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Rappelons-nous !
Données comme modèles éclatants, toutes les
réussites économiques d’hier se sont
révélées être des fiascos, à commencer par
celles de l’Espagne et l’Irlande. Aujourd’hui, on discerne
même les dessous de celle de l’Allemagne, pourtant si
magnifiée. Les images de la pauvreté au Royaume-Uni font
écho au passé, mais celles provenant des États-Unis sont
pour beaucoup une découverte tardive. Même l’insolante croissance de la Chine, en baisse, ne
masque plus l’étendue des déséquilibres qui minent
la société chinoise, tandis que la croissance du Brésil
a brutalement chuté. Le BRIC n’est plus ce qu’il était.
Des deux
côtés, le modèle de développement impulsé
par la mondialisation est en panne, là où l’on ne voit
qu’une succession d’accidents de parcours sans liens entre eux.
Ayant atteint sa maturité et fait basculer l’axe
économique de la planète, cette globalisation de
l’activité économique reposait sur une division des
tâches aux principes affirmés : aux pays à bas niveau de
salaire la production des marchandises (et de certain services), aux autres
leur consommation grâce au levier du crédit. Et au
système financier de tirer les marrons du feu. Or ce partage imposé
a perdu son équilibre quand la montagne de dettes accumulées
n’a plus été étayée par des montages
financiers atteignant leurs limites et ne pouvant plus les supporter.
Deux remèdes sont
recherchés afin d’y faire face et de remédier aux effets
négligés de la mondialisation, pour redonner aux
économies occidentales leur compétitivité. Un
rééquilibrage des parités monétaires est
préconisé par les États-Unis, et un abaissement du coût
du travail par les Européens. Comme si les pays développés
pouvaient ainsi récupérer des activités productrices
perdues et les émergents leur offrir de nouveaux
débouchés en développant leur marché
intérieur !
C’est vite aller en
besogne, surtout s’il s’agit de combler l’écart des
salaires ou des obstacles dressés au changement de modèle. Et
ne pas tenir compte des savoir-faire acquis, qui ne laissent aucun secteur de
la production réservé, ou des compétences
technologiques, désormais partagées, à de plus en plus
rares exceptions près. Ne sont pas davantage intégrés,
les effets durables du désendettement et de l’inévitable
baisse de rendement de la machine à produire du crédit,
obstacles à la reprise de la consommation, le principal moteur de la
croissance dans les pays développés.
À y regarder de plus
près, et en dépit de contextes très différents,
la mondialisation produit des effets de même nature côté émergent
et côté développé. Elle a simplement deux
faces. Ainsi, l’informalité, que l’on croyait propre aux
seconds, se développe chez les premiers à la faveur de la crise
actuelle : quand l’État ne remplit pas ou plus son rôle,
il faut vaille que vaille survivre.
Mais comment concevoir un
modèle alternatif commun de développement ? Observer ce qui se
passe dans les pays émergents peut aider à
l’appréhender afin de favoriser un sursaut émancipateur,
au lieu de préconiser un retour conservateur aux barrières
douanières. Chez ces derniers, on constate les ravages
environnementaux et le développement déséquilibré
produits par un modèle prioritairement orienté vers
l’exportation. L’élévation moyenne du niveau de vie
dissimule l’accentuation des disparités sociales, en
dépit de l’essor de classes moyennes elles-mêmes
très hétérogènes. Mais c’est aussi dans ces
pays que l’on trouve le plus de réalisations sociales novatrices
dans les domaines de l’accès à l’eau,
l’énergie, l’éducation, la santé, etc.
qu’il serait utile de mieux connaître et dont il serait
profitable de s’inspirer en ces temps de tiers-mondisation. Car
elles ont une portée qui dépasse les circonstances de leur
naissance et sont pour nous exemplaires.
Une autre mondialisation
est-elle possible et sur quels autres piliers reposerait-elle ?
Prioritairement sur la définition et la satisfaction des besoins selon
une toute autre logique. Notamment grâce au financement par la
collectivité des biens publics, afin de les rendre accessibles
sans discrimination de revenu. Ce qui impliquerait, en raison des
progrès constants de l’automation du travail et de sa
raréfaction relative, une élaboration sur la garantie
d’un revenu minima à vie pour tous. Ainsi que l’extension
de la sphère des services et des rapports non marchands, pour laquelle
la gratuité d’innombrables services disponibles via Internet
constitue à l’échelle de la planète un exemple
précurseur et une démonstration éclatante. La
diversification et le foisonnement des modèles économiques et
tarifaires actuels incite à s’inscrire
dans ce mouvement, mais dans une autre perspective, afin de mettre en
œuvre d’autres principes.
La production des biens est
également en question. Une aventure singulière peut alimenter
la réflexion : celle de la voiture low
cost (à bas prix), conçue pour
les marchés émergents et qui a trouvé une
clientèle en Occident, mouvement freiné par les constructeurs
soucieux de ne pas cannibaliser leur bas de gamme. L’avenir de
l’industrie automobile va en dépendre, sauf pour le haut de
gamme ; cette mutation ne sera que retardée par l’offre de
renouvellement des voitures hybrides, puis électriques, si
toutefois leur coût baisse suffisamment. Ce qui induit de simplifier
leur conception : on a vendu du rêve, le retour au fonctionnel
s’impose.
Dans tous les domaines de
la production industrielle, dont beaucoup ne peuvent plus prétendre
qu’à des marchés de renouvellement, et dont seule
l’obsolescence programmée permet de soutenir le marché,
la même réflexion peut être menée.
L’innovation technologique est souvent au service de causes discutables
et pas à celui de la conception de produits fonctionnels,
économes en énergie et à bas coût, dont le
marché serait considérable (et commun). C’est aussi le
cas pour l’industrie agro-alimentaire, qui prétend mettre
l’innovation agronomique au profit de l’alimentation du monde
sans y parvenir.
Pour trouver d’autres
pistes, il suffit d’inventorier les avancées ou grands projets
de la financiarisation de l’économie et de les prendre
à rebrousse-poil : par exemple les assurances médicales et les
retraites par capitalisation, ou tout ce qui pousse à modestement
mettre la main dans le pot à confiture pour en être tributaire
et solidaire à la fois : les assurances-vie, l’accession
à la propriété immobilière, etc… Dans les pays
émergents, la tendance est à octroyer des titres de
propriété aux habitants des bidonvilles afin qu’ils
puissent les apporter en garantie aux banques pour emprunter, ou bien
à accorder des étalement de paiement
sans intérêt sur les biens de consommation, non sans avoir
préalablement majoré leur prix.
A tous les niveaux de
l’appareil économique – conception, production et
distribution – des changements considérables sont intervenus en
l’espace des dernières décennies. Signe, s’il en
est besoin, que rien dans ces domaines n’est immuable. C’est
simplement leur finalité qui est à chaque fois en cause et doit
être modifiée.
Reste à traiter la question
de la propriété, cheville ouvrière du système
avec la rente ! Pour l’aborder par le petit bout de la lorgnette,
évoquons l’absurdité qui consiste à ce que chaque
foyer urbain dispose d’une machine à laver le linge, qui
pourrait être communautaire, tout en mettant en garde contre les
formules de location – par exemple celle des batteries des voitures
électriques, comme elle est prévue – qui visent à
créer des clientèles captives et à générer
de fortes marge en diminuant la mise de fonds initiale, à la
manière éprouvée des cartouches d’encre pour les
imprimantes… Réfléchir sous cet angle est vite productif,
à rebours des marketing audacieux aux effets
dispendieux.
L’affirmation
d’un nouvel modèle de développement permet
d’éviter le double piège du repli et de
l’enfermement – le protectionnisme – et d’une
mondialisation parvenue à son apogée. C’est
également le point de rencontre avec l’écologie, ce
profond inspirateur avec lequel il ne peut être à terme
biaisé. Il n’est de toute façon plus possible de
concevoir le futur à une autre échelle que celle de la
planète ! Pour y parvenir, rien de mieux que de sortir du cadre en
faisant acte de raison…
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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