Chaque jour qui passe, l’État fait rimer migrant avec encombrant. C’est probablement pour ça que son gouvernement a décidé, après avoir mûrement réfléchi aux implications politiques et financières de la décision subtile qu’il allait poser, de ne pas avoir d’idées claires et d’improviser les actions les plus consternantes pour occuper la galerie.
C’est ainsi qu’on apprend que des petits paquets de migrants échoués dans la jungle de Calais sont transférés dans d’autres villes de France par avion, loué à grand frais par la République à une compagnie privée.
Pour situer le contexte, rappelons que cette jungle désigne depuis maintenant une dizaine d’années (eh oui, l’État sait procrastiner) les camps de migrants et de réfugiés installés à partir du début des années 2000 à Calais et Sangatte, aux abords de l’entrée française du tunnel sous la Manche et de la zone portuaire de Calais, et même si ce n’est pas à proprement parler une curiosité touristique calaisienne, elle a quand même son entrée Wikipédia.
Et comme actuellement, cette jungle a la fâcheuse tendance à se remplir, les autorités compétentes (en l’occurrence, il s’agit de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, ce qui à côté d’ « autorités compétentes » fait franchement bizarre) ont choisi d’aider les flux migratoires à grand coup de kérosène : le contribuable, brave bête malléable aux poches très profondes, paye donc pour que trois vols par semaine emportent quelques poignées d’immigrés dans un autre centre de rétention de l’Hexagone.
C’est bien évidemment fort coûteux, sans pour autant que cela ne défrise franchement le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, qui — rassurez-vous — ne paye pas du tout de ses deniers pour ce genre de petites facéties (tout comme il ne s’est pas non plus porté volontaire pour aider financièrement la SNCF qui propose pourtant aux clandestins de voyager gratuitement sur ses lignes).
En bref, à la question fort épineuse que l’État et nos pénibles gouvernants se posent de savoir quoi faire de tous ces migrants qui s’amassent par paquets collants sur des points de passage, il a donc été répondu qu’on se devait d’expédier une proportion ridicule d’entre eux aux quatre vents, à un coût exorbitant, en se foutant ouvertement de la bobine du contribuable qui, pendant ce temps, peine à payer son troisième tiers provisionnel et une taxe d’habitation devenue mafieuse.
Or, parallèlement à ces déplacements et à la non-réponse à une question mal posée, il s’en passe des choses, dans cette jungle de Calais ! À tel point que, plutôt qu’éparpiller ainsi les encombrants sans-dents, l’État et les autorités auraient en réalité fort intérêt à observer ce qui s’y passe, et, pourquoi pas, en tirer quelques leçons dignes d’intérêt.
De façon complètement fortuite, une petite troupe de journalistes de France Télévision s’est chargée de la partie « observation ». Décidant d’aller voir comment vivaient ces migrants, une équipe de France 2 s’est rendue sur place et, caméra à l’épaule, a découvert un monde qu’elle ne soupçonnait pas.
Comme le reportage est disponible en ligne, je l’inclus ci-dessous :
Les journalistes ont bien du mal à cacher leur stupéfaction devant ce qu’ils découvrent : s’attendant probablement à des masses gluantes de gens perdus, la main tendue et le regard éploré, ils décrivent — effarés — un véritable village de près de 6000 âmes, avec toutes ses caractéristiques :
« Ce n’est plus un campement de fortune, mais un village, avec une vie de village qui s’organise ! »
Des magasins, des restaurants, une église, une école avec des cours de français, un coiffeur, des artisans, une boulangerie tenue par des Afghans, décidément, voilà qui dépasse l’entendement, d’autant que, « en quelques mois, une trentaine de commerces ont ouvert ». Interrogé, l’épicier avoue ainsi gagner péniblement une vie au milieu du camp, entre 10 et 15 euros tous les jours tout de même. Au gros micro mou du journaliste, il se permet même d’expliquer sa méthode d’un petit « j’ai juste décidé d’ouvrir un commerce ici ».
Le reste du reportage est à l’avenant, mais laisse s’agiter dans celui qui le regarde un paquet de sentiments contradictoires.
Comment le Français moyen peut-il encore, à la vue de ce reportage, croire en la puissance de l’État, qui montre ici qu’il n’est pas maître partout ? Comment comprendre la mansuétude de l’État à laisser perdurer une telle situation sans évoquer immédiatement incompétence, incurie, lâcheté ou pure désorganisation ? Comment ne pas voir non plus que, malgré des conditions très défavorables, les relations commerciales entre ces groupements humains ont largement pris le dessus au point de créer une véritable économie ?
Difficile aussi de ne pas noter le véritable camouflet que représentent ces petits artisans, ces petits commerçants qui commercent librement et s’en sortent, sans guère subir les assauts de l’État, alors qu’à quelques kilomètres de là, partout ailleurs en France, l’occupant intérieur tabasse l’entrepreneur, lui fait subir contrôles fiscaux, sociaux ou sanitaires à n’en plus finir, le jette sur la paille à coup de charges monstrueuses, ou poursuit le moindre artisan, le moindre boutiquier qui aurait eu l’impudence de « juste décider d’ouvrir un commerce ici ».
Difficile de ne pas comparer cette économie de subsistance, basée sur les subventions volontaires de Français du cru, d’associations diverses et variées, avec l’autre économie, officielle, basée sur les subventions obligatoires celles-là de ces mêmes Français : comment ne pas goûter toute l’ironie de ces centaines « d’emplois » créés ex nihilo dans une région sinistrée, emplois qui seraient impossibles dans les conditions normales de température sociale et de pression du Code du travail ? Comment n’y pas voir la preuve éclatante que le commerce entre adultes consentants n’a besoin que de ça, d’adultes consentants bien avant l’État et ses cohortes encombrantes de parasites malfaisants, d’inspecteurs de travaux finis, de commissaires de la norme et d’huissiers de la charge sociale ?
Bien évidemment, le tableau peint par les journalistes ébahis de France Téloche est bien trop rose : on imagine sans mal des quantités de problèmes comme les vols, des agressions et pire encore, qui ne sont absolument pas mentionnés. Les conditions sanitaires sont pire que rudimentaires, et l’avenir de ces individus, agglomérés dans ce genre de terrains vagues, est particulièrement peu réjouissant.
Il n’en reste pas moins que cette jungle anarchique démontre autant la faiblesse de l’État que la force de la catallaxie, cet ordre spontané produit par le marché, et que l’État s’emploie, partout ailleurs en France, à saboter par une intervention systématique, brouillonne et contre-productive. Avec cet exemple, les Français, plutôt que hurler devant ces commerces sans patentes, qui ne paient pas de taxes, qui ne sont pas enregistrés mais qui emploient des douzaines de personnes, devraient plutôt réclamer qu’enfin l’État et ses myriades d’administrations boursoufflées laissent les individus s’organiser entre eux sur tout le reste du territoire, pour revenir définitivement à ses vraies fonctions régaliennes, dont la sécurité des biens et des personnes fit jadis partie.
Pour le coup, plutôt qu’expédier à grands frais les migrants aux quatre coins de l’hexagone, tirons de leurs pratiques ce qui pourrait enfin sortir le pays du gouffre de règlementations abrutissantes dans lequel il s’est vautré avec délices pour s’y enfoncer mollement. Profitons-en aussi pour voir toute l’impuissance réelle de l’État que nous payons pourtant à grand frais, et tirons-en l’évidente conclusion :
Cet État est foutu.
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