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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Les
discussions s’accélèrent et confluent des deux
côtés de l’Atlantique, à propos de la
régulation des produits dérivés, dont Wall Street et
Londres sont les deux grandes places de marché. Officiellement, afin
d’offrir des garanties préventives à tout
enchaînement systémique d’une défaillance
d’un de ses intervenants, officieusement en veillant à ne pas
jeter le bébé avec l’eau du bain.
Dans
le contexte américain des stress tests et de l’escamotage de la
question des actifs toxiques, des « jeunes pousses » et de
l’abandon de toute limitation aux rémunérations et bonus
des financiers, on est fondé à se demander si
l’administration Obama va être en
mesure de maintenir dans leur étendue les dispositions
déjà acquises sous l’administration
précédente, ou si elle ne va pas devoir encore reculer comme
elle l’a fait sur presque tous les dossiers touchant à «
l’industrie financière » ? Un comble pour certains, une
illustration significative pour les autres, qui ne se font à juste
titre aucune illusion sur la nouvelle administration et sa politique «
oligarchique » moderne, débarrassée des oripeaux restants
des « néocons », des
compagnonnages encombrants du genre Dick Cheney et des aspects les plus
caricaturaux de l’idéologie des républicains. Car tout
ceci n’est pas adapté à la crise économique
montante, ni à la détérioration de la situation des
classes moyennes qui va dorénavant caractériser le
déclin américain. Dans l’attente de nouvelles
restrictions financières aux budgets militaires, auxquelles il faudra
bien se résoudre, à moins qu’un changement de donne
politique n’intervienne.
Pour
l’Europe, dont la situation n’est pas nécessairement plus
brillante, c’est le Commissaire Irlandais du marché
intérieur, Charlie McCreevy, qui est
à l’œuvre. Il s’est déjà fait
remarquer, et reprendre, en raison de son extrême libéralisme
sur le dossier des hedge funds.
Mais il vient de revenir à la charge sur ce nouveau dossier, en
réaffirmant son acte de foi : « le marché des produits
dérivés joue un rôle important dans
l’économie… » a-t-il déclaré, en
préambule à la présentation de ses propositions de
régulation. Se faisant l’écho avec cette pétition
de principe à tout le moins audacieuse,
étant donné ce qui vient de se passer, à la levée
de boucliers des professionnels regroupés dans l’ISDA
(International Swaps and Derivatives Association),
à propos de la création de bourses pour les CDS. Leur principal
dirigeant, Robert Pickel, vient de déclarer
« forcer les participants à des échanges
bilatéraux à avoir des relations commerciales via une bourse
entraverait la possibilité de personnalisation du risque, ce qui
représenterait un pas en arrière ». Pour information,
voici la liste des principaux membres de l’association : Barclays
Capital, Citigroup Global Markets,
Credit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, HSBC,
JP Morgan Chase, Morgan Stanley et UBS.
On ne
présente plus les célèbres produits
dérivés, ce nec le plus ultra de la créativité
financière, ces instruments financiers construits à partir
d’un instrument de crédit, d’un taux
d’intérêt, d’un taux de change, d’une
matière première, d’un indice ou de toute autre cote
susceptible de fluctuer, comme celle d’une action, constituant son «
sous-jacent » et permettant de réaliser des opérations
sur l’avenir. Le marché de la plupart de ces produits financiers
se déroule dans le cadre de bourses, comme le Chicago Board of Trade (CBOT) créé en 1848 et le
Chicago Mercantile Exchange (CME), créé lui en 1898. Ces
bourses et les produits qu’elles échangent sont hautement
réglementés.
Dans
les marges de ce système existent également pour certains
produits dérivés un marché non réglementé,
dit « de gré à gré » (en anglais OTC, pour
« over-the-counter »), dont les
produits phares sont les « swaps » et plus
particulièrement, les CDS, les credit-default
swaps qui mirent le monde financier en péril à
l’automne dernier. Ce marché n’est pas lui
réglementé et a connu en l’espace d’une
décennie une fulgurante explosion (ainsi que les profits qu’il a
permis de générer), le volume financier qu’il
représente étant ainsi estimé à 600.000 milliards
de dollars (avant réconciliation des positions). Mais ces produits
miracles ont aujourd’hui perdu l’essentiel de leur grandeur passée
et leur marché tourne désormais au grand ralenti. Après
avoir largement contribué à ce que la crise actuelle prenne les
aspects de séisme que l’on a connu, avec notamment les
épisodes successifs de Bear Stearns, Lehman et d’AIG, les CDS restent encore à
l’origine des incertitudes que l’on continue d’avoir sur
une éventuelle violente rechute de la crise financière,
constituant la plus formidable bulle financière (à ce jour, ne
désespérons pas) jamais constituée. Expliquant
également la lenteur de sa résorption et la persistance de la
crise financière.
Pour
autant, c’est dans la relance de leur marché que résident
les principaux espoirs du monde financier, qui admet désormais que
certaines règles et dispositifs soient envisagés, car il lui
faut faire la part du feu. Les mesures à venir dans ce domaine sont
donc un élément clé du futur dispositif de
régulation financière et permettront à elles seule de
juger de son ensemble.
La
régulation de ces produits fait actuellement l’objet
d’intenses discussions et de consultations plus ou moins formelles des
deux côtés de l’Atlantique. La Commission de Bruxelles a
vendredi dernier engagé une consultation sur la base d’un
document rendu public.
Le
dossier avait en fait été ouvert depuis longtemps. A
l’instigation de la Fed de New York, surveillante de Wall Street, en
décembre 2005. POUR connaître ensuite une forte
accélération en 2008, suite à l’effondrement de Bear Stearns et à la catastrophe qu’il a
faillit produire. On a alors dit que le sauvetage de Bear
Stearns était en réalité celui de JP Morgan Chase,
inventeur des CDS, cherchant par ce moyen à se protéger des
risques afférents à ses opérations de prêts,
devenu principal intervenant sur ce marché après avoir
découvert tous les charmes discrets de cette finance de haute
volée.
De
longue date, donc, les principaux intervenants de ce marché avaient
commencé à mettre en place un dispositif ayant pour principal
objectif la maîtrise des réactions en chaîne, qui
pourraient résulter du défaut d’un de ses maillons, un
intervenant incapable de faire face à ses engagements. Avec comme
solution un montage financier supprimant l’absence du risque de
contrepartie, pas ou très insuffisamment couvert sur ces nouveaux
marchés. L’idée a, dès le départ,
été de créer une structure, dont ces intervenants
majeurs seraient au capital, avec comme première fonction de garantir
ce risque. Clearing Hourse corp.
a ainsi eu comme principaux actionnaires fondateurs Goldman Sachs, JP Morgan
Chase, Deutsche bank, etc…
Cela permettait la mutualisation des risques, à l’avantage de
chacun. Puis, au printemps 2008, alors que la crise financière battait
déjà son plein mais n’avait pas encore atteint son
paroxysme, le dossier a donc été accéléré
dans les conditions que nous savons, le tour de table de Clearing Hourse corp. a
été élargi aux dix-sept plus importants intervenants, la
capitalisation de la société accrue. Tandis que des
alternatives étaient étudiées, notamment de la part de
NYSE Euronext, faisant apparaître une concurrence entre New York et
Chicago, siège de Clearing House corp.
Le
Wall Street Journal parlait alors, en évoquant ce dossier, de «
domestiquer le monde sauvage du marché des CDS ». George Soros préférait l’image de l’
«épée de Damoclès ». Restaient à
disposition, abondamment utilisés depuis, « boule de neige
», « bombe à retardement » et « jeu de quilles
». Nous étions à l’ère d’Henry Paulson au Trésor, et Thimothy
Geithner était le président de la Fed
de New York. La conscience était déjà forte que le
système d’assurance mis en place avec les CDS
n’était pas en lui-même porteur d’auto-assurance et
qu’il fallait en quelque sorte assurer les assureurs contre le risque
de leur défaut. La suite est connue, la fin ne l’est pas encore.
A
cette époque, il était aussi clairement envisagé
d’impliquer dans ce même dispositif d’autres produits
dérivés, notamment ceux ayant comme sous-jacents des actions,
des taux, des devises et les cours des matières premières.
Aujourd’hui,
plusieurs volets à ce dossier sont toujours sur la table, complexes
à cerner, à l’image de ce que sont les CDS
eux-mêmes. De quoi s’agit-il ? Pour l’essentiel, de mettre
d’abord au point une standardisation généralisée de
ces produits financiers, on parle de plusieurs milliers, de simples paris
s’agissant des CDS (et l’on peut parier sur n’importe quoi,
y compris sur le temps de demain). Très lourde tâche, car ces
derniers peuvent être comparés aux mutations successives et
incontrôlées d’un virus. Des produits de couverture de
produits de couverture ayant été inventés, des CDS au
carré. Et qu’ils représentent une très grande
diversité de produits, certains, comme les opérations à
terme (futures) et les options, étant déjà
régulés et leur fonctionnement structuré.
Ensuite,
il va falloir mettre sur pied des chambres de compensation, permettant
d’assurer la correspondance et la balance entre positions
débitrices et créditrices de chaque intervenant afin
d’opérer systématiquement les compensations. Ceci au nom
de la transparence et en raison des énormes difficultés
rencontrées quand il faut démêler les gigantesques
écheveaux dans les comptes des banques, notamment de Lehman Brothers dans le cas de
sa liquidation. Sachant, pour corser le tout, que les Européens ne
veulent pas d’un dispositif strictement américain, sur lequel
ils auraient peu de prises. On verra ce qu’ils obtiendront à
l’arrivée, qui risque de n’être qu’un
habillage. Ces chambres, comme on l’a vu, devront assumer financièrement
les risques, et ce sera l’heure de vérité quand il faudra
mettre au point les dispositions le permettant.
Il
est également discuté de franchir un pas de plus et de rendre
obligatoire l’utilisation pour les transactions de bourses, des «
places » qui restent à créer, avec pour objectif,
s’il est bien réalisé, de rendre transparent le
marché opaque des CDS, où les prix sont actuellement
fixés de gré à gré et ne sont connus que des
intervenants de chaque transaction.
Cette
dernière éventualité est dans ces conditions loin
d’être acquise. Elle a été pour le moment
envisagée par Barack Obama,
mais pourrait bien faire l’objet d’un recul de celui-ci, tandis
que les Européens, anticipant probablement celui-ci, l’ont
seulement évoquée du bout des lèvres.
La
création de seules chambres de compensation, objectif plus modeste
ciblé sur la prévention du risque systémique mais ne
touchant pas à la « liberté des prix » des CDS,
fait l’objet d’un assez large consensus chez ces mêmes
grands acteurs du marché, qui estiment sans doute que cela favorisera
leur domination de celui-ci, vis-à-vis des plus petits acteurs des hedge funds. Un milieu qui a
déjà subi une forte cure d’amaigrissement (on parle
d’une diminution de moitié de leur nombre). Le dispositif
d’ensemble en sortira assez complexe, puisque plusieurs chambres de compensation
risquent d’exercer en parallèle leur activité.
Aboutissant, comme s’il en était besoin dans ce monde
déjà pas très simple, à la création
d’une véritable usine à gaz. Ou à
l’application de règles différentes suivant les
structures. Non sans nous rappeler la disparité des normes comptables
entre les Etats-Unis et le reste du monde, ainsi que la complexité des
dispositifs de surveillance et de régulation envisagés, tant
aux Etats-Unis qu’en Europe, pouvant laisser penser que cette pagaille
pourrait être profitable. En tout cas dangereuse.
Faisons un peu de prospective. La standardisation des contrats est un
véritable marais dans lequel les professionnels escomptent bien que
les régulateurs se perdront. Et qu’il leur sera toujours
possible de créer de nouveaux produits pour échapper aux
règles contraignantes qui régiront les produits «
standardisés ».
Et,
puisque nous en sommes aux échappatoires, il va être tout autant
tentant pour les intervenants sur ce marché - banques, hedge funds, mais aussi compagnies
d’assurance pour n’oublier personne – de se garder de
petits jardins secrets. D’obtenir que certains produits financiers,
présentés comme les plus « sages », soient exclus
du champ des mesures qui seront finalement adoptés, afin de pouvoir
continuer à exercer sans entraves leur créativité. Il va
falloir lire les paragraphes relégués en bas de page et
n’ayant pas les honneurs des « executive
summaries ».
Il
y aura donc beaucoup d’occasions à saisir, dans un proche
avenir, contribuant à ce que le filet de protection dont il va
être fait grand cas, ait à l’arrivée des mailles
très lâches, à l’issue d’un processus non
sans étroites similitudes avec la manière dont est
traitée la question des paradis fiscaux. Dans les deux cas, les bijoux
de famille resteront à l’abri des regards indiscrets. Puisque
les chambres de compensation seront dans les mains des intervenants, tandis
que les paradis resteront toujours aussi accueillants pour les énormes
flux de capitaux qui y transitent.
L’enjeu
est financier, qui pourrait en douter. Car la régulation, même
insuffisante, ayant pour effet collatéral de diminuer les marges, il
ne faut donc pas en abuser. D’autant qu’il est attendu beaucoup
de la reconstitution de celles-ci sur les marchés des produits
dérivés, d’autres terrains de jeux n’étant
plus dans l’avenir aussi « porteurs » et
fréquentables qu’ils l’ont été. Le
crédit aux particuliers en premier lieu, vu la crise économique
et la monté du chômage pour une longue période, ainsi que
l’accroissement, par ceux qui le peuvent, de l’ «
épargne de précaution ».
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
Les vues
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siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de
faire une mise à jour.
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