1. Equilibre et croissance économiques.
On ne peut que s'interroger sur le succès qu'ont connu la notion
d'équilibre économique général ou celle d'équilibre macroéconomique parmi les
économistes depuis le XIXème siècle.
Ces notions d’équilibre ne sauraient être cachées par la notion de
croissance économique, plus récente (mi-XXème siècle), et souvent mise en
avant aujourd'hui par la doxa médiatico-politique.
Point commun de ces notions, elles cachent les échanges de marchandises
directs des personnes, de vous et moi.
Elles sont muettes sur les échanges indirects qui font intervenir la
marchandise intermédiaire "monnaie" et que nous connaissons sous
une forme dénaturée (cf. ce texte
d'avril 2015).
Il ne faut pas oublier, en effet, qu'un échange indirect de marchandises
est la succession unitaire d'une offre puis d'une demande de marchandises par
la personne, vous ou moi.
Et non pas l'inverse.
On offre toujours des marchandises qu’on est prêt à céder, contre monnaie
– "marchandise intermédiaire" qu’on n’a pas, en général, la
capacité d’offrir - pour pouvoir acquérir des marchandises qu’on préfère et
désire.
Cette situation d’échange indirect cache nécessairement trois ou quatre «
grands » marchés.
Le premier procède de l’offre et ne doit pas cacher la demande existante ;
il va de pair avec un deuxième marché, à savoir le premier marché de la
monnaie.
Le troisième marché procède de la demande et ne doit pas cacher l’offre
existante ; il va de pair avec un quatrième marché, à savoir le second marché
de la monnaie.
Soit on synthétise les deux marchés de la monnaie en un seul et dans ce
cas, on a trois grands marchés au total, soit on les maintient
séparés et, dans ce cas, on a quatre grands marchés.
Reste que l’occasion de l’offre de marchandises par la personne cache une
occasion de demande de marchandises par autrui et suscitera une occasion de
demande par icelle qui, elle-même, ne devra pas cacher une occasion d’offre
par autrui.
Mises avait remarqué:
« L'individu doit prendre en compte la valeur d'échange objective de la
monnaie, telle que déterminée par le marché d'hier, avant de pouvoir forger
une estimation de la quantité de monnaie dont il a besoin aujourd'hui.
La demande et l'offre de monnaie sont ainsi influencées par la valeur de
la monnaie dans le passé.
Mais elles modifient à leur tour cette valeur avant d'être en équilibre. »
(Mises,
chap. 2)
Je dirai, pour ma part, que la demande rencontre la première
offre évoquée de l'échange indirect et contient l’influence des prix en
question.
2. Equilibre, croissance et mathématiques.
En force, et malgré leurs erreurs, équilibre et croissance
économiques sont devenus le terrain de jeu des mathématiciens qui avaient
choisi de ne plus s'intéresser à leur discipline et en cherchaient une
autre, en définitive ... à dévoyer, voire à dénaturer.
C'est ainsi que, dans un éclat,
sans cérémonie, Paul Romer a accusé récemment plusieurs collègues - dont
Lucas et Prescott, deux "prix Nobel" - d'utiliser les
mathématiques de façon malhonnête pour soutenir leurs convictions
idéologiques.
Dans l'élaboration de théories sur la façon dont se produit la croissance
économique, a-t-il suggéré, ils ont glissé des hypothèses absurdes dans leurs
modèles économiques pour garantir les résultats qu'ils voulaient.
Sa dénonciation de telles “ mathématicités” - en anglais, "mathiness"
- a déclenché une tempête de commentaires à quoi des collègues de “Bloomberg
View ”, Justin
Fox et Noah
Smith, ont apporté des contributions remarquables.
3. Structuralisme et science économique.
Mais le problème qu’a identifié Romer va bien au-delà de la "théorie
de la croissance" en quoi il s'est spécialisé.
Il est plus profond qu'une simple querelle entre camps universitaires.
Il objecte la manière dont de nombreux économistes utilisent les
mathématiques et qui est différente de celle dont les physiciens ou
biologistes ou ingénieurs l’utilisent.
Longtemps, les scientifiques ont fait appel aux mathématiques, seulement
comme outil.
Et ils évaluaient finalement leur compréhension pratique de ce qu'ils
avaient en ligne de mire en s'affranchissant de la rigueur théorique.
Ils se souciaient d'abord de la plausibilité des hypothèses utilisées dans
le modèle.
Mais tout a changé au XXème siècle, en particulier, à l'initiative de
certains instituts des Etats-Unis où travaillaient des économistes.
Après avoir sacralisé, dans la décennie 1930, les travaux d'économistes
immigrés de l'Europe de l'Est qui fuyaient le communisme (Lange, Lerner, etc.)
mais dévoyaient les écrits de Vilfredo Pareto (cf. ce texte de juillet 2009), ou
le socialisme national (Mises, Hayek), la démarche leur a juxtaposé, à partir
de la décennie 1950, ceux de mathématiciens indigènes (Kenneth Arrow) ou
immigrés (Gérard Debreu) qui voulaient "faire de la science économique
mathématique".
Exemplaire est la théorie économique moderne de Arrow et Debreu qui a
commencé avec un modèle mathématique d'une économie extrêmement abstraite -
ensemble de producteurs, de consommateurs et de marchandises - et a ensuite
construit des théorèmes sur ses propriétés.
Le résultat, le plus célèbre, a été que, sous un ensemble de conditions,
cette économie imaginaire possédait un équilibre
unique, un ensemble de prix qui égalisait parfaitement production et
consommation.
Certes, des pratiquants de la méthode minimisent la
nécessité d'hypothèses réalistes, comme Paul Fleiderer l’a noté dans son
brillant essai sur les caméléons.
Mais ils utilisent des suppositions très douteuses pour obtenir un
résultat qu'ils utilisent ensuite comme fondement pour donner des conseils
aux décideurs.
Ce qui est, à peu près, le contraire de la bonne science.
Cette mathématique contribue à conforter le "structuralisme" -
fausse "philosophie"
enseignée et choyée, par exemple, en France - au lieu de le fuir.
4. L'équilibre ou la croissance n'existe pas.
Quitte à faire une représentation géométrique de l'échange indirect
de marchandises par une personne, ce qu'on dénomme "équilibre" est
représenté nécessairement, au minimum, par une figure de
type "bipoint" qui ne peut être identifié, par
définition, à un terme.
Il exclut, en tant que tel, toute fin des échanges indirects, toute
question de stabilité de ceux-ci et s’oppose ainsi à l’habitude de ce
qui est dit et qui consiste à voir dans l'équilibre un terme.
Contrairement à ce que la mathématique fait dire, la notion
d’équilibre économique général ou celle d’équilibre macroéconomique n’est
pas, en effet, une figure géométrique de type "point"
identifiable à un terme, sauf à la rendre incomplète ou incohérente.
Elle est incomplète si on ne fait pas intervenir l’un des deux équilibres
donnant aux échanges indirects, leur unité.
Elle est incohérente
si, d'une part, elle accepte l’idée d’un équilibre passé, à court
terme ou à long terme, voire au-delà, dont on déduit des offres et des
demandes des marchés et
si, d'autre part, elle ne limite pas les échanges aux seuls échanges
directs qui excluent donc ce qu’on dénomme « monnaie ».