Fort
à propos, la chancelière Angela Merkel vient d’avouer
être impliquée dans « une multitude de discussions
pour pouvoir envoyer un signal fort le 11 mars ». Une
manière de décrire la situation de grande confusion qui
prévaut actuellement en Europe, qui n’est pas prête de se
résorber, amenant la Banque centrale européenne (BCE) a passer
à l’offensive.
Constatant
que les gouvernements ne parviennent pas ou ne se résignent pas
à assez serrer les boulons, et à faire prendre en charge le
payement de l’addition par les contribuables comme elle l’estime
primordial – ce n’est pas faute de l’avoir souligné
– elle entend désormais peser de tout son poids pour les amener
à résipiscence. Disons-le simplement, elle sort de son mandat
officiel – la lutte contre l’inflation – pour
défendre les intérêts du système financier envers
et contre tout. Voici comment.
La
BCE peut certes s’appuyer, et ne s’en prive pas, sur la
montée des prix de l’énergie et des matières
premières, ainsi que sur ses conséquences sur les prix à
la consommation, pour brandir opportunément l’étendard de
la lutte contre l’inflation, camouflant ses véritables
intentions, sauvant ainsi les apparences. Mais qu’en est-il réellement ?
La menace d’un relèvement de son taux, ou sa réalisation,
peut elle bloquer ces hausses des prix des matières premières
et les empêcher de se répandre plus largement ?
Rien
n’est moins sûr. Par contre, il est certain qu’une telle
mesure, assortie d’un éventuel arrêt de ses
facilités à trois mois, va atteindre les banques
européennes fortement dépendantes de ses liquidités.
Faisant pression sur celles-ci, ce sont les Etats où elles sont
installées qui sont visés par ricochet, afin qu’ils
rentrent dans le rang et adoptent de nouvelles mesures d’austérité
afin de diminuer leurs déficits.
La
BCE n’entend pas en rester là et cherche à
également stopper la mise en oeuvre de la seconde de ses mesures non
conventionnelles : ses achats obligataires sur le marché
secondaire. Après avoir lourdement insisté pour que le fonds de
stabilité financière (EFSF) prenne son relais dans ce domaine,
elle en est venue à proposer qu’il transfère dans ses
livres les obligations déjà détenues par la BCE, pour un
montant à ce jour de 77 milliards d’euros. Ce qui reviendrait
à en faire porter la charge financière aux Etats qui
garantissent le fonds. Avec comme objectif de les empêcher
d’envisager une restructuration de la dette souveraine qui les
atteindrait au premier chef. A ce jour, les Allemands qui seraient en
première ligne s’y opposent farouchement.
La
BCE n’a en effet pas cessé de faire preuve d’une grande
clarté à ce propos : une restructuration de la dette
grecque est hors de question, comme le serait toute mise à
contribution des banques européennes si les créanciers seniors
des banques irlandaises devaient l’être. Elle reste envers et
contre tout cramponnée à ce que l’on pourrait appeler le
plan A de résolution de la crise européenne, en dépit du
fait qu’il a déjà failli dans les faits.
Complémentaire,
son propre plan est de se décharger sur les Etats, en leur faisant
assumer tous les faux-frais de la crise qu’elle a jusqu’à
maintenant épongés. Afin de les enfermer dans une situation
encore plus sans issue. La gouvernance fiscale de fer que le gouvernement
allemand ne parvient pas à imposer, et que le Parlement
européen est encore moins décidé à accepter, la
BCE prétend l’obtenir ainsi.
Les
marchés ne sont
bien entendu pas en reste. Standard & Poor’s vient d’annoncer
qu’elle pourrait abaisser ses notes de la Grèce et du Portugal,
si les dirigeants européens se dirigeaient à l’occasion
de leur prochain sommet vers un mécanisme de stabilisation
financière européenne qui permettrait des restructurations de
dette de ces pays. Il faut dire que l’agence de notation évalue
le taux de recouvrement des détenteurs des obligations grecques
à entre 30 et 50% de leur valeur initiale, ce qui donne la mesure de
l’étendue du problème que devraient affronter les banques
européennes qui la détiennent.
L’agence
de notation Fitch intervient sur le même registre. Dans une note
qu’elle vient de publier, elle avertit que 2011 pourrait être
« le début de la fin » de la crise de la dette
publique. Sauf si, précise-t-elle, « les objectifs des
politiques menées et les attentes des marchés financiers ne
sont pas satisfaits ». Ce qui pourrait alors mener à
« une accentuation ou une intensification de la
crise ». Les investisseurs, fait-elle valoir, veulent
savoir si l’Europe est capable d’arrêter
« une stratégie claire pour préserver sa
stabilité financière ». Ce qui devrait se traduire
par l’adoption de mesures « concrètes » et
« crédibles » pour résorber la crise des
déficits publics et « renforcer la gouvernance et fiscale
en zone euro ».
Tout
commentaire est superflu.
Dans
ce contexte, quels signaux avons-nous en provenance des gouvernements ?
La nouvelle autorité européenne de supervision des banques,
l’EBA, vient de rendre public de premières informations à
propos des futurs stress tests des banques. De tout point de vue, cela reste
très flou, tant en ce qui concerne la méthodologie, les
paramètres des scénarios testés ou la liste des banques
qui vont l’être. Ou bien encore à propos de ce qui sera
publié ou ne le sera pas. Mais tout indique que l’on
s’oriente, en dépit des assurances les plus catégoriques,
vers une réédition de la farce qu’a
représenté la précédente édition des
tests. En particulier, il semble avéré que l’exposition
des banques aux obligations souveraines européennes, ainsi que le
risque qui pourrait résulter d’une décote de celles-ci dans
le cadre d’une opération de restructuration, ne seront pas
analysés. L’analyse de leurs liquidités, autre
point crucial, serait effectuée mais gardée confidentielle,
indéniable signe qu’elle fait problème.
Deux
explications peuvent être avancées pour expliquer cette
époustouflante dérobade. En premier lieu, il n’est pas
politiquement envisageable d’admettre que des restructurations puissent
intervenir. En second, une telle analyse montrerait l’extrême
vulnérabilité de banques présentées comme des
plus florissantes. Mettant en évidence qu’il faut à tout
prix – encore une fois – les protéger.
Ces
stress tests sont mal nommés, puisqu’ils ne sont pas faits pour
mesurer la résistance des banques à des
détériorations de la situation, mais pour montrer qu’il
n’y a rien à voir. On pourrait donc les appeler blind tests
(tests en aveugle). Rendez-vous, pour les résultats officiels, en juin
prochain ! Etape intermédiaire, le 18 mars, date à laquelle
nous devrions en savoir un peu plus, une fois que les conciliabules entre
l’EBA et les banques seront terminées.
Au
chapitre des bonnes nouvelles – puisqu’il y en a quand même
! – Nouriel Roubini était aujourd’hui vendredi
invité à un colloque à la Banque de France, où il
a été droit au but. Énumérant les
différentes options envisageables pour réduite le poids de la
dette publique, il a écarté la croissance – dont les
effets seront modérés du fait même des mesures
d’ajustement budgétaires – ainsi que la hausse du taux
d’épargne, qui ne pourrait que diminuer encore la croissance.
Quant à l’inflation, il l’a également
écartée, pour en venir à la solution qu’il
préconise comme étant la meilleure : la restructuration de
la dette. En précisant que cela devait concerner non seulement les
Etats, mais également les banques et les ménages. Il a conclu
en affirmant que « la restructuration de la dette des Etats est un
sujet qui doit être mis sur la table ».
Il
n’est pas le seul à penser ainsi. Barry Eichengreen, professeur
à l’université de Berkeley (Californie) a accordé
une longue interview à Der Spiegel, intégralement reproduite en
anglais ici.
Un choix significatif pour les deux parties. Il estime que le plan A ayant
échoué en Europe, il faut passer au plan B. « Le
sauvetage en cours n’a jamais eu de sens. L’objectif poursuivi
par l’Allemagne et la France est de protéger de
l’effondrement leurs propres banques. On commence à
réaliser que le rééchelonnement de la dette grecque ne
mène nul part et qu’il faut impliquer les banques. Il n’y
a qu’une seule solution : les renforcer ! » Il estime
que 180 milliards d’euros devraient y être consacrés, rien
que pour les banques allemandes et françaises, dans le cadre des
restructurations de dette nécessaires. Mais il craint que cette voie
ne soit pas choisie, que seules des demi-mesures soient prises, ne faisant
que faire perdre du temps pour résoudre la crise.
L’actualité
ne semble pas devoir lui donner tort. Le problème est que personne ne
peut demander des comptes à la BCE, qui bénéficie
d’une sorte de statut d’extra-territorialité. Que
l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de celui des inatteignables
paradis fiscaux. Sans zones d’ombre et sans révélations
qui se multiplient de tripatouillages, que serait la finance ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*)
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reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste
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