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Cours Or & Argent

L’incertitude Européenne

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Publié le 08 novembre 2010
1623 mots - Temps de lecture : 4 - 6 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Chacun de son côté, l’OCDE et le FMI viennent de prévoir un ralentissement général du rythme de la reprise. Ce sont leurs propres termes. Le premier estime que « la reprise mondiale demeure fragile, mais est globalement sur les rails », tout en reconnaissant que ses prévisions sont entachées d’une « incertitude considérable » et que de grandes disparités existent entre pays développés et émergents, les pays résistant le mieux ayant leur croissance encore tirée par des plans de relance ou par leurs exportations.


Après avoir rituellement réaffirmé que le niveau de la dette publique était « insupportable », l’OCDE s’inquiète également des risques créés par les flux de capitaux dans les économies émergentes – création de bulles d’actifs et hausse des taux de change – concluant qu’il faudrait « parvenir à une approche commune de la manière de réduire les déséquilibres mondiaux » et que des « réformes structurelles » sont nécessaires dans ces pays. Vastes propos se concluant par la suggestion du développement de marchés financiers dans les pays émergents !


Peut-être l’OCDE avait-elle en tête le lancement dans le système financier chinois de produits dérivés (de type CDS), qui vient d’intervenir, afin de mieux gérer le risque lié à la dette, en collaboration entre mégabanques occidentales et chinoises ? Les autorités régulatrices n’ayant pas su ou pas voulu résister aux sirènes, inquiètes en raison de la bulle financière qu’elles tentent de combattre, et qui viennent de passer un pacte avec le diable.


Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI, vient de faire également état d’une même tendance. Dans son « Rapport de surveillance budgétaire multinational » semestriel, le Fonds en tire comme conclusion que « la voie idéale serait d’éviter toute rigueur aujourd’hui, tout en s’engageant de manière crédible à la rigueur à l’avenir ». « Etant donné le rythme relativement lent de la reprise économique, appuyer sur les freins avec une ferveur excessive ne serait pas adéquat à moins qu’il y ait une forte pression des marchés », ajoute-t-il.


Voilà une approche nuancée qui n’est de toute évidence pas partagée par la BCE et Jean-Claude Trichet, son président. Ce dernier mène campagne et pousse les feux afin d’obtenir la plus grande « discipline fiscale » possible, et continue sa croisade contre le « laxisme budgétaire ». «Automaticité des sanctions » et « très fortes conditionnalités » à l’accès aux mécanismes d’aide financière actuellement en discussion sont ses maîtres-mots dont il ne démord pas.


De feutrés, les désaccords sont de plus en plus ouvertement exposés au grand jour. Lorsque Jean-Claude Trichet avait mis en avant les dangers résultant, selon lui, d’un mécanisme de restructuration des dettes d’un pays impliquant ses créanciers, c’est-à-dire les banques européennes, Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, lui avait répliqué sans le nommer : « Je souhaite rappeler à ceux qui ont des doutes à propos d’un tel mécanisme de résolution des crises que l’Union monétaire n’a jamais été conçue comme modèle d’enrichissement pour les spéculateurs financiers ». Une pierre dans le jardin de Jean-Claude Trichet.


La chancelière Angela Merkel a été toute aussi directe, estimant de son côté que le mécanisme de crise permanent qu’elle défend « doit être conçu de telle sorte que les contribuables européens ne soient plus les seuls responsables en cas de nouvelles erreurs et de mauvais comportements sur les marchés financiers. Les investisseurs privés doivent aussi participer! ». Si les termes de banqueroute ou de faillite sont soigneusement évités, il ne s’agit pas d’anticiper autre chose.


Les intentions allemandes font toutefois question. Non seulement parce que le plan proposé ne pourra être formellement opérationnel qu’en 2013 – une échéance très lointaine – mais parce que le sort qui serait réservé aux pays faisant appel à ce dispositif n’est pas clair. S’agirait-il de les garder à tout prix au sein de la zone euro ou, au contraire, de s’en séparer ? Une question qui concerne, potentiellement, non seulement la Grèce, l’Irlande et le Portugal – déjà aux premières loges – mais aussi l’Espagne, qui pourrait facilement les rejoindre.


Le dilemme est connu : durcir les conditions d’accès à un fonds de soutien est nécessaire, afin que faire appel à lui ne soit pas une solution de facilité ; rendre cet accès douloureux revient à engager un nouveau pari impossible, ainsi que la situation actuelle de la Grèce l’illustre déjà parfaitement. On n’avance donc pas, de fonds de stabilité en dispositif de crise: cette ambiguïté devra être levée, à moins que son issue ne s’impose d’elle même.


Quoi qu’il en soit, les prévisions de l’OCDE et du FMI ne sont pas là pour encourager les calculs de ceux qui pensent que la croissance et les recettes fiscales des Etats vont alléger le fardeau mis sur les épaules des pays entrés dans la zone de tempête.


Après une période d’accalmie, le marché obligataire européen présente les signes précurseurs d’une nouvelle crise, qui pourrait vite atteindre l’Irlande et le Portugal. La Grèce restant pour l’instant protégée par le parapluie financier dont elle a été dotée par l’Union européenne et le FMI. Pour ces trois pays, les taux se tendent à nouveau fortement. Alors que les interrogations montent, des deux côtés de l’Atlantique, à propos d’une hausse possible des rendements sur le marché obligataire, contre-coup non seulement des incertitudes européennes mais également de la création monétaire opérée par la Fed.


Ces deux dernières années, les taux obligataires ont été globalement bas, en raison des incertitudes qui régnaient sur les marchés boursiers. Si ces derniers redevenaient attractifs, comme cela en prend le chemin, de fortes tensions sur le marché obligataire pourraient apparaître. Au moment même où les Etats vont devoir emprunter davantage sur les marchés – le pic prévu est en 2011 – avant de réduire leurs émissions, alors que les banques vont s’y engager afin de répondre aux nouvelles exigences réglementaires de Bâle III.


La situation propre aux pays de la zone des tempêtes accroît encore cette hypothèse. En Irlande, Brian Lenihan, le ministre des finances, a annoncé un budget 2011 incluant 6 milliards d’euros de mesures de rigueur, sans encore en donner les détails, dans le cadre d’un plan d’austérité de 15 milliards d’euros sur 4 ans. Une somme colossale pour un pays de 4,5 millions d’habitants. Mais les prévisions de croissance du PIB (et donc des recettes fiscales) semblent avoir été calculées pour les besoins de la cause et sont d’une crédibilité douteuse. Ce qui a incité Olli Rhen, le commissaire aux Affaires économiques de Bruxelles, ainsi que Jean-Claude Trichet, de saluer les plans gouvernementaux dans le but de les accréditer. L’espoir fait vivre.


Signe d’une situation également périlleuse, le Portugal vient comme l’Irlande de démentir être entré en relations avec le FMI et l’Union européenne afin de leur demander leur soutien financier. L’adoption à l’arraché par le parlement d’un budget d’austérité draconien, à la suite de longues négociations entre les deux principales formations politiques – le parti socialiste et le parti social-démocrate – n’ont pas empêché les marchés de réagir négativement et les taux obligataires de se tendre davantage. La Commission européenne pressant immédiatement les autorités portugaises d’agir sans délai, afin de réduire plus rapidement que prévu le déficit.


Que ce soit en Grèce, en Irlande ou au Portugal, le même scénario se répète. Les marchés semblent n’en avoir jamais assez et contribuent aux déficits qu’ils s’efforcent de réduire en augmentant les rendements des obligations souveraines. Précipitant ces pays dans la récession et les engageant dans une spirale descendante.


La BCE tente de stabiliser le marché obligataire, en n’utilisant ses munitions qu’avec parcimonie, ne pouvant au mieux espérer qu’éviter de finales glissades. Les autorités chinoises, après être discrètement intervenues pour l’Espagne – puis ouvertement pour la Grèce – sont lorgnées avec les yeux de Chimène dans le cas de l’Irlande, qui va devoir se rendre sur le marché début 2011.


Tirant le gigantesque boulet de son marché immobilier sinistré, et un secteur bancaire replâtré dont la santé en dépend largement, l’Espagne pourra-t-elle éviter de les rejoindre ? Si l’on en croit le verdict du marché obligataire, rien n’est moins sur. Les taux espagnols sont à nouveau en forte hausse, après une accalmie à laquelle la BCE a probablement contribué. Là aussi, un budget de grande rigueur a été adopté, mais les marchés ne sont toujours pas satisfaits. Le chômage continue de s’étendre et d’approfondir la crise économique. Selon Eurostat, il était à 20,7% en septembre dernier, dans le cadre d’une progression générale du chômage européen.


La zone euro est devenu un édifice très fragile, traversé par un débat d’orientation mené dans la confusion et sans que s’affirme de réelle vision stratégique. Devant les marchés, la défensive prévaut, de manière désordonnée. A l’instigation des Allemands et de la BCE – gardiens du temple dans leurs domaines d’élection respectifs – le choix a été fait, en dépit de leurs divergences, de prioritairement réduire la dette publique et protéger le système bancaire européen qui l’a financée.


Comment la zone euro pourra-t-elle résister aux chocs qui l’attendent et que cette politique précipite ?




Billet invité : François Leclerc

 


Paul Jorion

pauljorion.com



(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.



Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).


 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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