A quoi
tiennent parfois les choses ! L’avenir de l’Europe et de
l’euro est désormais prisonnier des péripéties de
la vie politique allemande, au fil des élections régionales qui
se succèdent et que la coalition au pouvoir semble continuer à
devoir perdre.
L’intelligence
de la crise de la dette européenne et de sa solution se
résumant pour Berlin à l’impérieuse
nécessité de réduire par tous les moyens les
déficits publics, il en découle deux conséquences qui
éclairent les épisodes en cours, le gouvernement étant
dans l’obligation d’être exemplaire sur ce terrain.
1.
Tiraillée au sein de sa coalition, la chancelière continue de
naviguer au plus près, cherchant à diminuer et étaler la
contribution financière allemande aux fonds de stabilisation
financière dans sa mouture actuelle, mais également en
prévision de sa révision en 2013. Elle poursuit comme objectif
de garder des marges de manœuvres financières pour 2013,
année des élections au Bundestag.
Elle prend
ainsi la responsabilité du maintien d’une indécision
devenue une marque de fabrique, décrédibilisant les
proclamations selon lesquelles « tout sera fait pour sauver
l’euro », renforçant une crise qui ne manque par ailleurs
pas de raisons de se poursuivre.
2. Pour les
mêmes raisons financières, la chancelière a pesé
avec succès de tout son poids, afin d’assouplir la
méthodologie des tests bancaires, contribuant également
à leur perte de crédibilité. Il s’agit simplement
d’éviter que les tests ne révèlent la
réalité de la situation des Landesbanken – les banques
régionales – impliquant des recapitalisations qui incomberaient
au gouvernement.
La
règle constitutionnelle de limitation du déficit public
instauré par le gouvernement actuel pèse déjà
au-delà des frontières de l’Allemagne. C’est aussi
le prix qu’il faut payer pour que les États dégagent le
marché obligataire et laissent le champ libre aux institutions
financières qui vont devoir augmenter leurs fonds propres. Une
observation qui conduit à faire porter au système financier toute
sa part de responsabilité dans la poursuite de la crise, en sus de
celle qui peut être légitimement attribuée au
gouvernement allemand.
C’est
dans ce contexte que peut être appréhendée la bataille
acharnée que mènent les mégabanques
considérées comme présentant un risque
systémique contre toute obligation supplémentaire du niveau
de leurs fonds propres par rapport à celle qui a déjà
été décidée dans le cadre de Bâle III.
L’étendard de la révolte est toujours levé sur ce
front par Josef Ackermann, sous sa double casquette de président de la
Deutsche Bank et de l’Institute of International Finance, le lobby des
mégabanques.
Afin de rendre
le moins douloureux possible les renforcements des fonds propres qui vont de
toute manière devoir intervenir dans le cadre de Bâle III, la
voie de l’émission de CoCos – les obligations convertibles
contingentes – continue d’être explorée, afin
d’éviter de devoir élargir la base purement actionnariale
du capital. La Banque d’Angleterre vient d’apporter sa
contribution à ces tentatives en préconisant que le
déclenchement de la mutation automatique de ces obligations en actions
soit basée sur les critères du marché les plus simples
possibles. Alors que le génie financier, à nouveau
à l’œuvre, s’ingéniait à les rendre les
plus complexes et obscurs possibles. On ne se refait pas.
Le
problème est que les autorités de Bâle n’ont
toujours pas tranché, afin de déterminer quels types de CoCos
seront prises en compte et quels autres seront refusés pour le calcul
des fonds propres. Les régulateurs semblent être toujours
à la recherche des critères de déclenchement miracles
mais introuvables. Garantir au mieux que la mutation des CoCos interviendra
en temps en cas de problème est en effet indispensable pour leur
agrément.
Aux pressions
actuelles pour désengorger le marché obligataire est venue
s’ajouter une terrible crainte des investisseurs financiers
privés. Les amenant à anticiper le risque que des
restructurations de dette souveraine puissent intervenir
ultérieurement. Ce qui se traduit par de nouvelles tensions fortes sur
les taux obligataires des pays les plus susceptibles d’en arriver
là, la Grèce et le Portugal. Dans le cas de l’Irlande, la
menace montante d’une restructuration de la dette des banques
irlandaises produit le même effet.
La
possibilité de devoir subir des restructurations est en effet
désormais actée dans le mécanisme du futur fonds de
stabilité financière européen, le MES, qui devrait
entrer en vigueur à l’été 2013. La réponse
des investisseurs privés n’a en conséquence pas
tardé a être formulée, sous la forme d’une menace
plus ou moins voilée d’un boycott des achats obligataires des
pays périphériques.
Là
s’exprime une contradiction manifeste d’intérêt
entre le gouvernement allemand et les mégabanques, qu’il ne
faudra pas manquer de suivre.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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