La guerre des changes semble
déclarée. Le postulat de départ de ses défenseurs :
une monnaie forte nuirait à l’économie, et une relance de
cette dernière passerait inévitablement par une
dévaluation. Si cette thèse ne fait pas
l’unanimité, elle semble communément admise et de
nombreux gouvernements semblent vouloir s’engager dans cette voie.
Cette opinion est en tout cas largement
partagée en France parmi les partis politiques. Pour le Front
National, « le taux de change de l’euro est beaucoup
trop élevé pour la France, accélérant les
délocalisations et la désindustrialisation de notre
pays ». Le Parti de gauche veut s’attaquer
à l’euro fort, qu’il appelle «euro Merkel».
Cette opinion est également partagée
au sommet
de l’État et par plusieurs membres du gouvernement.
Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, pour qui « l'euro
est trop haut par rapport à ce que l'économie
européenne, pas seulement française, est en droit d'attendre »,
est (pour une fois) sur la même longueur d’onde que Pierre
Moscovici, ministre de l’économie et des finances, qui s'inquiète
que l’euro soit « fort, peut-être trop fort ».
Seul l’UMP n’en fait pas le bouc émissaire des malheurs de
la France, mais elle reste muette sur ce sujet.
Les critiques sont d’autant plus
importantes que la zone euro semble parmi les moins actives dans cette
guerre. La banque HSBC a ainsi évalué
le degré de participation à cette guerre des changes :
On le voit, dans tous les pays
étudiés la guerre s’est intensifiée, et il
apparaît que, malgré une plus grande activité qu’en
février 2012, la zone euro reste ‘à la
traîne’ (si l’on considère qu’être
très actif dans ce domaine est une bonne chose).
La question du niveau de l’euro par rapport
aux autres monnaies est légitime, mais il est difficile de savoir s’il
y a surévaluation, et si oui de combien. On peut tout de même
formuler quelques remarques et apporter des éléments de
réflexion.
Tout d’abord, le commerce de la zone euro
ne semble pas affecté puisqu’elle dégage un
excédent commercial assez conséquent
(81,8 milliards d’euros en 2012).
Au mois de mars 2013, l’excédent
atteignait même son niveau record
avec 22,9 milliards d’euros, pour atteindre 14,1 puis 15,2 milliards
d’euros les deux mois suivants.
Il est vrai que ce chiffre agrégé cache de grandes
disparités, notamment entre les forts excédents allemands et
les importants déficits français.
Le déficit de la balance commerciale
française atteint
63,3 milliards d’euros sur les 12 derniers mois, mais quand on regarde
le solde avec nos principaux partenaires commerciaux, il semble difficile
d’incriminer l’euro :
On observe que parmi les sources de
déficits de la balance commerciale se trouvent de nombreux producteurs
d’énergie. Cette impression est confirmée quand on
regarde le détail des déficits par produit :
Les hydrocarbures naturels et les produits
pétroliers représentent un déficit cumulé de
presque 70 milliards d’euros. Il y a nécessité
d’importer ces matières premières, capitales pour nos
économies, donc si l’euro devenait plus faible, la facture
énergétique serait d’autant plus élevée et
pénaliserait les citoyens comme de nombreuses entreprises.
Regardons l’évolution du taux de
change de l’euro depuis son lancement (en janvier 1999) par rapport
à plusieurs monnaies parmi les plus importantes : le dollar
américain, le franc suisse, la livre sterling, le yen et le renminbi :
Une
base 100 est indiquée en janvier 1999. Un niveau supérieur
à 100 s’interprète comme une appréciation de la
monnaie par rapport à l’euro.
On voit que les devises suisses et japonaises se
sont fortement appréciées, ce qui a entraîné un
certain interventionnisme. La Banque nationale Suisse (BNS) avait établi
en septembre 2011 un seuil de 1,20 CHF/€ au-delà duquel sa
monnaie ne serait pas autorisée à se déprécier.
Mais le prix à payer fut lourd. La BNS a ainsi du
acheter
près de 200 milliards d’euros en obligations d’États
(principalement françaises et allemandes). Son bilan atteint
désormais plus de deux-tiers du PIB de la Suisse (400 Mds CHF contre
580 Mds CHF). Comme déjà évoqué,
l’interventionnisme de la Banque du Japon (BoJ)
est également important et son mandat est même étendu
depuis l’élection de Shinzo Abe (achat
d’obligations souveraines, taux maintenus artificiellement bas, objectifs
d’inflation relevés…). Les résultats sont
d’ailleurs spectaculaires puisque, depuis moins d’un an, le yen
s’est déprécié par rapport à l’euro
de plus d’un quart de sa valeur.
On note que le plus important pays
excédentaire par rapport à la France, c’est-à-dire
la Chine, a vu sa devise s’apprécier par rapport à
l’euro. La plus forte dépréciation est constatée
pour la livre sterling, alors c’est avec le Royaume-Uni que le plus
gros excédent commercial est dégagé.
L’euro faible semble donc être une
solution illusoire. Les importations seraient renchéries, ce qui diminuerait
encore le pouvoir d’achat. Les exportations seraient certes
favorisées, mais le niveau du taux de change ne semble pas
déterminant pour la balance commerciale. De plus, les banques
centrales qui se sont engagées dans cette guerre des devises ont
gravement alourdi leurs bilans. Ce qui compte pour les investisseurs, c’est
sans doute plus la stabilité d’une monnaie que son niveau absolu.
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