Chacun
de son côté, l’OCDE et le FMI viennent de prévoir
un ralentissement général du rythme de la reprise. Ce sont leurs
propres termes. Le premier estime que « la reprise mondiale
demeure fragile, mais est globalement sur les rails », tout en
reconnaissant que ses prévisions sont entachées d’une
« incertitude considérable » et que de grandes
disparités existent entre pays développés et émergents,
les pays résistant le mieux ayant leur croissance encore tirée
par des plans de relance ou par leurs exportations.
Après
avoir rituellement réaffirmé que le niveau de la dette publique
était « insupportable », l’OCDE
s’inquiète également des risques créés par
les flux de capitaux dans les économies émergentes
– création de bulles d’actifs et hausse des taux de change
– concluant qu’il faudrait « parvenir à une
approche commune de la manière de réduire les
déséquilibres mondiaux » et que des
« réformes structurelles » sont
nécessaires dans ces pays. Vastes propos se concluant par la
suggestion du développement de marchés financiers dans les pays
émergents !
Peut-être
l’OCDE avait-elle en tête le lancement dans le système
financier chinois de produits dérivés (de type CDS), qui vient
d’intervenir, afin de mieux gérer le risque lié à
la dette, en collaboration entre mégabanques
occidentales et chinoises ? Les autorités régulatrices
n’ayant pas su ou pas voulu résister aux sirènes,
inquiètes en raison de la bulle financière qu’elles
tentent de combattre, et qui viennent de passer un pacte avec le diable.
Olivier
Blanchard, l’économiste en chef du FMI, vient de faire
également état d’une même tendance. Dans son
« Rapport de surveillance budgétaire
multinational » semestriel, le Fonds en tire comme conclusion que
« la voie idéale serait d’éviter toute rigueur
aujourd’hui, tout en s’engageant de manière crédible
à la rigueur à l’avenir ». « Etant
donné le rythme relativement lent de la reprise économique,
appuyer sur les freins avec une ferveur excessive ne serait pas
adéquat à moins qu’il y ait une forte pression des
marchés », ajoute-t-il.
Voilà
une approche nuancée qui n’est de toute évidence pas
partagée par la BCE et Jean-Claude Trichet, son président. Ce
dernier mène campagne et pousse les feux afin d’obtenir la plus
grande « discipline fiscale » possible, et continue sa
croisade contre le « laxisme budgétaire ».
«Automaticité des sanctions » et
« très fortes conditionnalités » à
l’accès aux mécanismes d’aide financière
actuellement en discussion sont ses maîtres-mots dont il ne
démord pas.
De
feutrés, les désaccords sont de plus en plus ouvertement
exposés au grand jour. Lorsque Jean-Claude Trichet avait mis en avant
les dangers résultant, selon lui, d’un mécanisme de
restructuration des dettes d’un pays impliquant ses créanciers,
c’est-à-dire les banques européennes, Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, lui
avait répliqué sans le nommer : « Je souhaite
rappeler à ceux qui ont des doutes à propos d’un tel
mécanisme de résolution des crises que l’Union
monétaire n’a jamais été conçue comme
modèle d’enrichissement pour les spéculateurs
financiers ». Une pierre dans le jardin de Jean-Claude Trichet.
La
chancelière Angela Merkel a
été toute aussi directe, estimant de son côté que
le mécanisme de crise permanent qu’elle défend
« doit être conçu de telle sorte que les
contribuables européens ne soient plus les seuls responsables en cas
de nouvelles erreurs et de mauvais comportements sur les marchés
financiers. Les investisseurs privés doivent aussi
participer! ». Si les termes de banqueroute ou de faillite sont
soigneusement évités, il ne s’agit pas d’anticiper
autre chose.
Les
intentions allemandes font toutefois question. Non seulement parce que le
plan proposé ne pourra être formellement opérationnel
qu’en 2013 – une échéance très lointaine
– mais parce que le sort qui serait réservé aux pays
faisant appel à ce dispositif n’est pas clair.
S’agirait-il de les garder à tout prix au sein de la zone euro
ou, au contraire, de s’en séparer ? Une question qui
concerne, potentiellement, non seulement la Grèce, l’Irlande et
le Portugal – déjà aux premières loges –
mais aussi l’Espagne, qui pourrait facilement les rejoindre.
Le
dilemme est connu : durcir les conditions d’accès à
un fonds de soutien est nécessaire, afin que faire appel à lui
ne soit pas une solution de facilité ; rendre cet accès
douloureux revient à engager un nouveau pari impossible, ainsi que la
situation actuelle de la Grèce l’illustre déjà
parfaitement. On n’avance donc pas, de fonds de stabilité
en dispositif de crise: cette ambiguïté devra être
levée, à moins que son issue ne s’impose d’elle
même.
Quoi
qu’il en soit, les prévisions de l’OCDE et du FMI ne sont
pas là pour encourager les calculs de ceux qui pensent que la
croissance et les recettes fiscales des Etats vont alléger le fardeau
mis sur les épaules des pays entrés dans la zone de
tempête.
Après
une période d’accalmie, le marché obligataire
européen présente les signes précurseurs d’une
nouvelle crise, qui pourrait vite atteindre l’Irlande et le Portugal.
La Grèce restant pour l’instant protégée par le parapluie
financier dont elle a été dotée par l’Union européenne
et le FMI. Pour ces trois pays, les taux se tendent à nouveau
fortement. Alors que les interrogations montent, des deux côtés
de l’Atlantique, à propos d’une hausse possible des
rendements sur le marché obligataire, contre-coup
non seulement des incertitudes européennes mais également de la
création monétaire opérée par la Fed.
Ces
deux dernières années, les taux obligataires ont
été globalement bas, en raison des incertitudes qui
régnaient sur les marchés boursiers. Si ces derniers
redevenaient attractifs, comme cela en prend le chemin, de fortes tensions
sur le marché obligataire pourraient apparaître. Au moment
même où les Etats vont devoir emprunter davantage sur les marchés
– le pic prévu est en 2011 – avant de réduire leurs
émissions, alors que les banques vont s’y engager afin de
répondre aux nouvelles exigences réglementaires de Bâle
III.
La
situation propre aux pays de la zone des tempêtes accroît encore
cette hypothèse. En Irlande, Brian Lenihan,
le ministre des finances, a annoncé un budget 2011 incluant 6
milliards d’euros de mesures de rigueur, sans encore en donner les
détails, dans le cadre d’un plan d’austérité
de 15 milliards d’euros sur 4 ans. Une somme colossale pour un pays de
4,5 millions d’habitants. Mais les prévisions de croissance du
PIB (et donc des recettes fiscales) semblent avoir été
calculées pour les besoins de la cause et sont d’une
crédibilité douteuse. Ce qui a incité Olli Rhen, le commissaire aux
Affaires économiques de Bruxelles, ainsi que Jean-Claude Trichet, de saluer
les plans gouvernementaux dans le but de les accréditer.
L’espoir fait vivre.
Signe
d’une situation également périlleuse, le Portugal vient
comme l’Irlande de démentir être entré en relations
avec le FMI et l’Union européenne afin de leur demander leur
soutien financier. L’adoption à l’arraché par le
parlement d’un budget d’austérité draconien,
à la suite de longues négociations entre les deux principales
formations politiques – le parti socialiste et le parti
social-démocrate – n’ont pas empêché les
marchés de réagir négativement et les taux
obligataires de se tendre davantage. La Commission européenne pressant
immédiatement les autorités portugaises d’agir sans
délai, afin de réduire plus rapidement que prévu le
déficit.
Que
ce soit en Grèce, en Irlande ou au Portugal, le même
scénario se répète. Les marchés semblent
n’en avoir jamais assez et contribuent aux déficits qu’ils
s’efforcent de réduire en augmentant les rendements des
obligations souveraines. Précipitant ces pays dans la récession
et les engageant dans une spirale descendante.
La
BCE tente de stabiliser le marché obligataire, en n’utilisant
ses munitions qu’avec parcimonie, ne pouvant au mieux espérer
qu’éviter de finales glissades. Les autorités chinoises,
après être discrètement intervenues pour l’Espagne
– puis ouvertement pour la Grèce – sont lorgnées
avec les yeux de Chimène dans le cas de l’Irlande, qui va devoir
se rendre sur le marché début 2011.
Tirant
le gigantesque boulet de son marché immobilier sinistré, et un
secteur bancaire replâtré dont la santé en dépend
largement, l’Espagne pourra-t-elle éviter de les rejoindre ? Si
l’on en croit le verdict du marché obligataire, rien n’est
moins sur. Les taux espagnols sont à nouveau en forte hausse,
après une accalmie à laquelle la BCE a probablement
contribué. Là aussi, un budget de grande rigueur a
été adopté, mais les marchés ne sont
toujours pas satisfaits. Le chômage continue de s’étendre
et d’approfondir la crise économique. Selon Eurostat, il
était à 20,7% en septembre dernier, dans le cadre d’une
progression générale du chômage européen.
La
zone euro est devenu un édifice très fragile, traversé
par un débat d’orientation mené dans la confusion et sans
que s’affirme de réelle vision stratégique. Devant les
marchés, la défensive prévaut, de manière
désordonnée. A l’instigation des Allemands et de la BCE
– gardiens du temple dans leurs domaines d’élection
respectifs – le choix a été fait, en dépit de leurs
divergences, de prioritairement réduire la dette publique et
protéger le système bancaire européen qui l’a
financée.
Comment
la zone euro pourra-t-elle résister aux chocs qui l’attendent et
que cette politique précipite ?
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra
continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que
vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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