Un bouclier fiscal ignoré : la taxation des plus values (selon Maurice Allais)

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Published : May 11th, 2011
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Comme Vénus selon le poète, les hommes de l'Etat et leur administration sont féconds en artifices.
Ceux-ci affleurent régulièrement en France à l'occasion de la dernière loi de finances de l'Etat ou de la dernière loi de financement de la sécurité sociale qu'ils ont concoctées.

Le cas échéant, entre deux lois, ils lancent des « ballons d'essai » – comme on dit – pour voir la réaction de l'opinion à la nouvelle meurtrissure.

La réforme de l'imposition des plus values est ainsi un des dadas du ministère de l'économie et des finances.
Une preuve en est qu'elle est aujourd'hui d'actualité comme elle l'était il y a 35 ans.

Est-ce à dire que rien ne s'est produit entre temps ? Que nenni.

Alors que Giscard d'Estaing était président de la République en exercice – il avait « battu » Mitterrand à la dernière élection présidentielle en date - et Chirac, son Premier ministre en exercice, depuis 1974, et que les deux premiers déficits annuels du budget de l'Etat venaient de fleurir après une longue période d'équilibres budgétaires annuelles, mais que les taux d'augmentation respectivement des prix et du chômage augmentaient de façon significative, Maurice Allais, prix Nobel de science économique 1988, publiait dans Le Figaro du 23 novembre 1975 une analyse de la question sous le titre «Taxation des plus-values ».

Ce texte présente l'intérêt que certaines des idées de l'auteur ne sont pas sans rappeler des propositions qui ont été agitées ces dernières semaines par les uns ou par les autres.

Maurice Allais (photographie ci-dessous), disparu l'année dernière, en serait-il l'inspirateur ou bien s'agit-il d'une coïncidence?

Pourquoi telle ou telle idées du texte ont-elles alors été choisies, s'il y a eu effectivement la référence à la pensée d'Allais, plus ou moins libérale, plutôt que telle ou telle autre ?
Pourquoi pas de référence doctrinale ?

En tout état de cause, le fait est que les idées retenues, volontairement ou non, par nos artificiers sont malheureusement très condamnables.

Voici le texte de Maurice Allais que je ponctue de quelques remarques.


                           Taxation des plus-values.

La Documentation française vient de publier en deux volumes d'environ 600 pages le rapport de la « commission d'étude d'une imposition généralisée des "plus–values", ainsi que les textes des auditions de quarante-neuf personnalités.

[Remarque 1:
le rapport était donc adressé à la triplette infernale du moment - Giscard d'Estaing, Chirac et Fourcade -, représentative d'un gouvernement de l'Etat de la France prétendument libéral]

Le projet gouvernemental soulève naturellement de nombreuses questions. Je me bornerai ici à des observations de fond.


1. La fiscalité, l'égalitarisme et la démagogie

Dominée par une philosophie égalitaire, la fiscalité française et les transferts de revenus qui l'accompagnent ont déjà atteint un seuil excessif et insupportable.

[Remarque 2 :
pour fixer les idées, le taux de prélèvements obligatoires n'était alors que de l'ordre de 35% !]

La question qui se pose réellement est de savoir comment aménager cette fiscalité de manière à pallier les inégalités et les inefficacités les plus criantes qu'elle suscite.

L'impôt progressif sur le revenu pénalise les plus capables et favorise indûment les moins capables en les affranchissant de 1'impôt.
II constitue un obstacle à la promotion sociale.
C'est un impôt conservateur et réactionnaire qui protège la fortune acquise et compromet la constitution de patrimoines pour tous ceux qui ne disposent d'autres ressources que celles de leur travail

[Remarque 3:
face libérale des idées d'Allais]

On voit les profits faciles qui résultent de l'inflation, de la hausse du prix du sol, de l'utilisation habile des règlements administratifs, voire de la corruption.

On ne voit pas l'écrasement des classes moyennes par un système fiscal inique.

[Remarque 4:
Allais, le "bastiatiste" vraisemblablement sans le vouloir, fait apparaître que rien n'a changé depuis lors ;
aujourd'hui, 35 ans plus tard, la classe moyenne est plus qu'écrasée, elle est écrabouillée]

Dans la mesure où la fiscalité envisagée sur les plus-values frapperait d'autres éléments que les plus–values foncières, elle protégerait, tout comme l'impôt progressif sur le revenu, les fortunes acquises et pénaliserait la constitution de nouveaux patrimoines.

[Remarque 5:
la fiscalité sur les plus values, un «bouclier fiscal» avant l'heure et sans le nommer !]

Les plus-values peuvent être considérées comme des éléments des revenus, mais une fiscalité qui ne frappe que les revenus tend
- à protéger les situations acquises et
- à s'opposer à la promotion sociale.

[Remarque 6:
erreur d'Allais, une plus value n'est pas un revenu, sauf chez les Marxistes, c'est un gain réalisé étant donné le monde d'incertitude où vous et moi prenons des décisions d'action à mener]

En fait, l'inégalité des revenus est beaucoup moins forte que l'inégalité des fortunes.
S'attaquer à l'une en négligeant l'autre aboutit à une distorsion inévitable et en tout cas très nocive.

[Remarque 7:
Strauss Kahn a travaillé sur le sujet dans le cadre de sa thèse d'Etat dans la décennie 1970 ; cela ne veut-il pas tout dire ?]

Pour une grande part, nous vivons dans une économie décentralisée dont le principe moteur est la recherche de surplus réalisables,
- soit par le progrès des techniques,
- soit par une meilleure utilisation des ressources disponibles pour une technologie donnée.

[Remarque 8:
Allais raisonne, en bon marshallien qu'il est, en termes de surplus, concept pour le moins douteux]

Si une part suffisante n'en est pas attribuée à ceux qui les découvrent et les réalisent, une motivation essentielle se trouve compromise.
Une fiscalité qui se proposerait de confisquer tous les surplus condamnerait l'économie à l'inefficacité.

La réalisation des surplus est conditionnée par le financement de nouveaux équipements.
Il ne peut y avoir d'efficacité si la constitution d'un outil de travail et d'une épargne suffisante pour assurer son financement n'est pas assurée.

[Remarque 9:
originalité des ingénieurs économistes de la décennie 1960, en France, le «raisonnement» avec le concept marshallien de surplus et, le cas échéant, en le déformant, Stoléru, autre ministre de Giscard d'Estaing, mais aussi postérieurement de Mitterrand, en est un représentant exemplaire]

Une imposition des plus-values qui ne tiendrait pas compte de la nécessité de favoriser l'épargne compromettrait tout progrès.

[Remarque 10:
Allais saute "du coq à l'âne" ou, si vous préférez, le texte a un "non sequitur", et c'est pour cette raison qu'on ne peut pas dire que le présent texte épouse un raisonnement logique ]

Mais l'outil de travail physique, quelque important qu'il puisse être, est beaucoup moins essentiel que l'outil de travail humain.

La philosophie actuelle de l'évolution de la fiscalité français est fondamentalement égalitaire et nivellatrice.

[Remarque 11:
nous sommes donc en 1975 quand Allais écrit ces lignes et Chirac est Premier ministre ; sans vraisemblablement le vouloir, Allais évoque en fait la philosophie permanent des gouvernements français jusqu'à aujourd'hui inclus ]

Cependant , un égalitarisme excessif ne peut manquer de compromettre la formation et l'efficacité de l'outil humain, conditions indispensables de tout progrès.

[Remarque 12:
dont acte ; face libérale d'Allais ]

Dans les discussions contemporaines, de dangereuses confusions sont faites entre
- égalité des chances pour des capacités égales,
- égalité des capacités et
- égalité des revenus,
entre injustices et inégalités.

[Remarque 13:
au nombre des victimes des confusions, Alain Madelin ...]

L'objectif de la fiscalité devrait être la suppression des injustices mais non la suppression des inégalités.

[Remarque 14 :
certes, mais au pays d'Alice, celui des Merveilles ]

L'expérience historique montre que toute société égalitaire se condamne à l'inefficacité et que, si l'on supprime les contraintes du marché et les sanctions des revenus, il faut leur substituer des contraintes et des sanctions autoritaires.

Le danger majeur auquel sont exposées les sociétés démocratiques libérales, c'est la démagogie.

[Remarque 15 :
il partage ce point avec Jacques Rueff pour qui "soyez libéral, soyer dirigiste, mais ne soyez pas menteur" ]

Le souci de la rentabilité électorale l'emporte trop souvent sur celui d'une gestion raisonnable et sur le sens de l'homme d'Etat.


2. Trois données majeures

Pour l'établissement de la fiscalité envisagée sur les plus values, il convient de tenir compte de trois données majeures.

La première, c'est l'augmentation de la valeur réelle du sol provenant pour l'essentiel de l'expansion démographique, de la conversion de terrains non résidentiels en terrains résidentiels et des aménagements collectifs.
Trop souvent une certaine collusion entre la ploutocratie, la technocratie et la politicocratie a incontestablement permis l'édification de fortunes scandaleuses.
Ce sont ces plus values qu'il convient de taxer et la législation existante quant aux plus-values immobilières doit être considérée comme inappropriée et en tout cas inefficace.

[Remarque 16 :
voilà une idée qui n'est pas tombée dans les oreilles des sourds du ministère des finances ]

Le deuxième fait majeur, c'est la gigantesque spoliation des épargnants qui a été réalisée sous le couvert de l'inflation et d'une hausse des salaires réels plus élevés que la hausse de la productivité nette du travail.
De 1949 à 1973 les gains horaires réels dans l'industrie ont crû de 100 à 281
alors que la productivité nette du travail n'a crû que de 100 à 215.
Cette croissance n'a pu être financée que par la spoliation des épargnants.

[Remarque 17 :
cette idée est, à l'opposé, manipulée avec extrême précaution par les mêmes]

Le troisième fait majeur est la désaffection générale vis-à-vis de l'épargne mobilière et une difficulté croissante pour les entreprises de trouver des ressources en dehors de l'auto - financement.
La taxation des plus-values boursières ne pourrait qu'aggraver cette situation.


3. L'imposition et ses modalités

Si l'on envisage l'intégration de l'imposition sur les plus-values dans l'impôt progressif sur le revenu, il faut admettre parallèlement la déduction des moins-values.

Il convient également de ne. pas imposer deux fois les mêmes plus-values.
Comme les bénéfices des sociétés sont calculés à partir du compte de profits et pertes et tiennent donc compte des plus-values en capital lorsqu'elles sont réalisées, il convient de ne pas imposer les actions qui représentent des titres de propriété sur les actifs des sociétés.

Le principe de l'exclusion de toute double imposition qui correspond à la double exigence de l'efficacité et de l'équité conduit ainsi à l'exclusion des plus-values boursières de la fiscalité envisagée.

Trois autres considérations mènent à la même conclusion :
- la tendance marquée à la décroissance du cours moyen des actions en valeur réelle,
- la compensation des hausses et des baisses lors des fluctuations conjoncturelles,
- la nécessité d'encourager l'épargne mobilière pour assurer des possibilités de financement des entreprises par émission d'actions.

En fait, les seules plus values qu'il conviendrait de considérer sont les plus-values « non gagnées » qui ne correspondent pas à un service rendu.

[Remarque 18 :
Allais est dans l'absurdité, par définition, une «plus value» est un gain, une plus value ne saurait être «non gagnée» sauf à admettre qu'un chat est un chien ]

Ce sont essentiellement les plus-values foncières.
Ces plus-values devraient être prises en compte sans discrimination qu'il s'agisse de résidences principales, de résidences secondaires ou de tous autres biens, et qu'elle que puisse être la situation de fortune ou de revenu des propriétaires.

[Remarque 19 :
et voilà l'idée qui a fait débat en France ces dernières semaines et qui a suscité une levée de boucliers ! Imposer la plus value sur la résidence principale...]

En tout état de cause si l'on retenait les valeurs mobilières comme sources de plus-values (et de moins-values), il conviendrait de retenir également toutes les créances.

Le débiteur dont l'inflation éponge la dette réalise une plus value en valeur réelle et parallèlement le créancier subit une moins-value réelle d'un montant égal.

[Remarque 20 :
à ce point, Allais a une vision comptable, il oublie de signaler que l'inflation est d'abord un impôt perçu par le monopole obligatoire de la monnaie et destructeur de richesses]

Pourquoi retiendrait-on les seuls actifs correspondant aux actions ?
Les liquidités monétaires devraient être également prises en compte.

S'il y avait déflation, la détention de liquidités serait une source de plus-values, et des voix s'élèveraient pour les taxée, et c'est d'ailleurs ce que l'on constate pour ce type de liquidités que l'or représente.

[Remarque 21 :
on est dans la confusion totale, qu'est-ce que Allais peut bien entendre par « liquidités monétaires » .
Pour Keynes, l'initiateur en grande partie de la notion de liquidité en 1936, la monnaie est la liquidité absolue à partir de quoi on peut parler des primes de liquidité des actifs.
Après le faux oxymoron «plus value non gagnée», Allais nous gratifie donc du pléonasme «liquidité monétaire»]

Mais il est singulier de constater que l'inflation entraînant des moins–values réelles considérables des liquidités monétaires et des épargnes liquides, personne ne propose d'en tenir compte dans le calcul du revenu global net réel du contribuable.

[Remarque 22 :
« épargne liquide », voilà un concept étranger à la théorie économique digne de ce nom, mais qu'on trouve chez les non économistes et autres comptables nationaux]

Le ministre déclare qu'il convient d'orienter notre système fiscal «vers une conception plus exigeante de la fiscalité» et de tenir compte «de façon scrupuleuse» de la hausse des prix dans le calcul des plus-values.

[Remarque 23 :
Allais ne donne pas le nom du ministre, c'est vraisemblablement Jean Pierre Fourcade, ministre de l'économie et des finances, ce fameurx ministre qui cautionna une formule – au sens arithmétique du mot - de taxation des plus values établie par ses services, que les mêmes services furent dans l'incapacité d'appliquer !]

Mais il est choquant qu'en fonction des exigences de l'équité il ne recommande pas également de tenir compte de façon scrupuleuse de tous les éléments du revenu net global pour la détermination de l'assiette de l'impôt progressif sur le revenu, ce qui impliquerait que l'on tienne compte parallèlement des moins-values réelles de tous les éléments d'actifs telles qu'elles se constatent.

Faire un choix discriminatoire entre les actifs, ne les prendre en compte pour déterminer l'assiette de l'impôt progressif sur le revenu que s'ils ont donné lieu à des plus-values réelles, les négliger dès lors qu'ils ont donné lieu à des moins-values réelles, constituerait un défi à l'équité.

[Remarque 24 :
« choix discriminatoire », nouveau pléonasme ]

Si on lie l'imposition des plus-values à l'impôt progressif sur le revenu, il conviendrait de le faire
- sans aucune discrimination quant à la nature des actifs
- et non en fonction d'aménagements discriminatoires de caractère démagogique comme c'est le cas du projet actuel.

Prendre comme base d'imposition les seules plus-values effectivement réalisées à l'occasion d'une vente, ce serait donner à une catégorie très importante de contribuables la possibilités d'échapper indéfiniment à l'impôt.

Cette possibilité constituerait ainsi une nouvelle source de discriminations et d'iniquités en favorisant les plus riches et les plus inefficaces.

En tout état de cause elle susciterait de nouveaux obstacles aux mutations de propriété et aux choix les plus économiques s'ajoutant à ceux résultant déjà de la fiscalité actuelle.
En réalité les plus-values effectivement réalisées lors d'une vente ne sauraient constituer une base convenable pour l'assiette de l'impôt.

Seules devraient être prises en compte les plus-values (ou moins-values) réelles constatées en moyenne dans les cas comparables, ce qui permettrait le paiement de l'impôt d'une manière équitable et régulière sur une base annuelle.

Enfin si l'équité exige que seules les plus-values en valeur réelle soient considérées, le principe de l'indexation devrait être étendu à toute la fiscalité et à vrai dire à toute la législation.

A partir d'une doctrine erronée, les autorités responsables ont commis une grave erreur en introduisant dans la réforme monétaire de 1959 l'interdiction de principe de l'indexation dans les contrats et en pensant que cette interdiction contribuerait puissamment à la stabilité de la monnaie.
En fait cinq semaines à peine après que la loi de finances pour 1959 eut été publiée, et sous la pression irrésistible des groupes d'intérêt, son article 79 était amendé par l'Ordonnance du 4 février 1959 qui pratiquement autorisait l'indexation dans tous les cas sauf pour l'épargne.
Cette législation discriminatoire et inique a fait d'innombrables victimes.

[Remarque 25 :
dont acte ; face libérale de Maurice Allais]

Dès lors que par suite de l'impéritie des gouvernants, la politique de l'Etat se révèle incapable d'assurer la stabilité de la valeur de la monnaie, il convient de permettre l'utilisation dans les contrats d'une unité de compte de valeur stable.

En fait l'indexation des créances et des dettes pourrait permettre d'atteindre un triple objectif
- protéger les épargnants contre la spoliation,
- donner aux entreprises les possibilités de financement dont elles ont besoin,
- mettre fin aux inefficacités et aux injustices fiscales résultant de l'utilisation de comptabilités en valeurs nominales dépourvues de toute signification réelle.

[Remarque 26 :
dont acte ; face libérale de Maurice Allais]


4. Les injustices sociales, les plus-values et l'égarement de l'opinion.

Dans l'élaboration d'une imposition des plus-values, l'objectif déclaré du gouvernement est la réduction des injustices sociales.

Cependant les injustices provenant de l'existence de plus-values ne sont rien à côté de celles entraînées par l'inflation et les innombrables désordres qu'elle suscite.

On ne peut que déplorer que le gouvernement n'ait pas mis à l'étude les injustices et la démoralisation de la société française résultant de l'inflation et les moyens d'y faire face, question beaucoup plus importante et plus pressante que celle de plus-values.

Qu'il me suffise de dire qu'en 1973 le montant global des profits distribués à une foule de parties prenantes par la création de moyens de paiement ex nihilo par le mécanisme du crédit a correspondu sensiblement au montant global pour la même année de l'impôt progressif sur le revenu et de l'impôt sur les successions.

La situation depuis n'a fait que s'aggraver.

L'inflation est la cause et la condition de l'apparition d'une masse globale de profits pour les entreprises.

C'est pure démagogie que d'ameuter l'opinion publique contre ces profits en négligeant de s'attaquer à l'inflation qui les suscite.

Sans inflation, le prélèvement global des entreprises sur le produit national serait nul. Ce que gagneraient les uns serait payé par ce que perdraient les autres.

[Remarque 27 :
Allais a raison au détail près que, comme l'a démontré, entre autres, Pareto, la fiscalité est destructrice et qu'en conséquence tout le monde y perd]

Le cancer qui ronge les sociétés dites capitalistes, ce n'est pas l'inégalité des revenus qui conditionne leur fonctionnement, mais l'inflation résultant de la création de moyens de paiement ex nihilo qui suscite l'apparition de profits, compromet l'efficacité et démoralise le corps social.

Sans inflation, les gains des entreprises bénéficiaires viendraient reconnaître leur bonne gestion et la prise en charge judicieuse des risques attachés à l'incertitude de l'avenir.
Ces gains seraient compensés par les pertes qui sanctionneraient la mauvaise gestion des autres,

II est trop facile de dénoncer les spéculateurs.
Le spéculateur par définition s'efforce de vendre plus cher qu'il n'a acheté, mais le principe même de l'économie décentralisée est de faire passer les biens dans les mains de ceux qui sont capables de leur donner la plus grande valeur.

[Remarque 28 :
dont acte ; face libérale de Maurice Allais]

La démagogie conduit à ne considérer que ceux qui gagnent et à négliger tous ceux qui perdent.

Dans la société d'aujourd'hui, les spéculateurs deviennent les boucs émissaires d'une mauvaise politique dont les gouvernements sont responsables,
- soit que par des autorisations de construire, non accompagnées de clauses appropriées, on ait permis la réalisation de profits scandaleux,
- soit que par suite des effets d'une inflation, tolérée sinon suscitée délibérément au nom de la croissance, on ait engendré partout des désordres à la faveur desquels une partie de la nation est spoliée par l'autre.

C'est égarer dangereusement l'opinion que de tant insister sur la nécessité de taxer les plus-values dans le même temps que l'on ferme complaisamment les yeux sur les iniquités majeures et intolérables suscitées par l'inflation (1).
(1) Sur l'inflation, voir Allais, « L'Inflation française et la Croissance, Mythologies et Réalité, Colloque sur l'inflation », 18 décembre 1974, 119 pages, Aleps {1, square de Luynes, Paris).
[aujourd'hui 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris]

La rentabilité électorale continuera malheureusement à peser d'un poids excessif sur les décisions du législateur.

Des confusions dangereuses continueront à être commises, plus ou moins sciemment, entre inégalités et injustices, entre égalité des chances, égalité des capacités et égalité des revenus.

Certes aucune société ne peut longtemps survivre si trop d'injustices sont tolérées, mais il en est de même si une philosophie égalitaire et nivellatrice finit par inspirer toutes les décisions.

Au nom d'un faux libéralisme la démagogie creuse le tombeau des sociétés libérales (2).
(2) Faute de place il m'est impossible d'esquisser ici la fiscalité qui, au regard des considérations que j'ai développées, m'apparaît comme préférable (voir Allais « L'Impôt sur le capital », Droit social, n° 29, sept.-oct. 1966, pp. 465-544).

(Fin du texte de Maurice Allais).


Dans toutes ces remarques, deux me semblent essentielles: la remarque 5 sur le "bouclier fiscal" implicite selon Maurice Allais et la remarque 19 sur la taxation des plus values sur les résidences principales.

Et je ne retiens du texte qu'une chose : Maurice Allais était contradictoire à cause, peut-être, d'une méconnaissance de certains concepts fondamentaux de la vraie théorie économique et d'une philosophie politique trouée..



Addendum

Dix huit mois plus tôt, Maurice Allais, en tant que professeur à l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris et directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique, avait écrit une lettre ouverte aux candidats à l'Elysée publiée dans Le Figaro des 27-28 avril 1974, les deux candidats en jeu étaient Giscard d'Estaing et Mitterrand.

Elle portait sur l'inflation.

Etant données la montée de l'inflation dans le monde suite aux politiques monétaires menées ces dernières années et l'élection présidentielle programmée en France pour dans un an, la question de l'inflation redevient d'actualité.

Voici le texte de Maurice Allais, sans commentaire de ma part car j'aurai l'occasion d'y revenir dans des billets futurs pour les deux raisons dites.


"Lettre ouverte sur l'inflation aux candidats à l'Elysée.

Monsieur,

Autant que l'on puisse s'en rendre compte, les choix fondamentaux de la très grande majorité des Français quant aux fins ultimes à assigner à notre politique sont ceux que vous déclarez être les vôtres, et il est réconfortant qu'en cela vous ne différiez aucunement de vos adversaires.

Comme eux, vous déclarez vouloir poursuivre le bonheur, l'indépendance et la sécurité des Français.

Comme eux vous êtes partisan de plus de justice, de relations plus humaines, affranchies de toute tyrannie bureaucratique.

Comment se fait-il donc, puisque vos objectifs majeurs sont identiques à ceux de vos rivaux, que tant de Français s'interrogent ?

La raison en est que les choix réels ne portent pas sur les fins elles-mêmes, mais sur les arbitrages à effectuer entre ces fins et les moyens à mettre en oeuvre pour les réaliser.

C'est en explicitant ces arbitrages et ces moyens que vous pouvez vous distinguer de vos adversaires, c'est cela qu'il faut expliquer aux Français, et c'est en cela que vous pourrez justifier leurs suffrages.

Au tout premier plan des urgences, une option majeure se présente : faut-il arrêter, ou non, l'inflation, et comment ?

L'arrêt de l'inflation, chacun le sait, ne peut, dans la période de transition qu'il implique que compromettre l'emploi.
Mais la poursuite de l'inflation signifie la spoliation de millions de Français au profit de millions d'autres, cette spoliation est de moins en moins tolérée, et elle conduit à terme à l'exploitation, sur te double plan économique et politique.

Un débat, pour une grande part stérile, car tout se tient, a opposé les experts.

L'inflation est-elle due à l'accroissement des moyens de paiement, c'est-à-dire de la masse monétaire globale,
ou est-elle due à un accroissement des salaires nominaux supérieur à la croissance de ta productivité?

Quelle que soit l'explication à laquelle vous pouvez donner votre préférence, il serait indispensable que vous précisiez, en en donnant les raisons, quels sont les taux de croissance
- d'une part du niveau des salaires nominaux et
- d'autre part de la masse monétaire que vous considérez comme souhaitables, et que vous indiquiez comment, économiquement et politiquement, vous comptez pouvoir les réaliser.

Etes-vous prêt à dire
- que des accroissements excessifs de salaires nominaux ne peuvent qu'être très rapidement annihilés par l'inflation :
- qu'un accroissement régulier des moyens de paiement de 13% par an. alors que le produit national brut réel ne croit que de 6%, ne peut entraîner inévitablement qu'une hausse des prix de 12 % par an ;
- et que ce sont là les causes fondamentales de l'inflation ?

Sans aucun doute vous savez
- que par le mécanisme du crédit, de nouveaux moyens de paiement sont sans cesse créés,
- que ces moyens de paiement équivalent à une création de pouvoir d'achat, sans autre contrepartie effective que des promesses de payer dans l'avenir, mécanisme qui est représenté fallacieusement par la dénomination trompeuse de mobilisation des avoirs.

Ce sont ces nouveaux moyens de paiement, créés par simple feu d'écritures, qui. en réalité, accroissent la demande, entraînent la hausse des prix, et sont effectivement responsables de l'inflation.

Pour une grande part, la création de ces moyen de paiement nouveaux est effectivement nécessaire pour assurer le financement des hausses de salaires dans la mesure où elles dépassent les gains de productivité.

Comme vous le savez, quels que puissent en être les bénéficiaires, ce mécanisme a comme effet principal, la prospérité des uns, la misère des autres.
Les bénéficiaires de l'inflation sont notamment ceux qui peuvent investir à crédit et ceux qui obtiennent les premiers les hausses de salaires.
Les victimes en sont les modestes épargnants, les retraités, les gens âgés, tous les salariés du secteur public dont les salaires sont toujours en retard, et bien d'autres encore.

Comme vous le savez, les faux droits ainsi distribués représentent autant de profits plus ou moins aveuglément répartis, dont le montant global, s'il revenait à la collectivité, c'est-à-dire si les bénéfices du droit de battre monnaie revenaient au seul gouvernement, permettrait actuellement de supprimer tout à la fois l'impôt progressif sur te revenu et la T.V.A. sur les produits de première nécessité, impôts si durement ressentis.

Comme vous le savez, tous les bénéficiaires de l'inflation ne cessent de protester contre l'inflation, mais en fait ils ne cessent également d'en susciter la continuation, les uns en demandant que les autorités monétaires financent leurs investissements par la création de nouveaux moyens de paiement créés ex nihilo. les autres en exigeant des hausses de salaires nominaux qui ne peuvent être financées que par le même processus, générateur d'inflation.

Si les à-coups provenant de l'alternance des périodes d'accélération et de ralentissement de l'inflation vous paraissent indésirables, ce qu'ils sont effectivement, considérez-vous, ou non,
- qu'une inflation régulière est une condition nécessaire de la croissance, et
- dans l'affirmative quel est le taux de hausse des prix que vous considérez comme souhaitable, et pourquoi ?

Si l'inflation vous parait désirable, l'indexation des salaires sur les prix vous apparaît elle ou non comme justifiée et si une telle Indexation vous apparaît comme nécessaire, faut-il la limiter aux seuls salaires ?

L'un des candidats à la présidence, et peut-être, en tant que destinataire de cette lettre, êtes-vous celui-là, a proposé d'indexer les emprunts publics et les intérêts sur les dépôts dans tes caisses d'épargne sur le niveau des prix.

C'est là une déclaration qui ne peut manquer d'avoir une profonde résonance, tant elle répond à un besoin puissamment ressenti.

Si vous ne l'avez pas faite, ne devriez vous pas vous y associer, et si vous l'avez faîte, ne conviendrait-il pas d'expliquer que l'indexation à elle seule ne saurait arrêter l'inflation, ni remédier à tous les désordres qu'elle entraine, et qu'une monnaie stable implique avant tout deux conditions,
- la limitation de la croissance de la production et
- la limitation de la croissance du niveau nominal des salaires à un taux comparable à celui de la productivité en termes réels,
le blocage des prix ne pouvant être d'aucune utilité si l'économie continue à être submergée par une croissance excessive de moyens de paiement et si les hausses inconsidérées de salaires ne peuvent être financées que par la croissance des moyens de paiement.

En fait, seule une indexation généralisée est réellement de nature à montrer l'absurdité de l'inflation, dès lors que l'on désire effectivement renoncer à organiser, par la monnaie et te crédit, la spoliation des uns par les autres.

Candidat à l'exercice des plus hautes charges de l'Etat vous se pouvez pas ne pas savoir tout cela. Il conviendrait cependant de le dire.

Dans la conjoncture d'aujourd'hui, ce dont les Français ont réellement besoin, ce n'est pas de promesses, toujours les mêmes, ils en sont submergés ;
ce qu'ils demandent, ce sont des choix sans ambiguïté sur les options entre lesquelles il faut réellement choisir.

Ne pensez-vous pas que si vous déclariez que dès votre élection vous convertiriez immédiatement tous vos avoirs en fonds publics, une telle déclaration serait de nature à convaincre vos électeurs potentiels que vous avez réellement l'intention d'arrêter l'inflation ?

Et n'est-il pas vrai que si vous êtes capable, sur le double plan économique et politique, d'arrêter l'inflation sans compromettre la croissance, il deviendrait acquis que votre intelligence et votre habileté politique vous désignent particulièrement pour faire face également aux autres questions pressantes qui se posent à notre société ?

En vous souhaitant tout le succès que la sincérité et le courage de votre campagne vous permettront de mériter, je vous prie d'agréer, monsieur, l'expression de ma très haute considération."



No comment.


Georges Lane

Principes de science économique

  

 

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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