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Etant
donné qu’en France, il semblerait que « plus ça
change, plus c’est la même chose », je reproduis ci-dessous
un morceau d’actualité d’il y a un peu plus de dix ans.
En avril 1999, Jacques Chirac étant président de la
République et Lionel Jospin Premier ministre, un an après avoir
été nommé, à la place de Henri Guaino,
Commissaire au Plan, Jean Michel Charpin rend le rapport sur l’avenir des retraites en France
que lui avait demandé le Premier ministre.
Dans la foulée, Jacques Barrot, député UDF
de la Haute Loire, ancien ministre, écrit un article intitulé
« L’apocalypse des retraites ? » dans Le Figaro du 4 mai
1999 que je juge valoir son pesant de ... ce que vous voulez.
Sa lecture m’amène à pondre un texte que Claude
Reichman fera paraître dans le Courrier de la Liberté le 30 juin
1999 sous le titre « La capitalisation est le fruit de
l’intelligence humaine ».
Je reproduis ci-dessous le texte de Jacques Barrot, puis mon texte, ils sont
l’un et l’autre d’une actualité on ne peut plus
brûlante.
I.
"L’apocalypse des retraites ?"
(Début du texte de J. Barrot)
"Au moment du dépôt officiel du rapport, il n’est pas
inutile de souligner quelques vérités de bon sens pour
permettre aux Françaises et aux Français d'avancer sans
excès de crainte vers des réformes que le gouvernement n'a plus
le droit d'ajourner.
Avant de crier à la catastrophe, et d'invoquer des réformes qui
se heurtent au bon sens populaire : comment obtenir an allongement excessif
de la durée des cotisations évoqué par le Medef,
dès lors que la vie active se rétrécit des deux bouts ?
Cette évocation a de quoi décourager les Français. II
est sans doute utile de leur montrer la gravité et l'urgence du
problème. Mais il faut savoir aussi leur faire toucher du doigt
comment la réforme proposée en 1993 par Simone Veil a bel et
bien atteint ses objectifs. La moitié du chemin vers
l'équilibre à venir des régimes de retraite du
privé sera atteint.
Pourquoi cette réforme a-telle été réussie sans
heurt ?
Sans doute parce qu'elle a été le résultat d'un effort
de pédagogie nationale auquel tout le monde a participé. Et il
faut aussi saluer les partenaires sociaux qui ont su prendre dans la
foulée des décisions courageuses, aussi bien dans le
régime des salariés de l'Arcco que dans le régime des
cadres de l’Agirc.
Au lieu d'en appeler à un avenir décrit parfois en termes
apocalyptiques, mieux vaut ainsi affirmer qu'en se mettant suffisamment
tôt en chemin il n'y a pas de raison de désespérer de
l'avenir.
1.A. Les
régimes spéciaux.
Deuxième précaution, il faut évidemment expliquer que
l’effort doit être celui de tous les Français, quel que
soit leur secteur d'activité. Les régimes spéciaux ne
sauraient rester à l'écart de cet effort d'adaptation et de
préparation engagé par la nation pour la retraite de ses actifs
d'aujourd'hui. Mais l'expérience a montré qu'il y a là
des problèmes spécifiques qui doivent donc être
traités par des approches différenciées. A vouloir
uniformiser au risque de tout mélanger, on pourrait à nouveau
susciter des incompréhensions majeures.
A l'intérieur des régimes spéciaux eux-mêmes, il
faut distinguer les régimes d'entreprises, qui progressivement se
rapprochent des entreprises privées, et aussi des régimes des
fonctionnaires de l'Etat et des collectivités locales, avec là
encore des différences, selon qu'il s'agit de la fonction civile ou de
la fonction militaire.
Cela conduit à évoquer le problème spécifique,
lié à la gestion même de l'Etat, au statut des
fonctionnaires pour lesquels-, malgré la loi de 1924, il n'existe
toujours pas de comptes clairs et isolés du « régime des
fonctionnaires». Cela étant, personne ne peut s'affranchir d'un
effort d'adaptation.
Ces précautions étant prises, l'efficacité exige de
poser le problème dans toutes ses dimensions. Cela n'a pas
été fait suffisamment pour donner aux Français une vraie
compréhension des problèmes.
1.B.
Réorganiser la vie active
Tout d'abord, on .peut à juste titre, comme le fait le rapport
Charpin, privilégier l'allongement de la durée de cotisations
(sans oublier qu'il y aurait d'autres solutions comme un ajustement du
montant des cotisations pu des prestations servi es).
Mais si l'on veut agir essentiellement, voire uniquement sur la durée
de cotisations, alors on ne peut pas faire l'économie d’une
réorganisation.
Cela signifie qu’il faut que les entreprises acceptent
d’accueillir plus précocement les jeunes qui achèvent
leur formation en se professionnalisant ; et qu’elles aménagent
longues, mais mieux adaptées pour, ceux qui peuvent continuer à
travailler si c'est à un rythme plus compatible avec leur âge.
Parler de la préparation à la retraite implique ainsi
d'évoquer l'employabilité tout au long de la vie. Et il faut
pour cela la possibilité d'un accès à la formation tout
au cours de la vie, notamment pour des salariés moins qualifiés
obligés de se reconvertir.
Seul cet aménagement global de la vie professionnelle (plus utile
à coup sûr que la modification de la durée légale
hebdomadaire du travail) permettra de réussir progressivement cet
allongement de la durée du travail dans le temps et de la durée
des cotisations.
Ensuite, le problème des retraites servies dans les années
2010-2015 nous renvoie à celui de la croissance de notre richesse
nationale jusqu'à ce terme. Le paiement des retraites dans les
années 2015 sera d'autant plus aisé que la France aura connu
alors un enrichissement collectif significatif.
Comment y parvenir si ce n'est en favorisant aujourd'hui
l'investissement, l'innovation, la création d'entreprises : autant de
facteurs d'accélération de la croissance du produit
intérieur brut ?
Mais un Etat trop dépensier, insuffisamment géré avec
rigueur, avec des coûts de fonctionnement très supérieurs
à la moyenne des autres Etats, n'est pas en mesure d'entraîner
l'investissement français comme il le devrait.
Alors il faut, là aussi, expliquer aux Français que l'argent
public, plutôt que d'être utilisé pour consolider quelques
situations dont la justification remonte à un passé très
lointain, ou financer un fonctionnement trop dispendieux de certains services
de l'Etat, devrait être engagé dans la préparation de
l'avenir. Cela fait partie aussi du problème des retraites.
1.C. Une guerre de
religion.
Enfin des citoyens appelés à vivre désormais plus
longtemps ne peuvent pas, de ce fait, échapper à une
responsabilité personnelle accrue.
Certes, ils versent des cotisations en tant qu'actifs pour assurer la
retraite de leurs aînés dans le cadre des régimes de
répartition.
Mais cela ne doit pas les empêcher de constituer pour eux-mêmes
une épargne qui, le moment venu, viendra compléter le fruit de
la répartition, qui restera bien sûr le socle de la retraite
à la Française.
Cela, dans 20 ans, permettra sans doute de demander un peu moins à
l'effort des actifs.
Pourquoi donc ces grandes querelles idéologiques sur le principe
même de l'épargne retraite ?
Certes, la définition des modalités de cette épargne
justifie des débats nombreux et passionnés.
Mais que l'on en reste à une guerre de religion sur le principe
même de cet effort de capitalisation, modeste au demeurant, et
complémentaire, cela apparaît archaïque et désuet.
C'est ainsi que l'adaptation de nos régimes de retraites ne saurait
être le fruit d'un simple exercice arithmétique à base
des seuls calculs actuariels, prolongés à un horizon de
très long terme.
Le rapport Charpin est venu utilement éclairer notre réflexion
et souligne l'absolue nécessité d'agir sans retard.
Mais les réformes qu'il préconise doivent, pour être bien
comprises et pour réussir, s'inscrire dans une démarche plus
globale : il faut replacer les problèmes de la retraite dans l'ensemble
de la vie professionnelle et redonner aux Français le goût de
l'action pour l'avenir, c'est-à-dire de l'investissement.
On ne peut pas faire .l'économie d'un discours courageux, clair,
s'adressant à tous les Français, quels que soient les
régimes de retraite auxquels ils appartiennent.
Le gouvernement se trouve maintenant au pied du mur.
L'opposition ne saurait faire de ce problème difficile un enjeu
politicien, voire un enjeu particulier.
Mais elle est en droit d’exiger du gouvernement sans tarder, un passage
aux actes, dans une démarche globale et courageuse à la mesure
des défis"
(fin du texte de J. Barrot)
2. "La
capitalisation est le fruit de l’intelligence humaine".
(Début de mon texte)
Et un rapport sur les retraites de plus, un rapport fondé sur les
mêmes idées comme pour amuser la galerie (si le problème
que les régimes posent n'était pas gravissime) et retarder le
moment du vrai débat !
Contrairement à ce qui est colporté et cru, les régimes
de retraite dits "par répartition" ne reposent pas sur une
technique qui présenterait des inconvénients en raison du
chômage ou de l'augmentation observable et prévisible du rapport
"retraités /cotisants". L'affirmation doit être
dénoncée une bonne fois pour toutes.
2.A. La
répartition n’est pas une technique.
Les régimes par répartition font intervenir le vol de
ressources aux uns (les cotisants obligés) - l'obligation de
cotisations sous peine d'amendes - et le don de ces ressources aux autres
(les retraités)- un don sans égard, sans douceur, sans amour -.
Sans l'obligation, un régime par répartition ne peut pas
fonctionner et cela a été rappelé par
l"'arrêt Garcia" de la Cour de Justice de l'Union
européenne en date du 26 mars 1996.
Qu'a dit le juge en effet ?
"[...] ainsi que la Cour l'a souligné dans son arrêt du 17
février 1993 [...] des régimes de sécurité
sociale qui [...] sont fondés sur le principe de solidarité,
exigent que l'affiliation à ces régimes soit obligatoire, afin
de garantir l'application du principe de solidarité ainsi que l'équilibre
financier des dits régimes.
Si l'article [...] de la directive 92/49 devait être
interprété dans le sens invoqué de la juridiction
nationale, il en résulterait la suppression de l'obligation
d'affiliation et, par conséquent, l'impossibilité de survie des
régimes en cause [...]".
Une obligation réglementaire imposée à des personnes par
la force ne saurait être identifiée à quoi que ce soit de
technique.
En conséquence, la répartition n'est pas une technique de
solidarité. Elle a seulement un coût/ un point c'est tout.
2.B. Le coût de
la répartition ne peut que croître.
N'étant pas technique, la répartition ne saurait être
objet d'amélioration de progrès. Elle ne saurait
connaître des gains de productivité, et les gains de
productivité être distribués à qui que ce soit.
Pour autant que, comme il l'est actuellement/ le monde des techniques de
toute sorte est en pleine ébullition/ il saute aux yeux qu'à la
fois le coût comparatif et le coût d'opportunité de la
répartition s'accroissent à vitesse "grand V". C'est
en définitive ce que les gens ressentent d'une façon
mêlée dans leur for intérieur.
Et ces coûts vont augmenter jusqu'à ce que, contraintes et
forcées, les autorités françaises les reconnaissent et
l'abrogent.
2.C. Le mythe des
inconvénients du chômage.
Pas plus que la répartition n'est une technique, le chômage
n'est une cause des inconvénients qu'elle présente. Bien au
contraire, le chômage est l'un des effets de la répartition
obligatoire.
La responsabilité des personnes s'arrête au point où
elles choisissent de respecter l'obligation qui leur infligée, au
delà l'obligation règne en maîtresse. Elle peut certes
continuer à exister, seulement dans ce cas, les personnes n'ont pas
choisi de respecter l'obligation, mais d'entrer sur le marché noir.
Par définition, l'obligation est un rationnement arbitraire de la
liberté de faire ou de ne pas faire. Elle est toujours une obligation
de faire ou de ne pas faire.
Dans le cas de la répartition, elle les prive des
références habituelles qu'elles emploient pour prendre des
décisions courantes d'assurance, en particulier de la
définition des produits et des prix. Elle est édictée
d'ailleurs pour cela. Pourquoi le serait-elle sinon ?
Privés de références, les gens ne peuvent que consommer
trop ou pas assez, épargner trop ou pas assez, investir trop ou pas
assez, ou enfin produire trop ou pas assez.
Conséquence : la répartition obligatoire est un tiroir caisse
qui ne peut être en permanence que troué et qui doit être
perpétuellement approvisionné par augmentation des cotisations
(ou provisoirement comblé par réduction des prestations).
Conséquence majeure : l'augmentation incessante des cotisations
pèse sur les entreprises en chargeant le coût du travail.
Et pour faire survivre leur entreprise et sauver des emplois, les
entrepreneurs ne peuvent qu'en réduire d'autres, c'est-à-dire
licencier ... Et c'est, toutes choses égales par ailleurs, un
chômage croissant.
2.D. Le mythe de
l’évolution du rapport « retraités/cotisants
obligés ».
Pas plus que la répartition n'est une technique, mais une obligation,
pas plus que le chômage n'est une cause de ses inconvénients,
mais un effet majeur, la mise en rapport du nombre des retraités et du
nombre des cotisants obligés, d'une par et, d'autre part, la
prévision de l'évolution de ce rapport dans le futur n'ont de
signification technique ou économique.
Elles sont des relents du malthusianisme (Thomas Malthus, 1766-1834) qui tend
à fixer l'attention des gens sur des quantités isolées
arbitrairement, une espèce de gâteau qui tomberait du ciel, qui
confond arithmétique et théorie économique, qui fait
croire qu'il y a des normes quantitatives naturelles qu'on ne peut pas
surmonter sauf par ruse et un temps, auxquelles les personnes doivent se
soumettre et qui sont la cause de tous les malheurs si on n'y prend garde et
des initiés n’y portent remède.
Hier, au XlXème siècle, l'important était ainsi, pour
les Malthusiens, les chiffres de la population et de sa croissance,
aujourd'hui, ces chiffres restent au centre des préoccupations de
beaucoup, mais ils y juxtaposent désormais ceux du rapport
"retraités/cotisants obligés" et de sa croissance
qu'ils prévoient.
2.E. Conclusion
Les seuls régimes de retraite auxquels on puisse donner le label
"technique" sont les régimes dits "par
capitalisation".
La capitalisation est une technique découverte au XlXème
siècle. Son fondement est la prise en considération
économique du temps, de la durée à venir, et de son
prix, à savoir le taux d'intérêt, le taux de
capitalisation.
Elle a connu depuis la décennie 1970, depuis que l'incertitude de
l'avenir a été prise en mains par la théorie et la
pratique financières, des progrès considérables,
inimaginables un siècle plus tôt, alors que la répartition
n'en a connu aucun et ne peut en connaître, répétons-le.
Autant la répartition et la capitalisation pouvaient être mises
en balance abusivement au XlXème siècle, autant leur
comparaison est insensée aujourd'hui.
C'est ainsi que les régimes de retraite par capitalisation sont,
à la fois, fruits du progrès de l'intelligence humaine"
"et source du développement économique et social.
Ils n'excluent personne, ils peuvent être libres ou obligatoires,
individualistes ou solidaristes.
Ils sanctionnent seulement les mauvais (ou l'absence de) gestionnaires et
excluent le mensonge, autant de propriétés patentes des
régimes de retraite par répartition que nous supportons encore.
(fin de mon texte de juin 1999)
3. Addendum.
Depuis lors, j'ai écrit un certain nombre de textes sur les retraites,
sur le futur des retraites et les retraites du futur
dont on peut lire la liste sur cette page, ainsi que certains d'entre
eux sur ce blog.
Pour sa part, le marché financier a sanctionné, à
différentes occasions, les gestionnaires incompétents ou
indélicats (cf. ce texte par exemple).
Et il a mis sous surveillance précise un certain nombre d'Etats (cf. ce texte par exemple).
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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