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1. Les fonctions de la monnaie.
N'est-il pas paradoxal de donner des "fonctions" à ce qu'on
dénomme "monnaie" -et plus communément
"argent"... en France -, comme c'est habituel, et de définir
celle-ci par ces fonctions alors que, dans le même cadre de
pensée, on laisse de côté les actions que mènent
les êtres humains ?
Les êtres humains ne sont-ils pas les seules entités à
avoir la capacité de remplir des fonctions - aspects de leurs actions
- ou à donner à leurs semblables des fonctions à remplir
?
La monnaie ne saurait avoir les fonctions de "moyen
d'échange", d'"unité de compte" et de
"réserve de valeur" qu'on veut bien dire.
Soit dit en passant, depuis que la politique monétaire a vu le jour au
XXè siècle et est censée avoir
un impact sur l'équilibre macroéconomique, le niveau de l'activité
ou de l'emploi, voire la croissance, pourquoi la monnaie n'a-t-elle pas
reçue pour quatrième fonction reconnue ce rôle ?
Une chose ne saurait avoir des fonctions ou alors des fonctions
mécaniques automatiques comme en ont les machines à laver ... le
linge, la vaisselle, etc., ce qui n'est pas le cas de la monnaie.
De fait, ceux qui suivent cette démarche des fonctions en arrivent
rapidement à dire que "la monnaie pose des problèmes en
théorie et en pratique".
Mais dans le même temps, ils ne conviennent pas que leur
définition de la monnaie est absurde ainsi que certaines
hypothèses autres qui vont de pair...
De plus, au lieu de cela, ils tentent de règlementer davantage ce
qu'ils dénomment et définissent comme monnaie sans trop
informer sur ce qu'ils attendent de la nouvelle réglementation.
2. La quantité de
monnaie comptabilisée.
Soyons honnête, il existe une démarche concurrente, sinon aussi
paradoxale, du moins en grand décalage.
Elle consiste à définir la monnaie par une partie du passif du bilan
comptable consolidé du système monétaire, voire par une
partie du passif du bilan de la seule banque centrale
privilégiée du système monétaire.
En vérité, elle définit la monnaie par sa
quantité comptabilisée - qui cache des règles juridiques
dont on ne parle pas - et ainsi ne distingue pas la question de l'existence
de la monnaie et la question de l'existence de la monnaie en une certaine
quantité... comptabilisée, pour ne pas parler de l'existence de
la monnaie sous telle ou telle forme.
Les macroéconomistes monétaristes ont
porté aux nues la démarche dans les décennies 1960 et
1970.
Mais là encore, ceux qui procèdent ainsi en arrivent à
dire que "la monnaie pose des problèmes en théorie et en
pratique".
Ils ne remettent pas en question, d'une part, la définition qu'ils
croient donner à la monnaie en dépit de toutes les
réglementations que la monnaie a connues au XXè
siècle, et, d'autre part, l'évolution de quoi les règles
de comptabilité n'ont pas tenu compte... (cf. ce
billet) et qui fait que ce qu'on dénomme "monnaie"
aujourd'hui n'est pas comparable à ce qu'a pu être la monnaie
jusqu'au début du XXè siècle.
Et ils cherchent à réglementer davantage encore ce qu'ils
dénomment et définissent comme monnaie pour résoudre les
problèmes qu'ils évoquent.
3. "L'€xpérience".
De fait, aux problèmes près, tels l'aveugle et le paralytique,
les deux démarches ont eu tendance à se conforter l'une
l'autre.
Et on peut dire que, dans le cas de l'euro, elles ont trouvé un point
de réconfort.
"Euro" est le nom donné à quelque chose qu'ont
créée récemment les hommes de l'Etat de certains pays
européens, par fusion de monnaies étatiques existant alors,
mais mal définies par la méthode alternative
précédente.
Soit dit en passant, l'"euro" devait être un tremplin vers la
création d'un Etat européen. Implicitement, une nouvelle
fonction, une cinquième, était ainsi dévolue à la
monnaie : "vecteur de création d'Etat"...
Quant à sa comptabilité, elle fait intervenir tellement de
règles que peu d'observateurs semblent s'y retrouver.
Même des officiels en arrivent ces derniers jours à parler des
"banques zombies" à l'occasion de l'évocation de
certaines règles comme l'"emergency
liquidity assistance" qui permet à une
banque centrale nationale - en l'espèce, en ce moment, celle de la
Grèce - d'acheter des créances en toute indépendance de
la Banque centrale européenne et de créer des "euro",
en contradiction avec les règles établies.
Et ils cherchent à réglementer davantage encore le
système monétaire de l'"euro" en créant des
organismes et en les juxtaposant à la banque centrale
européenne comme si cela pouvait résoudre les prétendus
problèmes sur quoi ils mettent le doigt (cf. par exemple ce
billet).
L'expérience au sens premier du mot est complète et l'est
autant que pouvait l'être, il y a un siècle, l'expérience
sur les "rayons X".
4. "Coût de
l'échange" et "coût de la monnaie".
Quand comprendra-t-on que "fonctions" et "comptabilité
réglementée" n'expliquent en rien l'existence de la
monnaie et ne sauraient la définir?
Quand comprendra-t-on que, au contraire, la référence à
ces considérations est la porte ouverte à de mauvais coups
étatiques, le dernier grand en date étant celui de
l'"euro", et au maintien dans l'ignorance et l'arbitraire.
Il faudrait que chacun comprît que ce qu'on dénomme
"monnaie" est une méthode, progressivement mise au point par
les êtres humais depuis la nuit des temps, en
relation avec l'action d'échange synallagmatique présent de
chacun et rien d'autre.
En particulier, elle n'est pas la subtantifique moelle
de quelque oukase étatique judicieux.
En d'autres termes, elle a contribué à diminuer le coût
d'opportunité de ce type d'échange, mais certes pas encore
à zéro. Et, pour cette raison, il faut s'attendre à ce
qu'elle évolue.
Mais, au lieu de se flatter de cette diminution partielle du coût - et
pour cause : beaucoup laissent de côté ou ignorent le concept,
faute de prendre en considération les actions d'échange de
chacun, autre concept exclu -, les mêmes inversent la perspective pour
faire valoir le "coût de la monnaie" depuis le XIXème
siècle et les écrits de A. Smith ou de D. Ricardo (cf. Mises)...
Soit dit en passant, même les économistes dits "
autrichiens" ont le vertige de la fonction de "moyen
d'échange" de la monnaie, à commencer par Ludwig von Mises.
S'ils ont contribué à l'évolution de la théorie
du coût d'opportunité comme le souligne James Buchanan
(1969), de fait, ils n'emploient pas, comme concept explicatif de ce
qu'on dénomme "monnaie", le coût d'opportunité
de l'action d'échange synallagmatique présent.
Ils mettent alors l'accent sur les ressources que nécessite la
production de monnaie.
Soit dit en passant, ces ressources sont nécessairement
inférieures à celles que recouvrent le
coût d'opportunité de l'échange. Sinon, et même
malgré la coercition, la monnaie aurait disparu.
Ils proposent des moyens de réduire ces ressources,
d'économiser sur ces ressources.
Soit dit en passant, ils disent cela quand ils n'évoquent pas, dans
certaines circonstances particulières de taux d'intérêt
élevé ou d'anticipations inflationnistes, le coût de
détention de la monnaie en relation avec le concept de demande de
monnaie.
C'est un peu la question de la couleur du cheval blanc d'Henri IV.
Et
s'articulent à ce dernier argument de l'économie de ressources,les trois grandes nouvelles réglementations
du XXè siècle, à savoir, dans
l'ordre :
- en 1922, l'échangeabilité
internationale des substituts de monnaie bancaires convertibles en monnaie or
à taux fixe, à la demande (cf. par exemple ce billet);
- dans la décennie 1930, l'interdiction de la convertibilité
intérieure des substituts de monnaie bancaires en monnaie or (cf. par
exemple ce
billet);
- depuis 1971-1973, l'interdiction de la convertibilité
extérieure en monnaie or des substituts de monnaie bancaires des
"agents officiels" (cf. par exemple,ce billet
).
Soit dit en passant, mais il faut y insister, parler aujourd'hui de
"monnaie" est un abus de langage. Ce qu'on dénomme
"monnaie" recouvre essentiellement, aux "pièces de
monnaie" près, des substituts de rien bancaires (billets et
dépôts bancaires) -du "néant habillé en monnaie"
selon l'expression de Jacques Rueff à propos des D.T.S. - droits de
tirages spéciaux - du Fonds monétaire international (F.M.I.)
qui anticipait donc sur les "banques zombies".
Tout cela pour ne pas parler de l'instauration même de ce qu'on a
dénommé "euro" (cf. par exemple, ce
billet).
Ces réglementations ont peut-être diminué le
"coût de la monnaie", mais elles n'ont certainement pas
contribué à diminuer le "coût d'opportunité
de l'échange" - lequel est essentiel -, bien au contraire.
Et cette hausse du "coût de l'échange" se manifeste
périodiquement par des crises, ces crises monétaires à
répétition (dont inflation mondiale mi-décennie
1970-mi décennie 1980) que les nouvelles réglementations n'ont
pas supprimées comme le pensaient qu'elles le feraient leurs auteurs,
mais au contraire accrues en intensité et en fréquence.
Georges
Lane
Principes
de science économique
Le texte ci-dessus a été
publié, sous le même titre, dans le périodique de l'A.l.e.p.s
., , 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris,
intitulé Liberté
économique et progrès social, n° 70, mars 1994, pp.
10-23 .
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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