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Ben Bernanke et Larry Summers, l’ancien président de la Fed et
l’ex-conseiller de Barack Obama, s’affrontent par blogs interposés aux
États-Unis dans un débat stratosphérique afin de donner la clé de l’état
actuel de l’économie mondiale. Le premier met l’accent sur la « surabondance
d’épargne », et le second trace la perspective d’une « stagnation séculaire
», faute de demande justifiant l’investissement. Dans un cas, la course aux
dévaluations compétitives et aux manipulations de la monnaie qu’il faudrait
cesser est en cause, dans l’autre cette tendance de longue durée implique des
investissements publics dans les infrastructures. Faut-il cependant
s’étonner, vu leurs personnalités, que le débat sur les conséquences de
l’accroissement des inégalités de patrimoine et de revenu soit passé à l’as ?
L’impact de la sortie du livre de Thomas Piketty aux États-Unis aurait pu
faire penser que ce thème serait désormais incontournable, mais ce serait
sans compter avec le caractère profondément académique de cette joute, que
Steve Keen (*) n’a pas hésité à qualifier de « consanguine » dans un article
pour le magazine Forbes. Il a rappelé que ses acteurs sont de cette même
famille qui continue de tenir le haut du pavé, et qu’il y a peu de chances
que ceux qui n’avaient pas vu venir la crise trouvent son explication.
Plus prosaïquement, les commentateurs en sont à évaluer le degré de
patience dont la Fed va faire preuve avant d’engager l’augmentation de son
taux toujours proche de zéro. Elle se fait toujours attendre bien que les
communiqués de son Comité de politique monétaire ont cessé de faire référence
à cette louable qualité. Mais la croissance américaine a enregistré un net
accès de faiblesse au premier trimestre, et la Fed continue de se tâter. Il y
a toujours quelque chose qui cloche, qui retarde le retour à une certaine
normalité : un hiver particulièrement rude, un dollar qui est à la hausse, et
surtout une grande inconnue que le secrétaire au Trésor Jack Lew a formulé en
termes moins académiques, constatant que la chute du prix de l’essence n’a
pas entraîné comme escompté une hausse significative de la consommation : «
ce que font les consommateurs de cet argent est un peu une énigme pour
l’instant ». Les temps seraient-ils incertains ?
La Fed ne manque pas de sujets de réflexion, car l’augmentation de son
taux n’est qu’un aspect du problème plus général qu’elle s’apprête à
rencontrer. 200 milliards de dollars des titres de la dette américaine
qu’elle détient vont arriver à maturité l’an prochain : va-t-elle ou non en
profiter pour commencer à dégonfler son bilan qui pèse actuellement 4.500
milliards de dollars ? Ben Bernanke a mis son grain de sel à ce sujet lors
d’une conférence organisée par le FMI: « Je me demande, a-t-il dit, si l’on a
bien adéquatement exploré l’hypothèse de conserver un bilan plus ample
qu’avant la crise ». La question est promise à faire couler beaucoup d’encre,
car il n’est pas certain que les outils que la Fed utilise traditionnellement
pour assécher le marché de liquidités soient toujours efficaces. C’est le
problème de la marche arrière qu’il faut trouver.
Paul Volcker, cet autre ancien président de la Fed et père de la loi
visant à interdire les opérations spéculatives des banques de dépôt,
présentait lundi dernier un
rapport intitulé « Refondre le système de régulation financière ». Sheila
Bair, l’ancienne présidente de la FDIC, l’organisme qui garantit les dépôts
bancaires, et Alice Rivlin, une ancienne vice-présidente de la Fed, y ont
notamment contribué. Craignant que le cumul des risques systémiques et le
poids grandissant du shadow banking accentuent la vulnérabilité du système
financier, Volcker préconise une simplification de la multitude des agences
gouvernementales en charge de la régulation. Avant de préciser lors de sa
conférence de presse : « je ne peux pas vous dire quelle est la prochaine
crise qui nous guette. Ce que nous savons, c’est qu’il y a un fort niveau
d’endettement qui s’accumule ». Mais il donne désormais l’impression de
prêcher dans le désert à Washington.
Un autre ancien chef économiste du FMI et désormais professeur au MIT,
Simon Johnson, ne
désarme pas. À l’accoutumée, il met l’accent sur le danger que
représentent les mégabanques et réclame leur démantèlement, s’appuyant sur
les évaluations trompeuses de leurs fonds propres et sur les taux qui en
découlent. Il s’appuie à cet égard sur les
calculs de Thomas Hoenig, le vice-président du FDIC, qu’il met en
parallèle avec les difficultés à estimer la valeur des produits structurés
complexes ainsi que le danger que recèlent les ETF (exchange traded-funds).
Ceux-ci répliquent, avec le cas échéant un effet de levier, la performance
d’un indice d’actions, d’obligations, de matières premières ou même une
stratégie.
Faisant contraste, les débats européens ignorent largement ces questions,
repliés sur des sujets dits de société et enfermés dans le cadre d’une
affligeante pensée unique véhiculée par les médias.
——
(*) Auteur de « L’imposture économique », préface de Gaël Giraud – Les
éditions de l’atelier (2014).
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