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Pièce
essentielle d’une intégration européenne renforcée
présentée comme allant tout régler, la mise sur pied de
l’union bancaire est mal partie. Le journal boursier Boersenzeitung citait hier Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, selon qui
le risque de faillite d’une banque devait être prioritairement
supporté par les contribuables de son pays, et non par les
contribuables européens. Un sacré recul, s’il se confirme,
par rapport au projet initial de création d’un fonds
alimenté par les banques européennes et à la
volonté de séparer les risques souverains et bancaires en
raison de leur caractère éminemment systémique ! La
ligne défendue par le gouvernement allemand, qui ne veut pas
d’une véritable union bancaire après l’avoir
accepté lors du sommet d’octobre dernier, impose sa marque en
vidant celle-ci de sa substance.
Que
ce soit à ce sujet, ou bien à propos de la Grèce, les
commentaires fleurissent prédisant un assouplissement de cette ligne,
une fois le cap des élections législatives de septembre 2013
passées. Est-ce si sûr ? Angela Merkel
ne perd pas une occasion pour expliquer que le processus de renforcement de
l’intégration européenne va être long et que
c’est seulement à son terme qu’une mutualisation de la
dette sera possible, pour les États comme pour les banques.
Mais
est-ce réaliste de sa part ? Pour l’estimer, il n’est pas
inutile de revenir en 2007, pour relever combien la situation des banques de
la zone euro était (et reste) très différente des
américaines. La totalité des actifs des premières
était en effet d’environ 300% du PIB de la zone, à
comparer avec le 100% du PIB des États-Unis des banques américaines,
et ce avant même d’entrer dans des considérations sur
l’ampleur de leurs effets de levier et la qualité de leurs fonds
propres réciproques. La menace que cela représentait, en cas de
défaillance de l’une d’entre elle et en raison de ses
conséquences systémiques, était telle qu’il
n’était pas question d’accepter une
réédition en Europe de la faillite de Lehman
Brothers. Voilà pourquoi le gouvernement
britannique de Gordon Brown n’a pas hésité en 2007
à nationaliser Northern Rock et que 500
milliards de livres ont été dégagés en 2008 pour
protéger les banques britanniques. Toute l’Europe a suivi.
Mais
ce danger n’a pas disparu aujourd’hui, si l’on mesure la
faiblesse des moyens financiers que les États de la zone euro se sont
donnés avec le MES, dont le potentiel mobilisable est à terme
de 500 milliards d’euros. Une déconfiture bancaire pourrait-elle
être contenue avec ces seuls moyens, une fois l’étape
nationale franchie ? C’est une question que n’ont pas
manqué de se poser les dirigeants européens quand ils ont
décidé séance tenante de mettre sur la table 100 milliards
d’euros d’aide pour sauver les banques espagnoles, car ils
savaient le montant de la mise minimum à cette table du casino ! Vu ce
genre de montant, prétendre que les banques en difficulté
d’un pays devront prioritairement compter sur les seuls moyens
financiers de l’État n’est pas raisonnable venant de la
part d’un banquier central : ce sont des propos de circonstance.
Le
même irréalisme prévaut à propos du
désendettement public et de ses accidents de parcours. Le cas de
l’Espagne est à cet égard exemplaire, car les taux
d’intérêt que doit consentir l’État espagnol
pour faire rouler sa dette et financer son déficit sont de très
loin supérieurs à la croissance (la récession, en l’occurrence)
de l’économie du pays. Celui de l’Italie montre que
disposer d’un excédent primaire n’est pas non plus une
recette infaillible. Mais pour revenir à l’Espagne, même
l’intervention de la BCE, Madrid s’étant finalement
décidé à demander à bénéficier
d’un plan de sauvetage, n’améliorerait que
marginalement la situation. Ce qui explique que Mariano Rajoy
prétend négocier avec la BCE un engagement de sa part à
faire baisser les taux au dessous d’un seuil
déterminé, qu’il n’a pas rendu public, pour se
donner au moins les meilleures chances. In fine, une restructuration de la
dette sera au bout du compte inévitable, telle qu’elle commence
aujourd’hui à être admise pour la Grèce (mais
à condition que ce soit plus tard).
La
stratégie de désendettement imposée par le gouvernement
allemand et ses alliés fait elle-même obstacle au respect du
calendrier d’Angela Merkel : la dynamique et
les épisodes à rebondissement de la crise proprement
européenne ne lui laissent pas le temps qu’elle réclame.
N’acceptant ni une restructuration de la dette, ni sa mutualisation, ni
une franche intervention de la BCE, la politique allemande se définit
non pas par ce qu’elle prône mais par ce qu’elle refuse.
Avant toute chose une monétisation de la dette, sur le mode largement
entrepris par la Fed, la Banque d’Angleterre et du Japon, qui laisse la
BCE isolée dans un monde globalisé. Est-ce à terme
tenable ?
A
l’inverse, ceux qui fondent leurs espoirs dans le revirement
d’une BCE s’engageant dans la même politique que ses
consœurs avec détermination – et non plus du bout des
doigts comme actuellement, avec son programme d’achats obligataires
conditionné à des plans de sauvetage (OMT) –
rejoignent le club mondial très fréquenté des partisans
de la fuite en avant. Au prétexte d’accorder aux États ce
qui l’est aux banques, ils ne visent qu’à eux aussi remettre
en marche la machine à produire de la dette après avoir
miraculeusement évacué ses scories; au lieu de décider
de la régler au mieux des besoins du développement
économique, et de cesser de lui faire jouer un rôle de substitut
à la répartition égalitaire de la richesse.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre,
Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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