Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Tout à leur souci de désamorcer une crise qui continue de leur
glisser des mains, les dirigeants européens viennent de prendre le
risque de faire monter les enchères à l’occasion de leur
sommet du 17 juin.
N’ayant
rien d’autre de tangible à proposer – une fois de plus
dans l’urgence, et cette fois-ci en raison de la situation espagnole
– ils se sont finalement résolus à décider de
rendre public les stress tests des banques. Une suggestion
qu’était pourtant venu leur faire en urgence il y a plusieurs
semaines Tim Geithner, secrétaire
d’Etat au Trésor américain, qui en avait
déjà utilisé aux Etats-Unis la recette. Mais jusque
là sans avoir été entendu.
Ce
geste contraint, salué par tous les commentateurs qui en venaient
à désespérer d’eux, vaut certes reconnaissance que
la situation des banques est au centre des inquiétudes des
marchés, ce qui prend les dirigeants européens à
revers d’une stratégie de communication toute entière
axée sur les déficits publics et
l’austérité. Mais va-t-il être pour autant
suffisant pour calmer la situation ? Depuis des mois déjà,
les chefs d’Etat et de gouvernement nous ont en effet habitués
à accumuler des décisions tardives et inopérantes. La
dernière en date étant un mirifique plan de stabilité
financière qui n’est toujours pas opérationnel et pour
lequel des flous sont encore entretenus, en raison de divergences
qu’ils ne parviennent pas à masquer.
Sans surprise,
à peine cette décision était rendue publique que les
questions fusaient, en raison de tous les mystères dont elle
était une fois de plus entourée. La première portait sur
l’ampleur des tests. La crainte – qui s’est vite
révélée justifiée – étant
qu’ils ne seraient pratiqués que sur les plus grands
établissements bancaires et laisseraient de côté tous les
autres. Or, il est de notoriété publique que les premiers
peuvent plus facilement dissimuler leurs petites faiblesses et que les
seconds, au contraire, sont souvent en piteux état.
Il
suffit, pour s’en convaincre, de penser aux banques régionales
des Länder allemands, ou aux caisses d’épargne espagnoles.
Et de noter que si le gouvernement espagnol a orchestré des fuites
relatives à la bonne santé de ses plus grandes banques, BBVA et
Santander, afin de faciliter sa dernière émission obligataire
(qui va néanmoins lui coûter fort cher), il a
négligé de donner des informations de même nature sur ses
caisses d’épargne. Alors que les informations circulent
abondamment sur le fait que tout ce secteur bancaire n’est plus en
mesure de se refinancer et doit faire en permanence appel à la BCE.
La
seconde question n’était pas moins décisive, afin de
juger par avance de la portée des stress test, sans même
attendre leur publication le 24 juillet prochain, comme pour l’instant
annoncé. Quels paramètres ont donc été retenus
pour « durcir » et recommencer des tests,
déjà réalisés comme il a été
maladroitement reconnu dans le but de les crédibiliser ? Plus
précisément, va-t-il ou non être tenu compte du risque
d’une décote des obligations d’Etat, dont on se rappelle
qu’ils ont été au centre des préoccupations des
marchés, avant qu’ils ne s’inquiètent des
risques de récession ? La
réponse n’est pas claire, laissant supposer que non.
La
répartition des rôles et des responsabilités dans la tenue
de cet examen de passage n’étant pas non plus d’une grande
clarté – entre les ministres des finances, la BCE et la
Commission européenne – il devenait nécessaire de se
tourner vers le Centre Européen des Contrôleurs Bancaires
(CEBS), qui en a officiellement la charge. Rien, hélas, n’est
encore à ce jour venu de son côté apporter les
éclaircissements souhaités, si ce n’est de très
vagues et générales considérations qui ne permettent pas
de répondre à toutes ces légitimes questions.
Cerise
sur la gâteau, enfin, la méthodologie même des tests, pour
ce qu’il en est connu, pouvait être mise en cause en raison du
fait qu’elle n’analysait pas le risque systémique
du système dans son ensemble, au prétexte du seul examen de ces
éléments constituants, un par un.
A
écouter les marchés, qui s’expriment de plus en
plus ouvertement par l’intermédiaire des analystes des grandes
banques européennes, leur attente n’est pourtant pas
compliquée. Ils considèrent simplement que l’Europe ne pourra
sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve qu’à deux
conditions : la poursuite de la dévaluation compétitive
engagée de l’euro (que craignent tous les autres puissances
exportatrices, Etats-Unis, Japon et Chine en tête), et
l’engagement résolu de la BCE dans une politique de création
monétaire, afin de favoriser la relance et soutenir sans ambages le
marché de la dette souveraine. C’est eux qui parlent.
Une
question reste toutefois pendante, en attendant que ces souhaits soient
exaucés, le second d’entre eux n’étant pas actuellement
à portée. Car de deux choses l’une : ou le
résultat des tests sera déclaré positif, retirant toute
crédibilité à l’opération, qui capotera
alors, ou bien ils mettront en évidence la sous-capitalisation de
certaines banques. Dans ce dernier cas, la question immédiate qui se
posera sera de savoir si – comme cela avait été le cas
aux Etats-Unis – les banques en question pourront par leurs propres
moyens augmenter leur fonds propres. Ou bien si des soutiens publics seront
à nouveau nécessaires.
En
manifestant de vives réticences à propos de la publication des
résultats des tests, la Bundesbank et le patron de la Deutsche Bank
n’avaient pas exprimé autre chose, soulignant qu’il
fallait alors avoir prêt sous le coude un plan de soutien. De toute
évidence, ce n’est pas le cas et nécessitera – si
ce cas de figure se présente – une nouvelle improvisation.
Une
de plus, qui ne fera que refléter les conditions à
l’arraché dans lesquelles la décision du sommet a
été prise. Sous l’insistance des Espagnols qui menaçaient
d’agir unilatéralement, relayés par la Commission de
Bruxelles. L’histoire en a depuis transpiré.
Les
dirigeants européens peuvent espérer avoir gagné un
répit d’un gros mois, dans le meilleur des cas. Car rien ne dit
que l’Espagne rencontrera sur les marchés, avant même la
publication des résultats des tests, un accueil favorable pour ses
prochaines émissions obligataires. Rien n’assure
également que les petits établissements bancaires, qui ont en Europe
retardé autant que possible leurs opérations de financement, et
qui sont coincés alors que les taux montent, ne commenceront pas
à connaître des défaillances.
En
réalité, à l’image de ce qui se passe aux
Etats-Unis, mais dans un autre contexte, les banques qui
n’appartiennent pas au haut du pavé ne pourront pas, pour
beaucoup d’entre elles, échapper à des regroupements et
des restructurations. Qui va financer ce processus, les mégabanques
qui vont devoir utiliser leurs ressources et faire appel aux
marchés pour leur propre compte ?
Quelle
attitude la BCE va-t-elle pouvoir prendre, si ce n’est poursuivre ce
qu’elle a engagé, et sans doute l’accroître ?
Entraînant les dirigeants sur une pente qu’ils n’ont pas choisi.
L’Espagne
n’est pas la Grèce et l’Europe n’a pas les moyens de
faire face à son dérapage. La visite de Dominique Strauss Kahn
à Madrid, présentée sous son jour le plus innocent, en
est le signe.
Demain
sera un autre jour.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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