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A
son tour, la France prend le cap de la zone des tempêtes, alimentant
une dramatisation calculée du sommet européenne de dimanche
prochain qui ne fera pas pour autant de ses participants des sauveurs.
Les
désaccords qui subsistent entre Allemands et Français ne
peuvent au mieux aboutir qu’à un compromis a
minima de dernière minute, comme déjà annoncé. Le
triptyque des mesures annoncées ne sera pas à la hauteur des
exigences de la situation : la décote de la dette grecque sera
une nouvelle fois insuffisante pour que le pays retrouve sa
solvabilité, la recapitalisation des banques restera pleine de
mystères et ne rassurera qu’à moitié, le
renforcement spectaculaire du FESF reposera sur des pointes
d’épingle.
Vu
les engagements déjà pris par le FESF et le mécanisme
envisagé pour le renforcer, ainsi que les nouveaux qui vont être
indispensables de prendre (au Portugal notamment), le montant des pertes sur
les obligations souveraines qui vont pouvoir être assurées par
celui-ci – puisque c’est le montage financier retenu – ne
pourra pas atteindre le montant initialement évoqué de deux
mille milliards d’euros, tout au plus la moitié potentiellement
sur le papier, ce qui élévera un
rempart insuffisant pour empêcher l’Italie de tomber dans le trou
et n’étouffera pas le feu.
Qui
plus est, rien ne dit que les investisseurs seront rassurés par une
garantie qui ne portera que sur une décote maximum de 20%, alors que
la dette grecque va subir une décote supérieure, et qu’ils
accepteront des taux inférieurs et supportables, ce qui par ailleurs
ne réglera pas en soi la question de la solvabilité des Etats.
Enfin, le nouveau montage destiné à accroître son effet
de levier s’effritera comme un château de sable si la note des Français
est dégradée.
De
nombreux indices montrent que la situation continue de déraper, et pas
seulement dans la zone euro, ce qui permet de tordre le cou aux
interprétations restrictives de la crise qui, pour les besoins de leur
démonstration, oublient le reste d’un monde tout aussi
secoué.
La
valse des agences de notation se poursuit à un rythme qui
s’accélère. Avec non seulement la France, dont la note
AAA est désormais sous surveillance, mais aussi l’Espagne, que
Moody’s vient de rétrograder de deux crans, tandis que Standard
& Poor’s en a fait autant de 24 banques
italiennes. Quand ce ne sont pas les Etats, ce sont les banques qui sont
atteintes, tout se dérobe sous les pieds !
Sur
le marché obligataire, le spread
(l’écart) entre les taux allemands et français pour les
titres à 10 ans a dépassé 1%, comme c’était
le cas il y a peu pour l’Italie, alors qu’il approche
désormais les 4% pour cette dernière. Les CDS assurant contre
le défaut de remboursement de la dette française ont
augmenté à 193 points de base (soit une prime annuelle de
193.000 euros pour assurer 10 millions d’euros à cinq ans). Sur
les 24,8 milliards de dollars de CDS identifiés comme émis par
la Depository Trust and Clearing Corporation
(DTCC), c’est la dette française qui aurait donné lieu
à l’émission du plus grand nombre d’entre eux,
passant devant celle de l’Italie.
En
Espagne, le taux de créances douteuses des banques – pour
l’essentiel du crédit immobilier – continue
d’augmenter, selon la Banque d’Espagne et atteint 7,14%, ne prenant
vraisemblablement pas en compte le crédit aux promoteurs immobiliers
et aux entreprises du BTP.
Olli Rehn,
le commissaire européen aux affaires économiques, vient
d’admettre que les Portugais ne pourront pas atteindre leurs objectifs
de réduction du déficit budgétaire, alors que le
gouvernement vient de présenter un projet de budget 2012 comprenant de
nouvelles coupes brutales et que, selon les prévisions et
données officielles, la récession devrait s’approfondir
(-2,8%) et le chômage passer à 13,4%. Le scénario grec
est en train de se répéter : mêmes causes,
mêmes effets.
Même
les mieux dotés ne sont pas épargnés. La structure de
défaisance de Hypo Real Estate (HRE) va
devoir être recapitalisée en Allemagne, en raison de
dépréciations successives qui ont du
être épongées par l’apport en capital initial de
l’Etat de 3,9 milliards d’euros. Le secteur bancaire allemand est
l’un des grands malades de l’Europe, même s’il a
été depuis rejoint par ses coonfrères,
chacun ayant ses points de faiblesse propres et tentant
de les dissimuler à sa façon dans le maquis accommodant des
réglementations bancaires nationales.
La
relative bonne santé allemande repose sur l’extension du travail
à temps partiel, qui n’est pas toujours motivé par un
choix familial, et atteignant désormais les hommes aussi bien que les
femmes. Selon l’institut DIW, deux millions d’Allemands
subiraient cette situation, faute de mieux, sur les dix millions qui
travaillent à temps partiel. Qu’en sera-t-il lorsque la baisse
de la croissance prévue se poursuivra ?
Au
Royaume-Uni, hors zone euro, l’inflation a atteint 5,2%, selon
l’Office des statistiques nationales, les prix ayant été
particulièrement tirés par l’augmentation du gaz, de
l’électricité et des transports, ainsi que par les
produits alimentaires. Cela frappe de plein fouet les catégories les
plus défavorisées (par le système, pas par la nature),
leur pouvoir d’achat pris en tenaille entre l’inflation et la
baisse de leurs revenus. Le pays est à l’extrême bord de
la récession (+0,1%), si l’on accepte ce chiffre comme
crédible, et le chômage continue de progresser. A ce
train-là, les années Thatcher seront bientôt
considérées comme ayant été une plaisanterie.
Pendant
que les dirigeants européens tentent de trouver leurs marques
communes, la BCE continue de jouer les urgences hospitalières. La
facilité de prêt au jour le jour a atteint 2,39 milliards
d’euros lundi, les dépôts de liquidité sur 24
heures, 172 milliards d’euros, le prêt de 500 millions de dollars
sur une semaine à une banque non identifiée a été
une nouvelle fois renouvelé, tandis que d’autres
opérations de prêt à une demi-douzaine de banques
étaient engagés. A part cela, le
système bancaire se porte bien, si l’on en croit ses
porte-paroles.
La
crise sociale se développe et ses manifestations ne sont pas
réservées aux pays de la zone des tempêtes, soumis
à un régime des plus stricts. Insidieusement, la
précarité et la pauvreté se fraient leur chemin partout,
tandis que la concentration extrême de la richesse s’accentue,
révélée par de multiples études. La formule est
consacrée mais n’en reste pas moins valable : une profonde
inquiétude et indignation monte, qui se traduit aujourd’hui en
Grèce par la paralysie du pays, qui gagne de plus en plus de secteurs
d’activité.
Une
étude annuelle du Crédit Suisse confirme que la richesse
mondiale, exprimée en dollars, a progressé de 67% depuis
l’an 2000 et devrait continuer de le faire à raison de 50%
d’ici à 2016. Très inégalement répartie
entre les pays, les émergents se taillant la part du lion, et
au sein de chaque pays une part infime de la population, car les moyennes
cachent des disparités et une concentration de la richesse qui
s’accroissent.
La
tentation de puiser dans cette manne va être de plus en plus grande,
expliquant les mesures dont ceux qui la possèdent s’entourent de
plus en plus afin de se protéger. Dans des paradis fiscaux,
derrière les enceintes de résidences protégées,
dans le dédale de la fiscalité, dans un monde qui leur est
à tout point de vue réservé et sur lequel des services
de sécurité veillent. Les pauvres gens !
P.S.
: François Hollande évoque la possibilité d’une
« victoire des agences de notation », si les dirigeants
européens n’étaient pas « à la hauteur
de la situation » et que les marchés étaient en
conséquence « tout puissants », tout en
évoquant « des mesures appropriées »
qu’il n’identifie pas. On serait curieux de les connaître.
Billet
rédigé par François Leclerc
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