatoires de l'entreprise.
Les deux autres chapitres de la présente étude s'intéresse
aux conditions que doit remplir l'assureur-faillite pour offrir des contrats
qui satisfassent les attentes des entreprises en matière de garanties
et en matière de modèles de prime d'assurance.
Les conditions de l'offre d'assurance-faillite peuvent ne pas être
remplies pour des raisons de nature économique. Traditionnellement, la
définition et la mesure du risque de perte constituent le principal
obstacle. Elles limitent les techniques d'assurance utilisables et
conditionnent de ce fait les choix de l'assureur. A l'extrême, la
méconnaissance des caractéristiques du risque est la condition
par excellence pour que le risque ne soit pas assurable. Mais il en est une
autre, souvent oubliée, qui apparaît quand les choix de
l'assureur sont en rupture avec les techniques utilisables.
Comme on le verra dans le chapitre 2, quand on adopte une approche
pragmatique des conditions de l'offre d'assurance-faillite et que l'on fait
référence à la conception juridico-statistique
généralement admise du risque de faillite, cet obstacle est
présent.
Bien qu'il ressorte de cette approche que le risque de faillite est assurable
par des techniques utilisées pour assurer des risques de perte de
nature voisine (3), cette approche présente des insuffisances qui
peuvent détourner les assureurs de l'assurance du risque de faillite
des entreprises.
(3) Par exemple, risque de décès de la personne
physique, risque de perte d'exploitation de l'entreprise, risque de
responsabilité de l'automobiliste, risque de perte "unique".
Non seulement elle suscite des questions dont le bien-fondé n'est pas
toujours évident, quand celles-ci n'ont pas été
créées de toutes pièces, mais encore elle n'y apporte
pas les réponses attendues. A la base de ces insuffisances, la
définition et la mesure du risque de faillite.
Pour remédier à ces insuffisances, le risque de faillite est
défini dans le chapitre 3, non plus en termes juridico-statistiques,
mais à partir d'un modèle économique de l'entreprise. Et
de cette nouvelle définition, on déduit une approche
économique des conditions de l'offre d'assurance-faillite, à la
fois éclairage et complément de l'approche pragmatique.
L'utilisation de cette approche présente en effet
l'intérêt de montrer que le risque de faillite est assurable par
des techniques traditionnelles et de gommer les points d'interrogation de
l'approche pragmatique.
Elle permet aussi de souligner que l'assurance du risque de faillite
dépend des choix de l'assureur, c'est-à-dire d'un facteur trop
souvent oublié dans le monde administré qu'est le monde de
l'assurance. En cas d'inefficacité observable de l'exploitation de la
technique par l'assureur (c'est-à-dire de déficit de
l'assureur), c'est alors moins la technique qui est à mettre en cause
que les choix de l'assureur. Quand la technique d'assurance est d'une
utilisation rendue obligatoire par la puissance publique ou quand celle-ci se
charge elle-même de l'exploiter, c'est moins la technique qui est
à mettre en cause que les décisions des pouvoirs publics, des
décisions en rupture avec l'activité économique en
question.
Recherche préliminaire, destinée à délimiter les
conditions économiques de l'assurance "faillite" par une
entreprise privée, la présente étude ne rentre pas dans
les arcanes des techniques actuarielles.
Recherche néanmoins générale, elle expose une
méthodologie qui permet de conclure sur l'assurabilité du
risque de faillite, sur les idées reçues la concernant, et les
principes qui devraient présider à l'établissement des
contrats d'assurance contre ce type de risque.
Conclusion
Toute personne qui "s'assure" contre un risque de perte choisit
d'effectuer ex-ante
(c'est-à-dire étant données les probabilités de
perte qu'elle envisage) une dépense d'un certain montant par crainte
d'avoir, ex-post
(c'est-à-dire en cas de sinistre, de réalisation du risque de
perte), à supporter une perte de capital, ou à devoir effectuer
une dépense d'un montant beaucoup plus important (par exemple,
remplacer le capital perdu).
Comme toute approche générale, cette approche théorique
de la demande d'assurance est à nuancer en fonction des
particularités du risque de perte que l'on considère, des
caractéristiques de la personne exposée au risque de perte ou
du modèle de prime que celle-ci désire verser.
Parfois, les particularités sont telles que l'approche
générale est non plus nuancée, mais modifiée.
Ainsi, d'après l'approche théorique de l'assurance en cas de
décès, l'individu, personne juridique physique, qui
"s'assure en cas de décès", choisit d'effectuer ex ante (étant
données ses probabilités de disparaître dans l'intervalle
de temps qui le sépare de son horizon de décision) une
dépense d'un certain montant, non plus par crainte de 1'ex post défini
par son décès, mais par souci d'un ex post plus circonstancié : tout
individu qui s'assure contre son risque de décès, s'assure non
pour être indemnisé, mais pour que d'autres personnes juridiques
-physiques ou morales- soient indemnisées. Il s'assure au profit de
bénéficiaires qu'il choisit à la souscription du
contrat, anticipant que sa disparition leur causera des pertes.
Quand il n'existe pas d'approche théorique, mais quand
néanmoins l'assurance est disponible en pratique, apporter les nuances
nécessaires ne soulève pas de difficultés. Il suffit
d'analyser les termes du contrat d'assurance correspondant et de les
introduire dans l'approche générale.
Quand l'assurance n'existe ni en "théorie" ni en
"pratique", comme c'est le cas de l'assurance en cas de faillite de
l'entreprise, une autre démarche doit être trouvée.
La démarche suivie ainsi dans la présente étude, pour
décrire les motifs d'assurance faillite de l'entreprise, a
consisté dans un premier temps à rappeler les motifs
théoriques de la demande d'assurance en cas de décès de
l'individu et à déduire de ces motifs, les motifs d'assurance
"faillite" de l'entreprise quand d'une part le risque de faillite
est identifié au risque de décès et quand d'autre part
l'entreprise, personne morale, est identifiée à l'individu,
personne physique.
Ce parallèle a permis d'avancer que l'entreprise isolée, qui
s'assure en cas de faillite, s'efforce que sa technologie soit amortie
à un rythme accéléré.
Plus important, il a permis de montrer que l'entreprise, membre d'un groupe
de personnes informel, qui souscrit une assurance-faillite, veut que ses
cocontractants (créanciers, employés extérieurs par
exemple) soient indemnisées le jour de sa faillite, des
investissements spécifiques qu'ils ont effectués en son sein et
n'ont pas rentabilisés.
La faillite témoigne de la rupture unilatérale et
simultanée de tous les contrats, à l'initiative de
l'entreprise, personne juridique morale, ou imputée à celle-ci
par les tribunaux. Elle a donc des conséquences pécuniaires
néfastes, prévisibles sur les contractants dont ceux-ci ne
peuvent pas toujours s'affranchir s'ils le désirent, mais que
l'assureur-faillite est en mesure d'indemniser si l'entreprise a pris le soin
de souscrire au préalable une assurance-faillite en leur faveur.
Dans un deuxième temps, l'identification de l'entreprise à
l'individu a été abandonnée et remplacée par une
identification à l'assureur, le risque de faillite étant
identifié au risque de faillite technique de l'assureur. De plus
l'entreprise a été définie à partir des derniers
développements de la théorie de l'entreprise, comme une
garantie vivante des contrats conclus en son sein.
A partir de ces définitions, il a été possible de faire
apparaître un troisième motif de la demande d'assurance-faillite
de l'entreprise.
En effet, d'après l'approche théorique de la
réassurance, l'assureur, personne juridique morale, qui se
réassure, choisit de transférer à un autre assureur tout
ou partie des risques qu'il a acceptés et les primes y
afférant, autant par crainte de sa faillite que par crainte de ne pouvoir
honorer ses engagements.
Par analogie, on peut avancer que l'entreprise qui s'assure en cas de
faillite, désire que les garanties informelles qu'elle donne aux
contrats informels qui se concluent en son sein (contrats implicites entre
salariés par exemple), ne soient pas qu'un mot. Alors que les parties
contractantes n'ont aucun moyen de se protéger contre la rupture de
ces contrats, voire de les faire reconnaître, l'assureur faillite a
toute possibilité de verser des indemnités compensatrices si l'entreprise
prend soin au préalable de souscrire une assurance faillite à
leur profit.
Après avoir montré dans un troisième temps, que
l'assurance "perte d'exploitation", assurance couramment souscrite
par l'entreprise, peut être élargie et transformée
à certaines conditions en modèle d'assurance-faillite, les
motifs "pathologiques" de demande d'assurance faillite ont
été examinées. Le dénominateur commun implicite
des motifs précédents, leur côté
"normal", a été ainsi abandonné. Au lieu de
supposer que le motif d'assurance-faillite de l'entreprise est
indépendant des caractéristiques de l'assurance, on suppose au
contraire qu'il est intimement lié à celles-ci.
Ce point de vue, cher aux assureurs et utilisé par ceux-ci quel que
soit le risque de perte considéré, a conduit à expliquer
le motif d'assurance-faillite non par le risque de faillite lui-même,
mais par l'existence du contrat d'assurance et ses conséquences sur le
comportement naturel de l'entreprise, ce que l'on peut appeler par raccourci,
le "risque moral" de faillite.
Le motif d'assurance-faillite, pathologique pour les assureurs car reposant
sur une perversion de l'assurance, ne devrait pas être
exagéré et confondu avec les conséquences du risque
social de faillite. Le risque social n'est jamais à
l'assurance-faillite que ce que sont à l'assurance-décès
le risque-vieillesse, le risque d'apparition d'une guerre ou d'une
épidémie mortelle par exemple. Il ne suscite pas pour cette
raison un motif d'assurance-faillite pathologique, bien qu'il crée aux
assureurs, comme le risque moral, des difficultés techniques du
même ordre.
En revanche, ce type de motif devrait être relié plus
étroitement aux risques dont l'assurance est rendue obligatoire en
pratique par la puissance publique, car il y est toujours présent et
l'on comprend pourquoi.
L'obligation d'assurance exprime en définitive certaines craintes de
la puissance publique sans relation précise avec le risque de perte
couvert, mais qui influent sur le comportement des personnes. A la limite,
celles-ci perdent de vue le risque qu'elles courent pour prêter
attention uniquement aux caractéristiques de l'assurance obligatoire.
Leur motif d'assurance ne peut qu'être pathologique dans ces
conditions.
Etant donné les différents motifs de la demande d'assurance-faillite
que l'on parvient ainsi à mettre en évidence, la
décision d'assurer contre le risque de faillite se ramène pour
l'assureur à créer non pas un produit d'assurance, mais l'un ou
l'autre des trois produits suivants :
- assurance-faillite de l'entreprise isolée,
- assurance-faillite de l'entreprise, membre d'un groupe informel,
- assurance-faillite de l'entreprise, principalement au profit de ses
salariés.
Elle suppose de bâtir les contrats correspondants en déterminant
:
1. La nature des dommages à assurer : les bénéfices et
les réserves pour les propriétaires, les investissements
spécifiques des salariés, des créanciers, des clients,
etc... non comptabilisés traditionnellement.
2. Le montant des capitaux concernant les dommages, cette partie de l'analyse
implique la définition précise des dommages, la
détermination des capitaux concernés (des valeurs
actualisées). Interviennent à ce stade le montant de la prime
pure, les limitations contractuelles d'indemnités, les franchises.
3. Les "événements générateurs", en
distinguant le risque de faillite naturel et le risque de faillite
artificiel.
Mais l'entreprise d'assurance décidera de rendre disponibles ces
produits, à la condition d'avoir des perspectives de profit.
L'entreprise d'assurance est une entreprise comme une autre : elle ne peut
exister et se développer que si son résultat économique
n'est pas un déficit.
Pour être remplie, cette condition exige que l'assureur choisisse non
seulement une technique d'assurance parmi les techniques disponibles, mais
aussi et d'abord l'étendue du risque de faillite qu'il va gérer
(4)
(4) Si une seule technique existe ou est autorisée par la
puissance publique, le choix de l'assureur porte seulement sur
l'étendue du risque de faillite et par conséquent sur le nombre
de ceux-ci qu'il désire assurer.
La condition remplie, un modèle de prime d'assurance s'en
déduit. Il a deux éléments : le modèle de la
prime "pure", résultat de la technique d'assurance choisie
et le coût de gestion de cette technique.
D'une façon générale, le choix de l'étendue du
risque de perte conditionne le choix de la technique d'assurance. Sa
définition ouvre et ferme, selon le cas, l'éventail des
techniques utilisables. Un risque de perte, défini d'une certaine
façon, sera assurable par une ou plusieurs techniques ; défini
d'une autre façon, il sera assurable par une ou plusieurs autres (qui
pourront être les mêmes).
L'approche pragmatique des conditions d'offre d'assurance-faillite a mis en
évidence que le risque de faillite n'échappe pas à cette
règle, après avoir fait apparaître les
éléments de sa définition habituelle : la
définition juridico-statistique. Ces éléments font qu'il
est comparable à des risques de perte assurés couramment par
une technique d'assurance bien délimitée. A ce titre, le risque
de faillite est assurable par ces techniques.
Il reste que la définition du risque de faillite est au regard de son
assurance, pour le moins floue. La première conséquence de
cette situation est que l'assureur pourra être amené à
rendre disponible une assurance qui ne rejoindra pas les motifs
d'assurance-faillite de l'entreprise. La seconde est que, consciemment ou
non, l'assureur-faillite pourra être tenté de prêter au
risque de faillite des causes qu'il n'a pas et qui rendent son assurance
techniquement difficile, voire impossible.
Dans ces deux cas, pour des raisons différentes, le risque de faillite
ne sera pas assuré. Il sera de plus jugé en règle
générale non assurable.
Ainsi l'approche pragmatique conduit-elle à des difficultés techniques
mais qui s'avèrent résulter en définitive de la
définition juridico-statistique de la faillite.
Pour faire disparaître ces difficultés construites de toutes
pièces, a été proposée une approche
économique des conditions de l'offre d'assurance-faillite
fondée sur une définition économique du risque de
faillite. Elle l'utilise pour améliorer l'approche pragmatique.
Cette approche montre que le risque de faillite de l'entreprise n'a rien de
magique ou de pernicieux. Il a une existence dont les causes n'ont pas la
trame compliquée que l'on en donne a priori. La faillite a une
survenance probable dont les causes peuvent être parfaitement
délimitées, certaines étant hors de la
responsabilité de l'entreprise, d'autres étant du domaine de la
responsabilité de celle-ci.
Cette approche met aussi en lumière que la décision d'assurer
le risque de faillite ne devrait pas être limitée à une
décision technique.
Elle dépend aussi et peut-être d'abord de l'attitude de
l'assureur à l'égard du risque en général.
En effet, l'activité d'assurance-faillite est comme toute
activité économique, une activité risquée. Si un
carcan réglementaire l'enserre, la décision d'assurer se
réduit bien évidemment à une décision technique
car les préférences de l'assureur à l'égard du
risque sont gommées par la réglementation et car, en
contrepartie, l'assuré est obligé de souscrire
l'assurance-offre.
Si, au contraire, aucun carcan n'existe, la décision d'assurance prend
toute son extension. Dans ce second cas, les caractéristiques du
goût pour le risque de l'assureur peuvent d'ailleurs suffire à
lui faire assurer le risque de faillite, i.e. à lui faire accepter le
risque de faillite dont veut se détacher l'entreprise (5)
(5) Dans ce cas extrême, il n'y a pas assurance au sens
habituel du terme, mais simple transfert du risque -à un certain prix-
de l'entreprise exposée au risque de faillite vers l'entreprise
d'assurance.
Cette approche s'oppose enfin à l'argument a priori selon
lequel l'entreprise n'est pas une unité de décision assurable
contre le risque de faillite, avec sa conséquence,
l'impossibilité juridique d'une assurance-faillite.
Dans la mesure où comme c'est le cas en France actuellement, le
législateur oblige l'entreprise à l'égard de ses
salariés (avec l'assurance-chômage) et à l'égard
de certains créanciers (avec l'assurance-prêt participatif), il
lui reconnaît implicitement un statut d'unité de décision
assurable contre le risque de faillite, au profit de bénéficiaires
sélectionnés.
Rien ne justifie de ne pas étendre ce statut et que toutes les parties
contractant avec l'entreprise ne puissent pas en profiter.
A moins d'ériger en principe juridique la discrimination, le
législateur ne peut pas, d'un côté, obliger l'entreprise
à s'assurer contre un risque de faillite, en fait mal défini,
au profit de certaines parties contractantes (les créanciers
privilégiés, les salariés) et de l'autre, lui interdire
de s'assurer contre un risque de faillite clairement défini, au profit
des parties contractantes restantes (créanciers non privilégiés,
clients, fournisseurs, propriétaires).
Il ne peut qu'autoriser l'entreprise à s'assurer contre le risque de
faillite au profit des parties contractantes qu'elle choisit.
[Fin du texte de 1987]
J'ajouterai aujourd'hui que, de la même façon, rien n'autorise
les législateurs nationaux à interdire de s'assurer contre la
faillite d'un Etat ou d'un système de sécurité sociale
vieillesse.
Mais on sait que la logique ne gouverne pas les législateurs
nationaux. En voici un exemple qui vaut le détour.
En France, au début de la décennie 1980, alors que les
socialistes nationalisaient des entreprises (merci MM. Rocard, Fabius,
Attali, etc.) et que leurs actionnaires ne pouvaient pas s'assurer contre
cette spoliation, une entreprise publique créée au moment de la
première grande vague de nationalisation - les années post 1945
-, à savoir la Co.F.A.C.E. (1948) offrait une assurance contre le
risque de nationalisation des actifs des entreprises françaises
situés à l'étranger !
La capacité juridique acquise, encore faut-il que le marché de
l'assurance-réassurance offre une assurance contre le risque de
faillite de l'Etat pour pouvoir s'assurer.
Ce qui n'est pas apparemment le cas pour l'instant et vraisemblablement pour
des raisons
techniques et économiques.
Mais ce qui est valable aujourd'hui, ne le sera plus demain à cause de
l'ingéniosité de l'esprit humain et des innovations qui en
résulte.
Georges
Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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