Mises et
Schumpeter l’avaient déjà remarqué. L’ennemi
le plus dangereux de l’économie de marché n’est pas
nécessairement l’État. Celui-ci n’est qu’un
instrument dans les mains de ceux qui occupent les postes clés du
pouvoir. Il ne s’agit pas non plus des opposants les plus virulents
à l’égard de l’économie de marché car
ceux-ci sont faciles à repérer lors de leur entrée sur
la scène politique. En effet, n’est-il pas notoire qu’il
faut se méfier de ses amis ? La cinquième colonne dans le
camp de l’économie de marché n’est autre que son
plus grand héros : L’entrepreneur !
Comment
l’entrepreneur - force-motrice de l’économie de
marché - peut-il devenir la force-destructrice du système
socio-économique qui a rendu possible son ascension ?
Les actions
des individus peuvent toutes se solder par une réussite ou un
échec et nul ne sait à l’avance si ce sera l’un ou
l’autre. Nous agissons dans la plus grande incertitude. Or, les
individus ne contrôlent pas
bon nombre de facteurs qui structurent pourtant leurs actions
individuelles, en particulier les actions des autres individus qui peuvent
venir contrecarrer les leurs ou au contraire les aider à atteindre leurs
buts. Quelles que soient les capacités intellectuelles d’un
individu, il ne peut que se faire une idée approximative des conditions sociales changeantes de son
action. Et pourtant, certains
individus prospèrent dans ces conditions d’incertitude et arrivent
même à se spécialiser dans l’évaluation de
l’évolution des conditions sociales de l’action.
Ces
individus-entrepreneurs cherchent à gérer l’incertitude,
en associant d’autres individus à leurs projets, tout en
évitant de leur faire subir cette forte incertitude. Ils produisent
ainsi de la richesse tout en associant d’autres individus – les
propriétaires des facteurs tels que travail et biens de capital
– dans ce processus créatif. Pour ce faire, les entrepreneurs accumulent
un capital capable de financer des facteurs productifs. En cas de
réussite, ce capital augmentera et permettra donc une
éventuelle expansion de la production existante ou la création
de nouveaux processus productifs.
Cependant,
certains entrepreneurs estiment que la compréhension du comportement de leurs clients, de
leurs fournisseurs, de leurs concurrents, et des autres agents qui
influencent positivement ou négativement leur réussite, ne
suffit pas. Ils concluent que la meilleure façon de faire face
à l’incertitude est de contrôler directement les
conditions sociales dans lesquelles leurs entreprises évoluent. Une
partie de leur capital sera alors utilisé pour obtenir des
privilèges auprès de l’État afin de réduire
l’incertitude sociale qu’ils subissent.
Ces
« entrepreneurs » vont chercher à obtenir par la
force ce qu’ils réussissaient auparavant à avoir
grâce à leurs compétences entrepreneuriales. Les
concurrents seront ainsi évincés du marché, non parce qu’ils
sont moins bons mais parce qu’ils n’ont pas su obtenir les faveurs
de l’État. Les consommateurs n’auront plus d’autre
choix que de se fournir auprès des entreprises
sélectionnées par l’État.
La symbiose
entre l’État et les entreprises privilégiées peut
parfois atteindre un tel niveau que
les deux se confondent. L’État obtient de nouveaux
marchés pour ces entreprises de façon politique et les soutient
financièrement en cas de mauvaise passe (au détriment des
contribuables). De leur côté, les entreprises privilégiées
n’hésitent pas à employer d’anciens hauts fonctionnaires
et autres technocrates, en guise de remerciement pour les privilèges
reçus ou dans l’espoir de futurs privilèges. Les
entreprises privilégiées n’oublieront pas non plus
d’investir dans les projets gouvernementaux qui servent aussi bien les
intérêts de leurs partenaires politiques que les leurs.
Ce type
d’entreprise est un casse-tête pour les défenseurs de
l’économie de marché. Comment démontrer les
avantages et la réussite des entreprises non-privilégiées
et les bienfaits de l’économie de marché quand les
exemples les plus visibles de réussite et de pérennité
« entrepreneuriale » sont ceux de grandes corporations
étroitement liées à l’État ?
La
réponse consiste à montrer que la réussite de ces
entreprises privilégiées, loin d’être une
réussite entrepreneuriale, n’est rien d’autre qu’un
transfert de la charge entrepreneuriale sur les épaules du
contribuable.
Quand une
entreprise réussit « grâce » à
l’aide de l’État, ce n’est pas le signe que le
système capitaliste a besoin de l’État pour survivre. C’est
plutôt la preuve que ces faux entrepreneurs ont besoin de s’approprier
l’argent des contribuables pour pouvoir survivre. La vraie réussite n’est pas de
prospérer via les moyens politiques, mais bel et bien de former du
capital productif à même de réduire par les moyens
économiques l’incertitude à laquelle font face les
individus.
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