Les
dirigeants occidentaux vont chercher à noyer l’incendie
européen en déversant une masse de liquidités sur les
banques et en multipliant les pare-feux afin
de cantonner la crise obligataire. L’opération est
planifiée pour se dérouler en deux temps.
En
février d’abord, avec une nouvelle méga distribution de
prêts à trois ans aux banques – une LTRO (Longer-Term Refinancing Operation) – dont il est estimé qu’elle
pourrait doubler ou tripler en volume la précédente de
décembre. Soit mille à mille cinq cent milliards d’euros
pour la seconde vague.
Illustration par Sébastien Marcy
En
avril ensuite, selon le Financial Times, qui annonce à
l’occasion de l’assemblée de printemps du FMI la
constitution d’un fonds de l’équivalent de 500 milliards
d’euros sous les auspices de celui-ci. Il viendrait s’ajouter aux
moyens qui seront maintenus du FESF et ceux à venir en juillet du MES,
que les Allemands accepteraient d’additionner. Soit au total presque
1.500 milliards d’euros, si l’on tient compte des 150 milliards
déjà engagés par le FESF.
Destiné
à impressionner, ce second dispositif est le résultat des
conciliabules tenus ces derniers temps entre Christine Lagarde, Timothy Geithner, Wolfgang Schäuble
et François Baroin et vise à en finir
en faisant la part du feu. Posant la question de savoir en quoi elle va
consister.
C’est
dans ce nouveau contexte que peut être compris la tentative allemande
de mettre le gouvernement grec sous tutelle, le gouvernement allemand
estimant que les Européens ont désormais les moyens de faire
face, si la Grèce devait faire défaut. Ce qui explique que les
voix se font entendre dans le pays pour réclamer le lâchage de
la Grèce, si l’on comprend bien à titre d’exemple
pour ceux qui pourraient vouloir la suivre en n’accomplissant pas leurs
objectifs de réduction des déficits.
Il
faut par contre à tout prix sauver le soldat Monti. Sans que
l’on en distingue trop bien les raisons, les émissions
obligataires italiennes continuent de recevoir un meilleur accueil du
marché. Fruit sans aucun doute des efforts des banques italiennes
financées par la BCE, mais aussi d’autres mains secourables non identifiées
qui ont été appelées en renfort. Du temps est ainsi
gagné, mais rien n’est joué.
Ce
qui dans l’immédiat laisse pendants
les cas très incertains du Portugal et de l’Espagne. Le premier
subit de plein fouet les attaques des marchés et ne pourra
tenir sans un second plan de sauvetage, s’apprêtant à
suivre la Grèce sur un chemin dont on voit désormais où
il peut mener. Une nouvelle opération de restructuration de dette
étant impensable vu la manière dont l’actuelle se
déroule. Mais le sort du Portugal et celui de l’Espagne sont
intimement liés. Non seulement en raison de leurs relations
économiques étroites, mais aussi de l’implication des
banques espagnoles dans l’énorme dette privée portugaise.
L’Espagne,
elle, se porte comme elle peut, c’est-à-dire très mal. Il
est hors de question d’atteindre l’objectif de réduction
du déficit public en fin d’année et la situation du
système bancaire se détériore au fur et à mesure
que la bulle immobilière continue de se dégonfler. Les
régions sont rattrapées dans la crise, les coupes
budgétaires perturbent la vie de tous les jours des Espagnols et le
chômage est de plus en plus difficilement amorti par la
solidarité familiale, les petits boulots informels, et le
démarrage d’une nouvelle émigration.
À
cela le nouveau plan européen n’apporte aucune réponse si
ce n’est l’énoncé d’une discipline assortie
de la promesse de sanctions pour ceux qui n’en suivraient pas la
règle. Au chapitre de la relance de la croissance, qui figurait comme
le principal point à l’ordre du jour du sommet européen
d’hier, il faudra se contenter d’une vague déclaration de
principe « Nous encouragerons les initiatives multilatérales et
bilatérales visant à lever les barrières commerciales et
à améliorer l’accès au marché pour les
exportateurs et les investisseurs européens ». C’est plus
que maigre, même si on l’accompagne des efforts de la Commission
européenne qui propose de racler dans les fonds de tiroir du budget
communautaire. « De l’audace, encore de l’audace ! »,
cette fois-ci elle consiste pour David Cameron a
préconiser des accords commerciaux avec les États-Unis, afin de
doper les échanges et les investissements et d’abattre «
les barrières inutiles au commerce et aux services et à sabrer
dans le nombre de professions réglementées en Europe ».
Un visionnaire qui décidément voit loin.
Le
FMI, qui a mis en garde contre une nouvelle vague de restrictions
budgétaires en Espagne, cherche d’autres points d’appui.
Il vient d’encourager la Chine à engager une relance
budgétaire, afin de venir au secours de l’Europe qui n’en
a pas les moyens. Faisant référence aux orientations du plan
quinquennal 2011-2015, Anoop Singh, le directeur
pour l’Asie du fonds, considère qu’elle pourrait avoir
comme objectif le développement de la consommation intérieure
et non pas l’investissement, grâce des aides à la
consommation, l’amélioration de la protection et du logement
social.
La
question est en effet de savoir qui va contaminer l’autre de la Chine
– dont la croissance s’essouffle – et des pays occidentaux,
sous la menace de la récession, quand ils n’y sont pas
déjà. Mais ces adjurations continuent de faire l’impasse
sur la nature d’une croissance toujours considérée comme
la cavalerie – dont on sait qu’elle arrive toujours à
temps – ainsi que sur les modèles de développement
économique.
Intervenant
au forum social de Porto Alegre, Dilma Rousseff, la
présidente brésilienne, a précisément
appelé à en changer, en ouverture des débats de la
conférence de l’ONU sur le développement durable de juin
prochain qu’elle présidera. « Ce qui sera en jeu à
Rio+20, c’est un modèle de développement qui allie
croissance et création d’emplois, lutte contre la
pauvreté et réduction des inégalités (…)
utilisation et préservation des ressources naturelles ».
Critiquant les conséquences sociales des coupes budgétaires
appliquées dans les pays développés, elle a
pointé que « Le chômage et l’inégalité
sociale sont particulièrement cruels quand il s’agit de nations
riches qui ont conquis des droits et (…) ils touchent surtout les
jeunes, les femmes et les immigrants ». « La dissonance entre la
voix des marchés et celle de la rue semble augmenter de plus en plus
dans les pays développés et menace non seulement les
conquêtes sociales mais aussi la démocratie » a-t-elle
conclu.
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