Le
gouvernement espagnol persiste : « Il n’est pas prévu que
l’Espagne demande de l’aide au fonds [pour qu’il
achète de sa dette]. Cela ne s’est pas produit et ne se produira
jamais ». Outre son caractère imprudent, cette affirmation
péremptoire de Inigo Fernandez de Mesa, le secrétaire
général du Trésor, a une signification : cette
obstination revient à continuer d’emprunter sur le marché
à des taux très élevés, à enchérir le coût de la dette et à
accroître la peine des Espagnols en la rallongeant sans savoir
jusqu’à quand. Pour démontrer quoi ?
Il
y a quelques jours, David Cameron avait pris moins de gants – mettant
sur les dos de pronostiqueurs défaillants son insuccès sans pour
autant dévoiler son propre pronostic – en annonçant non
sans désinvolture : « Il ne me semble pas que le
relâchement de la pression soit pour bientôt ». Devant
bientôt être suivie par la Grèce, le Portugal et
l’Irlande, l’Espagne a déjà
bénéficié d’une année de grâce pour
revenir dans les clous. Partout l’étalement dans le temps du
désendettement et le renforcement de l’austérité
qui l’accompagne sont les seules promesses qui restent disponibles,
à condition qu’il n’y ait pas d’accident de parcours
comme ceux que l’on tente d’éviter un ce moment.
Un
ballet de conciliabules se poursuit à un rythme soutenu entre
capitales européennes, en préparation de la réunion de
jeudi de la BCE dont on attend des éclaircissements sur les propos
assurés mais flous de Mario Draghi, qui
ambitionne de « faire tout ce qui est nécessaire pour
préserver l’euro ». Mais encore ? Timothy Geithner, le secrétaire d’État au
Trésor américain, poursuit ses consultations européennes
tous azimuts dont rien ne filtre. On ne fera pas de pari sur les fluctuations
du débat, et pas davantage sur la durée de la détente
relative enregistrée sur le marché obligataire.
Comme
toujours, des phénomènes souterrains sont à
l’œuvre, qui en disent plus que les
petites phrases des dirigeants européens, surtout quand elles ne sont
pas relevées. Mario Draghi a en effet mis en
garde à propos de la « fragmentation financière »
enregistrée en Europe, sans que cela suscite de curiosité.
Qu’a-t-il voulu dire ? Il faisait référence à
l’accélération de ce que Morgan Stanley a de son
côté appelé « la balkanisation du marché
bancaire » dans une récente étude qui tente de faire le
point à ce sujet. Les banques allemandes, mais également françaises,
se délestent autant qu’elle le peuvent
des actifs des pays exposés qu’elles détiennent, Italie
compris ; c’est leur manière de se préparer à
l’éclatement de la zone euro, au cas où… Pour ce
dernier pays, selon l’étude, les banques allemandes ont
réduit de 25% leur exposition aux secteurs
privé et public en moins de cinq mois depuis le début de
l’année. L’année dernière,
c’était seulement de 7%.
Comme
le remarque Morgan Stanley, cela fragilise davantage la zone euro, en
substituant un danger à un autre : plus les banques d’un pays
détiennent de sa propre dette, plus elles sont vulnérables
à la hausse des taux et à la baisse de la valeur de ces titres
qui en résulte. C’est typiquement la situation des banques
espagnoles, italiennes, portugaises, grecques et irlandaises et cela
constitue un fort risque systémique.
Une
fois encore, on constate que le système bancaire est le moteur
principal de la poursuite de la crise européenne de la dette : en
cherchant à se protéger, il annonce les prochains
épisodes de celle-ci. Dans le cas présent, il accentue la
possibilité d’un éclatement de la zone euro, dont il
subirait en retour les conséquences malgré toutes ses
précautions.
Le
fonds de soutien aux banques d’une « Union bancaire » en
projet et aux contours très flous vise à financer les banques,
mais il se heurte à deux tabous : la mutualisation de la dette
privée, comme le gouvernement allemand n’a pas manqué de
le souligner, et l’intervention de la BCE afin d’abonder un fonds
que les banques ne pourront mettre par leurs seuls moyens au niveau requis,
pas plus que les États d’ailleurs. Tous les montages successifs
qui sont proposés se heurtent au même obstacle : ils ne sont
jamais à la hauteur de la situation, et cela continue.
Le
pas qui a été accompli en accordant tardivement au renflouement
des banques l’attention qu’il aurait mérité de se
voir accorder depuis le début de la crise a comme conséquence
d’encore grossir le volume global de la dette qu’il faut financer
pour la résorber ensuite. Aucune avancée n’a
parallèlement été accomplie sur cette question. Plus le
temps passe et plus la situation économique se
détériore, moins il y aura d’autre solution qu’une
intervention massive de la BCE ou une restructuration d’ensemble de la
dette publique. Cette dernière impliquerait la création
d’une agence européenne de la dette et l’émission
d’euro-obligations échangées avec les titres actuels
après dépréciation.
Décidément
non, il ne semble pas que le relâchement de la pression soit pour
bientôt !
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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