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Deux découvertes
physiques, de natures apparemment diamétralement opposées, ont
été réalisées ces dernières semaines.
L'une est en relation avec la galaxie
la plus éloignée de la terre et l'autre en relation avec un boson qui pourrait bien
être celui que, par la pensée et le raisonnement, en particulier
Peter Higgs a déclaré exister...
1. L'éloignement
de la galaxie HDF850.1
La galaxie en question est la galaxie HDF850.1 (image ci-dessous)
Elle a été
découverte en 1998 dans le "Hubble
Deep Field", un amas primitif de
galaxies qui s'est formé peu après le Big
Bang.
Ce champ du ciel constitue le second proto-amas de galaxies connu à ce
jour dans l’univers lointain.
La galaxie a retenu l'attention des milieux professionnel
et amateur pour son "taux de natalité" stellaire
incroyablement élevé: 1 000 masses solaire par an !
En comparaison, la Voie Lactée ne dépasse pas 1 masse solaire
annuelle.
Mais, pour la première fois, une équipe d'astronomes vient de
déterminer la distance de la galaxie à la terre
.
Jusqu'à présent, les astronomes n’avaient jamais
réussi à déterminer la position de HDF850.1 dans
l'espace, malgré les nombreuses tentatives de mesure de sa distance
depuis plus de dix ans.
On peut dire aujourd'hui que la lumière que nous recevons d'elle a
commencé son voyage lorsque l'Univers n'avait que 1,1 milliard
d'année d'existence, soit 8 % de son âge actuel.
La galaxie se
trouve en effet à une distance correspondant à 26 milliards
d’années-lumière de la Terre, soit un décalage
vers le rouge ("redshift")
de 5.2.
C'est l'équipe de Fabian Walter de l'Institut Max Planck pour
l'astronomie (MPIA) en Allemagne qui vient de réussir là
où de nombreux scientifiques avaient échoué
jusqu'à présent.
Elle a utilisé l’interféromètre de l'IRAM qui est
composé de six antennes de 15 m de diamètre sur le Plateau de
Bure dans les Alpes françaises.
La grande raison des échecs consécutifs antérieurs
tenait à l'impossibilité d'observer directement la galaxie
HDF850.1 dans les images du télescope spatial Hubble. Elle
était tout simplement invisible dans le rayonnement visible et proche
infrarouge !
A la fin des années 90, les astronomes ont eu l'idée d'observer
le Hubble Deep
Field dans les longueurs d’ondes submillimétriques.
Ils se sont rendus compte alorsque l’émission de
cette galaxie était l’une des sources les plus lumineuses
détectées dans cette région.
Son taux de production d’étoiles représente même
l’ensemble de toutes les naissances des autres galaxies du champ
d'Hubble (selon le site http://www.astronomieamateur17.com/article-l-...-107099247.html).
En analysant le spectre de la galaxie HD850.1 avec
l'interféromètre de l'IRAM, l'équipe de Fabian Walter a
découvert des raies d’émission faibles appartenant
à l’atome de carbone ionisé et à la molécule
de monoxyde de carbone, qui ont pour la première fois permis de
déterminer de manière certaine la distance réelle de cet
objet.
"Nous observons HDF850.1 à une époque où
l’univers n’avait que un milliard d’année
d'existence après le Big Bang.
L’extraordinaire activité de formation stellaire au sein de
cette galaxie appartient donc clairement à une époque
reculée de l’histoire cosmique, alors que l’univers
n’avait que 8% de son âge actuel" a eu l'occasion de
déclarer Fabian Walter.
Le nouveau réseau ALMA de l'E.S.O. devrait prochainement pointer ses
antennes sur HD850.1 afin d'en apprendre plus sur cette galaxie aux
frontières du Big Bang...
2. L'existence de la
"particule de Dieu".
Pour leur part, deux équipes de scientifiques du C.E.R.N. ont confirmé
à l'occasion d'une conférence de presse (cf. target="_blank" le
site, https://www.youtube.com/watch?v=RIg1Vh7uPy...feature=related)
la découverte d'une nouvelle particule subatomique, qui pourrait bien
être l'insaisissable "boson de Higgs",
également connu sous le nom "la particule de Dieu" (cf. video ci-dessous).
http://www.youtube.com/watch?v=RIg1Vh7u...player_embedded
"Je peux confirmer
qu'une particule a été découverte qui est compatible
avec la théorie du boson de Higgs», a
déclaré John Womersley, directeur du Science& Technology
Facilities Council du Royaume-Uni.
Le résultat est encore au stade préliminaire, mais "il est
très fort et très solide", selon Joe Incandela,
porte-parole de l'une des deux équipes parties à la chasse de
la particule de Higgs.
Baptisée "boson de Brout-Englert-Higgs", au départ en 1964, la particule est
souvent nommée plus simplement "boson de Higgs".
Etant donnée sa théorie, elle joue un rôle majeur dans la
nature car, sans elle, les particules n'auraient pas de masse.
Les analogies pour faire comprendre ce rôle vont bon train.
Par exemple, c'est comme si des objets initialement sans masse traversaient
un milieu visqueux et se mettaient donc à peser de plus en plus lourd.
La manière d'agréger la "boue" dépendant de
l'interaction avec le fameux boson.
Ainsi l'électron devient l'objet que nous connaissons et peut ensuite
donner naissance à des atomes, des molécules... à toute
la matière qui nous entoure.
Bien que décrit en théorie il y a près de cinquante ans,
le processus impliquant une nouvelle particule n'a jamais pu être
vérifié.
Entre temps, des particules élémentaires ont été
découvertes : la dernière en date est de 1994.
Au C.E.R.N. la traque a commencé véritablement en 2010.
Reste à vérifier comment interagit ce boson avec les autres particuleset à connaître toutes ses
propriétés, par exemple, tourne-t-il sur lui-même?
Si le boson en question est véritablement l'élément qui
donne sa masse à la matière, on sait déjà que sa
masse est de 125 gigaélectronvolt environ, soit, par exemple, 133 fois
celle d'un proton, constituant élémentaire des noyaux
atomiques.
Reste aussi que plusieurs théories de la masse différentes
coexistent et que la découverte complète l'une d'elles mais ne
les unifie pas (cf. video ci-dessous).
http://www.youtube.com/watch?v=vk-_Z...player_embedded
3. Intuition ou induction.
Tout cela ne fait qu'illustrer ce qu'écrivait il y a près d'un
siècle, Jean Perrin dans un ouvrage intitu target="_blank"lé Les atomes
alors que faisait rage un débat entre les
"énergétistes" et les "atomistes".
"La théorie atomique a triomphé" y a écrit
Perrin.
"Mais, dans ce triomphe même, nous voyons s'évanouir ce que
la théorie primitive avait de définitif et d'absolu.
Les atomes ne sont pas ces éléments éternels et
insécables dont l'irréductible simplicité donnait au
Possible une borne, et, dans leur inimaginable petitesse, nous
commençons à pressentir un fourmillement prodigieux de Mondes
nouveaux....
La Nature déploie la même splendeur sans limite dans l'Atome ou
dans la Nébuleuse, et tout moyen nouveau de connaissance la montre
plus vaste et diverse, plus féconde, plus imprévue, plus belle,
plus riche d'insondable Immensité."
Qu'est-ce donc que les «Energétistes» reprochaient aux
«Mécanistes» et aux tenants des théories
moléculaires ?
Ils leur reprochaient d'expliquer
le connu par l'inconnu et
le certain par l'hypothétique.
Ils s'inscrivaient en faux contre une méthode qui prétendait
rendre compte des phénomènes visibles et mesurables au moyen de
mouvements imaginaires d'atomes hypothétiques,
"tout en
s'inspirant des idées des antiques philosophes de l'Ionie et reprenant
à son compte l'esprit spéculatif des métaphysiciens
grecs" condamnaient certains.
Mais Perrin n'en avait cure car il avait confiance dans l'intuition de
l'homme et la préférait à l'induction:
« Deviner ainsi l'existence ou les propriétés d'objets
qui sont encore au delà de notre connaissance,
expliquer du visible compliqué par l'invisible simple, voilà la
forme d'intelligence intuitive à laquelle, grâce à des
hommes tels que Dalton ou Boltzmann, nous devons l'Atomistique.
« II va de soi que la méthode intuitive n'a pas à se
limiter à la seule Atomistique, pas plus que la méthode
inductive ne doit se limiter à l'Energétique.
Un temps viendra peut-être où les atomes, enfin directement
perçus, seront aussi faciles à observer que le sont aujourd'hui
les microbes.
L'esprit des atomistes actuels se retrouvera alors chez ceux qui auront
hérité le pouvoir de deviner, derrière la
réalité expérimentale devenue plus vaste, quelque autre
structure cachée de l'Univers. » (ibid, p. v).
Avec ce propos, Jean Perrin rejoint en fait un de ses contemporains, Henri
Poincaré, le grand mathématicien (dont j'ai déjà
eu l'occasion de parler, en particu target="_blank"lier dans ce
billet de décembre 2010) selon qui les mathématiques ne peuvent
être réduites à la logique, à une logique
formelle.
Comme Poincaré l'explique dans Science
et méthode, l'intuition est essentielle au
mathématicien et cela n'est pas une question de logique analytique, a fortiori de logique
formelle.
L'un et l'autre confortent ainsi la voie de l'économiste qui refuse de
réduire l'économie politique - ou la science économique
- à une mathématique ou bien, si on préfère cette
façon de s'exprimer, à appliquer nécessairement
aveuglément une mathématique à sa discipline, voire
à à passer, d'un instant au suivant,
d'une mathématique à une autre pour traiter la même
question comme c'est le cas, par exemple, de la question de
l'"équilibre économique général" au XXè siècle qui va passer de la
"théorie des systèmes" à la "théorie
des ensembles".
Contre l'application d'une mathématique à une discipline de la
pensée autre, Poincaré n'a pas hésité à
mettre en garde à diverses reprises et a formulé d'expresses
réserves dans le cas des sciences morales.
Soit dit en passant, et d'une part, il convient de distinguer l'application
d'une mathématique et, ce qui n'est pas mieux, la transposition d'un
modèle mathématique d'un phénomène physique,
biologique, etc. pour "expliquer" un phénomène
économique
Mais cette distinction n'est pas prise en considération par les
économistes.
D'autre part, il convient de ne pas oublier le changement de point d'opinion
qui est survenu sur la notion de modèle au début du XXè siècle et qu'en 1929, A.S. Eddington
résumait en ces termes :
« Une des plus grandes modifications survenues en physique entre le XIXè siècle et aujourd'hui, c'est celle de
l'idée que nous nous formons de l'explication scientifique.
Le physicien de l'époque Victoria mettait un point d'honneur à
déclarer qu'il comprenait quelque chose seulement quand il avait pu en
construire un modèle ;
et, par modèle, il entendait un ensemble de leviers, sources
d'engrenages, ou autres appareils familiers à l'ingénieur
[…]
aujourd'hui nous n'invitons pas l'ingénieur à nous bâtir
le monde en dehors de ses matériaux, mais nous nous adressons au
mathématicien
pour nous le bâtir sans les siens »
Il reste que, contrairement à ce que font croire ou que disent
certains commentateurs aujourd'hui au travers de ce qu'ils dénomment
"optimum de Pareto", Vilfredo Pareto est
exemplaire à cet égard du refus comme le soulignait, certes en
note de bas de page, Arthur W. Marget en 1935 dans
un article intitulé “The Monetary
Aspects of the Walrasian System” (Journal of Political
Economy, Vol. 43, No. 2, Apr., pp. 145-186):
"Pareto's general
attitude toward the use of mathematics
for purposes of analysis rather than synthesis
is typified by a remark in his obituary notice of Walras in the Economic Journal, XX (1910), 139:
'When mathematics are applied to particular problems of economic science, they lead merely to results more curious than useful.
We should not err widely from truth in saying that,
restricted within these limits, the use of
mathematics in economic science is futile.'
To be sure, Pareto did not mention Walras
specifically on this occasion; but that he may have had reference to Walras, as well as to Marshall, may be deduced from
remarks which he made on other occasions.
See, for example, his cynical comments on Walras'
proposals for the abolition of private property in land and for Indian
monetary reform, in his 'Introduction' to A. Osorio, Théorie mathématique
de l'échange (1913), p. ix.
If it be objected that Pareto's skepticism, on this latter occasion, had
reference, not to the possibilities of analysis with the help of mathematical
tools, but merely to what I suppose he would have characterized as Walras' "non-logical" desire to use economic
analysis in order to improve the lot of mankind, I should merely point to
Pareto's complete lack of sympathy with, or understanding of, Walras' analytical contributions to the field of monetary
theory. See pp. 151 ff., below."
Ma traduction :
«L'attitude
générale de Pareto à l'égard de l'utilisation des
mathématiques à des fins d'analyse plutôt que de
synthèse peut se caractériser par une remarque qu'il a
écrite dans son article nécrologique de Walras dans l'Economic Journal, XX (1910), 139:
Nous
ne devrions pas nous écarter trop de la vérité en disant
que, dans ces limites, l'utilisation des mathématiques en science
économique est futile.'
A
coup sûr, Pareto n'a pas mentionné spécifiquement Walras
à cette occasion, mais qu'il puisse avoir fait référence
à Walras, ainsi qu'à Marshall, peut se déduire de
remarques qu'il a faites à d'autres occasions.
Voir,
par exemple, ses commentaires cyniques sur les propositions de Walras pour
l'abolition de la propriété privée de la terre et pour
la réforme monétaire indien, dans son
"Introduction" à A. Osorio,
"Théorie mathématique de L'Échange" (1913), p.
ix.
Si
l'on objecte que le scepticisme de Pareto, à cette dernière
occasion, se référait, non pas aux possibilités
d'analyse à l'aide d'outils mathématiques, mais simplement
à ce que je suppose qu'il aurait qualifié de désir
"non-logique" de Walras d'utiliser l'analyse économique afin
d'améliorer le sort de l'humanité, je soulignerais tout
simplement le manque complet de sympathie, ou de compréhension, de
Pareto avec les contributions analytiques de Walras au domaine de la
théorie monétaire.
Voir
pages 151 et suiv., ci-dessous. "
Les adeptes actuels de l'"optimum de Pareto&q target="_blank"uot; (cf. ce
billet de juillet 2009) devraient avoir en permanence à l'esprit
ces considérations et, après l'avoir faussement imputée
à Pareto, renoncer à l'idée d'introduire telle ou telle
mathématique en Économie politique pour essayer d'en faire une
science comparable aux sciences exactes.
Georges
Lane
Principes
de science économique
Le texte ci-dessus a été
publié, sous le même titre, dans le périodique de l'A.l.e.p.s
., , 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris,
intitulé Liberté
économique et progrès social, n° 70, mars 1994, pp.
10-23 .
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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