La
BCE joue à l’équilibriste.
S’efforçant
d’établir un cordon sanitaire devant le Portugal, elle cherche
à préserver l’Espagne dont le tour d’entrer par la
suite dans la zone des tempêtes était annoncé. Cultivant
le mystère pour mieux montrer sa force, elle est intervenue sur un
marché déserté où elle a triomphé sans
gloire en achetant par paquets de 100 millions d’euros des obligations
portugaises et irlandaises, afin d’en faire baisser le taux et de
stabiliser la zone euro. Après avoir commencé ces achats durant
la conférence de presse de Jean-Claude Trichet, elle a poursuivi au
même rythme jamais atteint ce vendredi.
Mais
elle s’est refusée pour autant à dévoiler ses
intentions pour l’avenir, laissant planer l’incertitude et
n’engageant pas – comme attendu par les marchés
– une intervention massive du type de la Fed. Comme à
l’accoutumée, rendez-vous est pris lundi matin pour plus de
clarté sur le terrain.
En
procédant ainsi, la BCE stoppe l’emballement de la crise, mais
elle ne la résout pas. Elle renvoie la balle aux gouvernements. Deux
options principales sont à leur disposition : soit
accroître l’enveloppe de garanties mise à la disposition
du fonds de stabilité (EFSF), soit s’engager sur la voie de
l’émission d’euro-obligations, afin de commencer à
concrétiser ce que Jean-Claude Trichet a appelé
aujourd’hui à Paris, avant de rencontrer Nicolas Sarkozy, une
« quasi union fiscale ».
Le
surplace n’étant plus envisageable, la nécessité
de redresser un dérapage conduisant à l’éclatement
de la zone euro anime en coulisse les débats. Dénoncés
pour avoir agité le chiffon rouge du défaut d’un Etat,
suspectés d’avoir l’intention de faire bande à part
une fois la zone euro démantelée, les Allemands
réagissent en se disculpant et en proclamant que l’euro a pour
eux un intérêt vital. Tant à l’intention de
leur opinion publique que de leurs partenaires européens. Il est vrai
qu’ils sont les seuls à proposer une politique.
En
annonçant ce vendredi matin mettre également sous surveillance
les banques portugaises, après l’avoir déjà fait
pour l’Etat, l’agence S&P vient de faire sans tarder une
piqûre de rappel. D’une manière ou d’une autre, il
va falloir y aller… Les ministres des finances européens vont se
réunir une nouvelle fois en début de semaine, mais ils devront
en priorité boucler le plan de sauvetage irlandais, dont
l’entrée en vigueur est toujours soumise au vote par le
parlement irlandais du budget d’austérité de
l’Etat, en janvier prochain. De quoi en soi alimenter
d’ici-là la nervosité des marchés.
La
BCE a comme on sait d’autres intentions. Elle maintient sans
désemparer sa stratégie de réduction prioritaire des
déficits publics et son refus que soit envisagé le
défaut d’Etats n’y parvenant pas. Alors qu’au
contraire le gouvernement allemand persiste et signe, expliquant qu’il
serait nécessaire que des restructurations de dettes puissent
intervenir en amont, dans l’intérêt même des
créanciers ajoutent-ils.
Le
débat sur le meilleur mécanisme permettant de refinancer la
dette en l’étalant – en contractant d’autres dettes
– est déjà l’occasion de nombreuses passes
d’armes, qui ne sont pas terminées ; mais celui sur qui
doit payer ne fait que débuter. Jean-Claude Juncker, le chef de file
de l’eurogroup, croyant avoir trouvé
une échappatoire en faisant campagne pour l’émission
d’euro-obligations, estimant que les Chinois pourraient y souscrire.
L’Europe prendrait en quelque sorte le relais des Etats-Unis afin de faire
financer sa dette.
Jamie
Dimon, le Pdg de JP
Morgan, annonçait ce vendredi matin la couleur de son
côté, en expliquant dans le quotidien économique italien
Il Sole 24 Ore que « si un Etat européen devenait
insolvable ou s’il y avait un défaut sur sa dette publique,
alors l’Europe se retrouverait à devoir sauver les banques
détenant des titres de cet Etat ».
Résumons
la brillante situation actuelle : la BCE ne monétise pas la
dette ; sa mutualisation pose problème aux mieux lotis qui ne
veulent pas payer ; même sous le parapluie d’un plan de
sauvetage, les Etats les plus atteints donnent toutes les apparences de ne
pas pouvoir assumer la leur et risquent de faire défaut ; les
banques ne peuvent pas prendre leur part du fardeau et devront sinon
être aidées par les Etats… Toutes les issues sont bel et
bien bouchées.
Suivre
la ligne de plus grande pente, c’est à dire de la
facilité, est une grande tentation dans ces cas-là. Elle
consisterait à accroître les plans de rigueur, avec en
arrière plan le filet de sécurité de la BCE et la possibilité
d’augmenter les moyens de l’EFSF. C’est ce que font les
Espagnols actuellement. Elle implique de tenir, comme disent les
politiques quand ils sont le dos au mur. Jusqu’à quand
pourront-ils tenir comme cela ?
Autre
problème et non des moindres: s’il est décidé, le
renforcement de l’EFSF aura comme conséquence perverse
d’augmenter l’aléa moral sur le marché obligataire,
puisque les Etats attaqués auront la garantie implicite
d’être sauvés, leur refinancement permettant
d’honorer leurs créanciers. C’est tout le contraire que la
menace d’une restructuration de dette.
La
dynamique de la crise risquera de ne pas être interrompue ainsi…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
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en tout ou en partie à condition que le présent alinéa
soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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