L’économie française poursuit
actuellement une tendance morose de suppressions
de postes et de fermetures d’entreprises. En 2012, la croissance économique
était d’exactement 0%, contre un imperceptible 0,3% en 2013. Les dépenses du
gouvernement, qui s’élèvent à 56% de l’économie, ont
augmenté de 2,1% depuis le second trimestre de l’année 2012. Le secteur
privé a quant à lui perdu 0,2% sur la période, et demeure 3,2% en-dessous de
son pic d’avant-crise.
Contrairement à ses voisins,
la France a aussi une population
qui croît, avec une augmentation de 0,42% enregistrée en 2013. L’absence
de croissance économique est donc décidément négative d’un point de vue de
croissance par tête. Voilà l’expérience que vivent les Français aujourd’hui.
Et
pourtant, les marchés financiers du pays se sont envolés
Après un record à la baisse de
2.519 enregistré en mai 2009, le CAC 40 a commencé à grimper bien qu’il ait
été ralenti en 2011 par la crise de la dette en zone euro. Mais en 2012, les
investisseurs ont commencé à ignorer l’économie du pays, la mauvaise posture
de ses grosses banques et l’effondrement manqué de son secteur automobile
aujourd’hui refinancé, ses banqueroutes, son taux de chômage, sa croissance
trimestrielle négative et les politiques fiscales du nouveau gouvernement, et
fermé les yeux pour plonger la tête la première dans son marché boursier. Le
CAC 40 a atteint 4.313, son niveau le plus élevé depuis août 2008.
Compte tenu des problèmes
économiques de la France, nous pourrions penser que la dette de son
gouvernement devrait présenter des signes de stress. Or les obligations sur dix ans rapportent
2,13%, contre 2,69% pour les obligations américaines. L’écart de rendements
entre les obligations françaises et allemandes, après la forte hausse
enregistrée pendant la crise de la dette, s’est stabilisé entre 50 et 60
points de base. La dette française est tout simplement solide comme le roc,
et permet au gouvernement d’emprunter à bas prix. Les étrangers
l’adorent : 63,2% de la dette gouvernementale transférable de la France
se trouve entre les mains de non-résidents.
« Elle ne réagit pas aux
annonces et aux chocs », a confirmé le plus récent rapport de Natixis, succursale de gestion d’actifs et
d’investissements bancaires de l’une des plus grosses banques de France,
Groupe BPCE, avec plus d'un trillion d’euros d’actifs et 20% du secteur de la
banque de détail [Natixis a publié une étude
l’année dernière, que j’ai discutée dans mon article French
Megabank: “Germany Should
Leave the Eurozone.”]
Natixis pense savoir pourquoi les marchés
financiers de la France se portent si bien malgré l’état de l’économie, et
pourquoi le pays n’a pas subi le même destin que la Grèce ou Chypre, qui ont
subi une rébellion des marchés quand ils ont proposé le refinancement de
banques et annoncé leurs déficits. Natixis ne
mentionne pas les politiques d’impression monétaires qui à l’échelle de la
planète ont fait gonfler les actifs, y compris en France. Il explique en
revanche que les investisseurs étrangers s’intéressent aux actifs français
« parce que la France ne risque pas de traverser une crise
drastique ».
Oh, ne parlons surtout
pas les grosses banques en difficulté
Notez que Natixis
est la succursale d’une grosse banque et n’est pas prêt de remettre en
question la stabilité des grosses banques du pays, dont le refinancement
excèderait de loin les moyens du gouvernement. D'où ce lourd silence qui pèse
au-dessus de ce qui pourrait causer une « crise drastique ».
Le risque auquel fait face la
France est différent : il est question d’une faible croissance sur une
très longue période. Tout mène à cette conclusion : les taxes et la
baisse des rendements du capital, le manque de compétitivité, les problèmes
liés aux savoir-faire de la force de travail, le manque de sophistication du
capital des entreprises, la structure sectorielle de l’économie, tout cela
fera que le pessimisme quant à la situation de la France s’installera
graduellement et lentement.
La situation vire dans la
mauvaise direction… lentement : la dette publique de 93% du PIB ne
flambe pas, mais augmente de 2 points de pourcentage par an. Le commerce
international se détériore et le déficit commercial pour les biens
consommables a atteint 4%, mais il y a un surplus de services, et le déficit
de compte-courant au sens large n’est que de 2% du PIB. Le taux de chômage,
aujourd’hui de 11%, continue de grimper mais est bien inférieur à celui de la
Grèce ou de l’Espagne, avec 25%.
"L'économie de la France
n’est pas très cyclique, et un déclin d’activité drastique est très peu
probable », explique le rapport. Il y a deux raisons à cela : les
dépenses du gouvernement représentent 56% du PIB (20 points de pourcentage de
plus qu’aux Etats-Unis), et le marché du travail rigide et peu compétitif
rend les licenciements difficiles, limite la création d’emplois et empêche
les « salaires réels de chuter en cas de récession, comme c’est le cas
dans d’autres pays ».
Croissance ou non, le
gouvernement et les travailleurs continuent de dépenser. Le problème qui se
pose à la France est une « croissance très lente qui pourrait durer
pendant un certain temps pour des raisons structurelles persistantes ».
Le gouvernement, lorsqu’il prédit une croissance d’1,6% par an, se montre
optimiste. Compte tenu des réalités structurelles, ses prévisions sont
irréalistes. Selon Natixis, la croissance pourrait
au mieux s’élever à 1%. Avec une croissance de la population de 0,4%, Le PIB
par tête pourrait au mieux augmenter de 0,6% par an sur le long terme.
Les réalités
structurelles à la source de ces stagnations
Les rendements du capital
physique ne sont que de 6%, contre 10% en 2007 (et près de 16% aux
Etats-Unis). « L’investissement s’en trouve découragé en France,
notamment dans le domaine de l’industrie, et ces faibles rendements sont
principalement dus aux taxes imposées aux sociétés ».
La compétitivité des coûts est
peu élevée en raison de la « faible sophistication de la production »
et du coût très élevé de production par unité. C’est pourquoi nous avons
assisté à un effondrement des marges sur le secteur de la manufacture, qui
empêche désormais l’industrie d’investir et de se lancer dans la production
de produits haut de gamme. Les ressources se dirigent donc vers des services
protégés où la productivité est peu élevée et n’augmente pas (vente au
détail, construction…)
Les sociétés ont souffert de
faibles gains de productivité suite à un manque d’investissement sur les
nouvelles technologies. En 1998, la France a investi 1,8% de son PIB sur les
nouvelles technologies, contre 2% pour les Etats-Unis. Après cette date,
l’écart s’est creusé. En 2013, la France investissait toujours 1,8% de son
PIB sur les nouvelles technologies, contre 3,3% pour les Etats-Unis. Les
sociétés françaises ont acheté 2.900 robots industriels en 2013, contre
16.500 en Allemagne, 24.300 aux Etats-Unis et 27.200 au Japon.
Cette faible sophistication du
capital et l’incapacité des sociétés à se lancer dans la production de biens
haut de gamme ont engendré un « cercle vicieux de chute des prix et de
la profitabilité », ainsi qu’un « manque d’amélioration de la
sophistication de produits, notamment pour le secteur industriel ».
Contrairement à
Chypre, la France n’est « pas menacée par une crise drastique »…
Voilà qui explique les
glorieuses performances des marchés financiers, et l’absence d’inquiétude
chez les investisseurs. La France est menacée par son incapacité de faire
face à une faiblesse persistante de la croissance.
… Ce qui pourrait la faire
couler. Son système d’aide sociale (santé, pensions et allocations chômage)
est en déficit depuis dix ans. En 2013, son déficit était de 15 milliards
d’euros. Natixis offre donc cette conclusion
réjouissante : « Parce que la réduction des dépenses
gouvernementales nécessaire à la correction des déficits sera difficile à
achever, les finances publiques continueront de se détériorer. L’inquiétude
des investisseurs se fera plus prononcée au fil du temps ».
Et les grosses banques qui
s’étouffent sur des actifs en décomposition ? Ne les mentionnons pas.
Pendant que le secteur
dominant de l’économie française, le gouvernement, continue de croître, les
entreprises font faillite les unes après les autres. Je vous conseille de lire
No
Crisis? France’s Private Sector In Deeper Trouble Than
In 2009