«
Y penser toujours, en parler jamais », la formule est usée, mais
elle peut encore servir. De quoi s’agit-il cette fois-ci, si ce
n’est de l’intervention de la BCE, attendue comme le Messie ?
Il
y a des signes qui ne trompent pas, des accalmies boursières qui
reposent sur une déclaration, ou bien une attente qui se manifeste par
de tout petits riens. Aux anticipations de Mario Draghi,
le président de la BCE, qui annonçait en fin de semaine
dernière dans Le Monde qu’il n’avait pas de tabou ; ou
bien à l’entretien accordé à Bloomberg qui a
permis à Ewald Nowotny, membre du conseil
des gouverneurs de la BCE et gouverneur de la banque centrale autrichienne,
de glisser qu’il y a « des arguments favorables » à
ce que le MES se voit octroyé une licence bancaire lui permettant
d’emprunter auprès de la banque centrale européenne. On
se raccroche à ce qu’on peut.
Les
autorités européennes n’étant plus créditées
de cette confiance indispensable au bon fonctionnement de
l’activité financière – on se demande bien pourquoi
– tous les regards sont tournés vers Francfort, où
siège la BCE. Ils louchent d’ailleurs, car il est des attentes
qui ne peuvent être avouées pour ne froisser personne. Comme il
ne pouvait être « exigé » dans un communiqué
commun des Espagnols, des Italiens et des Français d’appliquer
sans attendre les décisions du dernier sommet, un souhait que
n’a pourtant pas manqué de rappeler François Hollande en
conseil des ministres, alors que le communiqué espagnol a lui
été immédiatement démenti et retiré. Le
blocage allemand n’est d’ailleurs pas la seule source de ce vent
qui se lève, il exprime une impuissance devenue à force
manifeste.
Mettant
les pieds dans le plat, Didier Reynders, le ministre belge des affaires
étrangères, vient de se déclarer favorable à
l’évolution de la mission statutaire de la BCE, afin
qu’elle puisse acheter de la dette souveraine à l’instar
de la Fed ou de la Banque d’Angleterre.
La
pression envers la BCE aurait aussi pu se manifester en faveur d’un
nouveau round de LTRO (Long Term Refinancing Operation –
opération de refinancement à long terme), sauf que cela se
heurte à de basses considérations. Les banques font face
à une pénurie de collatéraux à apporter en
garantie de leurs emprunts, en dépit des assouplissements qui leur
sont offerts. Elles craignent également les réactions des
investisseurs, qu’elles courtisent afin de renforcer leurs fonds
propres, qui ne voient pas d’un bon œil
l’éventualité d’être relégués
derrière les banques centrales qui deviendraient de plus en plus
prioritaires pour les remboursements en cas de pépin.
La
BCE réfléchit à un nouvel assouplissement de ses
critères et règles d’acceptation des collatéraux,
mais les milieux bancaires préfèrent privilégier un
autre canal de financement, puisqu’au bout du compte cela revient au
même, et souhaitent que les États soient dorénavant les
destinataires initiaux des largesses de la BCE. D’où, pour
amorcer la pompe, l’idée de cette licence bancaire
attribuée au MES, qui initierait le circuit adéquat. Un premier
pas serait accompli en permettant au FESF d’acheter de la dette
espagnole et italienne, en attendant.
Signe
que les temps sont difficiles aussi pour les banques, la
Fédération allemande du crédit – qui regroupe les
banques privées, publiques et mutualistes – vient de demander le
report d’un an de la réglementation de Bâle III, au 1er
janvier 2014. Bien qu’il semble d’ores et déjà
acquis que des assouplissements vont intervenir sur le dossier sensible de la
définition du ratio de liquidités, certaines actions pourraient
selon le Wall Street Journal, être prises en compte.
Cette
attente d’un miracle n’est pas propre à la zone euro. La
Banque d’Angleterre a fini par se lancer dans une opération sur
laquelle les Américains louchent – eux aussi – dans
l’espoir que la Fed s’en inspire. L’idée est
d’encadrer les prêts aux banques afin d’obtenir
qu’ils bénéficient autant que possible à
l’économie, ce que la BCE n’a pas obtenu et a finalement
dû admettre, dissimulant son désappointement derrière la
justification qu’elle ne peut rien faire si la demande de crédit
n’est pas là… Quelle prescience !
Une
entrée en scène de la BCE arrangerait donc tout le monde,
à condition qu’elle n’intervienne pas trop tard. Toutes
les bonnes volontés sont les bienvenues, d’autant que celle du
FMI n’est plus garantie comme avant. Le gouvernement espagnol doit
revenir sur le marché, le taux de sa dette à cinq ans
dépassant celui de celle à dix, un très mauvais signe.
Il lui reste encore 27 milliards d’euros à trouver d’ici
la fin de l’année, sans tenir compte des besoins de financement
des régions et d’un déficit qui sera plus important que
prévu. Cela pourrait se conclure par un besoin de financement de
l’ordre de 50 milliards d’euros.
Le
calendrier est très serré, si l’on veut que le MES soit
opérationnel à temps afin de financer un plan de sauvetage
de l’Espagne. Pour la suite, une licence bancaire accordée au
MES lui permettrait de voir venir : c’est ainsi que les choses se
combinent. Solution de repli, Laurent Fabius, le ministre français des
affaires étrangères, a soulevé la question d’une
augmentation du plafond des émissions obligataires que le MES va
être autorisé à effectuer. Déjà,
l’étape suivante et l’Italie semblent occuper les esprits.
Mais
un bouchon doit sauter pour éviter que la zone euro explose. Si ce
n’est pas le bouchon…
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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