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Cours Or & Argent

A l’abri, les bijoux de famille

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Publié le 06 juillet 2009
2352 mots - Temps de lecture : 5 - 9 minutes
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Rubrique : Editoriaux





Ce texte est un « article presslib’ » (*)



Les discussions s’accélèrent et confluent des deux côtés de l’Atlantique, à propos de la régulation des produits dérivés, dont Wall Street et Londres sont les deux grandes places de marché. Officiellement, afin d’offrir des garanties préventives à tout enchaînement systémique d’une défaillance d’un de ses intervenants, officieusement en veillant à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Dans le contexte américain des stress tests et de l’escamotage de la question des actifs toxiques, des « jeunes pousses » et de l’abandon de toute limitation aux rémunérations et bonus des financiers, on est fondé à se demander si l’administration Obama va être en mesure de maintenir dans leur étendue les dispositions déjà acquises sous l’administration précédente, ou si elle ne va pas devoir encore reculer comme elle l’a fait sur presque tous les dossiers touchant à « l’industrie financière » ? Un comble pour certains, une illustration significative pour les autres, qui ne se font à juste titre aucune illusion sur la nouvelle administration et sa politique « oligarchique » moderne, débarrassée des oripeaux restants des « néocons », des compagnonnages encombrants du genre Dick Cheney et des aspects les plus caricaturaux de l’idéologie des républicains. Car tout ceci n’est pas adapté à la crise économique montante, ni à la détérioration de la situation des classes moyennes qui va dorénavant caractériser le déclin américain. Dans l’attente de nouvelles restrictions financières aux budgets militaires, auxquelles il faudra bien se résoudre, à moins qu’un changement de donne politique n’intervienne.

Pour l’Europe, dont la situation n’est pas nécessairement plus brillante, c’est le Commissaire Irlandais du marché intérieur, Charlie McCreevy, qui est à l’œuvre. Il s’est déjà fait remarquer, et reprendre, en raison de son extrême libéralisme sur le dossier des hedge funds. Mais il vient de revenir à la charge sur ce nouveau dossier, en réaffirmant son acte de foi : « le marché des produits dérivés joue un rôle important dans l’économie… » a-t-il déclaré, en préambule à la présentation de ses propositions de régulation. Se faisant l’écho avec cette pétition de principe à tout le moins audacieuse, étant donné ce qui vient de se passer, à la levée de boucliers des professionnels regroupés dans l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association), à propos de la création de bourses pour les CDS. Leur principal dirigeant, Robert Pickel, vient de déclarer « forcer les participants à des échanges bilatéraux à avoir des relations commerciales via une bourse entraverait la possibilité de personnalisation du risque, ce qui représenterait un pas en arrière ». Pour information, voici la liste des principaux membres de l’association : Barclays Capital, Citigroup Global Markets, Credit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, HSBC, JP Morgan Chase, Morgan Stanley et UBS.

On ne présente plus les célèbres produits dérivés, ce nec le plus ultra de la créativité financière, ces instruments financiers construits à partir d’un instrument de crédit, d’un taux d’intérêt, d’un taux de change, d’une matière première, d’un indice ou de toute autre cote susceptible de fluctuer, comme celle d’une action, constituant son « sous-jacent » et permettant de réaliser des opérations sur l’avenir. Le marché de la plupart de ces produits financiers se déroule dans le cadre de bourses, comme le Chicago Board of Trade (CBOT) créé en 1848 et le Chicago Mercantile Exchange (CME), créé lui en 1898. Ces bourses et les produits qu’elles échangent sont hautement réglementés.

Dans les marges de ce système existent également pour certains produits dérivés un marché non réglementé, dit « de gré à gré » (en anglais OTC, pour « over-the-counter »), dont les produits phares sont les « swaps » et plus particulièrement, les CDS, les credit-default swaps qui mirent le monde financier en péril à l’automne dernier. Ce marché n’est pas lui réglementé et a connu en l’espace d’une décennie une fulgurante explosion (ainsi que les profits qu’il a permis de générer), le volume financier qu’il représente étant ainsi estimé à 600.000 milliards de dollars (avant réconciliation des positions). Mais ces produits miracles ont aujourd’hui perdu l’essentiel de leur grandeur passée et leur marché tourne désormais au grand ralenti. Après avoir largement contribué à ce que la crise actuelle prenne les aspects de séisme que l’on a connu, avec notamment les épisodes successifs de Bear Stearns, Lehman et d’AIG, les CDS restent encore à l’origine des incertitudes que l’on continue d’avoir sur une éventuelle violente rechute de la crise financière, constituant la plus formidable bulle financière (à ce jour, ne désespérons pas) jamais constituée. Expliquant également la lenteur de sa résorption et la persistance de la crise financière.

Pour autant, c’est dans la relance de leur marché que résident les principaux espoirs du monde financier, qui admet désormais que certaines règles et dispositifs soient envisagés, car il lui faut faire la part du feu. Les mesures à venir dans ce domaine sont donc un élément clé du futur dispositif de régulation financière et permettront à elles seule de juger de son ensemble.

La régulation de ces produits fait actuellement l’objet d’intenses discussions et de consultations plus ou moins formelles des deux côtés de l’Atlantique. La Commission de Bruxelles a vendredi dernier engagé une consultation sur la base d’un document rendu public.

Le dossier avait en fait été ouvert depuis longtemps. A l’instigation de la Fed de New York, surveillante de Wall Street, en décembre 2005. POUR connaître ensuite une forte accélération en 2008, suite à l’effondrement de Bear Stearns et à la catastrophe qu’il a faillit produire. On a alors dit que le sauvetage de Bear Stearns était en réalité celui de JP Morgan Chase, inventeur des CDS, cherchant par ce moyen à se protéger des risques afférents à ses opérations de prêts, devenu principal intervenant sur ce marché après avoir découvert tous les charmes discrets de cette finance de haute volée.

De longue date, donc, les principaux intervenants de ce marché avaient commencé à mettre en place un dispositif ayant pour principal objectif la maîtrise des réactions en chaîne, qui pourraient résulter du défaut d’un de ses maillons, un intervenant incapable de faire face à ses engagements. Avec comme solution un montage financier supprimant l’absence du risque de contrepartie, pas ou très insuffisamment couvert sur ces nouveaux marchés. L’idée a, dès le départ, été de créer une structure, dont ces intervenants majeurs seraient au capital, avec comme première fonction de garantir ce risque. Clearing Hourse corp. a ainsi eu comme principaux actionnaires fondateurs Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Deutsche bank, etc… Cela permettait la mutualisation des risques, à l’avantage de chacun. Puis, au printemps 2008, alors que la crise financière battait déjà son plein mais n’avait pas encore atteint son paroxysme, le dossier a donc été accéléré dans les conditions que nous savons, le tour de table de Clearing Hourse corp. a été élargi aux dix-sept plus importants intervenants, la capitalisation de la société accrue. Tandis que des alternatives étaient étudiées, notamment de la part de NYSE Euronext, faisant apparaître une concurrence entre New York et Chicago, siège de Clearing House corp.

Le Wall Street Journal parlait alors, en évoquant ce dossier, de « domestiquer le monde sauvage du marché des CDS ». George Soros préférait l’image de l’ «épée de Damoclès ». Restaient à disposition, abondamment utilisés depuis, « boule de neige », « bombe à retardement » et « jeu de quilles ». Nous étions à l’ère d’Henry Paulson au Trésor, et Thimothy Geithner était le président de la Fed de New York. La conscience était déjà forte que le système d’assurance mis en place avec les CDS n’était pas en lui-même porteur d’auto-assurance et qu’il fallait en quelque sorte assurer les assureurs contre le risque de leur défaut. La suite est connue, la fin ne l’est pas encore.

A cette époque, il était aussi clairement envisagé d’impliquer dans ce même dispositif d’autres produits dérivés, notamment ceux ayant comme sous-jacents des actions, des taux, des devises et les cours des matières premières.

Aujourd’hui, plusieurs volets à ce dossier sont toujours sur la table, complexes à cerner, à l’image de ce que sont les CDS eux-mêmes. De quoi s’agit-il ? Pour l’essentiel, de mettre d’abord au point une standardisation généralisée de ces produits financiers, on parle de plusieurs milliers, de simples paris s’agissant des CDS (et l’on peut parier sur n’importe quoi, y compris sur le temps de demain). Très lourde tâche, car ces derniers peuvent être comparés aux mutations successives et incontrôlées d’un virus. Des produits de couverture de produits de couverture ayant été inventés, des CDS au carré. Et qu’ils représentent une très grande diversité de produits, certains, comme les opérations à terme (futures) et les options, étant déjà régulés et leur fonctionnement structuré.

Ensuite, il va falloir mettre sur pied des chambres de compensation, permettant d’assurer la correspondance et la balance entre positions débitrices et créditrices de chaque intervenant afin d’opérer systématiquement les compensations. Ceci au nom de la transparence et en raison des énormes difficultés rencontrées quand il faut démêler les gigantesques écheveaux dans les comptes des banques, notamment de Lehman Brothers dans le cas de sa liquidation. Sachant, pour corser le tout, que les Européens ne veulent pas d’un dispositif strictement américain, sur lequel ils auraient peu de prises. On verra ce qu’ils obtiendront à l’arrivée, qui risque de n’être qu’un habillage. Ces chambres, comme on l’a vu, devront assumer financièrement les risques, et ce sera l’heure de vérité quand il faudra mettre au point les dispositions le permettant.

Il est également discuté de franchir un pas de plus et de rendre obligatoire l’utilisation pour les transactions de bourses, des « places » qui restent à créer, avec pour objectif, s’il est bien réalisé, de rendre transparent le marché opaque des CDS, où les prix sont actuellement fixés de gré à gré et ne sont connus que des intervenants de chaque transaction.

Cette dernière éventualité est dans ces conditions loin d’être acquise. Elle a été pour le moment envisagée par Barack Obama, mais pourrait bien faire l’objet d’un recul de celui-ci, tandis que les Européens, anticipant probablement celui-ci, l’ont seulement évoquée du bout des lèvres.

La création de seules chambres de compensation, objectif plus modeste ciblé sur la prévention du risque systémique mais ne touchant pas à la « liberté des prix » des CDS, fait l’objet d’un assez large consensus chez ces mêmes grands acteurs du marché, qui estiment sans doute que cela favorisera leur domination de celui-ci, vis-à-vis des plus petits acteurs des hedge funds. Un milieu qui a déjà subi une forte cure d’amaigrissement (on parle d’une diminution de moitié de leur nombre). Le dispositif d’ensemble en sortira assez complexe, puisque plusieurs chambres de compensation risquent d’exercer en parallèle leur activité. Aboutissant, comme s’il en était besoin dans ce monde déjà pas très simple, à la création d’une véritable usine à gaz. Ou à l’application de règles différentes suivant les structures. Non sans nous rappeler la disparité des normes comptables entre les Etats-Unis et le reste du monde, ainsi que la complexité des dispositifs de surveillance et de régulation envisagés, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, pouvant laisser penser que cette pagaille pourrait être profitable. En tout cas dangereuse.
Faisons un peu de prospective. La standardisation des contrats est un véritable marais dans lequel les professionnels escomptent bien que les régulateurs se perdront. Et qu’il leur sera toujours possible de créer de nouveaux produits pour échapper aux règles contraignantes qui régiront les produits « standardisés ».

Et, puisque nous en sommes aux échappatoires, il va être tout autant tentant pour les intervenants sur ce marché - banques, hedge funds, mais aussi compagnies d’assurance pour n’oublier personne – de se garder de petits jardins secrets. D’obtenir que certains produits financiers, présentés comme les plus « sages », soient exclus du champ des mesures qui seront finalement adoptés, afin de pouvoir continuer à exercer sans entraves leur créativité. Il va falloir lire les paragraphes relégués en bas de page et n’ayant pas les honneurs des « executive summaries ».

Il y aura donc beaucoup d’occasions à saisir, dans un proche avenir, contribuant à ce que le filet de protection dont il va être fait grand cas, ait à l’arrivée des mailles très lâches, à l’issue d’un processus non sans étroites similitudes avec la manière dont est traitée la question des paradis fiscaux. Dans les deux cas, les bijoux de famille resteront à l’abri des regards indiscrets. Puisque les chambres de compensation seront dans les mains des intervenants, tandis que les paradis resteront toujours aussi accueillants pour les énormes flux de capitaux qui y transitent.

L’enjeu est financier, qui pourrait en douter. Car la régulation, même insuffisante, ayant pour effet collatéral de diminuer les marges, il ne faut donc pas en abuser. D’autant qu’il est attendu beaucoup de la reconstitution de celles-ci sur les marchés des produits dérivés, d’autres terrains de jeux n’étant plus dans l’avenir aussi « porteurs » et fréquentables qu’ils l’ont été. Le crédit aux particuliers en premier lieu, vu la crise économique et la monté du chômage pour une longue période, ainsi que l’accroissement, par ceux qui le peuvent, de l’ « épargne de précaution ».


Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com


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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).



Les vues présentées par Paul Jorion sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise à jour.   Les articles présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser un quelconque investissement.  . Tous droits réservés.




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