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Dans les
billets précédents (1
et 2),
nous avons expliqué que l’évasion fiscale n’est pas
à l’origine des déficits publics et qu’elle ne
diminue pas nécessairement nos richesses. Non seulement
l’évasion fiscale n’a pas de conséquences
économiques négatives, mais au contraire, on peut même
considérer qu’elle remplit une fonction économique
importante dans la mesure où elle permet de mesurer la perception des
finances publiques par les contribuables. Une augmentation de
l’évasion fiscale indique une augmentation de la
déception des contribuables vis-à-vis des services et biens
publics offerts, par rapport au montant d’impôts payés.
Dans son
rapport annuel publié le 1er décembre, l’ONG Transparency International souligne le rôle
important de l’évasion fiscale dans l’augmentation des
dettes publiques et ajoute que les changements politiques récents en
Grèce et en Italie contribueraient à donner de la
crédibilité aux gouvernements respectifs et donc à
accroître leurs entrées fiscales. Il est intéressant de
noter d’emblée que la stratégie consistant à
améliorer la crédibilité des politiques publiques repose
sur une interprétation de l’évasion fiscale comme
thermomètre de la perception des politiques publiques. Elle se
différentie donc de la stratégie discutée dans les
billets précédents, qui consiste à renforcer le
contrôle fiscal et à dénoncer la fraude fiscale, qui
repose sur l’idée suivant laquelle l’évasion
fiscale serait à l’origine des déficits
budgétaires. Puisque cette interprétation de
l’évasion fiscale fournie par Transparency
International met en évidence la dimension éthique, elle
nécessite des approfondissements supplémentaires.
Est-il immoral
de ne pas payer ses taxes ?
La
réponse à cette question est très simple : cela
dépend ! La moralité de l’évasion fiscale
dépend nécessairement de la moralité du système
de taxation. Il en est ainsi car d’un point de vue moral,
l’évasion fiscale et la taxation sont inversement
proportionnelles. Lorsque l’agencement étatique qui redistribue
les taxes est considéré immoral, l’évasion fiscale
est ipso facto morale, et
vice-versa. Par exemple, lorsque des régimes corrompus, tyranniques ou
dictatoriaux sont perçus comme immoraux, l’évasion
fiscale devient implicitement une action morale. Ce raisonnement ne change
pas automatiquement dans un régime démocratique. Pour les
minorités qui souhaiteraient faire sécession ou tout simplement
pour des individus contestataires, le fait qu’un régime ait
recueilli un certain nombre de voix ne suffit pas pour le rendre
légitime. Il serait naïf de concevoir la démocratie comme
une boîte magique, capable de légitimer tout ce que l’on
met dedans, (gouvernements, institutions, politiques etc.) pourvu que ce soit
le résultat d’un processus électoral. D’un point de
vue moral, il est possible de juger cas par cas la moralité de chaque
gouvernement, institution ou politique qu’il s’agisse ou non
d’un régime démocratique.
Cette
observation est très importante, car elle nous permet de comprendre
que l’évasion fiscale ne peut pas être
considérée comme immorale pour le simple fait qu’elle est
illégale. La moralité n’est pas une sous-catégorie
de la légalité. C’est au contraire
précisément lorsque la moralité est formulée
indépendamment du droit positif que nous pouvons établir
qu’une loi est morale ou immorale. Sans cela, si toute loi était
nécessairement morale (et si, par conséquent, toute action
enfreignant la loi était immorale), nous n’aurions pratiquement
plus de repère moral. Ainsi, nous comprenons maintenant mieux
l’importance de l’évasion fiscale comme thermomètre
non seulement de la perception de l’efficacité des politiques
publiques, mais aussi de leur légitimité. Le fait
d’accroitre la pression sur les contribuables d’un pays pour
payer leur taxes reviendrait à casser ce thermomètre de la
légitimé des politiques publiques. Autrement dit, imaginez un
gouvernement qui en guise de réponse à une émigration
croissante durcirait les conditions de sortie du pays ou même
construirait un mur pour empêcher ses citoyens de voter avec leurs
pieds. De toute évidence, une telle politique
n’améliorerait pas l‘image du régime en question
aux yeux de ses citoyens, ni ne le rendrait plus légitime. Il en va de
même pour l’évasion fiscale.
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