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Cours Or & Argent

La BCE, Donjon du système

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Publié le 05 mars 2011
1518 mots - Temps de lecture : 3 - 6 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Fort à propos, la chancelière Angela Merkel vient d’avouer être impliquée dans « une multitude de discussions pour pouvoir envoyer un signal fort le 11 mars ». Une manière de décrire la situation de grande confusion qui prévaut actuellement en Europe, qui n’est pas prête de se résorber, amenant la Banque centrale européenne (BCE) a passer à l’offensive.

 

Constatant que les gouvernements ne parviennent pas ou ne se résignent pas à assez serrer les boulons, et à faire prendre en charge le payement de l’addition par les contribuables comme elle l’estime primordial – ce n’est pas faute de l’avoir souligné – elle entend désormais peser de tout son poids pour les amener à résipiscence. Disons-le simplement, elle sort de son mandat officiel – la lutte contre l’inflation – pour défendre les intérêts du système financier envers et contre tout. Voici comment.

 

La BCE peut certes s’appuyer, et ne s’en prive pas, sur la montée des prix de l’énergie et des matières premières, ainsi que sur ses conséquences sur les prix à la consommation, pour brandir opportunément l’étendard de la lutte contre l’inflation, camouflant ses véritables intentions, sauvant ainsi les apparences. Mais qu’en est-il réellement ? La menace d’un relèvement de son taux, ou sa réalisation, peut elle bloquer ces hausses des prix des matières premières et les empêcher de se répandre plus largement ?

 

Rien n’est moins sûr. Par contre, il est certain qu’une telle mesure, assortie d’un éventuel arrêt de ses facilités à trois mois, va atteindre les banques européennes fortement dépendantes de ses liquidités. Faisant pression sur celles-ci, ce sont les Etats où elles sont installées qui sont visés par ricochet, afin qu’ils rentrent dans le rang et adoptent de nouvelles mesures d’austérité afin de diminuer leurs déficits.

 

La BCE n’entend pas en rester là et cherche à également stopper la mise en oeuvre de la seconde de ses mesures non conventionnelles : ses achats obligataires sur le marché secondaire. Après avoir lourdement insisté pour que le fonds de stabilité financière (EFSF) prenne son relais dans ce domaine, elle en est venue à proposer qu’il transfère dans ses livres les obligations déjà détenues par la BCE, pour un montant à ce jour de 77 milliards d’euros. Ce qui reviendrait à en faire porter la charge financière aux Etats qui garantissent le fonds. Avec comme objectif de les empêcher d’envisager une restructuration de la dette souveraine qui les atteindrait au premier chef. A ce jour, les Allemands qui seraient en première ligne s’y opposent farouchement.

 

La BCE n’a en effet pas cessé de faire preuve d’une grande clarté à ce propos : une restructuration de la dette grecque est hors de question, comme le serait toute mise à contribution des banques européennes si les créanciers seniors des banques irlandaises devaient l’être. Elle reste envers et contre tout cramponnée à ce que l’on pourrait appeler le plan A de résolution de la crise européenne, en dépit du fait qu’il a déjà failli dans les faits.

 

Complémentaire, son propre plan est de se décharger sur les Etats, en leur faisant assumer tous les faux-frais de la crise qu’elle a jusqu’à maintenant épongés. Afin de les enfermer dans une situation encore plus sans issue. La gouvernance fiscale de fer que le gouvernement allemand ne parvient pas à imposer, et que le Parlement européen est encore moins décidé à accepter, la BCE prétend l’obtenir ainsi.

 

Les marchés ne sont bien entendu pas en reste. Standard & Poor’s vient d’annoncer qu’elle pourrait abaisser ses notes de la Grèce et du Portugal, si les dirigeants européens se dirigeaient à l’occasion de leur prochain sommet vers un mécanisme de stabilisation financière européenne qui permettrait des restructurations de dette de ces pays. Il faut dire que l’agence de notation évalue le taux de recouvrement des détenteurs des obligations grecques à entre 30 et 50% de leur valeur initiale, ce qui donne la mesure de l’étendue du problème que devraient affronter les banques européennes qui la détiennent.

 

L’agence de notation Fitch intervient sur le même registre. Dans une note qu’elle vient de publier, elle avertit que 2011 pourrait être « le début de la fin » de la crise de la dette publique. Sauf si, précise-t-elle, « les objectifs des politiques menées et les attentes des marchés financiers ne sont pas satisfaits ». Ce qui pourrait alors mener à « une accentuation ou une intensification de la crise ». Les investisseurs, fait-elle valoir, veulent savoir si l’Europe est capable d’arrêter « une stratégie claire pour préserver sa stabilité financière ». Ce qui devrait se traduire par l’adoption de mesures « concrètes » et « crédibles » pour résorber la crise des déficits publics et « renforcer la gouvernance et fiscale en zone euro ».

 

Tout commentaire est superflu.

 

Dans ce contexte, quels signaux avons-nous en provenance des gouvernements ? La nouvelle autorité européenne de supervision des banques, l’EBA, vient de rendre public de premières informations à propos des futurs stress tests des banques. De tout point de vue, cela reste très flou, tant en ce qui concerne la méthodologie, les paramètres des scénarios testés ou la liste des banques qui vont l’être. Ou bien encore à propos de ce qui sera publié ou ne le sera pas. Mais tout indique que l’on s’oriente, en dépit des assurances les plus catégoriques, vers une réédition de la farce qu’a représenté la précédente édition des tests. En particulier, il semble avéré que l’exposition des banques aux obligations souveraines européennes, ainsi que le risque qui pourrait résulter d’une décote de celles-ci dans le cadre d’une opération de restructuration, ne seront pas analysés. L’analyse de leurs liquidités, autre point crucial, serait effectuée mais gardée confidentielle, indéniable signe qu’elle fait problème.

 

Deux explications peuvent être avancées pour expliquer cette époustouflante dérobade. En premier lieu, il n’est pas politiquement envisageable d’admettre que des restructurations puissent intervenir. En second, une telle analyse montrerait l’extrême vulnérabilité de banques présentées comme des plus florissantes. Mettant en évidence qu’il faut à tout prix – encore une fois – les protéger.

 

Ces stress tests sont mal nommés, puisqu’ils ne sont pas faits pour mesurer la résistance des banques à des détériorations de la situation, mais pour montrer qu’il n’y a rien à voir. On pourrait donc les appeler blind tests (tests en aveugle). Rendez-vous, pour les résultats officiels, en juin prochain ! Etape intermédiaire, le 18 mars, date à laquelle nous devrions en savoir un peu plus, une fois que les conciliabules entre l’EBA et les banques seront terminées.

 

Au chapitre des bonnes nouvelles – puisqu’il y en a quand même  ! – Nouriel Roubini était aujourd’hui vendredi invité à un colloque à la Banque de France, où il a été droit au but. Énumérant les différentes options envisageables pour réduite le poids de la dette publique, il a écarté la croissance – dont les effets seront modérés du fait même des mesures d’ajustement budgétaires – ainsi que la hausse du taux d’épargne, qui ne pourrait que diminuer encore la croissance. Quant à l’inflation, il l’a également écartée, pour en venir à la solution qu’il préconise comme étant la meilleure : la restructuration de la dette. En précisant que cela devait concerner non seulement les Etats, mais également les banques et les ménages. Il a conclu en affirmant que « la restructuration de la dette des Etats est un sujet qui doit être mis sur la table ».

 

Il n’est pas le seul à penser ainsi. Barry Eichengreen, professeur à l’université de Berkeley (Californie) a accordé une longue interview à Der Spiegel, intégralement reproduite en anglais ici. Un choix significatif pour les deux parties. Il estime que le plan A ayant échoué en Europe, il faut passer au plan B. « Le sauvetage en cours n’a jamais eu de sens. L’objectif poursuivi par l’Allemagne et la France est de protéger de l’effondrement leurs propres banques. On commence à réaliser que le rééchelonnement de la dette grecque ne mène nul part et qu’il faut impliquer les banques. Il n’y a qu’une seule solution : les renforcer ! » Il estime que 180 milliards d’euros devraient y être consacrés, rien que pour les banques allemandes et françaises, dans le cadre des restructurations de dette nécessaires. Mais il craint que cette voie ne soit pas choisie, que seules des demi-mesures soient prises, ne faisant que faire perdre du temps pour résoudre la crise.

 

L’actualité ne semble pas devoir lui donner tort. Le problème est que personne ne peut demander des comptes à la BCE, qui bénéficie d’une sorte de statut d’extra-territorialité. Que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de celui des inatteignables paradis fiscaux. Sans zones d’ombre et sans révélations qui se multiplient de tripatouillages, que serait la finance ?

 

 Billet rédigé par François Leclerc

 

Paul Jorion

 

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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