Les
fameux « critères de Maastricht », improbables
garants de l’orthodoxie budgétaire des États de la zone
euro, sont basés sur des grandeurs qui n’ont que peu de sens
d’un point de vue financier. Ils sont non seulement absurdes, mais
surtout trompeurs. Petite explication.
Le 15 janvier
dernier, les téléspectateurs branchés sur le
débat politique dominical de la RTBF, la télévision
publique belge francophone, ont assisté à un échange
surréaliste. Un ancien secrétaire d’État au budget
a
confondu en direct budget de l’État et produit national brut
du pays.
Si
l’erreur est impardonnable compte tenu des responsabilités
exercées durant trois ans par le personnage, elle est –
hélas – parfaitement compréhensible et explicable. Tout
est résumé dans l’argument que le politicien
assène avec aplomb pour clore – espère-t-il – la
discussion : « Lorsque je remets un document à la
Commission européenne, et qu’il mentionne [que le budget de l’État présente] 3% de déficit, c’est 3%
de 370 milliards ». Le ministre est dans l’erreur, puisque
le budget de l’État belge est de 155 milliards
d’euros : 370 milliards d’euros, c’est
l’estimation du PIB de la Belgique pour 2012.
Et
pourtant… Sa phrase m’a fait sursauter, car en fin de compte elle
repose sur le simple bon sens. Le déficit (ou le boni) d’un
budget ne devrait-il pas être comparé à ce budget
lui-même plutôt qu’à une grandeur économique
distincte ?
Faire
« converger » les finances publiques
Ce n’est
pourtant pas l’option choisie dans le traité de Maastricht qui
fonde l’union monétaire européenne. Ce traité
impose aux États membres de respecter un certain nombre de critères
afin de faire « converger » les économies de la
zone euro. Ou plus exactement leurs finances publiques, car un seul
critère est à proprement parler économique : celui
du contrôle de l’inflation.
Un
deuxième critère concerne en effet le taux
d’intérêt sur les emprunts d’État à
long terme, conséquence directe de la rigueur dans la gestion des
finances publiques, comme l’illustre fort bien le fiasco grec.
Les deux
derniers critères portent eux aussi sur les finances publiques et sont
basés sur une comparaison entre ces dernières et le produit
intérieur brut :
-
le
besoin net de financement des administrations centrales, régionales et
locales, y compris la sécurité sociale
(c’est-à-dire le déficit du budget de l’État)ne doit pas dépasser un maximum de 3 % du produit
intérieur brut du pays
-
l’endettement
brut du pays ne doit pas représenter plus de 60% du produit
intérieur brut
Or, le produit
intérieur brut, rappelons-le, est la somme des richesses produites par
l’économie d’un pays au cours d’une année
donnée. Pourquoi s’en servir comme base de comparaison ?
Les dangers de la non-comparaison
Comme le
rappelle un ancien commis de l’État français dans un un article
paru dans La Tribune,
« la bouée tous usages pour sauvetage du
macro-économiste en mal de référence, c'est le PIB: tout
commence et tout s'achève avec le PIB, tout ce qui est un peu gros
semble pouvoir lui être raisonnablement rapporté. »
Le PIB apporte donc un vernis de rationalité à une comparaison
qui est en réalité particulièrement dangereuse.
Pour
commencer, la règle du déficit/PIB découple la
comparaison entre le déficit et le budget lui-même. Pour prendre
un exemple simple : actuellement, le budget 2012 de l’État belge,
sécurité sociale comprise, est de 155 milliards d’euros.
Le déficit est de 10,71 milliards d’euros. Quant au PIB
prévu pour 2012, le gouvernement l’estime à 382 milliards
d’euros. Le ratio «déficit/PIB » prévu
est 2,8%. Cela peut sembler raisonnable, même si l’existence
même d’un déficit est en soi un problème.
Mais 10,71
milliards, cela représente presque 7% des dépenses publiques.
Rapporté aux recettes publiques, le ratio atteint presque 7,5%. Deux
chiffres nettement plus inquiétants que le
« gentil » 2,8%, qui crée le sentiment –
erroné – que les finances publiques sont sous contrôle.
Des pommes et des poires
Ensuite,
comparer le PIB et la dette de l’État est également
fallacieux. Le PIB représente la richesse créée dans le
pays. Plus de la moitié de cette richesse sert à
rémunérer les travailleurs et les actionnaires et dirigeants
des entreprises. Le reste est consacré à de nouveaux
investissements et bien sûr au paiement des impôts, qui
engloutissent chaque année entre 40% et 50% du PIB selon les
États. Le PIB n’est donc qu’un très mauvais
indicateur des capacités de remboursement de l’État.
C’est aussi absurde que si, pour étudier le profil d’une
entreprise qui demande un crédit, sa banque comparait son endettement
au chiffre d’affaires total de son secteur d’activités.
En
général, la capacité de remboursement d’une
entreprise est évaluée en regardant son flux de
trésorerie disponible, c’est-à-dire l’argent qui
reste à l’entreprise quand elle a déduit de ses
entrées d’argent tous ses décaissements. En termes de budget
de l’État, cela voudrait dire regarder le surplus primaire, ou
mieux encore, le surplus primaire après déduction des
intérêts sur la dette existante.
Évidemment,
ce critère est totalement impraticable pour les politiciens : il
reviendrait à admettre qu’un déficit est inacceptable,
puisque l’absence de surplus implique que l’État ne peut
rien rembourser et qu’un déficit indique qu’il ne dispose
même pas des moyens de rembourser la dette existante.
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