La République du Bisounoursland est parfois pleine de surprises, surtout pour les gentils et les benêts qui la confrontent, au détour d’un incident monétique collatéral, au réel vécu par tant d’idiots inutiles persuadés que le pays n’est pas aussi bisou qu’on le dit (les fats !). C’est ainsi qu’à la suite d’une mésaventure banale, une sénatrice socialiste s’est aperçue que tout, en France, ne roulait pas comme sur des roulettes. Zut et zut.
C’est la très petite et très banale histoire de Laurence Rossignol.
C’est une histoire dont vous n’auriez jamais entendu parler si Laurence n’avait pas été socialiste, bien sûr, et si elle n’était pas devenue, ensuite, sénatrice de l’Oise. C’est l’une de ces histoires d’une banalité consternante qu’un blog de bonne tenue ne relate même pas pour rire (sauf ici, bien sûr, mais vous êtes, lecteur, sur un blog de fachisse turbo-libéral méchant qui mitonne des chatons mignons dès qu’il le peut, c’est dire). C’est l’un de ces faits divers navrants et sans intérêt réel qui n’arrivent même pas à faire un entrefilet dans les journaux, même locaux, même coincé entre à la rubrique télé et la rubrique mots-croisés.
Il faut dire qu’il n’y a pas eu de violences. Il n’y a pas eu de blessés. Il n’y a pas eu d’injures, ni à caractère raciste, ni à caractère sexiste, ni d’incitation à la haine raciale, ni rien du tout. C’est, véritablement, une intrigue en banaloïde transparent qui ne crépite même pas un peu quand on le manipule prestement.
Je résume en quelques mots : le 14 juillet dernier, vers 14 heures, au lieu de glander chez elle comme tout citoyen, elle va connement retirer de l’argent au distributeur automatique d’une banque de la place Saint-Jacques à Compiègne. Folie furieuse : un homme lui vole l’argent. Pétage de plomb total : elle le poursuit dans la rue. La musique rythmée avec des guitares funk se met en route. Elle demande de l’aide autour d’elle, alors qu’il y a plein de monde. Pensez-donc ! Compiègne, un 14 juillet à 14h, ce n’est pas les Champs-Elysées (hein, n’s'pas, comprenez) mais tout de même, il y a du monde.
Et là, personne ne moufte. Aucun homme vigoureusement musclé qui vient stopper le malfrat dans sa course. Aucune femme, solidaire de cette agression à l’évidence machiste, pour faire un croc-en-jambe à l’agresseur. Rien. Que dalle. Le voleur s’enfuit.
Horrible, non ?
Pour situer un peu, il faut comprendre que Laurence, c’est de la sénatrice qui a fait parler d’elle. C’est du lourd. C’est du gratiné.
En fait, non, j’exagère, franchement. Elle est à peu près aussi incolore, inodore et sans saveur que la petite histoire ci-dessus. Tout juste s’est-elle fait remarquer dernièrement en expliquant (sans rire) que les enfants n’appartiennent pas à leurs parents (et là, c’est assez juste) mais plutôt, à l’État (et là, c’est assez terrifiant). Ah, et aussi, pendant les débats sur le mariage homosexuel, elle s’ennuyait et … jouait donc en réseau.
Vous constaterez donc sans mal qu’on est, ici, dans le niveau de pathétique parfaitement standard pour un sénateur de la république française actuelle : médiocrité, idéologie, banalité.
Là où cela devient rigolo, c’est que la dame, outrée du peu de réactions de ses concitoyens, s’en est ouverte au Courrier Picard. L’article vaut la lecture (d’autant qu’il est plus court que mon billet). Et que déclare-t-elle, toute émue ?
« La première des protections est collective, c’est la solidarité. (…) Le premier problème de l’insécurité, c’est la lâcheté collective. »
Mais ici, je dis « Moui non pas tout à fait. »
Dans un cas normal où nous aurions eu à faire à une pointure politique, j’aurais sorti un ou deux lolcats idiots, un petit facepalm comme celui à gauche de ce paragraphe, ou un grand, éventuellement multiple. Mais là, comme Laurence, elle a l’air d’être sincère dans son atermoiement, qu’elle a l’air de franchement découvrir ce qui se passe vraiment en France, je vais simplement en venir, directement, au fait.
Dites, m’ame Rossignol, vous savez qu’il y a tout plein de caméras de surveillance, à Compiègne ? Et vous savez déjà qu’elles n’ont servi à rien. Dites, m’ame Rossignol, est-ce que, forte de cette expérience, vous allez inciter vos collègues de la Chambre haute et ceux de la basse à nous débarrasser de ces coûteuses nuisances ? J’en doute. Vous en réclamerez plus.
Dites, m’ame Rossignol, vous savez ce qu’il risque, le voleur, si on le chope ? Non ? En gros, voilà ce qui va se passer : il perdra trois heures à remplir des petits papiers au poste le plus proche. Vous aussi. Et si quelqu’un vous a aidé (appelons-le Roger), eh bien lui aussi devra se tartiner une séance avec les flics locaux. Il est possible, probable même, que le voleur soit d’ailleurs sorti du commissariat, libre, avant que vous n’en ayez fini de votre dépôt de plainte.
Bien sûr, en votre qualité de sénatrice, on supposera sans mal qu’il écopera d’un traitement de faveur qui l’embastillera très vite. Mais voilà : à votre grand dam, j’en suis sûr, vous n’avez pas eu le temps de brandir votre cocarde sénatoriale lors de votre mésaventure, et dès lors, Roger ne pouvait pas savoir qu’il aurait pu vous aider sans se taper une après-midi boulet & paperasserie.
Et puis, si Roger était intervenu et avait, par exemple, fait un croche-patte, comme vous le suggérez, le voleur aurait fait un vol plané. Il se serait peut-être pété les deux dents de devant. Vous auriez rattrapé le malandrin. Et il aurait porté plainte contre Roger. Il aurait probablement gagné. Roger, il n’a pas envie d’avoir des ennuis. Roger n’a pas engagé sa responsabilité pour un acte héroïque d’auto-défense qui tourne mal, et il est resté en terrasse à vous regarder courir.
Et puis, si Roger était intervenu et que le voleur l’avait planté avec un couteau ? On le sait : le sentiment d’insécurité est bien plus fort que l’insécurité elle-même, bisous et tout ça. Mais un sentiment de couteau dans le bide, cela fait des sentiments de problèmes hospitaliers gênants. Et Roger, il a probablement calculé qu’il avait autre chose à faire de son 14 juillet. Et puis, avec les maladies nosocomiales dans les hôpitaux, on n’est jamais trop prudent, hein, m’ame Rossignol.
Et puis, Roger est un boxeur. Roger, il se voit bien parant le coup de couteau, ou, même, le coup de poing nu du méchant voleur. Il voit aussi qu’il réplique, pif, paf. Et il voit le voleur qui tombe et se fracasse la tête contre un poteau. Roger, ce n’est pas un salfachisse. Il sait ce qu’il en coûte de tenter un petit méric à l’improviste. Alors Roger, 110 kilos et 20 ans de boxe dans les bras, il a regardé sa bière bien fraîche et vous, courant derrière le voleur.
C’est dur, la vie, hein, m’ame Rossignol ?
Mais que voulez-vous, c’est un peu votre faute, m’ame Rossignol.
L’État a bien fait comprendre à tout le monde qu’il était le seul à pouvoir utiliser de la force pour arrêter les méchants et les vilains. De fil en aiguille, les méchants et les vilains se sont d’ailleurs multipliés, tant en quantité qu’en qualité, depuis celui qui ose défier l’ordre établi avec des t-shirts corrosifs jusqu’à celui qui tente des bousculades au Trocadéro en passant par celui qui n’hésite pas à se servir de toute la puissance de ses lèvres pour émettre des opinions qui choquent violemment les petits chatons républicains. Devant cette multiplication, l’État, tout heureux de trouver là force prétextes pour accroître sa présence, a redoublé d’efforts, de lois et de règlements pour bien mater les renégats.
Gros souci de cette boulimie d’intervention : en augmentant le nombre de crimes et de délits qu’il entendait punir, le gros État joufflu a mécaniquement augmenté le nombre de victimes, réelles ou imaginaires, et, par voie de conséquence, diaboliquement accru le nombre de coupables réels ou supposés. Maintenant, grâce aux efforts conjugués des socialistes de gauche et des socialistes de droite, n’importe qui peut, potentiellement et très rapidement, devenir coupable. Y compris et surtout lorsqu’il intervient au milieu de scènes violentes. Personne ne veut devenir un Roger.
Et puis, rappelez-vous : l’État est là pour s’occuper de votre sécurité, à votre place, du téton au sapin. Pourquoi s’étonner que personne ne bouge ? M’ame Rossignol, plutôt que fustiger bêtement le manque de réaction de vos concitoyens qui ont, eux, bien compris comment fonctionne la société actuelle, pourquoi ne vous en prenez-vous pas à l’État pour son absence de réaction ?
Ou plutôt, m’ame Rossignol, pourquoi ne vous en prenez-vous pas à vous-même, puisqu’après tout, vous êtes, directement en tant que législateur et indirectement en tant que citoyenne et (honte !) socialiste, responsable de cette situation ? Ah oui, j’oubliais ! Comment demander que vous preniez vos responsabilités alors que tout a été fait pour que, précisément, elle s’évapore dans le grand tout collectif que vous appelez de vos vœux ?
Je vais vous dire, m’ame Rossignol : ce qui vous est arrivé est à la fois banal et doit vous servir de leçon. En France, grâce à vous et à tous vos collègues, on ne peut plus compter que sur soi-même.
« Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. » Bossuet