Pendant une année entière,
j’ai très peu parlé de l’or, parce qu’il y a eu bien trop d’autres
opportunités d’investissement, et que notre bon vieux S&P ne cessait plus
de grimper au fil des mois. Pour une majorité des investisseurs sur les
actions, et pour reprendre Voltaire, l’année passée a été « le meilleur
de tous les mondes possibles ». L’économie a été modérée, les
politiciens se sont comportés à la manière dont s’attendaient les cyniques,
au détriment des optimistes, et la Fed a, avec beaucoup de succès, injecté de
fortes doses d’héroïne financière dans les veines de l’économie américaine –
et globale – sans aucun effet secondaire manifeste… et sans enthousiasme remarquable
pour la prise de risques.
Certains d’entre nous se sont
inquiétés de la proportion croissante de main d’œuvre quittant son travail
pour vivre une vie d’aides aux personnes handicapées, de coupons repas et
d’autres friandises présentes sur le banquet gouvernemental. Les banquiers
ont absorbé avec une grande joie l’héroïne financière de taux d’intérêt zéro
et de bilans gonflés. Ils ont prêté, mais pas de manière à stimuler
l’économie. Ils se sont contentés de prêter à la Fed à majoration, et d’appliquer
un effet de levier à leurs bilans grâce à du papier de court terme et à
faible risque émis par d’autres institutions.
Je n’ai pas pu m’empêcher de
relever la ressemblance avec les mangeurs de lotus de L’Odyssée d’Homère. Quand Ulysse et ses marins sont arrivés parmi
les mangeurs de lotus, ils ont profité de leur nourriture florale et se sont
laissé emporter dans un état de satisfaction rêveuse, au point de refuser de
s’en retourner sur la « mer noire comme le vin » - bien qu’ils
aient promis de rentrer chez eux. Ulysse et ses plus fidèles marins ont
attachés leurs compagnons amoureux de lassitude à des planches et les ont
tirés jusqu’à leur navire.
Dans ce monde de rêveries
financières, le besoin de posséder de l’or a fini par disparaître.
« Donnez-nous notre pain quotidien » est devenu
la prière des banquiers, une prière qui a été satisfaite par des injections
monétaires délivrées avec une consistance quasi-divine. Pourquoi posséder la
meilleure protection qui soit contre une catastrophe financière si les hommes
de Washington, de Londres et de Francfort ont pu trouver la formule magique
pour l’élimination du risque ?
Il n’est pas surprenant que le
Financial Times ait décrété en janvier que son sondage annuel des experts
mondiaux de l’investissement sur l’or ait révélé un consensus en faveur d’une
autre année sombre pour l’or.
Parmi les analystes, il y a eu
ceux qui pensent que le prix de l’or sera bientôt un nombre à trois chiffres,
et qui semblent seulement ne pas tomber d’accord sur le fait que le premier
sera un 7 ou un 9. Le métal du millénaire a perdu sa signification, a vu ce
qui restait de sa gloire remplacé par le platine, un métal utilisé pour
nettoyer les pots d’échappement. Le réchauffement climatique, nous explique
le nouveau consensus, est un fait, tandis que l’or est condamné à redevenir
une relique barbare.
Ceux d’entre nous qui sont
restés assis sur le banc de touche ont décidé que le chant mélancolique avait
déjà assez duré.
L’or a tout autant de
signification qu’auparavant, et le protecteur indispensable de votre
portefeuille est aujourd’hui disponible à prix cassé. C’est pourquoi en
janvier, nous avons fortement augmenté l’exposition des portefeuilles que
nous gérons aux actions sur l’or.
D’autres ont semble-t-il
partagé mon opinion, puisque l’or n’est pas passé en-dessous de son prix à la
fermeture des marchés en fin d’année, et a gagné 10% sur un an à l’heure où
j’écris ces lignes. Les actions sur l’or du GDX ont gagné 24,7% et l’indice
GDXJ des juniors minières a gagné 41,8%. La chrysophilie
deviendra de nouveau à la mode, bien que Paul Krugman et d’autres économistes
progressistes la surnommeront certainement
« nécrophilie financière ».
Quand Harold Macmillan était
le premier ministre britannique, il a un jour donné un discours à une audience
conservatrice au sujet de toutes les bonnes choses que le gouvernement
entreprenait pour le peuple. La foule était emportée. Et puis un jeune homme
a demandé : « Alors qu’est-ce qui pourrait bien entraîner notre
gouvernement à sa perte ? »
« Les évènements, mon
cher jeune homme, les évènements », a-t-il
répondu.
Les évènements finiront, selon
moi, par ramener l’or sur le devant de la scène. Nous ne pouvons prédire
quels évènements seront la cause du prochain ralliement, mais avec toute
cette monnaie papier, toutes ces dettes et tous ces bilans toxiques, quelque
chose, quelque part, finira par mal tourner.
L’or est un élément unique
dont le prix n’est pas seulement fixé par l’interaction d’opposés classiques
– la peur et l’avarice.
Quand ces craintes ont
commencé à s’évaporer, les investisseurs sur l’or ont regardé en bas et n’ont
vu aucun filet de sécurité. Ils ont commencé à retourner leur veste. Pas
d’inflation ? Pas de crise de l’euro ? Aucune raison de posséder de
l’or.
Une majorité des investisseurs
passent à côté de l’essentiel : six années d’impression monétaire, le
refinancement incessant de grosses banques grâce à de l’argent gratuit et
l’intervention du gouvernement sur l’économie n’ont pas apporté ne serait-ce
qu’un soupçon de croissance robuste génératrice d’inflation.
Sur les champs de bataille,
l’héroïne était l’anesthétique de choix pour de nombreux soldats. La décision
médicale cruciale n’était pas de déterminer si oui ou non une injection était
nécessaire. Le plus dur – pour les médecins comme les patients – était
d’empêcher un manque avant que le soldat ne devienne dépendant.
La Fed a été poussée à croire
que le capitalisme doit être stimulé grâce à des injections soutenues de
narcotiques, longtemps encore après que son patient soit sorti des services
d’urgence. L’argent gratuit et un marché des bons du Trésor de moyen à long
terme sous-évalué feront selon elle rebondir l’économie plutôt que la placer
dans un repos languide.
Cette supposition mécanique
ignore le composant central du capitalisme : le travail et la prise de
risque en échange d’une récompense. La reprise de long terme de la Fed est,
en effet, basée sur la promesse que le risque ait, comme certains autres
mots, peu de place dans les discussions raffinées.
Mr Bernanke
l’a certainement ressenti, puisqu’il y a près d’un an, il nous a mis en garde
de l’arrivée d’une réduction des achats d’obligations de la Fed et de la fin
de ses politiques monétaires peu conventionnelles. Ses patients dépendants
(les banques refinancées) ont accueilli sa mise en garde avec des cris
d’angoisse et des ventes d’actions.
Son successeur s’est engagé –
du moins pour l’instant – à poursuivre la réduction d’achats d’obligations de
la Fed. Puisque la Fed a quadruplé ses bilans sans générer d’inflation, ce
composant des politiques de la Fed pourrait graduellement redevenir réalité.
Mais la politique de taux
d’intérêt zéro, comme nous l’a récemment expliqué notre ami John Mauldin, a de lourds effets sur l’économie et devrait
bientôt être abandonnée.
Entretemps, le reste du monde
se montre de plus en plus agité face à la politique d’Obama de diminution du
risque des engagements américains à l’étranger. Que ce soit en Syrie, à
Benghazi, en Egypte, au Mali, en Israël ou en Iran, il semble penser que la
ruine ne fera que soulever une poignée de colères éparses. Selon son
Secrétaire d’Etat, tous les traités américains devraient à partir
d’aujourd’hui inclure des engagements en matière de comportement climatique,
parce que les changements climatiques sont un danger tout aussi grand que les
famines, les pandémies et le terrorisme (il n’a pas mentionné les
sauterelles).
Avec la hausse des tensions
entre la Chine et ses voisins – notamment le Japon – toute mauvaise
compréhension de l’engagement des Etats-Unis à leurs alliés pourrait s’avérer
désastreuse. (Ceux que cela intéresse pourraient lire The War That
Ended Peace:
The Road to 1914, de Margaret MacMillan).
Les investisseurs devraient
savoir que les océans de liquidité déjà produits par les banques centrales
devraient suffire à renverser une descente vers la récession – si ce n’est
pour stimuler un flux constant de substance capitaliste.
Que pouvons-nous dire du
marché des obligations depuis la réduction de ses achats d’obligations par la
Fed ? La Fed est le plus gros détenteur de dette nationale. La relation
de la Fed avec le Trésor pourrait donner naissance à de nouvelles politiques
radicales au cours de ces prochaines années.
- Pourquoi
la Fed a-t-elle besoin de détenir toute la dette qu’elle a
achetée ? Pourquoi n’en envoie-t-elle pas une partie au Trésor pour
réduire la dette nationale ?
- Quels
changements pourront être appliqués à la politique du Trésor qu’est
d’ignorer les réserves d’or de sa nation tout en lui attribuant un prix
datant de l’époque de Nixon ? Pourquoi la Fed trouve-t-elle si
difficile de rapatrier l’or de l’Allemagne ? Selon le plan actuel,
l’or de l’Allemagne déposé aux Etats-Unis devrait atteindre Francfort
dans sa totalité quelque part entre les deux mandats d’Hillary Clinton.
Il n’y a qu’une seule chose
dont nous puissions être certains : bien avant cela, l’or vaudra bien
plus de 1.200 dollars l’once.
Vous pouvez me croire.