A quoi joue la
FED ? J'avoue avoir été pas mal perplexe lorsque j'ai vu cette
courbe éditée par la FED de Saint-Louis
sur le niveau de la base monétaire (en gros, les liquidités en
circulation) aux USA:
source: FED St-Louis
Non, ce n'est pas
une courbe de réchauffement climatique trafiquée par le GIEC !
Entre le 10 septembre et le 5 novembre, la base monétaire est
passée de 873 milliards à 1265 Milliards. En à peine
deux mois, 44% d'augmentation !
Voilà qui
tendrait à accréditer une menace inflationniste, non ?
Mais en ce
moment, de nombreux économistes n'ont que le mot déflation
à la bouche: en cause, le deleveraging des banques qui va
réduire le crédit donc l'émission monétaire des
banques. Il est vrai que la base monétaire n'est qu'une petite partie
des masses monétaires en circulation. Alors, qui croire ?
Ajoutons que
à l'heure ou j'écris ces lignes, je n'ai pas trouvé de
graphe similaire pour la zone Euro. Sur le site de l'ECB, les données
sur la base monétaire s'arrêtent en septembre, juste avant le
gros de la crise. En septembre, les chiffres de la masse monétaire de
la BCE étaient stables... Comme ceux de la FED !
Certains
observateurs parient sur la résurgence d'une hyper-inflation: une
telle innondation de liquidités ne peut qu'à long terme
provoquer une forte hausse des prix. C'est l'avis de Pierre Leconte, analyste
économique suisse (et "autrichien" d'esprit), qui se montre
plus que pessimiste, dans cette analyse pour "le
temps":
"En
choisissant de faire exploser les déficits publics et de
détruire la crédibilité des bilans des banques
centrales, par la fourniture illimitée de liquidités aux
banques et entreprises et la reprise inconditionnelle de leurs produits
toxiques, les mêmes pouvoirs publics ont accéléré
le processus de destruction des monnaies de papier fiduciaires les unes
après les autres. Ce qui nourrit déjà la prochaine
crise, laquelle se traduira par l'effondrement des obligations d'Etat dans le
contexte de l'hyperinflation qui ne manquera pas de se développer
prochainement lorsque les centaines de milliards de dollars distribués
par les pouvoirs publics à des taux d'intérêt voisins de
zéro cesseront d'être thésaurisés et se mettront
à circuler dans le système économique."
Je tends à
partager au moins en partie son pessimisme. Même si je pars d'un
raisonnement micro-économique, j'arrive à la même
conclusion: tout taux d'intérêt artificiellement bas, qui ne
reflète pas réellement la couverture de la prise de risque du
prêteur de ne pas voir son argent revenir, porte en germe le risque de
mise en circulation excessive de liquidités sans création de
contrepartie en valeur, donc d'inflation monétaire. Si l'attentisme
actuel des agents économiques donne l'illusion que l'inflation
s'éloigne, toutes ces liquidités sans contrepartie vont bien
finir par revenir dans le circuit.
Loïc Abadie
-- The Tropical Bear
-- se montre plus circonspect
et croit au contraire dans une longue période déflationniste :
Selon lui, en ces temps d'incertitudes économiques, les emprunteurs ne
sont pas intéressés par l'endettement, et les banques vont
thésauriser les masses de liquidités injectées par la FED,
tout en améliorant leurs ratio bilan/fonds propres: la chute de la
quantité de crédit sera donc supérieure à
l'injection de liquidités.
La politique de
"quantitative easing" (c'est
le nom doux qu'on donne à "la planche à billets")
de la FED n'aura qu'un effet très limité sur le crédit,
et n'aboutira qu'à soutenir artificiellement les banques les plus
médiocres, au détriment des banques les plus performantes.
Cette politique a lamentablement échoué au Japon, comme l'a
écrit... La FED en 2006. Faut il voir dans ce revirement un signe
supplémentaire que Bernanke, sous la pression, a perdu les
pédales ? Voici la conclusion de l'ours des tropiques:
"Voici
le bilan de la FED depuis le début 2008 :
Nous
voyons très bien la politique de gonflement très important du
bilan de la FED depuis 2 mois (celui ci est passé de 900 à 2200
milliards de $).
Si
on se reporte à l'expérience japonaise, il y a encore de la
marge, vu que la banque centrale du Japon avait à l'époque
"grossi" son bilan jusqu'à 30% du PIB. Pour la FED cela
correspondrait à un bilan d'environ 4500 milliards de $.
Qu'est
ce que le "quantitative easing" japonais a produit comme
résultats ?
Pas
grand chose si l'on en croit un article ...de la réserve fédérale,
à une époque (en 2006) où elle n'imaginait pas se lancer
un jour dans ce type de politique. (lien)
(...)
En
clair : le quantitative easing n'a pas été efficace en
matière de relance du crédit, et a surtout servi à
soutenir les banques les plus mauvaises (donc à retarder les
réformes structurelles indispensables). Avec 2 ans de recul
supplémentaires, nous constatons que le Japon est en train de
replonger dans la récession et que la menace de déflation y est
plus présente que jamais.
(...)
Nous
avons confirmation (pour ceux qui en doutaient) que la FED est bien en train
de tenter (à mon avis sans aucun espoir de réussite) de lutter,
comme le Japon l'a fait, contre la déflation naissante via la
politique de quantitative easing, et reconnaît donc plus que jamais la
réalité de cette menace.
L'expérience
japonaise de 2001-2005 a montré que l'inflation et la croissance
n'avaient pas été relancées de façon
significative par cette politique. Ce qui est logique : en l'absence
d'emprunteur intéressé, le crédit ne repart pas
même si les liquidités sont abondantes. La petite reprise de
l'économie japonaise après 2003 doit bien plus à la
conjoncture mondiale qu'à la politique monétaire (le Japon
étant de nouveau en récession depuis 2008).
La
croissance ne se décrète pas par du "pilotage
monétaire" ou de la "stimulation de consommateurs"...
Pour cela il faut travailler et produire, c'est tout."
Bref, entre
risque d'inflation et risque de déflation, bien malin celui qui peut
prévoir l'avenir au delà de quelques jours. J'aurais
plutôt tendance à parier, avec un risque d'erreur certain, sur
une reprise forte de l'inflation sous quelques mois, au pire un an ou deux,
car ce sera le seul moyen pour les états d'apurer leurs abyssales
dettes, en massacrant le pouvoir d'achat de leurs populations, mais en
évitant la banqueroute,
ce qui menacerait gravement leur capacité à maintenir l'ordre
public et la démocratie. En espérant me tromper.
Ce qui est
certain, c'est que les manipulations monétaires auxquelles nous
assistons ne sont que de mauvais cautères sur une jambe de bois, et
qu'elles ne seront d'aucun effet pour créer de la richesse durable.
Tout porte à croire que les appels à la mise en oeuvre de
politiques favorables à la croissance par formation
de capital sain ne seront pas entendus.
Ce qui me fait le
plus enrager, c'est que le microcosme politico-médiatique
désignera le "grand
méchant marché ultra libéral" comme
coupable du marasme à venir, et qu'il n'y a nulle part où se
réfugier pour éviter la tempête.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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