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Cours Or & Argent

La capitalisation est le fruit de l’intelligence humaine, pas la répartition obligatoire.

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Publié le 06 octobre 2010
2564 mots - Temps de lecture : 6 - 10 minutes
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Rubrique : Fondamental

 

 

 

 

Etant donné qu’en France, il semblerait que « plus ça change, plus c’est la même chose », je reproduis ci-dessous un morceau d’actualité d’il y a un peu plus de dix ans.

En avril 1999, Jacques Chirac étant président de la République et Lionel Jospin Premier ministre, un an après avoir été nommé, à la place de Henri Guaino, Commissaire au Plan, Jean Michel Charpin rend le rapport sur l’avenir des retraites en France que lui avait demandé le Premier ministre.

Dans la foulée, Jacques Barrot, député UDF de la Haute Loire, ancien ministre, écrit un article intitulé « L’apocalypse des retraites ? » dans Le Figaro du 4 mai 1999 que je juge valoir son pesant de ... ce que vous voulez.

Sa lecture m’amène à pondre un texte que Claude Reichman fera paraître dans le Courrier de la Liberté le 30 juin 1999 sous le titre « La capitalisation est le fruit de l’intelligence humaine ».

Je reproduis ci-dessous le texte de Jacques Barrot, puis mon texte, ils sont l’un et l’autre d’une actualité on ne peut plus brûlante.


I. "L’apocalypse des retraites ?"

(Début du texte de J. Barrot)
"Au moment du dépôt officiel du rapport, il n’est pas inutile de souligner quelques vérités de bon sens pour permettre aux Françaises et aux Français d'avancer sans excès de crainte vers des réformes que le gouvernement n'a plus le droit d'ajourner.

Avant de crier à la catastrophe, et d'invoquer des réformes qui se heurtent au bon sens populaire : comment obtenir an allongement excessif de la durée des cotisations évoqué par le Medef, dès lors que la vie active se rétrécit des deux bouts ?

Cette évocation a de quoi décourager les Français. II est sans doute utile de leur montrer la gravité et l'urgence du problème. Mais il faut savoir aussi leur faire toucher du doigt comment la réforme proposée en 1993 par Simone Veil a bel et bien atteint ses objectifs. La moitié du chemin vers l'équilibre à venir des régimes de retraite du privé sera atteint.

Pourquoi cette réforme a-telle été réussie sans heurt ?
Sans doute parce qu'elle a été le résultat d'un effort de pédagogie nationale auquel tout le monde a participé. Et il faut aussi saluer les partenaires sociaux qui ont su prendre dans la foulée des décisions courageuses, aussi bien dans le régime des salariés de l'Arcco que dans le régime des cadres de l’Agirc.

Au lieu d'en appeler à un avenir décrit parfois en termes apocalyptiques, mieux vaut ainsi affirmer qu'en se mettant suffisamment tôt en chemin il n'y a pas de raison de désespérer de l'avenir.

1.A. Les régimes spéciaux.

Deuxième précaution, il faut évidemment expliquer que l’effort doit être celui de tous les Français, quel que soit leur secteur d'activité. Les régimes spéciaux ne sauraient rester à l'écart de cet effort d'adaptation et de préparation engagé par la nation pour la retraite de ses actifs d'aujourd'hui. Mais l'expérience a montré qu'il y a là des problèmes spécifiques qui doivent donc être traités par des approches différenciées. A vouloir uniformiser au risque de tout mélanger, on pourrait à nouveau susciter des incompréhensions majeures.
A l'intérieur des régimes spéciaux eux-mêmes, il faut distinguer les régimes d'entreprises, qui progressivement se rapprochent des entreprises privées, et aussi des régimes des fonctionnaires de l'Etat et des collectivités locales, avec là encore des différences, selon qu'il s'agit de la fonction civile ou de la fonction militaire.

Cela conduit à évoquer le problème spécifique, lié à la gestion même de l'Etat, au statut des fonctionnaires pour lesquels-, malgré la loi de 1924, il n'existe toujours pas de comptes clairs et isolés du « régime des fonctionnaires». Cela étant, personne ne peut s'affranchir d'un effort d'adaptation.

Ces précautions étant prises, l'efficacité exige de poser le problème dans toutes ses dimensions. Cela n'a pas été fait suffisamment pour donner aux Français une vraie compréhension des problèmes.

1.B. Réorganiser la vie active

Tout d'abord, on .peut à juste titre, comme le fait le rapport Charpin, privilégier l'allongement de la durée de cotisations (sans oublier qu'il y aurait d'autres solutions comme un ajustement du montant des cotisations pu des prestations servi es).
Mais si l'on veut agir essentiellement, voire uniquement sur la durée de cotisations, alors on ne peut pas faire l'économie d’une réorganisation.
Cela signifie qu’il faut que les entreprises acceptent d’accueillir plus précocement les jeunes qui achèvent leur formation en se professionnalisant ; et qu’elles aménagent longues, mais mieux adaptées pour, ceux qui peuvent continuer à travailler si c'est à un rythme plus compatible avec leur âge.

Parler de la préparation à la retraite implique ainsi d'évoquer l'employabilité tout au long de la vie. Et il faut pour cela la possibilité d'un accès à la formation tout au cours de la vie, notamment pour des salariés moins qualifiés obligés de se reconvertir.
Seul cet aménagement global de la vie professionnelle (plus utile à coup sûr que la modification de la durée légale hebdomadaire du travail) permettra de réussir progressivement cet allongement de la durée du travail dans le temps et de la durée des cotisations.

Ensuite, le problème des retraites servies dans les années 2010-2015 nous renvoie à celui de la croissance de notre richesse nationale jusqu'à ce terme. Le paiement des retraites dans les années 2015 sera d'autant plus aisé que la France aura connu alors un enrichissement collectif significatif.
 Comment y parvenir si ce n'est en favorisant aujourd'hui l'investissement, l'innovation, la création d'entreprises : autant de facteurs d'accélération de la croissance du produit intérieur brut ?

Mais un Etat trop dépensier, insuffisamment géré avec rigueur, avec des coûts de fonctionnement très supérieurs à la moyenne des autres Etats, n'est pas en mesure d'entraîner l'investissement français comme il le devrait.
Alors il faut, là aussi, expliquer aux Français que l'argent public, plutôt que d'être utilisé pour consolider quelques situations dont la justification remonte à un passé très lointain, ou financer un fonctionnement trop dispendieux de certains services de l'Etat, devrait être engagé dans la préparation de l'avenir. Cela fait partie aussi du problème des retraites.

1.C. Une guerre de religion.

Enfin des citoyens appelés à vivre désormais plus longtemps ne peuvent pas, de ce fait, échapper à une responsabilité personnelle accrue.

Certes, ils versent des cotisations en tant qu'actifs pour assurer la retraite de leurs aînés dans le cadre des régimes de répartition.
Mais cela ne doit pas les empêcher de constituer pour eux-mêmes une épargne qui, le moment venu, viendra compléter le fruit de la répartition, qui restera bien sûr le socle de la retraite à la Française.
Cela, dans 20 ans, permettra sans doute de demander un peu moins à l'effort des actifs.

Pourquoi donc ces grandes querelles idéologiques sur le principe même de l'épargne retraite ?
Certes, la définition des modalités de cette épargne justifie des débats nombreux et passionnés.
Mais que l'on en reste à une guerre de religion sur le principe même de cet effort de capitalisation, modeste au demeurant, et complémentaire, cela apparaît archaïque et désuet.

C'est ainsi que l'adaptation de nos régimes de retraites ne saurait être le fruit d'un simple exercice arithmétique à base des seuls calculs actuariels, prolongés à un horizon de très long terme.

Le rapport Charpin est venu utilement éclairer notre réflexion et souligne l'absolue nécessité d'agir sans retard.
Mais les réformes qu'il préconise doivent, pour être bien comprises et pour réussir, s'inscrire dans une démarche plus globale : il faut replacer les problèmes de la retraite dans l'ensemble de la vie professionnelle et redonner aux Français le goût de l'action pour l'avenir, c'est-à-dire de l'investissement.

On ne peut pas faire .l'économie d'un discours courageux, clair, s'adressant à tous les Français, quels que soient les régimes de retraite auxquels ils appartiennent.
Le gouvernement se trouve maintenant au pied du mur.

L'opposition ne saurait faire de ce problème difficile un enjeu politicien, voire un enjeu particulier.
Mais elle est en droit d’exiger du gouvernement sans tarder, un passage aux actes, dans une démarche globale et courageuse à la mesure des défis"
(fin du texte de J. Barrot)


2. "La capitalisation est le fruit de l’intelligence humaine".

(Début de mon texte)
Et un rapport sur les retraites de plus, un rapport fondé sur les mêmes idées comme pour amuser la galerie (si le problème que les régimes posent n'était pas gravissime) et retarder le moment du vrai débat !

Contrairement à ce qui est colporté et cru, les régimes de retraite dits "par répartition" ne reposent pas sur une technique qui présenterait des inconvénients en raison du chômage ou de l'augmentation observable et prévisible du rapport "retraités /cotisants". L'affirmation doit être dénoncée une bonne fois pour toutes.


2.A. La répartition n’est pas une technique.

Les régimes par répartition font intervenir le vol de ressources aux uns (les cotisants obligés) - l'obligation de cotisations sous peine d'amendes - et le don de ces ressources aux autres (les retraités)- un don sans égard, sans douceur, sans amour -.

Sans l'obligation, un régime par répartition ne peut pas fonctionner et cela a été rappelé par l"'arrêt Garcia" de la Cour de Justice de l'Union européenne en date du 26 mars 1996.

Qu'a dit le juge en effet ?

"[...] ainsi que la Cour l'a souligné dans son arrêt du 17 février 1993 [...] des régimes de sécurité sociale qui [...] sont fondés sur le principe de solidarité, exigent que l'affiliation à ces régimes soit obligatoire, afin de garantir l'application du principe de solidarité ainsi que l'équilibre financier des dits régimes.
Si l'article [...] de la directive 92/49 devait être interprété dans le sens invoqué de la juridiction nationale, il en résulterait la suppression de l'obligation d'affiliation et, par conséquent, l'impossibilité de survie des régimes en cause [...]".

Une obligation réglementaire imposée à des personnes par la force ne saurait être identifiée à quoi que ce soit de technique.

En conséquence, la répartition n'est pas une technique de solidarité. Elle a seulement un coût/ un point c'est tout.

2.B. Le coût de la répartition ne peut que croître.

N'étant pas technique, la répartition ne saurait être objet d'amélioration de progrès. Elle ne saurait connaître des gains de productivité, et les gains de productivité être distribués à qui que ce soit.

Pour autant que, comme il l'est actuellement/ le monde des techniques de toute sorte est en pleine ébullition/ il saute aux yeux qu'à la fois le coût comparatif et le coût d'opportunité de la répartition s'accroissent à vitesse "grand V". C'est en définitive ce que les gens ressentent d'une façon mêlée dans leur for intérieur.

Et ces coûts vont augmenter jusqu'à ce que, contraintes et forcées, les autorités françaises les reconnaissent et l'abrogent.

2.C. Le mythe des inconvénients du chômage.

Pas plus que la répartition n'est une technique, le chômage n'est une cause des inconvénients qu'elle présente. Bien au contraire, le chômage est l'un des effets de la répartition obligatoire.

La responsabilité des personnes s'arrête au point où elles choisissent de respecter l'obligation qui leur infligée, au delà l'obligation règne en maîtresse. Elle peut certes continuer à exister, seulement dans ce cas, les personnes n'ont pas choisi de respecter l'obligation, mais d'entrer sur le marché noir.

Par définition, l'obligation est un rationnement arbitraire de la liberté de faire ou de ne pas faire. Elle est toujours une obligation de faire ou de ne pas faire.

Dans le cas de la répartition, elle les prive des références habituelles qu'elles emploient pour prendre des décisions courantes d'assurance, en particulier de la définition des produits et des prix. Elle est édictée d'ailleurs pour cela. Pourquoi le serait-elle sinon ?

Privés de références, les gens ne peuvent que consommer trop ou pas assez, épargner trop ou pas assez, investir trop ou pas assez, ou enfin produire trop ou pas assez.

Conséquence : la répartition obligatoire est un tiroir caisse qui ne peut être en permanence que troué et qui doit être perpétuellement approvisionné par augmentation des cotisations (ou provisoirement comblé par réduction des prestations).

Conséquence majeure : l'augmentation incessante des cotisations pèse sur les entreprises en chargeant le coût du travail.
Et pour faire survivre leur entreprise et sauver des emplois, les entrepreneurs ne peuvent qu'en réduire d'autres, c'est-à-dire licencier ... Et c'est, toutes choses égales par ailleurs, un chômage croissant.

2.D. Le mythe de l’évolution du rapport « retraités/cotisants obligés ».

Pas plus que la répartition n'est une technique, mais une obligation, pas plus que le chômage n'est une cause de ses inconvénients, mais un effet majeur, la mise en rapport du nombre des retraités et du nombre des cotisants obligés, d'une par et, d'autre part, la prévision de l'évolution de ce rapport dans le futur n'ont de signification technique ou économique.

Elles sont des relents du malthusianisme (Thomas Malthus, 1766-1834) qui tend à fixer l'attention des gens sur des quantités isolées arbitrairement, une espèce de gâteau qui tomberait du ciel, qui confond arithmétique et théorie économique, qui fait croire qu'il y a des normes quantitatives naturelles qu'on ne peut pas surmonter sauf par ruse et un temps, auxquelles les personnes doivent se soumettre et qui sont la cause de tous les malheurs si on n'y prend garde et des initiés n’y portent remède.

Hier, au XlXème siècle, l'important était ainsi, pour les Malthusiens, les chiffres de la population et de sa croissance, aujourd'hui, ces chiffres restent au centre des préoccupations de beaucoup, mais ils y juxtaposent désormais ceux du rapport "retraités/cotisants obligés" et de sa croissance qu'ils prévoient.

2.E. Conclusion


Les seuls régimes de retraite auxquels on puisse donner le label "technique" sont les régimes dits "par capitalisation".

La capitalisation est une technique découverte au XlXème siècle. Son fondement est la prise en considération économique du temps, de la durée à venir, et de son prix, à savoir le taux d'intérêt, le taux de capitalisation.

Elle a connu depuis la décennie 1970, depuis que l'incertitude de l'avenir a été prise en mains par la théorie et la pratique financières, des progrès considérables, inimaginables un siècle plus tôt, alors que la répartition n'en a connu aucun et ne peut en connaître, répétons-le.
Autant la répartition et la capitalisation pouvaient être mises en balance abusivement au XlXème siècle, autant leur comparaison est insensée aujourd'hui.

C'est ainsi que les régimes de retraite par capitalisation sont, à la fois, fruits du progrès de l'intelligence humaine" "et source du développement économique et social.
Ils n'excluent personne, ils peuvent être libres ou obligatoires, individualistes ou solidaristes.
Ils sanctionnent seulement les mauvais (ou l'absence de) gestionnaires et excluent le mensonge, autant de propriétés patentes des régimes de retraite par répartition que nous supportons encore.
(fin de mon texte de juin 1999)


3. Addendum.

Depuis lors, j'ai écrit un certain nombre de textes sur les retraites, sur le futur des retraites et les retraites du futur dont on peut lire la liste sur cette page, ainsi que certains d'entre eux sur ce blog.

Pour sa part, le marché financier a sanctionné, à différentes occasions, les gestionnaires incompétents ou indélicats (cf. ce texte par exemple).

Et il a mis sous surveillance précise un certain nombre d'Etats (cf. ce texte par exemple). 

 

Georges Lane

Principes de science économique

  

 

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France. Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur
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