S'assurer contre le risque de faillite de l'Etat.

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Published : March 31st, 2010
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A une époque où certains hommes de l'Etat laissent imaginer la faillite des Etats - pour ne pas parler de celle de certain système de sécurité sociale vieillesse -, il est bon de s’interroger sur la grande façon de gérer cette incertitude de perte et, a priori, la plus efficace, à savoir l’assurance du risque de faillite

On ne peut qu’être surpris qu’aucun assureur ne propose pas, dès à présent, une telle assurance.

Maintes causes de ce choix peuvent être avancées sur lesquelles ce billet n'insistera pas.

Il préfère reproduire le texte ci-dessous qui porte sur l’assurance du risque de faillite de la firme avant quelques remarques complémentaires.

Ce texte est l’introduction et la conclusion d’une étude que j’ai réalisée en 1986-87 pour la Société française pour l’assurance du capital-risque (So.F.A.Ris.).

Ses trois chapitres feront l’objet de billets séparés.


[Début du texte]

Introduction

Tant en France qu'à l'étranger, le risque de faillite n'a jamais été assuré jusqu'à présent. La présente étude se propose de voir en quoi pourrait consister une assurance contre ce risque.

Comme toute assurance, cette activité soulève a priori des difficultés techniques liées à la définition et à la mesure du risque de faillite ou à la technique d'assurance à utiliser.

Mais elles ne doivent pas être exagérées. La technologie de l'assurance offre aujourd'hui trop de moyens susceptibles de les résoudre pour que l'un d'eux ne puissent convenir.

En fait, une partie de ces difficultés est factice si l'on prend soin de s'intéresser à la demande. La définition et la mesure du risque de faillite posent des problèmes majeurs tant que les motifs qu'a l'entreprise de s'assurer sont ignorés.

En effet, si l'assureur offre un contrat d'assurance sans se préoccuper des motifs de la demande, il ne peut qu'offrir un contrat mal adapté, où la prime d'assurance est, aux yeux des entreprises, disproportionnée par rapport aux garanties offertes.
D'emblée, certaines entreprises refuseront de s'assurer et tout se passera comme si le risque n'était pas assurable.
D'autres s'assureront, mais simultanément déclencheront un cercle vicieux (1) au terme duquel elles refuseront de continuer à s'assurer et tout se passera comme si, en définitive, le risque de faillite n'était pas assurable.
(1) Mécontente de son assurance à cause de la disproportion des primes par rapport aux garanties, l'entreprise atténuera son comportement de protection contre le risque de faillite pour compenser une partie de ses dépenses et exposera ainsi l'assureur à un risque supplémentaire.
Rapidement, l'assureur pourra adapter la prime à partir de la technologie de l'assurance, mais le coût de l'assurance s'en trouvera accru pour l'entreprise. Le contrat ne variant pas, la disproportion deviendra plus aiguë, l'entreprise plus mécontente, son comportement de protection s'atténuera davantage, etc... A terme, l'entreprise abandonnera l'assurance.

Au total, le risque ne sera pas assurable, mais son assurabilité aura pour cause une mauvaise adaptation du contrat aux motifs de la demande qui auront été laissés de côté, et non quelque prétendue impossibilité technique.

Au contraire, si les motifs de la demande d'assurance sont connus, un ou plusieurs modèles de prime d'assurance en découleront immédiatement.
A l'assureur de choisir alors celui qu'il veut mettre en oeuvre, étant donné la technologie disponible.

Dans ces conditions, une question se pose : pourquoi l'entreprise s'assurerait-elle contre le risque de faillite ? Pourquoi en d'autres termes, choisirait-elle un modèle de prime d'assurance qui alourdirait ses charges, et risquerait ainsi de compromettre son développement, voire plus simplement son existence ?
Rien ne justifie a priori que l'entreprise souscrive une assurance en cas de faillite au profit d'une personne physique ou morale, à moins qu'elle y soit obligée par la puissance publique et qu'il soit dans sa nature de respecter les obligations légales.(2)
(2) Certains répondront même par la négative à cette question et pour justifier leur réponse, invoqueront que l'entreprise n'est pas une unité de décision assurable et que ses parties contractantes disposent de moyens propres pour s'assurer ou se protéger contre le risque de faillite. On aura l'occasion de voir que ces réponses sont pour le moins rapides.

Des réponses qui peuvent être données à cette question dépend en fait l'assurance technique du risque de faillite. C'est la raison pour laquelle le premier chapitre de la présente étude est consacré à la détermination des motifs de la demande d'assurance "faillite" de l'entreprise ; les deux autres portent sur la technique que pourrait utiliser un assureur qui désirerait exploiter cette branche d'assurance.

Il n'existe pas de méthode toute faite pour révéler les motifs possibles de la demande. La méthode utilisée dans le premier chapitre repose sur deux parallèles : l'un entre l'assurance en cas de faillite de l'entreprise et l'assurance en cas de décès de l'individu, l'autre entre l'assurance en cas de faillite de l'entreprise et la réassurance de l'assureur.

Le premier parallèle a pour principe que la faillite est à l'entreprise, personne juridique morale, ce qu'est le décès à l'individu, personne juridique physique. L'entreprise est comme l'individu une unité de décision dotée de volonté et de libre arbitre. Comme celui-ci elle peut être isolée ou membre d'une famille, d'un groupe informel de personnes.

Dans les deux cas, elle a un motif de souscrire une assurance-faillite au profit d'un ou plusieurs tiers, très voisin des motifs d'assurance-décès de l'individu : pouvoir contracter avec ceux-ci, malgré l'anticipation de faillite, voire plus généralement les amener à investir de façon spécifique en son sein. L'assurance-faillite permet de concrétiser financièrement le montant des investissements que reconnaît avoir reçus l'entreprise. Seule, pour cette raison, l'entreprise est susceptible de souscrire l'assurance.

En cas de faillite, les tiers choisis comme bénéficiaires de l'assurance seront indemnisés des dépenses d'investissement effectuées et non rentabilisées.

Si l'entreprise ne souscrit pas d'assurance-faillite (ou si celle-ci n'est pas disponible), les tiers hésiteront à prolonger leur contrat avec elle, ou à le renouveler dès qu'elles auront des anticipations de faillite accrues.
Leur hésitation ne sera pas longue si l'entreprise est jeune car l'investissement qu'elles auront effectué dans celle-ci et qu'elles ne rentabiliseront pas en mettant un terme aux contrats, sera d'un montant faible.
Si l'entreprise est ancienne, leur hésitation deviendra un dilemme : rentabiliser ou ne pas rentabiliser ? Il en sera de même si la conjoncture est mauvaise, quel que soit l'âge de l'entreprise : dans une conjoncture de sous-emploi, les employés extérieurs hésiteront à rompre leur contrat de travail.

Le second parallèle a pour principe que l'entreprise fournit aux contrats implicites, qui sont conclus en son sein par certaines personnes, des garanties comparables aux garanties que l'assureur fournit à ses clients, les assurés. Mais les garanties n'ont de valeur qu'autant que entreprise ou assureur sont en vie. En cas de faillite, elles deviennent caduques.
Aussi, de même qu'il est admis et bien vu que l'assureur réassure les garanties qu'il offre, de même l'entreprise devrait pouvoir réassurer les siennes. Seulement les garanties de l'assureur sont formelles et parfaitement délimitées alors que celles de l'entreprise sont informelles.

L'entreprise est un noeud de contrats particuliers entre des personnes juridiques responsables indépendantes les unes des autres. Les particularités proviennent de ce que les personnes contractent chacune explicitement avec l'entreprise, mais en fait elles contractent aussi implicitement entre elles avec la garantie informelle de l'entreprise.

Dans cette perspective, l'entreprise a un motif original de souscrire une assurance-faillite au profit de ces personnes : reconnaître les contrats implicites conclus et les garantir. L'assurance-faillite permet de concrétiser financièrement le montant des garanties que l'entreprise décide de donner aux contrats implicites qu'elle reconnaît. Là encore, seule l'entreprise est susceptible de souscrire cette assurance car elle seule est à même de pouvoir délimiter les contrats conclus.

En cas de faillite, les personnes bénéficiaires seront indemnisées de la confiance qu'elles avaient mise dans l'entreprise et des dépenses d'investissement qu'elles y avaient effectuées, malgré l'anticipation de faillite.

Comme précédemment, on peut dire que si l'entreprise ne souscrit pas d'assurance-faillite (ou si celle-ci n'est pas disponible), les personnes, physiques ou morales, hésiteront à prolonger leur contrat implicite ou à le renouveler, à partir du moment où elles auront des anticipations de faillite supérieures à celles qu'elles avaient à l'origine.

Tous ces motifs de la demande d'assurance-faillite de l'entreprise, unité de décision ou garantie vivante d'un noeud de contrats, ont un dénominateur commun : ce sont des motifs d'assurance procédant du risque de faillite et indépendants des modalités de l'assurance-faillite disponible. A ce titre, ils seront qualifiés de "normaux" par les assureurs.

Mais d'autres motifs, fonction du contrat d'assurance-faillite proposé par l'assureur et non plus du risque de faillite lui-même, peuvent être imaginés : ils seront qualifiés de "pathologiques". L'un d'eux fait référence à l'économie des coûts que l'entreprise réalise en souscrivant une assurance-faillite plutôt qu'en prenant la décision d'effectuer des dépenses de prévention-protection contre le risque de faillite ou plus directement en prenant moins de risques. Un autre a trait au gain d'opportunité qu'elle considère obtenir à la lumière de ses probabilités de faillite, en souscrivant une assurance-faillite.

Rien ne permet de dire que ces motifs que les assureurs supposent être à la base de certaines assurances disponibles couramment, soient absents dans le cas de l'assurance-faillite. Mais rien ne justifie d'en exagérer l'importance. Il faut seulement prendre garde de ne pas être myope et de ne pas se cacher leur "vraie" source. Il s'avère que le plus souvent les motifs pathologiques expliquent non des décisions d'assurance "facultative", mais des décisions d'assurance "obligatoire". Dans un monde où l'assurance est facultative, l'assuré peut certes avoir des motifs d'assurance qui reposent sur autre chose que le risque de perte, comme par exemple les caractéristiques "avantageuses" du contrat d'assurance disponible. Dans ce cas, on dira qu'il a des motifs d'assurance pathologiques.

Mais dans un monde où l'assurance est obligatoire, peu importe en définitive les motivations de l'assuré, seul importe son respect de l'obligation. Dans ces conditions, ce n'est pas à la disponibilité du contrat d'assurance qu'il faudrait imputer le motif pathologique d'assurance, mais davantage à l'existence de l'obligation d'assurance. A cet égard, les expériences de l'assurance-chômage et de l'assurance-prêt participatif sont à considérer avec circonspection. Par certains côtés, facettes de l'assurance-faillite, elles laissent présager ce que pourrait être une telle assurance. Par d'autres, elles s'en éloignent beaucoup, ne serait-ce que parce qu'elles sont des assurances obligatoires de l'entreprise.

Les deux autres chapitres de la présente étude s'intéresse aux conditions que doit remplir l'assureur-faillite pour offrir des contrats qui satisfassent les attentes des entreprises en matière de garanties et en matière de modèles de prime d'assurance.

Les conditions de l'offre d'assurance-faillite peuvent ne pas être remplies pour des raisons de nature économique. Traditionnellement, la définition et la mesure du risque de perte constituent le principal obstacle. Elles limitent les techniques d'assurance utilisables et conditionnent de ce fait les choix de l'assureur. A l'extrême, la méconnaissance des caractéristiques du risque est la condition par excellence pour que le risque ne soit pas assurable. Mais il en est une autre, souvent oubliée, qui apparaît quand les choix de l'assureur sont en rupture avec les techniques utilisables.

Comme on le verra dans le chapitre 2, quand on adopte une approche pragmatique des conditions de l'offre d'assurance-faillite et que l'on fait référence à la conception juridico-statistique généralement admise du risque de faillite, cet obstacle est présent.

Bien qu'il ressorte de cette approche que le risque de faillite est assurable par des techniques utilisées pour assurer des risques de perte de nature voisine (3), cette approche présente des insuffisances qui peuvent détourner les assureurs de l'assurance du risque de faillite des entreprises.
 
(3) Par exemple, risque de décès de la personne physique, risque de perte d'exploitation de l'entreprise, risque de responsabilité de l'automobiliste, risque de perte "unique".

Non seulement elle suscite des questions dont le bien-fondé n'est pas toujours évident, quand celles-ci n'ont pas été créées de toutes pièces, mais encore elle n'y apporte pas les réponses attendues. A la base de ces insuffisances, la définition et la mesure du risque de faillite.

Pour remédier à ces insuffisances, le risque de faillite est défini dans le chapitre 3, non plus en termes juridico-statistiques, mais à partir d'un modèle économique de l'entreprise. Et de cette nouvelle définition, on déduit une approche économique des conditions de l'offre d'assurance-faillite, à la fois éclairage et complément de l'approche pragmatique.

L'utilisation de cette approche présente en effet l'intérêt de montrer que le risque de faillite est assurable par des techniques traditionnelles et de gommer les points d'interrogation de l'approche pragmatique.

Elle permet aussi de souligner que l'assurance du risque de faillite dépend des choix de l'assureur, c'est-à-dire d'un facteur trop souvent oublié dans le monde administré qu'est le monde de l'assurance. En cas d'inefficacité observable de l'exploitation de la technique par l'assureur (c'est-à-dire de déficit de l'assureur), c'est alors moins la technique qui est à mettre en cause que les choix de l'assureur. Quand la technique d'assurance est d'une utilisation rendue obligatoire par la puissance publique ou quand celle-ci se charge elle-même de l'exploiter, c'est moins la technique qui est à mettre en cause que les décisions des pouvoirs publics, des décisions en rupture avec l'activité économique en question.

Recherche préliminaire, destinée à délimiter les conditions économiques de l'assurance "faillite" par une entreprise privée, la présente étude ne rentre pas dans les arcanes des techniques actuarielles.

Recherche néanmoins générale, elle expose une méthodologie qui permet de conclure sur l'assurabilité du risque de faillite, sur les idées reçues la concernant, et les principes qui devraient présider à l'établissement des contrats d'assurance contre ce type de risque.



                                     Conclusion


Toute personne qui "s'assure" contre un risque de perte choisit d'effectuer ex-ante (c'est-à-dire étant données les probabilités de perte qu'elle envisage) une dépense d'un certain montant par crainte d'avoir, ex-post (c'est-à-dire en cas de sinistre, de réalisation du risque de perte), à supporter une perte de capital, ou à devoir effectuer une dépense d'un montant beaucoup plus important (par exemple, remplacer le capital perdu).

Comme toute approche générale, cette approche théorique de la demande d'assurance est à nuancer en fonction des particularités du risque de perte que l'on considère, des caractéristiques de la personne exposée au risque de perte ou du modèle de prime que celle-ci désire verser.
Parfois, les particularités sont telles que l'approche générale est non plus nuancée, mais modifiée.

Ainsi, d'après l'approche théorique de l'assurance en cas de décès, l'individu, personne juridique physique, qui "s'assure en cas de décès", choisit d'effectuer ex ante (étant données ses probabilités de disparaître dans l'intervalle de temps qui le sépare de son horizon de décision) une dépense d'un certain montant, non plus par crainte de 1'ex post défini par son décès, mais par souci d'un ex post plus circonstancié : tout individu qui s'assure contre son risque de décès, s'assure non pour être indemnisé, mais pour que d'autres personnes juridiques -physiques ou morales- soient indemnisées. Il s'assure au profit de bénéficiaires qu'il choisit à la souscription du contrat, anticipant que sa disparition leur causera des pertes.

Quand il n'existe pas d'approche théorique, mais quand néanmoins l'assurance est disponible en pratique, apporter les nuances nécessaires ne soulève pas de difficultés. Il suffit d'analyser les termes du contrat d'assurance correspondant et de les introduire dans l'approche générale.

Quand l'assurance n'existe ni en "théorie" ni en "pratique", comme c'est le cas de l'assurance en cas de faillite de l'entreprise, une autre démarche doit être trouvée.

La démarche suivie ainsi dans la présente étude, pour décrire les motifs d'assurance faillite de l'entreprise, a consisté dans un premier temps à rappeler les motifs théoriques de la demande d'assurance en cas de décès de l'individu et à déduire de ces motifs, les motifs d'assurance "faillite" de l'entreprise quand d'une part le risque de faillite est identifié au risque de décès et quand d'autre part l'entreprise, personne morale, est identifiée à l'individu, personne physique.

Ce parallèle a permis d'avancer que l'entreprise isolée, qui s'assure en cas de faillite, s'efforce que sa technologie soit amortie à un rythme accéléré.
Plus important, il a permis de montrer que l'entreprise, membre d'un groupe de personnes informel, qui souscrit une assurance-faillite, veut que ses cocontractants (créanciers, employés extérieurs par exemple) soient indemnisées le jour de sa faillite, des investissements spécifiques qu'ils ont effectués en son sein et n'ont pas rentabilisés.

La faillite témoigne de la rupture unilatérale et simultanée de tous les contrats, à l'initiative de l'entreprise, personne juridique morale, ou imputée à celle-ci par les tribunaux. Elle a donc des conséquences pécuniaires néfastes, prévisibles sur les contractants dont ceux-ci ne peuvent pas toujours s'affranchir s'ils le désirent, mais que l'assureur-faillite est en mesure d'indemniser si l'entreprise a pris le soin de souscrire au préalable une assurance-faillite en leur faveur.

Dans un deuxième temps, l'identification de l'entreprise à l'individu a été abandonnée et remplacée par une identification à l'assureur, le risque de faillite étant identifié au risque de faillite technique de l'assureur. De plus l'entreprise a été définie à partir des derniers développements de la théorie de l'entreprise, comme une garantie vivante des contrats conclus en son sein.
A partir de ces définitions, il a été possible de faire apparaître un troisième motif de la demande d'assurance-faillite de l'entreprise.

En effet, d'après l'approche théorique de la réassurance, l'assureur, personne juridique morale, qui se réassure, choisit de transférer à un autre assureur tout ou partie des risques qu'il a acceptés et les primes y afférant, autant par crainte de sa faillite que par crainte de ne pouvoir honorer ses engagements.
Par analogie, on peut avancer que l'entreprise qui s'assure en cas de faillite, désire que les garanties informelles qu'elle donne aux contrats informels qui se concluent en son sein (contrats implicites entre salariés par exemple), ne soient pas qu'un mot. Alors que les parties contractantes n'ont aucun moyen de se protéger contre la rupture de ces contrats, voire de les faire reconnaître, l'assureur faillite a toute possibilité de verser des indemnités compensatrices si l'entreprise prend soin au préalable de souscrire une assurance faillite à leur profit.

Après avoir montré dans un troisième temps, que l'assurance "perte d'exploitation", assurance couramment souscrite par l'entreprise, peut être élargie et transformée à certaines conditions en modèle d'assurance-faillite, les motifs "pathologiques" de demande d'assurance faillite ont été examinées. Le dénominateur commun implicite des motifs précédents, leur côté "normal", a été ainsi abandonné. Au lieu de supposer que le motif d'assurance-faillite de l'entreprise est indépendant des caractéristiques de l'assurance, on suppose au contraire qu'il est intimement lié à celles-ci.

Ce point de vue, cher aux assureurs et utilisé par ceux-ci quel que soit le risque de perte considéré, a conduit à expliquer le motif d'assurance-faillite non par le risque de faillite lui-même, mais par l'existence du contrat d'assurance et ses conséquences sur le comportement naturel de l'entreprise, ce que l'on peut appeler par raccourci, le "risque moral" de faillite.

Le motif d'assurance-faillite, pathologique pour les assureurs car reposant sur une perversion de l'assurance, ne devrait pas être exagéré et confondu avec les conséquences du risque social de faillite. Le risque social n'est jamais à l'assurance-faillite que ce que sont à l'assurance-décès le risque-vieillesse, le risque d'apparition d'une guerre ou d'une épidémie mortelle par exemple. Il ne suscite pas pour cette raison un motif d'assurance-faillite pathologique, bien qu'il crée aux assureurs, comme le risque moral, des difficultés techniques du même ordre.

En revanche, ce type de motif devrait être relié plus étroitement aux risques dont l'assurance est rendue obligatoire en pratique par la puissance publique, car il y est toujours présent et l'on comprend pourquoi.
L'obligation d'assurance exprime en définitive certaines craintes de la puissance publique sans relation précise avec le risque de perte couvert, mais qui influent sur le comportement des personnes. A la limite, celles-ci perdent de vue le risque qu'elles courent pour prêter attention uniquement aux caractéristiques de l'assurance obligatoire. Leur motif d'assurance ne peut qu'être pathologique dans ces conditions.

Etant donné les différents motifs de la demande d'assurance-faillite que l'on parvient ainsi à mettre en évidence, la décision d'assurer contre le risque de faillite se ramène pour l'assureur à créer non pas un produit d'assurance, mais l'un ou l'autre des trois produits suivants :

- assurance-faillite de l'entreprise isolée,
- assurance-faillite de l'entreprise, membre d'un groupe informel,
- assurance-faillite de l'entreprise, principalement au profit de ses salariés.

Elle suppose de bâtir les contrats correspondants en déterminant :

1. La nature des dommages à assurer : les bénéfices et les réserves pour les propriétaires, les investissements spécifiques des salariés, des créanciers, des clients, etc... non comptabilisés traditionnellement.

2. Le montant des capitaux concernant les dommages, cette partie de l'analyse implique la définition précise des dommages, la détermination des capitaux concernés (des valeurs actualisées). Interviennent à ce stade le montant de la prime pure, les limitations contractuelles d'indemnités, les franchises.

3. Les "événements générateurs", en distinguant le risque de faillite naturel et le risque de faillite artificiel.

Mais l'entreprise d'assurance décidera de rendre disponibles ces produits, à la condition d'avoir des perspectives de profit. L'entreprise d'assurance est une entreprise comme une autre : elle ne peut exister et se développer que si son résultat économique n'est pas un déficit.

Pour être remplie, cette condition exige que l'assureur choisisse non seulement une technique d'assurance parmi les techniques disponibles, mais aussi et d'abord l'étendue du risque de faillite qu'il va gérer (4)
(4) Si une seule technique existe ou est autorisée par la puissance publique, le choix de l'assureur porte seulement sur l'étendue du risque de faillite et par conséquent sur le nombre de ceux-ci qu'il désire assurer.


La condition remplie, un modèle de prime d'assurance s'en déduit. Il a deux éléments : le modèle de la prime "pure", résultat de la technique d'assurance choisie et le coût de gestion de cette technique.

D'une façon générale, le choix de l'étendue du risque de perte conditionne le choix de la technique d'assurance. Sa définition ouvre et ferme, selon le cas, l'éventail des techniques utilisables. Un risque de perte, défini d'une certaine façon, sera assurable par une ou plusieurs techniques ; défini d'une autre façon, il sera assurable par une ou plusieurs autres (qui pourront être les mêmes).

L'approche pragmatique des conditions d'offre d'assurance-faillite a mis en évidence que le risque de faillite n'échappe pas à cette règle, après avoir fait apparaître les éléments de sa définition habituelle : la définition juridico-statistique. Ces éléments font qu'il est comparable à des risques de perte assurés couramment par une technique d'assurance bien délimitée. A ce titre, le risque de faillite est assurable par ces techniques.

Il reste que la définition du risque de faillite est au regard de son assurance, pour le moins floue. La première conséquence de cette situation est que l'assureur pourra être amené à rendre disponible une assurance qui ne rejoindra pas les motifs d'assurance-faillite de l'entreprise. La seconde est que, consciemment ou non, l'assureur-faillite pourra être tenté de prêter au risque de faillite des causes qu'il n'a pas et qui rendent son assurance techniquement difficile, voire impossible.

Dans ces deux cas, pour des raisons différentes, le risque de faillite ne sera pas assuré. Il sera de plus jugé en règle générale non assurable.

Ainsi l'approche pragmatique conduit-elle à des difficultés techniques mais qui s'avèrent résulter en définitive de la définition juridico-statistique de la faillite.

Pour faire disparaître ces difficultés construites de toutes pièces, a été proposée une approche économique des conditions de l'offre d'assurance-faillite fondée sur une définition économique du risque de faillite. Elle l'utilise pour améliorer l'approche pragmatique.

Cette approche montre que le risque de faillite de l'entreprise n'a rien de magique ou de pernicieux. Il a une existence dont les causes n'ont pas la trame compliquée que l'on en donne a priori. La faillite a une survenance probable dont les causes peuvent être parfaitement délimitées, certaines étant hors de la responsabilité de l'entreprise, d'autres étant du domaine de la responsabilité de celle-ci.

Cette approche met aussi en lumière que la décision d'assurer le risque de faillite ne devrait pas être limitée à une décision technique.
Elle dépend aussi et peut-être d'abord de l'attitude de l'assureur à l'égard du risque en général.
En effet, l'activité d'assurance-faillite est comme toute activité économique, une activité risquée. Si un carcan réglementaire l'enserre, la décision d'assurer se réduit bien évidemment à une décision technique car les préférences de l'assureur à l'égard du risque sont gommées par la réglementation et car, en contrepartie, l'assuré est obligé de souscrire l'assurance-offre.

Si, au contraire, aucun carcan n'existe, la décision d'assurance prend toute son extension. Dans ce second cas, les caractéristiques du goût pour le risque de l'assureur peuvent d'ailleurs suffire à lui faire assurer le risque de faillite, i.e. à lui faire accepter le risque de faillite dont veut se détacher l'entreprise (5)
(5) Dans ce cas extrême, il n'y a pas assurance au sens habituel du terme, mais simple transfert du risque -à un certain prix- de l'entreprise exposée au risque de faillite vers l'entreprise d'assurance.

Cette approche s'oppose enfin à l'argument a priori selon lequel l'entreprise n'est pas une unité de décision assurable contre le risque de faillite, avec sa conséquence, l'impossibilité juridique d'une assurance-faillite.

Dans la mesure où comme c'est le cas en France actuellement, le législateur oblige l'entreprise à l'égard de ses salariés (avec l'assurance-chômage) et à l'égard de certains créanciers (avec l'assurance-prêt participatif), il lui reconnaît implicitement un statut d'unité de décision assurable contre le risque de faillite, au profit de bénéficiaires sélectionnés.
Rien ne justifie de ne pas étendre ce statut et que toutes les parties contractant avec l'entreprise ne puissent pas en profiter.
A moins d'ériger en principe juridique la discrimination, le législateur ne peut pas, d'un côté, obliger l'entreprise à s'assurer contre un risque de faillite, en fait mal défini, au profit de certaines parties contractantes (les créanciers privilégiés, les salariés) et de l'autre, lui interdire de s'assurer contre un risque de faillite clairement défini, au profit des parties contractantes restantes (créanciers non privilégiés, clients, fournisseurs, propriétaires).
Il ne peut qu'autoriser l'entreprise à s'assurer contre le risque de faillite au profit des parties contractantes qu'elle choisit.

[Fin du texte de 1987]


J'ajouterai aujourd'hui que, de la même façon, rien n'autorise les législateurs nationaux à interdire de s'assurer contre la faillite d'un Etat ou d'un système de sécurité sociale vieillesse.

Mais on sait que la logique ne gouverne pas les législateurs nationaux.  En voici un exemple qui vaut le détour.
En France, au début de la décennie 1980, alors que les socialistes nationalisaient des entreprises (merci MM. Rocard, Fabius, Attali, etc.) et que leurs actionnaires ne pouvaient pas s'assurer contre cette spoliation, une entreprise publique créée au moment de la première grande vague de nationalisation - les années post 1945 -, à savoir la Co.F.A.C.E. (1948) offrait une assurance contre le risque de nationalisation des actifs des entreprises françaises situés à l'étranger !

La capacité juridique acquise, encore faut-il que le marché de l'assurance-réassurance offre une assurance contre le risque de faillite de l'Etat pour pouvoir s'assurer. 
Ce qui n'est pas apparemment le cas pour l'instant et vraisemblablement pour des raisons techniques et économiques.

Mais ce qui est valable aujourd'hui, ne le sera plus demain à cause de l'ingéniosité de l'esprit humain et des innovations qui en résulte. 

 

Georges Lane

Principes de science économique

  

 

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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