Le
simple énoncé de l’exposition des banques allemandes et
françaises à la dette italienne suffit pour toute
démonstration : un défaut intervenant sur cette dette
serait très grave pour le système financier européen et
mondial. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI),
l’exposition des banques françaises est de 280 milliards
d’euros en chiffres arrondis, toutes dettes confondues, dont 30
milliards pour les banques et 70 milliards pour le secteur public. Celle des
banques allemandes est de 160 milliards d’euros (36 milliards pour les
banques et autant pour le secteur public).
Au delà de la dimension nouvelle du
problème que créerait l’entrée de l’Italie
dans la zone des tempêtes, voilà qui met clairement en
évidence le mécanisme de ce deuxième acte de la
crise : point d’appui privilégié de la finance, la
dette publique n’est plus ce qu’elle était. Si elle
s’effrite, le système s’affaisse et risque ensuite de
s’effondrer.
Afin
de bloquer l’élargissement de la zone des tempêtes
à l’Italie et à l’Espagne, il est donc prévu
d’accélérer le transfert aux États de la dette des
pays les plus fragiles, espérant ainsi consolider l’ensemble. En
réalité, cela le fragilise et revient à faire reposer
sur un nombre de pays plus restreint une charge de plus en plus lourde.
Contribuant à propager le processus qui accroît les risques sur
le marché obligataire en général, trompé par la
qualité des meilleurs émetteurs qui résulte également
du report des investisseurs délaissant les autres trop risqués.
Ces
investisseurs devraient lire avec attention le dernier rapport annuel du FMI,
et en particulier la partie consacrée à l’Allemagne.
« L’Allemagne n’est pas une locomotive
économique pour l’Europe », y est-il écrit,
« ses perspectives de croissance à long terme restent
faibles et majoritairement dépendantes de ses
exportations ». A moyen terme, le rapport considère que
l’Allemagne dépassera difficilement, sur sa lancée
actuelle, un taux de croissance de l’ordre de 1 à 1,25 %. On
sait aussi que si les exportations allemandes ont progressé en
direction des pays émergents, la Chine n’est que le
septième client allemand par rang d’importance, loin
derrière la France, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, l’Italie
et l’Autriche. L’attachement du gouvernement allemand à la
zone euro n’est pas chose feinte.
Si
les États sont en fâcheuse posture, les banques ne sont pas
aussi florissantes qu’elles veulent le faire croire. Les stress tests
des banques européennes, dont les résultats doivent être
publiés vendredi prochain par l’EBA (European
Banking Authority), vont
à nouveau être un thermomètre mal étalonné.
Il a été exclu des risques mesurés ceux qui portent sur
la dette souveraine, pour ne s’en tenir qu’à la seule
divulgation de leur exposition, ce qui est proprement risible dans le
contexte actuel. Sans compter ce subterfuge comptable grossier qui ne prend
en compte pour toute dévalorisation que les titres classés dans
le trading book, alors qu’ils
sont pour l’essentiel comptabilisés dans le banking
book, c’est à dire destinés à être
conservés jusqu’à leur maturité.
Quoiqu’il
en soit, les ministres européens n’ont pas été
longs à se décider hier, contrairement à leur lenteur
sur d’autres sujets, pour s’engager à soutenir les banques
qui malgré tout échoueraient aux tests, selon « des
mesures appropriées » ont-ils précisé, pour
ne pas dire les mots qui fâchent.
Dans
son éditorial, le Financial Times a adopté le ton mesuré
du genre et présenté un jugement balancé sur ces tests,
voulant y voir un progrès par rapport aux précédents, en
dépit de leurs manques. Mais sa dernière phrase
témoignait d’une étroite approche du sujet, voulant voir
dans cette seconde occasion « la meilleure chance pour
l’Europe de séparer les brebis malades du troupeau dans le
secteur bancaire. » C’est ne pas reconnaître que tout
le troupeau est à un degré ou à un autre malade !
Les
banques allemandes en sont davantage conscientes, qui viennent de tenter une
nouvelle fois d’éviter la publication détaillée
des résultats des tests. ZDA, le lobby des banques, a adressé
à ce propos un courrier au régulateur européen,
l’EBA. Cette divulgation pourrait en effet, selon lui, rien moins
qu’à la fois exacerber la charge de la dette souveraine, violer
la confidentialité des affaires et exposer les banques à des
risques juridiques.
En
réalité, les banques sont en conflit avec l’EBA à
propos de la prise en compte des titres hybrides dans la nomenclature des
fonds propres durs, et craignent que la simple mise à jour de
leur exposition à la dette souveraine, par pays et selon les
maturités, leur soit préjudiciable en raison de leur faiblesse
intrinsèque.
Comme
quoi, les valeurs refuge ne sont plus ce qu’elles étaient et le
système financier allemand, après avoir sauté à
pieds joints dans les actifs hypothécaires pourris américains,
n’est pas pour autant tiré d’affaire en raison de la crise
générale de la dette publique qui s’annonce.
Le
Comité sur les risques financiers de la BRI vient de rendre public une
nouvelle étude, dans le cadre de laquelle il estime que, comme
précédemment cité, « La hausse du niveau
d’endettement de certains États a d’ores et
déjà conduit à ce que les obligations
d’État de ces pays perdent leur statut d’investissement
sans risque et d’autres pays risquent d’être
affectés par cette tendance. » Remarquant que les banques
sortiraient affaiblies d’une restructuration de la dette publique et
surtout que leur financement deviendrait plus coûteux.
Alors
qu’elles tentent de diminuer et d’étaler le plus possible
dans le temps les nouvelles contraintes auxquelles elles vont être
assujetties, une fois passées par le moule de la régulation
européenne dont elles attendent beaucoup pour les réduire, les
banques doivent donc faire face au renchérissement du coût de
leurs fonds propres ou assimilés. Résignées à
voir leur rendement diminuer, elles tentent de limiter les
dégâts.
Cette
situation n’est bien entendu pas propre aux banques allemandes. Lorenzo
Bini Smaghi, membre du directoire de la BCE,
évoquait hier celle des banques italiennes pour reconnaître
qu’elles ont « une capitalisation basse par rapport à
leurs concurrentes étrangères ». Constatant que
« sur les marchés, la crise des dettes souveraines
s’est étendue aux titres bancaires », pour admettre
qu’il y a en Italie « une forte corrélation entre risque
souverain et risque bancaire, en raison du caractère
élevé de la dette publique [italienne] et parce que les banques
détiennent une quantité importante de titres
souverains ». Il en tirait comme conclusion que « le
processus de recapitalisation des banques devait être
accéléré ». Mais comment ? Voilà
une bonne question à laquelle il n’a pas répondu.
La
fragilité de la dette publique, ainsi que ses conséquences sur
la solidité des banques privées, ainsi que sur leur
rentabilité, n’est pas un phénomène
européen. Les États-Unis sont en situation de prendre le
relais, en grand comme ils savent si bien le faire. Si le marché
obligataire devait y trembler, vers quoi et qui se réfugieraient les
investisseurs qui le soutiennent faute de mieux ?
Dans
l’immédiat, les chiffres du mois de mai pour le commerce
extérieur américain montrent que son déficit augmente,
les exportations diminuant et la facture pétrolière augmentant.
De toutes les manières disponibles pour décrire la dette
américaine, peut-être la plus explicite consiste à
remarquer qu’elle a cru au 1er trimestre de cette
année environ six fois plus vite que le PIB. Quel que soit
l’accord à l’arraché qui pourrait être
trouvé à propos du déplafonnement de la dette, si
c’est le cas, le tour du sujet aura été loin
d’être fait. Pour être possible à grande
échelle et rapidement, le désendettement,
l’expérience l’a montré, doit s’appuyer sur
une forte croissance et une dévaluation monétaire. La Fed et le
Trésor font ce qu’il faut pour que le dollar reste faible, mais
ils ne peuvent visiblement rien pour doper les exportations, alors que la
consommation intérieure est inévitablement en berne.
Les
discussions à propos du relèvement du plafond de la dette ne
s’annoncent pas sous les meilleurs augures, si l’on en croit le
président de la minorité républicaine du Sénat,
Mitch McConnell, qui vient de déclarer : « J’ai peu
de doutes sur le fait que tant que ce président est dans le bureau
Ovale, une solution est impossible ». De fait, tant la dynamique
dans laquelle les républicains se sont engagés
que la détermination de nombre d’entre eux à tout faire
pour que Barack Obama chute laissent planer une grande incertitude sur la
suite des événements dans les tous prochains jours.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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