Dans
le désordre, un intéressant débat se poursuit à
propos de ce que les anglo-saxons ont appelé le PSI (Private Sector Involvement – implication du secteur privé) :
la participation au programme de restructuration de la dette publique, qui
est actuellement négocié dans le cadre du nouveau plan de
sauvetage de la Grèce.
Les
uns considèrent qu’il faudrait impérativement revenir sur
une telle participation, car celle-ci serait à l’origine des
tensions qui se sont généralisées sur le marché
de la dette souveraine, qu’il faut impérativement calmer.
C’est le cas d’Athanasios Osphanides, gouverneur de la banque centrale de Chypre et
membre du conseil des gouverneurs de la BCE.
D’autres
sont au contraire favorables à ce que la décote consentie par
les créanciers soit plus importante que les 50% de départ.
Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, vient d’en
défendre la perspective, au vu de la détérioration de la
situation économique grecque.
Aspect
moins évoqué du processus, s’il se poursuit,
l’autre partie de la dette grecque est progressivement
transférée vers l’Union européenne et le FMI, qui
la refinancent via leurs prêts, et vers la banque centrale, qui
l’achète sur le marché secondaire. La participation de la
BCE – grande détentrice de la dette grecque – à
cette restructuration volontaire va ensuite se poser, or elle avait
d’entrée de jeu affirmé qu’il n’en
était pas question. Puis viendra le tour de la restructuration des
nouveaux prêts de l’Union européenne et du FMI…
Derrière
ce débat à propos de la dette grecque s’en profile un
autre. Il a été dit sur tous les tons que le cas de la
Grèce était une exception, et qu’il était hors de
question de s’engager dans le même processus pour d’autre
pays. Mais les marchés savent ce que vaut la parole des
dirigeants politiques et s’inquiètent du précédent
ainsi créé. Ils se rappellent que, lors de la première
restructuration de la dette grecque qui avait reposé sur une
décote de 21% à l’été dernier, il avait
déjà été affirmé que l’on n’y
reviendrait pas…
Dans
l’immédiat, les dirigeants européens cherchent à
tourner la page, et exigent une conclusion rapide des négociations qui
s’éternisent entre le gouvernement grec et l’Institute for
International Finance (IIF). Elles s’orienteraient vers
l’adoption d’une décote allant nettement au-delà
des 50% de départ, pour tourner autour de 60%, afin de
crédibiliser le nouveau plan de sauvetage. Les banques
n’auraient pas le choix.
Le
processus en cours a eu sans attendre d’importantes conséquences
pour le système financier, qui concernent le marché des Credit Default Swaps (CDS), ces instruments permettant de
s’assurer contre notamment le défaut sur la dette souveraine. Le
comité de l’International Swaps and Derivatives
Association (ISDA), chargé de décider de l’activation des
CDS, a en effet dès le début décidé qu’il
n’y avait pas lieu de le faire, étant donné le
caractère volontaire de la participation à la
restructuration de la dette grecque, en dépit de l’importance de
la décote.
Cette
position a protégé les établissements financiers qui
avaient émis les CDS sur la dette grecque, n’ayant pas à
régler le montant de la décote. Leur identité ne peut
faire l’objet que d’hypothèses sur ce marché
opaque, mais on peut supposer qu’ils sont bien
représentés dans le comité en question, qui regroupe les
principaux acteurs de ce marché. Mais elle a également eu un
effet secondaire important : s’il n’était plus possible de
s’assurer contre les défauts, une conclusion dès lors
s’imposait, il ne fallait plus prendre de risques sur un marché
de la dette devenu imprévisible. En affaiblissant la demande, la
décision de l’ISDA a eu comme effet de faire monter les taux
obligataires. Ce n’était pas la restructuration qui a
été à l’origine de leur hausse, comme
affirmé par ceux qui n’en veulent sous aucun prétexte et
qui ne désarment pas, mais l’impossibilité de
s’assurer contre tout défaut.
Ce
qui conduit à s’interroger sur les motivations réelles du
comité. A-t-il eu comme unique intention de protéger les
intérêts des émetteurs de CDS, ou n’a-t-il pas
également engagé une stratégie de tension sur le
marché obligataire, afin de dissuader toute velléité de
nouvelles restructurations ?
Jusqu’il
y a peu indistinctement considérées comme étant à
zéro risque, à ce titre véritables piliers de
soutènement du système financier, les obligations souveraines
ne sont plus ce qu’elles étaient, et cela fait problème.
Rendant primordial d’imposer le retour au strict respect des
intérêts des créanciers, et au-delà du
système dans son entier, afin que tout rentre dans l’ordre le
plus vite possible et que l’investissement obligataire redevienne une
valeur sans risque. Disposant d’un côté de banques
centrales généreuses en liquidités et de l’autre
côté de placements garantis, les banques pourraient ainsi
à nouveau voir l’avenir en rose.
Mais
cette histoire est un feuilleton, et nous n’en sommes qu’aux tous
premiers épisodes. La logique économique dans laquelle les pays
européens sont enfermés rend forte – si ce n’est
inévitable – la probabilité de nouveaux défauts,
tandis que leur sauvetage devient de plus en plus hors de
portée financière. Dans ces conditions, de nouveaux plans de
sauvetage pourront-ils éviter de comporter un volet PSI,
afin de réduire les besoins de financement public ?
Dans
ses tentatives de maîtriser le processus de désendettement, le
système se trouve placé devant des impératifs
contradictoires : pour boucher un trou, il en creuse un autre ! Parviendrait-il
à ses fins qu’il ne serait pas pour autant au bout du chemin.
Car une chose est de refinancer la dette publique de bric et de broc, une
autre sera de se représenter plus tard sur le marché, le regard
clair et la tâche accomplie, et d’y être bien accueilli.
Rien, dans la situation actuelle, ne permet de prévoir dans quels
délais et sous quelles conditions ce retour à la normalité
sera possible.
Petit
à petit, il se dessine ainsi un étrange paysage, où le
financement du désendettement public serait par la force des choses
partagé, mais où les banques resteraient in fine soutenues
à bout de bras par la banque centrale, peinant de plus en plus
à se recapitaliser face à leurs pertes. Combien de temps une
telle situation pourrait-t-elle durer ?
Billet rédigé par
François Leclerc
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