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Depuis 1969,
les réserves internationales, constituées essentiellement du
dollar américain, ont augmenté de plus de 2000%. En guise de
comparaison, de 1949 à 1969, soit l’ère de Bretton Woods où
l’or servait encore partiellement de monnaie, l’augmentation des
réserves internationales fut de 55%(1). Il n’est pas question ici
d’une augmentation de richesse depuis 1969, mais d’inflation
monétaire. Celle-ci, déjà élevée, est
presque toujours amplifiée par les pays détenant ces
réserves internationales. Ainsi, seulement au cours des années
90, pas moins d’une dizaine de pays d’envergure ont subi une
forte dévaluation de leur monnaie et un appauvrissement
conséquent: le Brésil, le Mexique, le Japon,
l’Indonésie, la Corée du Sud, la Malaisie, les
Philippines, la Russie, l’Argentine et la Turquie. À
l’exception du yen japonais qui, en 1995-6, a perdu 25% de sa valeur
par rapport au dollar, les dévaluations des autres monnaies ont
été de l’ordre de 40 à 100%. On pourrait faire le
même bilan pour les années 80.
Le dollar
américain a largement profité de ces crises internationales,
car l’investisseur étranger s’y réfugiait. Il
s’y réfugie encore aujourd’hui mais moins, car
l’euro se présente maintenant comme alternative. Cependant,
même si l’euro profiterait certainement d’une forte baisse
du dollar à court terme, il est peu probable qu’il viendra
à le remplacer, étant donné la réalité
politique qui le sous-tend(2). Par ailleurs, malgré que les
dirigeants de la banque centrale européenne aient pratiqué,
jusqu’à ce jour, une politique moins inflationniste que ceux de
la Réserve fédérale (Fed), on peut s'attendre à
ce qu'ils succombent à la tentation de dévaluer l’euro
face à une baisse soutenue du dollar américain. Les hommes de
l’État ont toujours eu cette étrange solidarité de
nous appauvrir également…
Le dollar se
déprécie depuis quelque temps relativement à nombre de
monnaies et puisque les investisseurs cherchent une monnaie stable
l’euro en profite tout comme l’or et l’argent
métallique. Cette tendance pourrait se poursuivre encore quelques
années tout comme elle pourrait dégénérer en
panique monstre. Une perte de confiance envers le dollar américain
aurait des répercussions mondiales. Le dollar baisse car il est sujet,
comme toutes les monnaies de papier, aux manipulations des hommes de
l’État. Il est impossible de prédire l’avenir;
néanmoins on peut porter un oeil vigilant
sur les facteurs ayant le plus de chance d’influencer le dollar.
L'investisseur asiatique
Le Japon et plus
généralement les pays asiatiques sont ceux qui possèdent
la plus grande quantité de dette américaine. Même si
celle-ci ne cesse d’augmenter, les Japonais et de plus en plus les
Chinois et les Coréens continuent de la financer. Considérant
qu’ils reçoivent toujours moins en retour, la question est de
savoir pourquoi ils agissent ainsi. La principale raison est que leurs
dirigeants croient qu’en finançant la dette américaine
ils maintiennent leurs exportations. Cela n’est pas faux, mais
c’est oublier que le prix à payer pour ce faire est plus grand
que les gains obtenus.
En investissant dans
les obligations américaines, les investisseurs japonais
achètent du même coup des dollars. À l’instar de la
Fed, le gouvernement japonais affaiblit le yen pour encourager les
exportations à bas prix. Cependant, si les exportateurs japonais sont
avantagés, c’est au détriment des importateurs, et rares
sont les entrepreneurs qui n’ont pas besoin d’exporter et d’importer
en même temps. Plus important encore, cette dévaluation du yen
n’enrichit d’aucune manière les consommateurs japonais qui
voient leur pouvoir d’achat diminuer.
En ce qui a trait aux
investisseurs chinois, le scénario est quelque peu différent,
car leur monnaie est ancrée au dollar américain. Leurs
exportations vers les États-Unis ont néanmoins augmenté
grâce à la libéralisation de l'économie et
à une expansion de l’entreprenariat, qui pourrait se poursuivre
plusieurs années. Néanmoins, tout n’est pas rose en Chine
en matière économique, car les dirigeants chinois créent
également de plus en plus de crédit. Ainsi, même si leurs
échanges sont florissants, leurs dettes le sont autant(3).
En somme, il est
difficile de concevoir que les investisseurs asiatiques se
précipiteront encore longtemps sur les obligations américaines.
D’ailleurs, au mois de janvier dernier, le ministre des Finances du
Japon, Sadakazu Tanigaki,
évoquait la possibilité d’échanger une partie des
dollars accumulés en or. Lorsque les Japonais seront suffisamment
nombreux à se diriger vers d’autres sources
d’investissement, le taux d’intérêt américain
augmentera, risquant ainsi un effet domino sur tous les marchés (de
change, obligataire, immobilier, boursier, etc.). Dans ce scénario, la
plupart des marchés chuteraient à l’exception des
ressources naturelles et des métaux précieux, qui serviraient
de refuges.
L’utilisation de
«politiques expansionnistes» est une injustice qui peut
être pardonnée au nom de l’ignorance, mais pas
lorsqu’on s’acharne en vain à les utiliser pour
«relancer» une économie mal en point. Habituellement,
lorsqu’on s’acharne sur quelque chose pour la changer sans
résultat apparent, ou bien on est dans l’erreur ou bien on est
criminel.
Le négociateur obligataire
Si l'investisseur
asiatique semble être l’homme à surveiller, le
négociateur d’obligations n’est pas en reste(4). Le marché de la dette est
beaucoup plus important que le marché boursier plus populaire, car il
est dominé par les gouvernements qui nous offrent des cadeaux
appelés à disparaître.
Les
négociateurs d’obligations (représentants institutionnels
ou bond traders) s’en donnent présentement à coeur joie grâce aux banques centrales qui leur
permettent d’emprunter des obligations à un taux historiquement
bas pour acheter d’autres obligations, de plus longue
échéance, à rendement plus élevé. Dans le
jargon financier on dit qu’ils empruntent «court» pour
acheter «long». Lorsqu’on achète beaucoup
d’une chose qui se trouve en quantité limitée, le prix de
celle-ci a tendance à monter et une obligation qui a un prix
élevé a également un taux bas.
Or, certains traders
pourraient être pris de court si les investisseurs asiatiques se
retirent du dollar américain. En effet, il n’est pas toujours
facile de conclure une transaction rapidement, de sorte que lorsqu'il y aura
un retrait massif du dollar, le taux long augmentera, entraînant
à sa suite les autres marchés. La Réserve
fédérale n’aura d’autre choix que de suivre. Ces
négociateurs ayant été échaudés il y a
quelques mois par les paroles non tenues de certains dirigeants de la Fed, on
peut présumer qu’une autre surprise les ferait réagir
plus vigoureusement.
Le fonctionnaire de la Réserve fédérale
Les fonctionnaires de
la Fed ne peuvent continuer indéfiniment leurs politiques expansionnistes
sans que les investisseurs étrangers exigent un rendement
supérieur pour le risque encouru. Ceux-ci financent approximativement
43% de la dette américaine et cela va en croissant depuis deux ans(5). Viendra un temps où ils iront
voir ailleurs. Dans le but d’éviter un retrait du dollar la Fed
pourrait envisager d’augmenter le taux court, mais cela risque de
conduire les traders à vendre leurs positions entraînant
ainsi les taux longs à augmenter plus rapidement que souhaité
par la Fed. En somme, la Fed ayant permis un endettement sans
précédent en facilitant l’emprunt comme jamais en 50 ans
risque maintenant d’en subir les conséquences. Une
réserve mondiale contrôlée par un seul pays est une
erreur monumentale et les risques de dérapage sont
nombreux.
Une augmentation trop
rapide du taux d’intérêt risque d’étouffer
l’économie mondiale, car la montée des différents
marchés est essentiellement due à un crédit bon marché
orchestré par la Fed. Bien sûr la Fed ne contrôle pas le
monde entier, mais jamais auparavant une institution n'a-t-elle eu autant
d’influence. Ses baisses du taux d’intérêt ont
été suivies presque partout, entraînant les gens à
consommer à crédit plutôt qu’à
épargner pour l’avenir. Pensez à ces milliers de
propriétaires hypothéqués jusqu’au cou lorsque
viendra le temps de renouveler leur prêt! Malgré treize baisses
consécutives du taux d’intérêt et une
quantité astronomique de crédit rendu disponible grâce
à ce taux réduit, la Fed n’obtient pas les
résultats qu’elle désire. Ses dirigeants savent
qu’il y a des effets pervers à leurs manipulations, mais ils
semblent se dire que tant qu’ils ne sont pas trop visibles, ça
va. Tout est caché et présenté dans un langage
ésotérique pour se donner un air de grandeur. Ce n’est
que prétention et ignorance. Si la Fed
augmente le taux court, les traders risquent d’augmenter le taux
long encore plus, et si elle réduisait encore le taux court, les
créanciers asiatiques risquent d’aller investir ailleurs.
D’un autre côté, ceux-ci pourraient chercher davantage
à diversifier leurs sources d’investissement malgré une
hausse du taux d’intérêt américain, car les
investissements déjà conclus perdraient de leur valeur relative.
Bref, les fonctionnaires de la Fed, à l’instar de leurs
semblables dans le monde qui les suivent comme des moutons, se retrouvent de
plus en plus coincés à leur propre jeu. Malheureusement,
c’est la population mondiale qui risque d'en payer le prix.
Partout dans le monde
les banques commerciales s'appuient sur des réserves fractionnaires,
ce qui leur permet de prêter plus d’argent qu’elles en ont
en réalité. Des taux bas sur une période
prolongée créent d’autant plus de crédit
porté à disparaître. C’est à qui en
créera le plus. Faut-il rappeler que les dévaluations
compétitives des monnaies ont souvent été des
préludes aux guerres?
La majorité des
économistes ne nous sont plus d’aucun secours, car ils sont
endoctrinés à une seule école de pensée:
l’étatisme. Ainsi, des économistes réputés
conservateurs ne cessent de nous répéter que
l’économie devrait bien se porter grâce aux politiques
expansionnistes de l’État, jamais remises en question. Ils se
fient également à des mesures inadéquates pour nous dire
que tout va bien. Pour eux, un PIB élevé est un signe de
«santé économique», mais le PIB ne mesure pas
vraiment la richesse, plutôt la quantité d’argent produite.
De même, en se fiant à l’indice des prix à la
consommation ils nous disent qu’on n’a pas à se soucier de
l’inflation, mais ils prennent soin d’exclure les biens dont les
prix sont volatils. Non seulement prennent-ils les effets pour la cause, mais
ils ne considèrent que ceux qui font leur affaire.
En somme, les
économistes populaires, autant du public que du privé, ont
tendance à déformer la réalité pour la rendre
conforme à leurs modèles dont ils ne veulent pas se
débarrasser de peur de perdre leur statut de scientifiques. Or ceux
qui agissent ainsi l’ont déjà perdu. Pis encore, en
tentant de sauvegarder des méthodes dépassées ils
laissent aux politiciens le champs libre pour détruire
l’économie. En effet, le Léviathan ne cesse de
créer de la dette et de réduire le pouvoir d’achat de la
monnaie avec l’approbation ou, à tout le moins, le silence des
économistes et autres analystes financiers.
Les rares critiques
qui osent présenter une alternative crédible le font souvent
à leurs risques et périls tellement l’endoctrinement est
grand. Lorsqu’on propose un retour à une monnaie
métallique, moins sujette à l’inflation des hommes de
l’État, on passe pour un réactionnaire avec une analyse
dépassée. De même, lorsqu’on ose dire que les soins
de santé, l’éducation et les régimes de retraite seraient
fournis plus efficacement par le secteur privé on se fait traiter de
tous les noms. Il faudra bien se rendre à l’évidence, les
hommes de l’État manipulent la vérité et offrent
ces services en taxant toujours davantage ou, pis encore, en créant de
la fausse monnaie. Les gouvernements n’arriveront jamais à
être efficaces, car ils taxent et subventionnent plutôt que de
laisser «parler» les prix. Ce n’est pas tant une question
de compétence que de moyens utilisés.
Plutôt que de
réduire leur rôle en admettant qu’ils ne peuvent
contrôler une économie, ils tentent de la contrôler
davantage en prétextant qu’ils l’avaient mal
planifiés. Or cette prétention de pouvoir planifier
l’action humaine est la source de tous les maux, car elle n’est pas
planifiable. Il y a coopération et création de richesse
lorsqu’une économie est libre, conflit et appauvrissement
lorsqu’elle est contrôlée et planifiée.
L’économie possède déjà ses propres
contrôles de sorte qu’elle n’a nul besoin de contrôle
additionnel, nommément politique.
La montée de l'or
L’économie se suffit à elle-même dans tous les
domaines y compris le monétaire. L’or et l’argent
métallique ont de tout temps servis de monnaies. Moins
l’État intervenait dans les questions monétaires, plus
les populations étaient prospères et vice versa(6). Au cours des dernières
années le prix de l’or ne semble avoir augmenté
qu’en rapport au dollar, mais en réalité il n’a
cessé d’augmenter relativement aux autres monnaies depuis les
années 70. Depuis trois ans, la montée de la valeur de
l’or exprimée en dollar n’est que plus prononcée
par rapport aux autres monnaies, mais toutes les monnaies fiduciaires
pourraient baisser si les gouvernements ne cessent de les dévaluer
à tour de rôle. Bien que la tendance actuelle soit
baissière, il est probable que le dollar reprenne de la vigueur
relativement aux autres monnaies. L’important est de se rappeler que
cette vigueur n’est que relative, car toutes les monnaies de papier
perdent de leur valeur relativement à l’or et l’argent
métallique. Le système monétaire à taux variable
est un système injuste qui est porté à disparaître
et le plus tôt sera le mieux.
Le dollar, comme
toutes les monnaies fiduciaires, ne tient qu’à la confiance que
les gens lui accordent. Une perte de confiance dans le dollar
américain pourrait dégénérer en une crise sans
précédent étant donné la quantité
astronomique de monnaie fiduciaire à l’heure actuelle dans le
monde. Rappelons que cette monnaie, ce crédit, a pour corollaire une
dette tout aussi impressionnante qui risque d’être
dévaluée par les gouvernements. Vous dévaluez une dette
en créant de la monnaie à la tonne. Ce faisant, vous risquez
également de perdre cette monnaie comme un ballon trop gonflé
qui vous éclate au visage.
Il y a trop
d’acteurs dans le monde pour qu'on puisse prédire
l’avenir, mais étant donné les manipulations sans
précédent de la monnaie par les gouvernements, il est à
conseiller d’être prudent. L’or et l’argent
métallique sont donc recommandés dans un portefeuille, car ils
constituent une assurance contre ces manipulations. Lorsque les gens réaliseront
qu’ils ne peuvent faire confiance à l’État pour
gérer la monnaie ou quoi que ce soit d’autre, seuls les
métaux précieux ayant déjà servis de monnaies
maintiendront leur valeur. Il en est ainsi car une monnaie métallique
est moins sujette aux manipulations des hommes de
l’État.
À l’heure
actuelle, l’or et l’argent métallique ne sont pas des
monnaies, mais ils se transigent comme s’ils en étaient, car ils
constituent les meilleurs candidats potentiels. Leur utilisation industrielle
en qualité de métaux leur confère un prix plancher qui
n’existe pas avec une monnaie fiduciaire. Si l'on considère leur
quantité limitée et la demande accrue qui suivra une fuite du
dollar, on peut envisager que la hausse de leur prix va
s’accélérer.
La confiance envers
une monnaie est un sentiment qui se perd très rapidement. Un pays
d’envergure qui décide d’utiliser l’or comme monnaie
pourrait avoir un effet domino partout dans le monde. Lorsque les gens
commenceront à avoir peur de perdre leur pouvoir d’achat ils
fuiront toutes les monnaies de papier pour se réfugier dans les biens
tangibles dont l’or et l’argent de métal. Il ne sert
à rien de combattre cette tendance naturelle, d’autant moins
qu’une monnaie métallique est le moyen le plus juste
d’échanger et de s’enrichir. Au contraire, forcer les gens
à transiger avec une monnaie fiduciaire n’amène
qu’incertitude, privilèges, appauvrissement et chaos. Ainsi,
plus tôt on reviendra à une monnaie métallique, plus
tôt on pourra se consacrer à produire une richesse
durable.
1. Dans son
article «Asia, its
reserves and the coming
dollar crisis
» (FinanceAsia.com, 21 mai 2003), Richard Duncan fait
mention d’une augmentation de 2000%, mais les chiffres dont il se
sert sont vieux de trois ans. Depuis, non seulement la tendance n’a
pas changée, mais elle s’est
accélérée. |
2. En disant les choses
ainsi, je reprends à mon compte les grandes lignes de
l’article «The
US dollar and the gold price» de
Paul van Eden (Kitco.com, 23 janvier 2004). Il s’agit
d’une comparaison entre le prix de l’or en dollar et l’or
exprimé par un ensemble de 28 monnaies. Van Eeden
spécule également en tentant de prévoir où
s’en va le dollar. Très bon!
|
3. Dans l'article «Boomtown
China: Opportunity and Crisis» (Mises.org, 28
janvier 2004), Grant M. Nülle nous rappelle
que malgré une libéralisation des échanges commerciaux
de la Chine avec le reste du monde, à l’instar de nos
social-démocraties, ce pays «imprime» de la monnaie et
s’endette à un rythme fou.
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4. Il y a également
un marché d’échange de taux d’intérêt
(Interest Rate SWAP Market).
Il s’agit d’un produit dérivé des obligations qui
a pris beaucoup d’ampleur depuis une quinzaine d’années.
Ce marché offre aux entreprises un plus grand éventail de
financement, mais puisqu’il est moins liquide que le marché obligataire
il est plus difficile de renverser ses positions. De sorte qu’une
variation soudaine du taux d’intérêt aurait
potentiellement de graves conséquences.
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5. À voir l'article
«The
Mistakes Of Our Grandparents?»
(ContraryInvestor.com, février 2004) si ce n’est que
pour le graphique qui vous laisse bouche-bée.
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6. Murray N. Rothbard l’illustre abondamment dans A History
of Money and Banking in the United States.
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André Dorais
André Dorais a
étudié en philosophie et en finance et vit à
Montréal. Essai originellement publié par Le Québecois Libre
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