Ce n'est pas pour me vanter, mais
tout de même, beaucoup de sang neuf semble avoir irrigué le
débat d'idées autour de la crise depuis ma première tribune sur la crise dans le Figaro...
Ce qui passait pour un point de vue
totalement iconoclaste au début de la crise, "Ce n'est pas une crise du marché, mais une crise
de l'interventionnisme excessif des états sur les marchés",
commence à trouver un certain écho, au sein de ce que
j'appellerai "la gauche moderne", celle qui admet la
supériorité de l'économie de marché sur
l'économie administrée pour produire des richesses, et qui ne se
différencie des libéraux que sur l'importance des
mécanismes redistributifs à mettre en place. J'ai eu l'occasion
d'évoquer dans ces colonnes l'émergence d'une
gauche qui ose se dire libérale, de Valls à Delanoë. Quand bien même on
puisse trouver à redire à certaines de leurs positions, ces
personnes offrent au débat politique français une perspective
nouvelle.
On aurait pu croire que la crise actuelle
allait les forcer à se faire tous petits et recentrer la gauche sur
les "valeurs" paléo-marxistes d'un Benoît Hamon ou du porte parole officiel d'Hugo
Chavez en France. A mon agréable surprise, il semble qu'il
n'en soit pas ainsi.
Dans les Echos,
sous la plume de Jacques Delpla, il est rappelé que, selon Dominique
Strauss Kahn,
La crise actuelle est une
énorme faillite des régulateurs bancaires, selon DSK.
l'effondrement financier actuel n'est pas né là où on
l'attendait, dans les secteurs non régulés de la finance. Mais
au sein des banques, le secteur le plus régulé de
l'économie.
Si le directeur du FMI le dit...
mais il y a mieux.
Dans Le
Monde de mercredi, un club de réflexions
de gauche, qui se dénomme lui même "les Gracques", regroupant de
nombreuses célébrités du PS, et qui veut,
selon ses propres termes, "changer le logiciel de la gauche", signe
une tribune qui reprend en grande partie les éléments de
diagnostic que je diffusais dès le mois d'Août,
en toute immodestie. Extrait des Gracques (passages en gras
soulignés par moi):
Ce qui s'est produit ne se
prête pas à une analyse idéologique univoque.
Gardons-nous donc des vieilles antiennes de l'économie
administrée. Ce n'est pas la fin du capitalisme, ce n'est pas la
remise en cause de l'économie de marché. Ce n'est
même pas seulement une crise de la dérégulation. Elle
n'est née ni des hedge funds (fonds spéculatifs), ni des
paradis fiscaux, mais aux Etats-Unis et sur un segment de marché assez
régulé, les crédits hypothécaires. Elle a, dans
l'histoire des crises financières, la caractéristique unique de
venir de ce que les banques ont trop prêté... aux pauvres. Le
dérèglement ne vient pas seulement de la
dérégulation, mais aussi d'une mauvaise régulation,
doublée d'une passivité des autorités face aux
contournements de la loi.
Mauvaise régulation
que celle qui forçait les banques américaines à
prêter aux communautés les plus défavorisées, et
qui leur permettait ensuite de socialiser ce risque auprès d'agences
privées sous-capitalisées - donc très rentables aux
heures fastes - et bénéficiant de la garantie de l'Etat.
Pile l'actionnaire gagne, face l'Etat perd. Mauvaise
dérégulation que celle qui permettait de replacer ces
prêts auprès de la clientèle dans des produits
endettés et assurés par des assureurs sans capital.
Certes, les gracques omettent
"prudemment" de préciser que les "agences privées sous capitalisées
bénéficiant de la garantie de l'état" dont
ils parlent, à savoir Fannie Mae et Freddie Mac,
bénéficiaient non seulement d'une garantie, mais aussi de subventions importantes par voie fiscale,
qu'elles étaient dispensées de la même rigueur que les
établissement vraiment privés dans la transparence de leurs
comptes, et qu'elles se sont livrées à une surenchère de lobbying politique
pour conserver leurs avantages dans les années 2003-2007, alors que
leur direction, ouvertement soutenue par le parti démocrate,
était engluée dans des scandales
comptables portant sur des milliards de dollars. En contrepartie,
elles étaient soumises à des
objectifs politiques très stricts en terme de rachat de
prêts à des familles à faibles revenus.
Bref, si le droit français leur
était appliqué, quand bien même Fannie et Freddie
étaient de statut privé, l'état eut été
considéré comme "gérant de fait". Les Gracques
se seraient encore grandis en l'admettant. Mais laissons ce pinaillage de
côté, et continuons la lecture de la tribune des
"Gracques":
Les années 2000
n'ont pas vu seulement le développement des entreprises sans usine.
Elles ont aussi inventé les banques sans bilan.
La encore, l'état n'est pas exempt
de reproche. Les fiscalités appliquées dans la plupart des pays
favorisent largement le financement des actifs par le crédit sur la
formation de capital, et le secteur bancaire ne fait pas exception -- J'y
reviendrai dans un article un peu comlexe à paraître mardi--.
Mais il est également vrai que les génies des
mathématiques qui ont pris le pouvoir dans les départements de
gestion d'actifs des géants financiers se sont pris les pieds dans le
tapis de leurs modèles trop sophistiqués.
Les gracques admettent d'ailleurs de
façon détournée le rôle de cette fiscalité
perverse en faveur du crédit:
En d'autres termes, il
s'agit non seulement de limiter les risques de marché que prennent les
banques, en leur associant des exigences considérablement accrues de
fonds propres, mais aussi de limiter leur levier d'endettement et leurs
risques de liquidité, et d'en faire autant pour tous ceux qui en
jouent le rôle par l'effet de l'innovation financière : hedge
funds, ce qui nécessite un minimum de régulation dans les
places offshore ; fonds de LBO, dont les Etats devraient limiter la
déductibilité des intérêts ;
Donc, en favorisant la
déductibilité des intérêts au détriment du
capital, les gracques admettent implicitement que les états ont
joué un rôle majeur dans l'émergence de modèles
hyper-leveragés.
Il y a une même
origine de fond aux bulles successives sur les pays émergents, les
valeurs technologiques, les créances hypothécaires, les
matières premières ; c'est l'irresponsabilité d'une
politique monétaire trop accommodante qui a maintenu pendant des
années les taux d'intérêt réels en
deçà des taux de croissance soutenables. La politique de la
Réserve fédérale en est responsable, et complices ceux
qui agonisaient la Banque centrale européenne (BCE) de ne pas suivre
son exemple. L'argent facile n'a servi qu'à accroître provisoirement
la valeur des actifs, à encourager l'endettement et à provoquer
des bulles, car il faut bien que les liquidités en excès
s'investissent quelque part.
C'est beau comme un
texte de Pascal Salin, lequel écrivait dès le 1er
octobre dans "les Echos":
La cause essentielle de
cette crise provient en effet de l'extraordinaire variabilité de la
politique monétaire américaine au cours des années
récentes. Or celle-ci est bien évidemment décidée
par des autorités publiques et non déterminée par le
marché. C'est ainsi que la Fed est passée d'un taux
d'intérêt de 6,5 % en 2000 à un taux de 1 % en 2003. Il y
eut ensuite une lente remontée à partir de 2004 jusqu'à
atteindre 4,5 % en 2006. Pendant toute la période de bas taux
d'intérêt et de crédit facile, le monde a
été submergé de liquidités.
Vous l'avez compris: il se dégage
un consensus entre libéraux et "gauche intelligente" --
c'est à dire celle qui sait qu'elle devra prendre des décisions
basées sur la réalité des faits si elle se retrouve au
pouvoir...--- sur les causes de la crise.
Et j'ai la faiblesse de croire que
l'antériorité de nos analyses à contre-courant n'y est
pas étrangère ! mais le plus révélateur est
à venir. Toujours selon les Gracques, en
page 2:
Ce qui peut provoquer la
prochaine crise globale, c'est le risque que les Etats, soucieux de "relancer
la machine", fassent déraper leur dette. Aujourd'hui, les
liquidités affolées se réfugient dans les emprunts
d'Etat. Cela ne durera pas toujours ; ne les laissons pas créer une
nouvelle bulle sur les emprunts d'Etat, après les quatre
précédentes ! La crise bancaire doit au contraire servir de
signal d'alerte. A cette occasion, on s'aperçoit que les Etats sont
petits par rapport aux masses de capitaux en circulation. Le total de bilan
de chaque grande banque représente à peu près une fois
le PIB de son Etat d'origine. L'Islande a fait faillite. L'Irlande a garanti
tous les passifs bancaires pour deux fois son PIB. Le jour où une
agence de notation décidera de dégrader la notation de la dette
d'un Etat du G10, celui-ci ne pourra plus lever de la dette pour financer son
déficit. Il devra vendre ses actifs à la casse et licencier
ses fonctionnaires.
Déjà au
lendemain des crises bancaires, on commence à voir à
l'intérieur même de l'Union, une différentiation des "spreads"(différences
entre les taux) entre Etats, et même un marché des CDS
souverains, c'est-à-dire un marché de l'assurance contre les
faillites d'Etat. Les Etats aussi font faillite...
On dirait du Ob'Lib'
de la meilleure veine, tiens. Des socialistes de haut niveau qui
critiquent la politique de sur-interventions dans la crise conduite par les
états, et l'excès de relance par la dette ! Si ce n'est pas une
victoire intellectuelle des libéraux, ça ?
Nous n'avons pas encore totalement
gagné, certes. Au niveau des solutions, les Gracques, après
avoir reconnu que la régulation avait échoué, que les
régulateurs étaient défaillants, et que la loi qui
prétend tout prévoir a été contournée,
sont à côté de la plaque lorsqu'ils affirment que
l'avenir se situe dans... plus de régulations. Il va de soi que les
mécanismes régulateurs doivent être repensés non
pas dans leur volume ou par ajustement paramétrique des normes
Bâle II et assimilées, mais dans leur essence même, dans
leur philosophie.
Il est donc plus que temps que la
blogosphère libérale travaille la question en profondeur pour
leur donner aux Gracques les idées qui leur font encore défaut .
Allez, au boulot !
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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