Nous pourrions penser au débat
quant à une réforme d’Obamacare qui se joue actuellement au Sénat comme aux
derniers glouglous de politiciens qui se savent tourbillonner vers le siphon.
Ils prétendent tenter de remédier à un racket qui englobe désormais un
huitième de l’économie américaine. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Au début du XXe siècle, il représentait un quart d’un pourcent (0,25%) de l’économie.
L’explication standard veut tout
d’abord que Medicare ait fait flamber les activités liées à la santé dans les
années 1960, pour attirer beaucoup de personnes âgées qui auparavant ne
bénéficiaient d’aucun traitement particulier et qui étaient, dans l’ensemble,
en moins bonne santé que les plus jeunes. Deuxièmement, les innovations
technologiques ont permis le développement de tant de nouvelles méthodes de
maîtrise des maladies, chez les plus jeunes comme chez les plus âgés, que
nous sommes parvenus à traiter plus de malades, grâce à des solutions de plus
en plus complexes – ce qui a fait flamber les prix.
Le plus gros de l’histoire
demeure caché bien au chaud dans la matrice de rackets érigée autour des flux
monétaires depuis la grosse flambée des prix des années 1960, et qui implique
bien des compagnies d’assurance. Big Pharma, les cabinets médicaux qui
appartiennent à de grosses sociétés, les monopoles hospitaliers et, bien
évidemment, les politiciens, se sont partagé des quantités colossales de
capitaux qu’ils n’ont pu obtenir que pour une seule raison : tous les
coûts ont été gardés à l’abri du regard du public.
Dans le domaine médical, personne
n’a aucune idée de ce que coûte quoi que ce soit. Certainement pas les
patients, parfois qualifiés de « clients » ou de «consommateurs »
- mais qui sont véritablement des otages. Si vous vous rendiez à l’hôpital
pour vous faire implanter une endoprothèse dans l’artère coronaire antérieure
descendante, personne ne pourrait vous dire ce qu’elle coûte, à commencer par
le docteur qui a déjà effectué la procédure des milliers de fois. Personne ne
peut même en deviner le coût, bien que tout le monde soit certainement
capable de vous donner une estimation du prix de l’installation d’une
nouvelle pompe à carburant sur sa BMW-28i.
Les prix des soins de santé ne
sont jamais discutés avec les patients. Les médecins perçoivent le sujet
comme au-dessous de la dignité de leur profession, de la même manière que les
aristocrates britanniques percevaient les questions monétaires à l’époque de
Downton Abbey comme des affaires grossières réservées aux servants,
similaires au débarrassage de la table du déjeuner. Bien entendu, les « servants »,
dans le contexte des hôpitaux américains, sont la fantastique hiérarchie de
greffiers dangereusement suralimentés, accablés par les trop nombreuses heures
passées à entrer des chiffres complètement inventés dans leur ordinateur de
travail. Une vie plus stérile peut difficilement être imaginée. Si vous
demandiez à la personne avec laquelle vous « interagissez » à la
caisse d’un magasin de quoi exactement se compose le total de votre facture,
vous ne recevriez en échange rien de plus qu’un regard méprisant – réellement
orienté vers l’intérieur, vers ses propres dilemmes existentiels, une
dynamique pathologique qui mérite peut-être l’attention des instruments de
financement de recherche.
Le coût de tout ce qui est
médical est calculé à l’occasion d’une danse de la pluie privée entre les
partis mentionnés plus haut, sur la base de ce qu’ils pensent pouvoir se
permettre de soutirer pour chaque cas particulier. Dans les hôpitaux, cette
danse est rendue possible par le système ChargeMaster qui, pour dire les
choses le plus simplement possible, permet simplement aux hôpitaux d’inventer
n’importe quoi.
Tout projet de loi présenté
devant le Congrès dont l’objectif serait de réformer les malfaisances
financières du système de santé devrait commencer par rendre obligatoire la
publication de ce que font les hôpitaux et les médecins, et ne permettre aux « fournisseurs
de services » de ne toucher que ces coûts publics – pour mettre fin à la
danse de la pluie qui divise actuellement les rançons versées par les otages
du système entre ses fournisseurs. Cet aspect crucial de la crise n’apparaît
nulle part dans le débat politique, et n’est jamais mentionné par les organes
médiatiques tels que le New
York Times, soi-disant défenseurs de l’intérêt public. Peut-être
cette facette du problème n’est-elle jamais venue à l’esprit des journalistes
– auquel cas je ne peux que me demander jusqu’où va leur stupidité.
(Ce que je trouve le plus drôle,
c’est que le New York Times
d’aujourd’hui ait déclaré que 20 millions de citoyens ont pu avoir accès aux
services de santé dans le cadre de l’Affordable Care Act. Vraiment ? Vous
voulez dire qu’ils ont pu bénéficier de polices d’assurance aux primes de
8000 dollars, alors qu’ils ne disposent même pas de 500 dollars d’épargne ?
Sur quelle planète vit le personnel de rédaction du New York Times ?)
Les questions corollaires quant
à la déconstruction de l’armature du racket de la santé, et de la
redistribution de ses « fonctions » à une agence gouvernementale « à
payeur unique » constituent bien évidemment un débat plus poussé. Je ne dis
pas qu’une réforme pourrait fonctionner, même si elle était modelée sur les
systèmes qui marchent aujourd’hui ailleurs, comme en France. Les Américains
sont devenus allergiques au sujet même de réforme… ou peut-être leurs
politiciens les ont-ils, dans leurs propres intérêts, poussés à s’en imaginer
allergiques… Le débat qui se joue actuellement au Sénat n’est donc qu’un
prétendu de réaffectation des fruits colossaux du racket entre ses
responsables.
Epargnez-vous l’angoisse de
réfléchir à l’issue du débat actuel sur le système de santé. Il ne sera pas « réparé ».
Le système médical tel que nous le connaissons aujourd’hui finira très vite
par exploser, de la même manière que les systèmes de retraire au travers du
pays, que les trésors des cinquante Etats, et que tout le reste de l’économie
Potemkine américaine.