La
tournée européenne de Christine Lagarde n’est pas sans
rapport avec une véritable bombe à retardement, le temps
passant et les négociations à propos de la décote de la
dette grecque n’aboutissant toujours pas. La Grèce doit
rembourser 14,5 milliards d’euros d’obligations le 20 mars
prochain, mais elle ne sera pas en mesure de le faire si l’accord
d’échange avec décote de la dette grecque n’est pas
bouclé dans un mois au plus tard.
L’Union
européenne et le FMI ont en effet mis comme condition préalable
à la mise en œuvre de leur nouveau plan de sauvetage que
cet accord – qui en est le pilier – soit auparavant conclu entre
les investisseurs, que l’Institute of International Finance (IIF) représente,
et le gouvernement grec.
En
dépit des déclarations apaisantes qui se multiplient, de
nombreux obstacles subsistent. L’écart entre le montant
initialement envisagé de décote de la dette de 50% et la
demande du gouvernement grec de la porter à 75% n’a
été que partiellement résorbé, les grandes
banques ayant semble-t-il accepté d’accroître leur effort
pour la porter à 60%. Mais le FMI est venu apporter un soutien
inattendu aux autorités grecques, considérant que ce
n’était pas suffisant pour que le plan de sauvetage
puisse remplir sa fonction, étant donné la
détérioration de la situation économique du pays,
estimant qu’il fallait atteindre la fourchette 65-70%.
D’autres
aspects de l’échange de titres qui devrait résulter de
l’accord font encore l’objet de tractations, portant sur la
maturité et le taux des nouvelles obligations, les garanties
apportées, ainsi que sur leur attribution de juridiction (britannique
ou grecque). Mais l’essentiel n’est pas là.
L’objectif
était de convaincre les détenteurs de 90% de la dette grecque
– qui représente un montant global de 206 milliards
d’euros – d’appliquer volontairement l’accord
négocié en leur nom par l’IIF. Mais il risque de falloir
se contenter de 60%, en raison des difficultés rencontrées. Un
tel pourcentage diminuerait le montant effectif de la décote et
pourrait amener la Troïka (Union européenne, FMI et BCE)
à considérer que le compte n’y est pas et que le plan
de sauvetage ne peut pas être bouclé dans ces conditions. Au
mieux, son efficacité sera diminuée.
Les
hedge funds sont
montrés du doigt comme étant les responsables de cette
situation, insensibles aux pressions exercées sur les banques par les
autorités politiques et les banques centrales. Ils ont ces derniers
mois considérablement renforcé leurs positions en rachetant de
la dette grecque aux banques, trop contentes de s’en délester,
et s’arrachent actuellement les titres arrivant à
maturité le 20 mars prochain, à des prix bradés en
raison des taux très élevés qui prévalent sur le
marché secondaire. A l’arrivée, les hedge
funds ont acquis le pouvoir de faire capoter
l’ensemble du plan de sauvetage de la Grèce… Selon JPMorgan Chase, ceux-ci détiendraient avec des
fonds souverains la valeur de 80 milliards d’euros de titres de la
dette grecque.
Leur
calcul est simple : ils attendent soit que la Grèce n’honore pas
son échéance, avec pour conséquence l’activation
des CDS et le remboursement de leurs pertes par les émetteurs de
ceux-ci ; soit d’être remboursés par le gouvernement grec
à la valeur nominale, si suffisamment d’autres investisseurs
acceptent la décote qu’eux refusent, le plan de sauvetage
fonctionnant alors. Dans les deux cas, un bénéfice substantiel
est à la clé.
Le
risque qu’ils prennent est relativement mineur, car il faudrait pour
qu’ils se pincent les doigts dans la porte que la loi grecque soit
changée en urgence, vu qu’elle ne prévoit pas de clauses
d’action collective (CAC) obligeant tous les investisseurs à
appliquer les décisions prises par une majorité
qualifiée d’entre eux.
Une
telle initiative pourrait d’ailleurs rendre intenable la position de
l’ISDA qui a fondé sa décision de ne pas activer les CDS
sur le caractère volontaire du processus. Elle poserait aussi
tout cru le problème de la BCE, gros détenteur de la dette
grecque, et de sa participation à l’accord de décote
qu’elle a pour l’instant refusé d’envisager…
Ou bien de certains fonds souverains, auquel il est par ailleurs fait les
yeux doux pour financer le FESF, le Fonds européen de stabilité
financière.
Resterait,
pour être complet, à identifier tout ce beau monde, banques et hedge funds, investisseurs et
émetteurs de CDS. Mais ces informations ne sont pas disponibles. Il
n’est pas davantage possible de savoir avec quels fonds,
prêtés par quelles banques, les hedge funds en question ont le cas échéant
réalisé leurs acquisitions. La finance, ce n’est pas
compliqué mais simplement opaque.
Billet rédigé par
François Leclerc
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