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Cours Or & Argent

L’Union bancaire dans les sables mouvants

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Publié le 23 novembre 2012
995 mots - Temps de lecture : 2 - 3 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Pièce essentielle d’une intégration européenne renforcée présentée comme allant tout régler, la mise sur pied de l’union bancaire est mal partie. Le journal boursier Boersenzeitung citait hier Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, selon qui le risque de faillite d’une banque devait être prioritairement supporté par les contribuables de son pays, et non par les contribuables européens. Un sacré recul, s’il se confirme, par rapport au projet initial de création d’un fonds alimenté par les banques européennes et à la volonté de séparer les risques souverains et bancaires en raison de leur caractère éminemment systémique ! La ligne défendue par le gouvernement allemand, qui ne veut pas d’une véritable union bancaire après l’avoir accepté lors du sommet d’octobre dernier, impose sa marque en vidant celle-ci de sa substance.


Que ce soit à ce sujet, ou bien à propos de la Grèce, les commentaires fleurissent prédisant un assouplissement de cette ligne, une fois le cap des élections législatives de septembre 2013 passées. Est-ce si sûr ? Angela Merkel ne perd pas une occasion pour expliquer que le processus de renforcement de l’intégration européenne va être long et que c’est seulement à son terme qu’une mutualisation de la dette sera possible, pour les États comme pour les banques.


Mais est-ce réaliste de sa part ? Pour l’estimer, il n’est pas inutile de revenir en 2007, pour relever combien la situation des banques de la zone euro était (et reste) très différente des américaines. La totalité des actifs des premières était en effet d’environ 300% du PIB de la zone, à comparer avec le 100% du PIB des États-Unis des banques américaines, et ce avant même d’entrer dans des considérations sur l’ampleur de leurs effets de levier et la qualité de leurs fonds propres réciproques. La menace que cela représentait, en cas de défaillance de l’une d’entre elle et en raison de ses conséquences systémiques, était telle qu’il n’était pas question d’accepter une réédition en Europe de la faillite de Lehman Brothers. Voilà pourquoi le gouvernement britannique de Gordon Brown n’a pas hésité en 2007 à nationaliser Northern Rock et que 500 milliards de livres ont été dégagés en 2008 pour protéger les banques britanniques. Toute l’Europe a suivi.


Mais ce danger n’a pas disparu aujourd’hui, si l’on mesure la faiblesse des moyens financiers que les États de la zone euro se sont donnés avec le MES, dont le potentiel mobilisable est à terme de 500 milliards d’euros. Une déconfiture bancaire pourrait-elle être contenue avec ces seuls moyens, une fois l’étape nationale franchie ? C’est une question que n’ont pas manqué de se poser les dirigeants européens quand ils ont décidé séance tenante de mettre sur la table 100 milliards d’euros d’aide pour sauver les banques espagnoles, car ils savaient le montant de la mise minimum à cette table du casino ! Vu ce genre de montant, prétendre que les banques en difficulté d’un pays devront prioritairement compter sur les seuls moyens financiers de l’État n’est pas raisonnable venant de la part d’un banquier central : ce sont des propos de circonstance.


Le même irréalisme prévaut à propos du désendettement public et de ses accidents de parcours. Le cas de l’Espagne est à cet égard exemplaire, car les taux d’intérêt que doit consentir l’État espagnol pour faire rouler sa dette et financer son déficit sont de très loin supérieurs à la croissance (la récession, en l’occurrence) de l’économie du pays. Celui de l’Italie montre que disposer d’un excédent primaire n’est pas non plus une recette infaillible. Mais pour revenir à l’Espagne, même l’intervention de la BCE, Madrid s’étant finalement décidé à demander à bénéficier d’un plan de sauvetage, n’améliorerait que marginalement la situation. Ce qui explique que Mariano Rajoy prétend négocier avec la BCE un engagement de sa part à faire baisser les taux au dessous d’un seuil déterminé, qu’il n’a pas rendu public, pour se donner au moins les meilleures chances. In fine, une restructuration de la dette sera au bout du compte inévitable, telle qu’elle commence aujourd’hui à être admise pour la Grèce (mais à condition que ce soit plus tard).


La stratégie de désendettement imposée par le gouvernement allemand et ses alliés fait elle-même obstacle au respect du calendrier d’Angela Merkel : la dynamique et les épisodes à rebondissement de la crise proprement européenne ne lui laissent pas le temps qu’elle réclame. N’acceptant ni une restructuration de la dette, ni sa mutualisation, ni une franche intervention de la BCE, la politique allemande se définit non pas par ce qu’elle prône mais par ce qu’elle refuse. Avant toute chose une monétisation de la dette, sur le mode largement entrepris par la Fed, la Banque d’Angleterre et du Japon, qui laisse la BCE isolée dans un monde globalisé. Est-ce à terme tenable ?


A l’inverse, ceux qui fondent leurs espoirs dans le revirement d’une BCE s’engageant dans la même politique que ses consœurs avec détermination – et non plus du bout des doigts comme actuellement, avec son programme d’achats obligataires conditionné à des plans de sauvetage (OMT) – rejoignent le club mondial très fréquenté des partisans de la fuite en avant. Au prétexte d’accorder aux États ce qui l’est aux banques, ils ne visent qu’à eux aussi remettre en marche la machine à produire de la dette après avoir miraculeusement évacué ses scories; au lieu de décider de la régler au mieux des besoins du développement économique, et de cesser de lui faire jouer un rôle de substitut à la répartition égalitaire de la richesse.


Billet rédigé par François Leclerc


Son livre, Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître


Un « article presslib’ » est libre de reproduction numérique en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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