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1. L'eurodépendance.
Il y a vingt
ans (1992, cf. ce billet), l'idée en vogue était que la
construction d'une monnaie européenne serait le bon chemin à
suivre vers l'instauration d'un Etat européen, lequel était
à souhaiter.
Aujourd'hui
(2012, cf. ce billet), l'idée en vogue est double.
Elle est que les
déficits des budgets des Etats de l'Union européenne posent des
problèmes - il y a crise de financement - et, surtout, un
problème d'existence de l'"euro".
Elle est aussi que les uns et les autres seront résolus si l'Union
européenne s'engage sur le chemin d'un Etat fédéral
(dont une première marche tiendrait dans l'émission d'euro
obligations - cf. par exemple cet
audio).
Entretemps
(cf. ce billet), la monnaie régionale européenne
dénommée "euro" a été mise en oeuvre (1999-2002).
Une partie seulement des peuples des pays de l'U.E. a choisi d'être
membres de la toute nouvelle "zone euro".
Mais les gouvernements de ces mêmes pays n'ont pas respecté les
règles -"critères de Maastricht" et autre "pacte
de stabilité et de croissance" - dont ils étaient convenus
et qu'ils s'étaient engagés à respecter pour que la
monnaie euro fonctionne bien, comme s'ils avaient pris conscience de leurs
erreurs initiales.
"Cosinus, debout devant
un tableau noir
où est marqué
'U égale 0'"
[à défaut de "€ égale 0"... (cf. ce
billet)]
Et, malgré cela, ils sont parvenus à faire passer un ersatz de constitution
de l'Union européenne (cf. ce texte).
2. L'évolution mi-théorique mi-réglementaire.
Cette évolution réglementaire n'est pas sans rappeler une
évolution antérieure mi-théorique
mi-réglementaire sans quoi d'ailleurs elle
n'aurait pas pu se faire si elle ne s'était déroulée.
En effet, dans la décennie 1930, des économistes avaient
envisagé la monnaie sous un angle qui se voulait nouveau et, surtout,
pertinent : celui de l'"épargne nouvelle" d'un pays -
quoique nouvelle, "résidu" néanmoins...-, de la
"liquidité" - notion introduite pour l'occasion - et des
gains en capital à court terme en relation avec les taux
d'intérêt bas du moment, des taux d'intérêt sur des
créances à revenu fixe à long terme.
Jusqu'alors, la quantité de monnaie était essentiellement
analysée en relation avec les échanges de richesses, de droits
de propriété sur les choses et les prix à quoi ces
échanges donnaient lieu quand ils étaient conclus.
Soit dit en passant, malheureusement, faute de concept reconnu, on avait
recours le plus souvent à la rhétorique au mauvais sens du mot
et on disait que la monnaie "facilitait" les échanges,
"réduisait les obstacles" aux échanges, les
"difficultés" d'échanger... au lieu de dire tout
simplement, que la monnaie contribuait à diminuer le coût de
l'acte d'échange synallagmatique présent.
Mais, pour cela, il eût fallu reconnaître comme concept
d'explication économique, l'acte d'échange, ce qui
n'était pas le cas. Encore aujourd'hui, seuls les économistes
de l'école dite "autrichienne" s'y réfèrent
(cf. ce
billet)...
On confondait aussi "monnaie" et "quantité de
monnaie" - on prenait l'une pour l'autre - et la quantité de
monnaie "en circulation" donnait lieu aux concepts discutables de
"niveau général des prix" et de "vitesse de
circulation de la monnaie".
On insistait enfin sur les variations de la quantité de monnaie et sur
les effets de l'augmentation de celle-ci sur les prix,
phénomène dénommé "inflation".
Désormais, avec le nouvel éclairage, la quantité de
monnaie sera envisagée principalement en relation avec les taux
d'intérêt et les patrimoines possédés, peu
importent les prix...
La monnaie devient ainsi "actif de patrimoine" des uns, mais pas
pour autant "dette de patrimoine" des autres...
Elle devient d'autant moins "dettes des autres" que, dans la
même décennie et dans les décennies postérieures,
les législateurs nationaux vont asséner des interdictions
impensables auparavant aux uns et aux autres.
C'est d'abord, dans la décennie 1930, l'interdiction de la
convertibilité intérieure des billets et dépôts
bancaires en monnaie or à taux fixe et à la demande.
C'est ensuite, en 1971-73, l'interdiction de la convertibilité
extérieure des mêmes.
On en est là aujourd'hui! (cf. ce texte de
septembre 2011)
Malgré ces interdictions, et curieusement, les législateurs
nationaux n'ont pas réformé les comptabilités bancaires
(cf. par exemple, ce texte).
Dans chaque pays, "billets" et "dépôts"
bancaires des particuliers et entreprises sont restés inscrits au
passif du bilan de la banque et, donc, au passif du bilan consolidé
des banques (banque centrale et banques de second rang) comme si de rien
n'était..., quoiqu'ils ne fussent plus "substituts de la
monnaie", mais "substituts de rien", "néant
habillé en monnaie".
Ils y coexistent avec les dettes - reconnues telles - et les capitaux propres
de la banque ou des banques.
Billets et dépôts bancaires n'ont ainsi que des contreparties
comptables inscrites à l'actif du bilan correspondant,
dénommées "prêts", "créances",
"crédits", etc., voire "de l'or" (l'actif de la
Banque centrale européenne est merveilleux à ce sujet...) tout
comme en ont les "vraies" dettes et les capitaux propres.
Soit dit en passant, le discours en vogue semble désormais
préférer l'anglicisme "collatéral" au mot
"contrepartie comptable".
"Question de droit, de garantie" dira-t-on.
Je répondrai : "il est bien tard pour se préoccuper du
droit" quand, précédemment, on a mis de côté
ses règles fondamentales en théorie et quand on les a presque totalement
détruites en pratique.
Ces manipulations, pour ne pas écrire "malversations", ont
ouvert la voie à ce que "ce qu'on dénomme monnaie"
aujourd'hui désigne en définitive n'importe quoi ... quand le
mot "monnaie" est utilisé (cf. ce billet).
Car il ne l'est pas toujours: ne parle-t-on pas en France
d'"argent" plutôt que de monnaie?
Et, à ce propos, n'oublions jamais que des économistes
réputés sérieux continuent à travailler sur des
mondes économiques théoriques où la monnaie n'existe
pas! Et ils s'autorisent à porter des jugements sur la
réalité économique et sur les nouvelles contraintes que
les hommes de l'Etat devraient instituer pour améliorer la situation!
Et, le cas échéant, ils sont récompensés par un
prix Nobel!
Aujourd'hui, le montant comptable des billets et dépôts
bancaires constitue ce qu'on dénomme la "quantité de
monnaie" - la "masse monétaire" en France... - ou
plutôt les quantités de monnaie, les "dépôts
bancaires" retenus par les "docteurs" n'étant pas
toujours les mêmes..., mais étant objet de débats entre
eux.
Soit dit en passant, en parlant en France de "masse
monétaire" plutôt que de "quantité de
monnaie", nos docteurs de la Banque de France et d'ailleurs chargés
de la mesure, laissent entendre, sans le dire, que, "nouveaux
Newton", 'ils sont parvenus à séparer le "poids"
et la "masse" monétaires, mais ils se gardent de nous parler
de la "force de gravité" monétaire sur quoi ils ont
mis le doigt...
On est, en vérité, dans l'absurde.
Ce n'est pas nouveau : dans son livre de 1944 intitulé Petite histoire des
grandes doctrines économiques, Daniel Villey parlait déjà de l'absurdisme du
keynésianisme et relevait que
"C'est cette face « absurdiste » du keynésianisme qui
a fait dire à M. Wilhelm Röpke que
Keynes était 'le Picasso de l'économie politique'" (p.265n)
3. L'idée fausse
actuelle.
Bref, à défaut d'être prise pour ce qu'elle était
- ce qui contribue à diminuer le coût de l'acte d'échange
synallagmatique présent -, après qu'elle a été
confondue avec sa quantité, la monnaie a été confondue
avec ce qui procède des dettes, à savoir la finance, et, le
monopole de la Banque centrale non privée aidant, avec les finances
des Etats (ce qu'on dénommait dans le passé les "finances
publiques").
Dénaturée ainsi par les législateurs et des savants dans
l'erreur, la monnaie est en effet devenue indirectement une dette de l'Etat -
une "dette souveraine" comme disent aujourd'hui les financiers -,
une dette perpétuelle à taux d'intérêt égal
à zéro dont l'Etat pourrait faire varier la quantité en
circulation à sa guise...
Et l'idée précédente a été
mélangée à celle de l'influence macroéconomique
des variations de la quantité de monnaie, i.e. à l'idée
des effets des variations de celle-ci sur les revenus nominal et réel,
l'activité économique et l'emploi, considérations
consensuelles des keynésiens et des monétaristes de tout poil .
Et tout cela a amené à l'idée fausse actuelle que les
déficits des budgets des Etats des pays de la zone euro et surtout
leur financement, i.e. l'endettement croissant des Etats, mettent en danger
la monnaie dénommée "euro" alors que c'est tout le
contraire qu'il faudrait avoir en ligne de mire.
Le danger
est l'"euro" (cf. ce billet) pour autant que "euro"
est le nom donné à un ersatz
de monnaie (cf. ce billet)qui a
été construit pour l'occasion par des docteurs dans l'erreur,
par des savants eurodépendants.
Il a permis aux hommes de l'Etat d'afficher impunément ces
déficits récurrents (cf. ce
texte pour le cas de la France), contraires au simple bon sens, et de les
financer en faisant appel au marché financier - qu'ils déclarent
à qui veut l'entendre "haïr"...- jusqu'à ce que
le marché demandât des comptes et commençât
à refuser d'apporter son aide...
En particulier, l'euro a permis que les taux d'intérêt à
long terme des Etats des pays de la zone euro soient égaux un temps
(cf. ci-dessous : dettes souveraines à 10 ans - dans la période
1995-2011, graphique
ci-dessous:]
alors que les situations - présentes et à attendre - de ces
Etats n'avaient rien à voir les uns avec les autres et cachaient des
tas de choses différentes.
En d'autres termes, le marché financier était dupé.
Le graphique précédent peut être précisé
par le graphique ci-dessous:
Le graphique confirme que
le début de la divergence coïncide avec la faillite de Lehman
Brothersde septembre
2008, mais s'accroît avec le "flash crash" de
mai 2010...
La monnaie dénommée "euro" permet encore, entre
autres, qu'à la fin de chaque mois, les banques centrales nationales
fassent état, chacune, d'un montant de billets qui sera dit comptablement "en circulation" (cf. ce
billet de novembre 2011), mais qui n'a rien à voir en
définitive avec la gestion courante de la banque ou, si on
préfère, avec la demande de cette "forme de monnaie"
par les particuliers et les entreprises.
Une règle, encore respectée jusqu'à présent ...,
veut, en effet, que la Banque centrale européenne redistribue les
billets dont elle a le monopole d'émission entre les banques centrales
nationales.
Soit dit en passant, le montant des billets s'élevait
au 7 juin 2002, à:
€ 303 milliards
(cf. ce texte
du 11 juin 2002)
Il s'élève au 1er juin
2012 à:
€ 885 milliards,
soit une multiplication par 2,9 en dix années!
Certes, le nombre des pays membres de la zone euro est passé de 12
à 17 dans la période (cf. ce
texte de janvier 2011).
Mais on ne peut que s'interroger sur le bien fondé
d'une telle augmentation (cf. ce
texte de juin 2009).
La B.C.E. agit d'abord sans raison économique, mais sur la base d'un
critère technocratique, à savoir:
“Depuis
l’introduction des billets en euros début 2002,
92 % du montant des billets en euros mis en circulation
sont répartis à chaque fin de mois entre les banques centrales
nationales membres de l’Eurosystème
selon leur part dans le capital de la Banque centrale européenne
(B.C.E.);
les 8 % restant sont alloués à la B.C.E.”.
Nous sommes donc dans l'illusion, la cachotterie et la duperie qui
résulte de l'idée fausse du savant eurodépendant.
Georges
Lane
Principes
de science économique
Le texte ci-dessus a été
publié, sous le même titre, dans le périodique de l'A.l.e.p.s
., , 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris,
intitulé Liberté
économique et progrès social, n° 70, mars 1994, pp.
10-23 .
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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