Sous
l’influence de la télévision, qui reste le média
dominant, l’actualité fonctionne abusivement sous le
régime des dominantes. La durée de vie d’une information
est réduite, une nouvelle chassant la précédente pour
lui prendre le pas et écraser toutes les autres. En
général, cela ne contribue pas à la rendre intelligible.
Que
plusieurs crises simultanées surviennent, et c’est la
cacophonie, dans un système modelé pour n’en traiter
qu’une seule. C’est la situation que nous connaissons
actuellement, avec la catastrophe japonaise et l’internationalisation
de la guerre libyenne, reléguant à l’arrière
plan la crise européenne.
Cela
pourrait laisser faussement croire que celle-ci est en train de se calmer.
Or, il n’en est rien. Au contraire, des illusions sont en passe de
tomber, rapprochant le moment où des remises en question devront
être ouvertement opérées, comme d’habitude sous la
contrainte.
La
première consiste à espérer que la zone des
tempêtes ne va pas s’élargir – maintenant que le
Portugal est parvenu à son centre – prémunissant
l’Espagne du même sort, qui déséquilibrerait le
toujours très fragile édifice européen.
La
méthode Coué n’apporte pourtant pas d’argument : il
y a encore peu de temps, on évoquait l’exposition espagnole
à la dette privée portugaise. La restructuration des caisses
d’épargne espagnoles reste toujours très
aléatoire, l’exposition des banques à
l’éclatement de la bulle immobilière calculée pour
les besoins de la cause, comme le sont les besoins de financement public des
caisses d’épargne, les deux ne pouvant qu’augmenter.
La
seconde illusion est que le mécanisme du futur fonds de
stabilité européen – le MES – va ériger un
rempart à toute épreuve contre le tsunami financier que
représenterait l’entrée résolue de l’Espagne
dans la zone des tempêtes, pour autant qu’elle daigne attendre
2013. Las ! les analystes financiers ont étudié les
conditions dans lesquels des pays pourront bénéficier du
soutien du MES et ils en ont conclu qu’une restructuration de leur
dette pourrait être une condition préalable à son
obtention (sous couvert d’une vague référence actuelle
à « la contribution du secteur financier »), ce
qui ne leur convient pas. En conséquence, les agences de notation baissent
les notes des Etats qui pourraient être demain dans ce cas.
La
troisième et dernière illusion consiste à croire
qu’il va être possible de mener à son terme – sous
couvert de réduction des déficits publics – le
règlement de la crise financière grâce à des
programmes d’austérité budgétaire et de réformes.
Pour deux raisons. L’une, déjà vérifiée
dans le cas de la Grèce, qui veut que les déficits vont
s’accroître et non pas diminuer, en raison de la récession
dans laquelle les pays périphériques sont
plongés. L’autre, qui va progressivement apparaître,
à cause de crises sociales imprévisibles et de la crainte
d’explosions.
Deux
soupapes existent, mais elles sont verrouillées. L’une est la
mise à contribution des créanciers des banques –
c’est le cas en Irlande – l’autre des créanciers des
Etats, c’est celui de la Grèce. Les débiteurs ne sont pas
les mêmes, mais les créanciers le sont : ce sont à
chaque fois les mégabanques
européennes.
Il
va falloir un jour se résoudre, contraint une nouvelle fois par les
événements, à entrer dans le vif du sujet de la crise de
la dette privée, au lieu de la nier en tentant de la masquer par des
stress tests chargés de maquiller la réalité. Cette
attitude illustre le déni dans lequel les autorités
européennes continuent d’être installées et met en
valeur le rôle qui leur est assigné par le système
financier.
La
remise sur pied du système financier va au-delà des
capacités de financement des Etats, et même les banques
centrales n’y suffisent pas, dont les sauvetages génèrent
d’autres catastrophes, comme on ne voit sur le marché
monétaire. La Fed bat monnaie, tandis que la BCE en vient à
accepter comme collatéral de ses prêts les titres de la dette
irlandaise, quelle que soit leur notation.
Une
nouvelle fois, prises à contre-pied, les autorités
européennes mettent en cause les agences de notation qui continuent de
baisser les notes des pays et des banques de la zone des tempêtes,
coupables de prophéties auto-réalisatrices selon elles. Elles
amalgament la cause avec les effets. On doit certes reprocher aux agences d’avoir
masqué les risques des actifs toxiques, par duplicité et
connivence, mais peut-on en faire autant quand elles ne font
qu’anticiper la vacuité de la stratégie européenne
adoptée ? Ou qu’elles prédisent le risque grandissant que
prennent les investisseurs, face à la perspective de restructuration
de dettes souveraines, puisque leur rôle est précisément
d’analyser ce risque… ?
En
réalité, les autorités européennes n’ont
pas pu décider et mettre en oeuvre les
mécanismes qui rendraient crédible leur volonté
affirmée de « tout faire pour sauver
l’euro ».
Deux
bras de fer sont en cours, qui illustrent bien les enjeux. D’un
côté, les agences pèsent actuellement de tous leurs
poids, afin d’éviter que soit avalisée la
nécessité de restructurations ultérieures de la dette
souveraine ; de l’autre, c’est la BCE qui se charge de
défendre les intérêts des créanciers des banques
irlandaises, en suspendant pour obtenir satisfaction la mise en place
d’un nouveau plan de soutien de celles-ci, destiné à
soulager la peine du nouveau gouvernement en étalant son effort
financier.
Les
développements irlandais sont sans ambiguités.
S&P vient de saluer les résultats des stress tests des banques
irlandaises et a considérer comme stable sa notation de la
dette souveraine irlandaise, après l’avoir auparavant
baissée. Leur résultat a en effet été
calculé afin de ne pas imposer aux créanciers
senior une restructuration, ce qui mérite récompense !
La
BCE et la Commission de Bruxelles ont aussitôt également
salué cette décision, après avoir exercé une
pression maximale en ce sens. Pour mémoire, selon la Banque
d’Irlande, le montant des obligations seniors émises par les
banques irlandaises est de 16 milliards d’euros, les nouveaux besoins
de recapitalisation évalués à 24 milliards
d’euros, ce qui donne une idée de la destination des fonds qui
vont être injectés par le gouvernement, et qu’il va devoir
rembourser.
Tout
va pour le mieux dans le pire des mondes : l’Etat continue de
prendre à sa charge l’intégralité du remboursement
des banques européennes créancières des banques
irlandaises. Mais va-t-il pouvoir continuer à le faire ? le doute est
permis et déjà exprimé dans les milieux financiers.
Combien de temps les soupapes vont-elles pouvoir être tenues
verrouillées est une question présente sur toutes les
lèvres.
De
son côté, l’évolution de la situation politique
allemande ne va pas contribuer à diminuer l’intransigeance
fiscale dont fait preuve le gouvernement dans ses négociations
européennes. Rendant encore plus incertaine l’adoption de
mesures pouvant faire supporter à l’Allemagne – entre
autre – le poids accru d’une solidarité
financière accentuée, et plus probable de nouveaux
dérapages, qui déclencheront un jour ou l’autre l’ouverture
inopinée des soupapes actuellement bloquées.
Les
maintenir verrouillées, c’est risquer l’explosion
incontrôlée, mais ces gouvernements ne sont pas du tout
raisonnables, tout à l’accomplissement de leur mission de
sauvetage du système financier.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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