Grosse grosse promotion pour le cancre des réformes Devaquet : lui qui défilait jadis en se battant pour garantir une université sans sélection, sans compétition, ni trop sucrée, ni trop salée, le voilà maintenant à cornaquer le Mammouth qu’il combattait. Bien plus facile à dire qu’à faire d’autant que les marges de manœuvres, déjà pas bien larges lorsqu’il battait le pavé en 1986, se sont encore considérablement réduites.
C’est Le Monde, organe flaccide et officiel du gouvernement, qui nous explique toute la morosité de la situation dans laquelle va devoir évoluer le petit Benoît. En effet, le nouveau stagiaire de la rue de Grenelle est confronté à un choix plus que délicat : d’un côté, il ne peut décemment pas marquer de rupture trop franche avec la politique qu’avait mené Peillon, son prédécesseur, et risque de froisser son fan club, cette frange mousseuse et réactive des réformistes et autres progressistes endiablés qui ont de grands projets pour nos petites têtes blondes. De l’autre, il a tout intérêt à faire comprendre qu’il n’y a pas besoin de se précipiter pour appliquer les rythmes scolaires et les peillonades qui, à bien y réfléchir, enquiquinent aussi une part importante tant des enseignants que des parents d’élèves. Tout ceci n’est pas simple.
C’est même, à vrai dire, de la fine dentelle pour un type qui n’a jamais exercé la moindre responsabilité d’importance et dont le précédent ministère n’a laissé absolument aucune trace dans l’inconscient et le conscient collectif. Seuls quelques commentateurs de la vie politique française sont capables de se rappeler ce qu’il fabricolait à l’Économie Solidaire, ce ministère dont l’intitulé fleurait bon la blague du même tonneau que celui d’Arnaud Montebourg. Autrement dit, tout comme pour le ministre du Redressement Productif qui s’est essentiellement contenté de faire frétiller sa crinière dans les vents médiatiques et se sera retrouvé propulsé, pour le remercier de sa nullité servile, à la tête du ministère le plus décisif de ce quinquennat à la période la plus délicate, Hamon aura réussi ce tour de force douteux de n’avoir à peu près rien fait de bon à son ministère-croupion et se retrouve maintenant à la tête d’un véritable état dans l’État, au budget gargantuesque et aux luttes intestines dévastatrices. La encore, on supposera que c’est en gratification de son comportement général et non pour ses résultats transparents.
Il faut, véritablement, avoir la foi pour croire que notre gentil Benoît va tenter la moindre chose un peu périlleuse. S’il a une once de lucidité, il se contentera de pousser les affaires courantes en retenant l’ensemble de ses sphincters pour éviter le moindre chuintement inapproprié.
Malgré tout, cette immobilité est un pari osé sur l’égo mesuré, l’intelligence politique et l’instinct de préservation de Benoît Hamon…
Un autre, moins risqué, consiste à imaginer le locataire du Ministère en train de ménager la chèvre et le chou, pour faire avancer quelques petits dossiers histoire de dire « J’y étais » dans les réunions de familles, dans 20 ans, quand tout le monde aura oublié son nom, son travail et sa bobine en dehors du cercle familial. Partant, Hamon va donc probablement se retrouver à devoir appliquer la réforme Peillon, malgré tout, vaille que vaille, petit à petit.
Et c’est là que les choses vont devenir intéressantes.
Tout d’abord, l’application de cette réforme impose, de façon plus ou moins indirecte, des frais parfois significatifs pour les communes qui réclament donc des défraiements de la part de l’État. Ainsi, le coût des trois heures d’ateliers périscolaires (poterie, pâte-à-modeler, macramé, arts culinaires et autres bricolages citoyens) est partiellement compensé par un « fonds d’amorçage » versé par l’État (à hauteur de 370 millions d’euros en 2014, souriez, vous payez) et les aides des caisses d’allocations familiales (50 euros par enfant environ, souriez, c’est encore vous qui payez). Alors que Valls et Laurel & Hardy Montebourg & Sapin cherchent désespérément 50 milliards à économiser (enfin, 16 pour 2014), ces petites dépenses discrètes sont les bienvenues, ne trouvez-vous pas ?
Ensuite, il faudra bien tenir compte de ces communes qui sont, définitivement, trop pauvres ou trop têtues pour appliquer la réforme. Bricolage et procrastination, Hamon devra donc aménager des dérogations et aménager des délais, sachant qu’il y en a déjà eu fin 2012 alors que la grogne des maires se faisait lourdement sentir. Là encore, on se demande comment tout ceci ne va pas simplement rendre le message gouvernemental encore plus confus : d’un côté, il faut cette réforme, de l’autre, pas trop vite, et surtout, pas pour tout le monde, attendez, on va trouver à s’arranger, et puis zut.
Non, décidément, placer le petit Benoît à cette place-là sent un peu l’erreur de casting, ou, disons, l’absence de choix. Toutes proportions gardées, Hamon à l’Education Nationale, c’est un peu comme le garagiste de Trifouilly qui débarque en bleu de travail dans un rallye de Neuilly sur Seine ou de Paris XVIème, sur un gros malentendu. Forcément, ça détone.
Pourtant, la solution qui ravirait plus d’un maire, plus d’un directeur d’établissement, et certainement plus d’un parent d’élève, est connue. Elle est appliquée dans d’autres pays, et permet une excellente adaptation aux besoins du marché de l’emploi de l’instruction dispensée aux élèves. Cette solution, c’est l’autonomie maximale des établissements : dans leurs horaires, dans leurs programmes, dans leurs recrutements et dans l’organisation de leurs cursus. C’est, finalement, la fin du collège unique qui aura tué l’éducation en France en la baignant dans un premier bain de formol centralisateur, avant de la plonger dans un second bain de normes toujours plus strictes et d’objectifs toujours plus mouvants.
Entre la carte scolaire (toujours d’application malgré les dénégations ridicules de syndicats et de l’appareil administratif), la méthode globale (toujours d’application malgré les dénégations têtues de certains enseignants, des académies et des pédagogos), le collège unique, la culture de l’excuse, le combat permanent contre la professionnalisation des enseignements, le biais anti-capitaliste consternant des manuels, il est particulièrement symptomatique que le précédent minustre ait choisi la réforme des horaires (que personne ne demandait) pour laisser une marque (grasse, colorée et fétide) dans l’histoire : c’est, véritablement, une loi subtile d’emmerdement maximal et d’efficacité minimale qui a été appliquée.
Dès lors, devant l’ampleur des réformes possibles, des tâches à mener et des plaies à refermer, et devant la veulerie dont font preuve les ministres qui se sont succédé à ce poste, ne comptez surtout pas sur Hamon pour changer quoi que ce soit.
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