Lorsque la Banque centrale
européenne (BCE) a annoncé le 5 juin la mise en œuvre de nouvelles mesures,
la plupart des commentaires ont eu pour objet l'introduction de taux
d'intérêt négatifs. À partir de maintenant en effet, les banques commerciales
voulant déposer des fonds auprès de la BCE devront payer une pénalité. Il
s'agit certes d'un arrangement tout à fait inhabituel mais celui-ci cache une
mesure bien plus importante, introduite en toute discrétion.
Cette mesure révèle l’esprit des
décisions prises début juin. Oubliez l’illusion de la restauration du
mécanisme de transmission de la politique monétaire : les mesures prises
par la BCE n’étaient qu’un soutien déguisé aux banques et gouvernements
européens.
Le fabuleux destin de la BCE
L'histoire que la BCE aime à
raconter est bien sûr tout autre et peut se résumer en ces termes : malgré
des taux d'intérêt déjà bas, les banques n’offrent pas suffisamment de crédit
aux entreprises, en particulier dans les pays de la périphérie de la zone
euro. Dans le même temps, l'augmentation du niveau des prix a été trop
au-dessous de l’objectif fixé à 2%.
La BCE clame haut et fort avoir
pris de nouvelles mesures pour contrer ce resserrement du crédit et cette
menace de déflation. Elle punira les banques commerciales préférant déposer
leurs fonds auprès de la BCE au lieu de les prêter aux entreprises. Elle arrêtera
de stériliser les achats d’obligations antérieurs. Elle réduira ses taux
d’intérêt de 0,25 à 0,15% (ce qui signifie, en termes relatifs, une réduction
de 40% de son taux d’intérêt).
La mesure la plus intéressante est
pourtant une autre injection de liquidités dans le secteur bancaire. En vertu
des nouvelles cibles de refinancement à long terme, les banques européennes
pourront emprunter 400 milliards d’euros à la BCE à un taux d’intérêt (très
favorable) de 10 points de base au-dessus du taux fixe de la BCE, soit 0,25%
actuellement.
La BCE prétend que cette mesure
est ciblée car elle exige que les banques commerciales utilisent cet argent
frais pour prêter au secteur privé (alors que les programmes de LTRO
précédents étaient inconditionnels). Ce
qui permet à Francfort de se faire le champion des entreprises et des
ménages.
Mais est-ce la vérité ?
Le diable est dans les détails
La lecture de ce qui est écrit en
petits caractères suffit pour remarquer que la BCE ne semble guère sérieuse vis-à-vis
de ses propres mesures. Si Francfort voulait vraiment s'assurer que la
monnaie fraichement crée finisse dans les « bonnes » poches, elle
aurait prévu des sanctions sévères à l’égard des banques commerciales qui
utiliseraient cette monnaie a d’autres fins.
Mais de sanctions sévères, point.
La phrase clé dans le communiqué de presse de la BCE est la suivante: « Les contreparties qui participeront
aux TLTRO et dont les prêts nets au secteur privé non financier de la zone
euro, à l’exclusion des prêts au logement, seront inférieurs à la valeur de
référence sur la période comprise entre le 1er mai 2014 et le
30 avril 2016 devront rembourser leurs emprunts en
septembre 2016. ».
Ce n’est pas un petit détail
technique. Cette phrase sape la crédibilité de la BCE.
Voilà ce que cette phrase
signifie : les banques ne doivent que promettre de prêter l’argent frais de la BCE au secteur privé. Si
elles ne tiennent pas leur promesse, elles ne devront que rembourser leur
emprunt au bout de deux ans au lieu de quatre. Elles ne seront pas pénalisées
pour avoir abusé du financement de la BCE. Et elles pourront garder le profit
éventuel réalisé sur cet emprunt.
Dans la pratique, au lieu de faire
des prêts risqués au secteur privé, les banques commerciales pourront jouer
la carte de la sécurité et investir les fonds de la BCE dans les obligations
souveraines des pays de la zone euro pour une durée maximale de deux ans, ces
obligations étant garanties par la promesse de la BCE de faire « tout ce
qu'il faut » pour sauver l'euro.
Une BCE experte en camouflage
Tout ceci est un merveilleux
cadeau aux États de la zone euro déjà fortement endettés et aux banques
commerciales qui utiliseront ce dispositif. Si vous êtes un État, vous
pourrez vous refinancer grâce à vos bons du Trésor. Si vous êtes une banque
commerciale, vous emprunterez à la BCE à un taux de 0,25% de l’argent que
vous prêterez immédiatement à l’État italien à 0,6% sur deux ans - ou encore
mieux, à l’État grec à 2,1% sur 6 mois. Empochez la différence et
excusez-vous auprès de la BCE en 2016 pour avoir utilisé abusivement les
fonds.
Vous le voyez, cette mesure de la
BCE ne vise pas à venir en aide au secteur privé. Elle a pour objectif
d’aider les États surendettés et de donner un coup de pouce financier aux
banques commerciales qui devront faire face au stress test de la BCE fin
2014.
La succession de mesures
inhabituelles et de plus en plus désespérées prises par la BCE souligne que
la crise des dettes étatiques de la zone euro est loin d'être terminée. La
possibilité d'un effondrement imminent de la zone euro a peut-être disparu mais
l’énergie qu'il faut mobiliser pour tenir les murs devient de plus en plus
visible. Le continent européen ne reste debout que grâce à l'alchimie
monétaire de sa banque centrale.
Force est de constater que la BCE
est passée experte dans l’art de dissimuler la nature réelle de ses actions. Aucune
autre banque centrale n’aurait pu camoufler si adroitement une subvention aux
banques et aux États sous l’apparence d’une aide au secteur privé.
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