Réguler,
réguler, réguler... En ce qui concerne le secteur financier, la
religion de l'état et des opinions publiques semble faite:
l'état devrait beaucoup plus réguler, c'est à dire
intervenir préventivement pour normaliser l'activité des
banques, les contrôler au quotidien, et renforcer les règles
prudentielles destinées à empêcher les banques de faire
massivement faillite. Seul problème, cette philosophie de la
régulation est déjà largement en vigueur et a amplement
démontré son inefficacité, voire sa nocivité. Et
si les gouvernements osaient parier sur une bonne gestion de la faillite des
mauvaises banques pour parvenir à une véritable
auto-régulation du secteur financier ?
“Bankruptcy
scares many people, but it shouldn't.
All that happens is that
the financial claims on the firm get restructured.
When the firm is in very
bad trouble, the shareholders get wiped out,
and the bondholders
become the new shareholders.
When things are less
serious, some of the debt is converted into equity.
In any case, without the
burden of monthly debt payments,
the firm can return to
profitability”
Joseph Stiglitz, 1999
Régulation,
qu'entend-on par là ?
Plus que jamais,
la crise actuelle a focalisé le débat autour de la
"régulation des marchés financiers", des banques, des
assureurs. La question est légitime: de nombreuses entités
privées ont commis de grosses erreurs de jugement. Leurs
difficultés, jusqu'à la faillite parfois, ont été
suivies d'une intervention massive de certains états, avec pour
corollaire une croissance explosive des dettes publiques dont d'aucuns se
demandent - avec raison - si elle est soutenable. Quant aux baisses
d'impôts, elles ne sont qu'un rêve lointain.
Dans ce contexte, les bonus des traders, qui découlent de
l'extraordinaire subvention à l'activité bancaire dont la haute
finance bénéficie via des banques centrales laxistes et un
système fiscal conçu comme une gigantesque machine
à favoriser le recours au crédit, choquent,
alors que les licenciements se multiplient et que le crédit devient de
plus en plus difficile à obtenir pour les PME qui vivent des heures
très difficiles. Après avoir mené l'économie
réelle au bord du gouffre, l'économie financière festoie
comme si de rien n'était.
Par conséquent, des appels à "plus de
régulation" de la banque, de l'assurance, et d'une façon
générale de tout ce qui touche de près ou de loin
à la finance, se multiplient. Il est fréquemment sous entendu
que la finance serait "dérégulée", et que de
cette "dérégulation" seraient nés tous nos
ennuis. Mais qu'entend on par "régulation" ou
"dérégulation" ?
Un tel sujet mériterait un livre et bien des développements
théoriques. Pour faire simple, disons que le problème
rencontré provient du risque de faillite en cascade de banques,
pouvant faire disparaître la valeur de comptes bancaires de
déposants, particuliers ou entreprises, ce qui causerait un dommage
incalculable à la société, et que la régulation
telle qu'elle est généralement évoquée vise
à la fois d'une
part, à prévenir, ou du moins limiter, le
risque de faillite, et d'autre
part, à gérer efficacement la faillite des
établissements lorsque celle-ci survient.
La thèse que je défends est simple: les régulations
"préventives" sont vouées à l'échec et
obèrent notre capacité à gérer correctement le
"nettoyage" des accidents de parcours, une régulation simple
fondée sur une gestion rapide et préparée à l'avance
des éventuelles faillites serait bien plus efficace.
Régulation
préventive: "on a tout essayé !", et ça ne
marche pas
Prétendre que la banque et la finance étaient une sorte de
jungle dérégulée ne
résiste pas à dix minutes d'examen
honnête de la situation. Aux USA, les seules années 2 000 ont vu
jusqu'à 70 000 pages de réglementations nationales ou locales
être ajoutées en une seule année, celle qui a suivi
l'adoption de la loi Sarbanes Oxley.
En outre, depuis le début du XXème siècle, les banques
du monde entier ont vu le volume des réglementations qui leurs sont
applicables croitre de façon exponentielle, et aux USA, les effets de
réglementations votées il y a plus de 80 ans font encore sentir
leurs effets aujourd'hui. Sans refaire tout l'historique des
réglementations des banques américaines depuis 1920 (voir ici), rappelons que les
très sous-estimées lois McFadden (1927) et Douglas (1935) ainsi
que le trop médiatisé Glass Steagall Act (1933) avaient de
facto interdit aux banques américaines de diversifier leurs risques à
la fois par la répartition géographique et la diversification
des activités.
Le résultat: en 1938, le crédit bancaire était
tombé à des points bas historiques, et l'état
américain a créé la FNMA, à l'époque
publique, plus connue sous le nom de Fannie Mae, pour... Permettre une
diversification géographique des risques et la titrisation des
créances hypothécaires alors inaccessibles aux banques
classiques. Bref, on créait un organisme public pour pouvoir faire ce
que l'état avait interdit aux banques privées !
La suite est connue: une pseudo privatisation en 1968, selon un statut
juridique aussi extravagant que celui de notre bonne vieille caisse des
dépôts, la création d'un concurrent... Public une
année plus tard (Freddie Mac), ne cherchez pas la cohérence, il
n'y en a pas, une pseudo privatisation de Freddie Mac sur le même
schéma que Fannie Mae, et deux organismes sous parapluie publics se
livrant à une gigantesque course aux marges, sous la pression des
politiques exigeant toujours plus de prêts aux familles sans moyens de
les rembourser, sans la moindre préoccupation de saine gestion (5200 milliards d'engagements pour 81 milliards de fonds propres)...
Une suite de régulations promulguées dans les années 20
et 30 a engendré deux monstres qui, de révision des
règles applicables en subordination aux objectifs politiques du
législateur sans souci de la réalité économique,
ont complètement déréglé
le fonctionnement du marché américain du
crédit, avec les résultats que l'on connait.
De même, les règles issues des
accords de Bâle sont un exemple flagrant
d'inefficacité de la régulation préventive. Ces
règles étaient supposées empêcher les banques de
prendre des risques trop élevés, en garantissant des ratios de
fonds propres "suffisants" dans les bilans des
établissements financiers. Malheureusement, la norme fixée,
suffisante quand tout allait bien, s'est révélée,
à un instant donné, incapable d'assurer un niveau de fonds
propres suffisants pour assumer un choc conjoncturel de grande ampleur.
Or, les normes de Bâle, couplées avec l'avantage fiscal
énorme conféré au financement par le crédit sur
le financement par les fonds propres, (documenté
ici et là), ont conduit toutes les banques
à adopter peu ou prou la même structure de financement. Or, dans
un éco-système, c'est la variété des cellules qui
permet de résister à un aléa extérieur. Il en va
de même en économie: si toutes les banques sont tenues, par une
combinaison réglementaire et fiscale, de s'aligner sur la même
norme, et que cette norme se révèle mal calculée
à un moment donné, alors c'est tout l'écosystème
bancaire qui tremble sur ses bases.
Ajoutons que les réglementations de type Bâle (et leurs
équivalents en terme d'assurance), ont été
providentielles pour le développement de produits
dérivés qui n'avaient que pour seul but de
"contourner", leurs partisans diraient "s'adapter", à
la réglementation en vigueur. Le mécanisme en est assez
complexe (voir ici), mais disons qu'il a consisté
à placer dans un fonds des milliers de crédits immobiliers qui
individuellement auraient été mal notés, rachetés
aux banques en émettant des obligations à un taux moyen
légèrement inférieur, avec une petite tranche de titre
à taux plus élevés supposés être plus
rémunérateurs mais acceptant, en contrepartie, d'absorber les
premières dettes (tranches "junior", destinées
à des investisseurs aventureux), de sorte que les tranches
"sénior" pouvaient recevoir une note AAA des agences de
notation, synonyme d'absence de besoin d'augmenter son capital donc son
coût de financement.
Un tel dispositif de "sécurisation" des créances
hypothécaires était voué à l'échec: le
coût de l'ingénierie financière associé absorbait
en grande partie la "marge de couverture du risque" que prend
normalement un prêteur qui fournit un crédit à un tiers,
correspondant au risque supposé de ce tiers. Des prêts
"sécurisés" (le terme exact est plutôt titrisé)
étaient en fait moins sûrs en moyenne que les prêts bruts
qui les composaient.
Oh, pourtant, un tel système était bien pratique. Dans une
telle configuration où trois agences de notation agréées
et oligopolistiques - grâce
à une réglementation qui rendait quasi impossible le
décollage économique d'un nouvel entrant sur le marché
- suffisaient à évaluer la qualité de la signature d'une
institution, n'importe quel schmück pouvait se prendre pour un
génie de la finance en sachant faire la différence entre une
note AAA et une note BB+. Inutile d'aller trop en profondeur analyser les
fondamentaux d'un bilan, la qualité réelle d'un portefeuille
d'actifs...
Résultat, nombre de banques et d'assurance ont accumulé des titres
"AAA" qui n'en avaient que la saveur et la couleur, mais pas les
ingrédients: lorsque les premières pertes ont
dépassé l'enveloppe des tranches "junior" pour
atteindre les titres "senior", les détenteurs de ces bons
soi disant insubmersibles ont compris trop tard que leur confiance aveugle
dans les agences de notation, ou plutôt leur paresse intellectuelle,
leur avait joué un bien mauvais tour.
Bref, toutes les réglementations visant à rendre les banques
plus solides, ont en fait abouti à favoriser des banques
privées sans assez de fonds propres, chargées d'actifs
"toxiques", et des acteurs parapublics tout aussi
sous-capitalisés, qui ont cherché à faire plaisir
à leurs maîtres sans considération pour les plus
élémentaires considérations de pérennité. La régulation censée
fortifier la finance l'a gravement fragilisée.
Régulation de
la crise: contribuable tondu et dollar en danger
Lorsque les premières banques importantes (notamment Bear Stearns) ont
commencé à avoir des frayeurs, l'état américain,
plutôt que de les laisser affronter la faillite, a
préféré intervenir pour les sauver.
Ainsi, aux USA et en Grande Bretagne, des fonds publics ont ils
été mobilisés pour racheter aux banques leurs actifs
pourris dans le cadre notamment du plan TARP, puis ce sont les banques
centrales qui ont racheté directement ou insidieusement ces titres
à partir d'argent créé de zéro, "out of thin
air", comme certains disent. Elles ont en outre maintenu des taux
très bas, non pas pour relancer le crédit privé, comme
cela est officiellement affirmé, mais pour permettre aux états
de financer leurs dettes abyssales à des taux raisonnables.
Cette façon de faire a conduit les banques fautives à recevoir
bien plus que leur valeur réelle en échange de ces titres, et
leur a permis d'acheter massivement des titres d'état à taux
bas, et des actions, faisant rebondir les bourses dans des proportions
inattendues après leur point bas de mars 2009.
Malheureusement, ni le trésor ni la FED ne récupéreront
la totalité des dettes qu'ils ont racheté, au vu de la
dégradation continue du marché immobilier et du pourcentage de
familles entrant en procédure de faillite personnelle. Le sauvetage de l'Assureur AIG
a été estimé à 180 milliards de dollars, et a
peut-être donné lieu à des manoeuvres frauduleuses. Les
facilités accordées à Fannie Mae et Freddie Mac, d'abord
plafonnées à 200 milliards, puis 400 milliards de dollars, viennent
d'être... déplafonnées, ce qui veut dire qu'il n'y a plus
aucune limite théorique à l'ardoise que ces deux mastodontes
arthritiques laisseront au contribuable du Wisconsin.
Et croyez vous que le gouvernement ait décidé d'assainir ces
deux "Government
Sponsored Enterprises" ? Et bien non. Fannie et Freddie,
rebaptisées Phoney et Fraudie par certains financiers, ont
été priées par le gouvernement de continuer à
racheter des prêts octroyés à des ménages aux
revenus incertains, et pis encore, le gouvernement a utilisé sa
troisième agence de financement du crédit, Ginnie Mae, jusque là
peu impliquée dans la crise des subprimes, pour refinancer des
"prêts de constitution d'apport personnel" et des prêts
aux néo-accédants dans des conditions de fragilité qui
laissent dubitatifs les observateurs.
Au total,
l'exposition des diverses entités publiques à des risques de
krach hypothécaire se monteraient, selon le sénateur
démocrate Grayson, à plus de
9 000 milliards de dollars d'engagements et cautions
diverses, et globalement, tous acteurs (publics et privés), les pertes
cumulées risquent de dépasser 4000 milliards, financées
soit par le contribuable, soit, plus probablement, par un retour d'une
inflation à deux chiffres dès que les massives injections de
liquidité ainsi opérées recommenceront à
alimenter la machine à pondre du crédit, qui n'a en aucune
façon été réformée.
Toutes ces manoeuvres n'avaient qu'un objectif: éviter une panique
bancaire liée à des faillites en cascade. Il est vrai que dans
une faillite normale, la recapitalisation éventuelle, la
négociation entre actionnaires et créanciers, et parfois la
liquidation de l'entreprise, sont des procédures coûteuses et
longues, et il n'est pas possible d'immobiliser longtemps l'argent des déposants
dans une banque exsangue. Le risque existe que le défaut d'une banque
elle même endettée vis à vis d'autres banques entraine
d'autres défauts, avec à chaque fois des risques
d'immobilisation (ou de pertes sèches) pour les déposants, eux
mêmes poussés à la faillite, plantant d'autres banques,
et ainsi de suite. C'est ce que que l'on appelle le risque systémique.
Aussi toutes les solutions de type "TARP" utilisées par les
états ont elle eu pour but de garantir aux détenteurs
d'obligations émises par des banques en difficulté qu'ils seraient
payés quoi qu'il arrive, fut-ce par le contribuable plutôt que
sur les actifs de la banque malade. Mais derrière ce prétexte,
certains ont vu, avec quelques bonnes raisons d'y croire, le désir de
protéger des banques "amies" des états, non par
esprit de camaraderie entre gens ayant fréquenté les
mêmes cercles professionnels, encore que, mais plus prosaïquement
parce que les banques en question sont de précieuses alliées
dans l'achat des bons du trésor que les états sont
obligés d'émettre par milliards de dollars pour financer leurs
déficits abyssaux.
La garantie publique
des comptes bancaires, dangereuse illusion
Pour éviter les "bank runs", la plupart des états se
sont dotés de schémas de garantie partielle des comptes
bancaires, fondés sur une assurance publique alimentée par une
prime annuelle payée par les banques. L'affaire de la faillite des banques
Islandaises, et les difficulté de l'assurance des
comptes bancaires américains montrent que cette garantie est un trompe
l'oeil. En outre, là encore, cette garantie "pousse au
crime" les agents économiques, en promettant de "socialiser"
les pertes de quelques uns en cas de malheur: voilà qui pousse dans
une certaine mesure les épargnants à l'imprudence, à
sous-estimer les risques représentés par certains placements
à haut rendement. Et du coup, les banques qui voudraient "rester
sages" risqueraient de perdre leurs clients, les obligeant à
offrir, du même coup, des produits tout aussi peu fiables que la
concurrence.
La garantie publique des comptes bancaires donne une prime à la
sur-prise de risque et à la médiocrité des placements. Censée
apporter une sécurité aux déposants, elle conduit les
épargnants et les banques à prendre des risques qu'ils
n'auraient pas assumés en son absence. Censée fortifier le
système financier, là encore, elle le fragilise.
Seule solution : la
"faillite express prépackagée"
Dès l'annonce du plan Paulson
(injection de 787 milliards de $), qui allait précéder le
"Stimulus Package" du plan Obama-Geithner, un petit nombre
d'économistes, tels que les professionnels de la finance Nassim Taleb,
Janet Tavakoli, John Hussman, ou surtout l'universitaire de Chicago Luigi
Zingales, prônaient une autre solution, économe des deniers du
contribuables, et dont je me suis fait l'écho à plusieurs
reprises, comme dans la revue de
finance helvétique l'AGEFI. Je découvre
d'ailleurs qu'à l'occasion de la crise Asiatique de 1998,
l'économiste prix Nobel de gauche Joseph Stiglitz se faisait
également l'avocat d'une telle solution, comme quoi lorsqu'on rentre
dans le "dur" des problèmes économiques, certaines
solutions pragmatiques transcendent les clivages politiques traditionnels.
Cette solution, que Stiglitz appelait à la fin du siècle
dernier le "Super Chapitre 11", par référence aux
lois américaines sur les faillites, est bien connue, par exemple, des
actionnaires et des créanciers d'EuroTunnel: échanger des
titres de créance (obligations) contre des titres de
propriétés (actions) de l'entreprise, et ainsi, d'une part,
donner un énorme bol d'oxygène à la trésorerie de
l'entreprise malade, et d'autre part, faire supporter une partie du poids de
la faillite à ceux qui ont été imprudents dans leur
politique d'investissements obligataires. Surtout, le passif du bilan des
entreprises concernées est soudainement assaini, ce qui permet aux
entreprises concernées de retrouver une certaine profitabilité
du jour au lendemain, comme l'exemple du Tunnel sous la Manche nous le
prouve.
Cette solution, dans le cadre d'une faillite classique, a un seul
défaut: elle est en général longue, et dans le cas d'une
faillite bancaire, le temps est l'ennemi absolu. D'ailleurs, les faillites
des banques Washington Mutual, Wachowia, ou Colonial Bank,
établissements de taille très respectable, ont
été gérées en un week end par la FDIC.
Zingales et d'autres estiment donc qu'une loi "super-chapitre-11",
permettant de prédéfinir pour chaque banque des règles
préventives de faillite, avec formules de calcul
préétablies, devrait permettre de gérer la conversion
dette-capital (debt to equity swap) d'un simple trait de plume, "pendant
la nuit" (overnight) ou le week end. Cette vitesse ne pose pas de
problème lors de la mise en oeuvre des faillites selon le processus
FDIC.
La proposition du
Mercatus Center
Lorsque Zingales a exposé sa solution pour la première fois, je
me demandais si le droit américain (et le notre aussi, pour ne rien
vous cacher), au niveau constitutionnel, permettaient la mise en oeuvre d'un
tel principe. Je n'en sais toujours rien pour notre Hexagone, où le
sujet semble n'intéresser personne. En revanche, aux USA, la question
est considérée avec un certain intérêt dans les
milieux financiers et académiques. Ainsi le Mercatus Center, think
tank d'inspiration libérale de l'université George Mason de la banlieue
de Washington, laquelle a donné à l'économie trois prix
Nobel (James Buchanan, Gordon Tullock, Vernon Smith), vient de publier une
étude tout à fait passionnante, intitulée: "Les
faillites express, protection contre les futures crises"
(Speed Bankruptcies, a
firewall to future crises, par Jones, Klutsey et Christ - Janvier
2010), qui parvient aux conclusions suivantes:
- Tout d'abord, les
auteurs montrent que cette solution est non seulement plus respectueuse du
contribuable, mais aussi économiquement bien plus efficace que les
sauvetages par l'argent public, et mieux à même de
protéger l'intégralité des dépôts des
épargnants et entreprises, et non un plafond. En outre elle limite le
risque de contagion de façon considérable.
- De plus, leur
analyse du droit libéral traditionnel montre que cette solution n'est
en rien contraire ni au droit de propriété, ni aux fondements
du droit américain et à la constitution, et qu'elle est
politiquement acceptable par l'opinion et les politiciens.
Le seul obstacle sérieux à la faisabilité de telles
faillites est l'existence sur les obligations d'écheveaux de produits
dérivés (CDS) dont on ne sait pas toujours identifier
rapidement le détenteur de créance, mais il semble qu'il y ait
des études sérieuses sur la question (par Zingales, entre
autres) montrant que le problème, pour réel qu'il soit, n'est
pas insurmontable.
La question du risque de contagion systémique mérite
d'être évoquée. Tout d'abord, les banques et assurances,
lorsqu'elles se prêtent entre elles, tendent à répartir
leurs risques et à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même
panier. C'est ainsi qu'il a été révélé
quelques mois après la faillite de Lehman Brothers que bien que celle
ci ait entraîné plusieurs milliards de pertes au total pour
l'establishment financier, le plus gros détenteur individuel de
créance, une banque japonaise, était exposé à
hauteur d'un peu moins de 400 millions de dollars, ce qui est certes
important mais tout de même pas vital. Ajoutons que Jones et Al.
préconisent de convertir prioritairement les dettes à long terme,
puis de ne s'attaquer aux dettes à moins de 5 ans si
nécessaire, ce qui limite fortement, selon eux, les risques de fortes
disruptions de flux de cash.
D'autre part, si une faillite d'une très grande banque, ou d'un
état souverain, venait à se produire, et que le défaut
de cette banque entrainait la conversion en capital d'une très grosse
dette privant le créancier d'un flux de cash d'une façon
susceptible de le mettre à son tour en situation
d'insolvabilité, et bien... Lui même devrait avoir recours
à la même procédure.
Quant à l'argent des déposants, il n'aurait sans doute
absolument rien à craindre dans 95% des cas. En effet, l'étude
du bilan de banques européennes comme américaines montre que
les dépôts des clients représentent généralement
moins de 60-65% du total du passif des banques, toutes
catégories confondues, et parfois moins de 50%. Il faudrait donc que
les actifs soient dépréciés de plus de 35 à 40%
pour que les déposants se retrouvent en position de devoir être
"ratiboisés".
Mais cette solution heurte de front les intérêts des grandes
banques d'affaires et fonds d'investissement obligataires des compagnies
d'assurance notamment, les plus gros acheteurs et émetteurs
obligataires du marché, qui préfèrent nettement que
l'état leur garantisse le paiement de leurs bons à une fraction
aussi élevée que possible de leur valeur faciale.
Effets
collatéraux économiques et sociaux vertueux
Le très grand économiste Irving Fischer a décrit de
façon très pédagogique les implications
économiques et sociales du niveau d'endettement des firmes en cas de
période conjoncturellement difficile (The Debt-Deflation Theory of Great Depressions, 1933,PDF).
Une entreprise en difficultés mais qui n'a pas de dettes va devoir
réduire ou supprimer ses paiements de dividendes à ses
actionnaires, soit réduire les investissements susceptibles de
maintenir et d'augmenter la valeur de l'entreprise pour les actionnaires,
soit réduire sa masse salariale, par licenciements ou par accord
salarial, et le plus généralement, c'est une combinaison
des trois.
Mais les créanciers, eux, ne sont pas tenus de réduire
contractuellement leur droit de tirage sur l'entreprise en difficulté.
Par conséquent, plus celle ci sera financée par un fort effet
de levier (dette), plus elle devra couper dans les dividendes,
l'investissement et la masse salariale pour satisfaire ses créanciers.
Fischer, s'appuyant sur l'étude de nombreuses crises dont la grande
dépression, en déduisait que la casse économique et
sociale était d'autant plus grande et la rémission d'autant
plus longue à venir que le niveau d'endettement des entreprises
était élevé au moment du déclenchement de la
crise.
Depuis, nombre d'études ont confirmé la validité des
thèses de Fischer. Il est à noter qu'en 1989, un jeune et
prometteur économiste en devenir parvenait aux mêmes
conclusions. Un certain Ben Bernanke (Ben Bernanke and Mark Gertler, Agency Costs, Net Worth, and
Business Fluctuations, 1989) . Depuis, il semble
avoir oublié ses travaux de jeunesse !
Certes, les banques en défaut ont pu continuer à verser de gros
bonus à leurs cadres grâce à l'argent public, non sans avoir
préalablement, pour la plupart, sensiblement réduit leurs
effectifs, outre Atlantique tout du moins. La "casse sociale" dans
la haute finance américaine a été toute relative en
comparaison de ce qu'a vu l'économie réelle. Mais les banques
ont dû couper férocement dans leurs investissements, et donc,
dans ce cas d'espèce, dans le crédit aux petites et moyennes
entreprises. Un assainissement de leur passif par "faillite
express" leur aurait permis de moins serrer la vis de leurs clients, ce
qui aurait sans doute adouci la récession.
Ainsi, CitiGroup, par exemple, au lieu
d'essayer désespérément de réduire la taille de
son bilan en bradant des actifs et en augmentant à 29,99% le taux
d'intérêt demandé aux clients de ses cartes de
crédit, aurait pu considérablement renforcer la structure de
son bilan et assurer tant son avenir que celui de ses clients en
convertissant massivement ses dettes en capital. Certes, cela ne l'aurait pas
dispensé de restructurer son activité, car les
créanciers devenus actionnaires auraient exigé de telles
actions pour espérer rentrer dans leurs frais à plus long
terme. Mais au moins la charge de la crise aurait elle été
majoritairement supportée par des investisseurs consentants, adultes
et pleinement conscients, on l'espère, des risques qu'ils prenaient au
moment où ils prêtaient leur argent à cette banque,
qu'à des clients de mainstreet dont la plupart sont totalement
dépassés par des évènements dont ils ne sont pas
responsables et ne maîtrisent pas le cours.
Ajoutons enfin que créanciers et actionnaires, sachant que dans un tel
schéma, il n'y aurait quoiqu'il arrive pas de bailout, et conscient
du risque de se voir soit convertis en actionnaires, soit dilués par
les créanciers, se montreraient certainement plus regardants sur la
qualité de certaines de leurs opérations, et sans doute, les
prêteurs exigeraient des "spreads" (primes de risque) plus
élevés lorsqu'ils prêteraient à des entreprises
trop financées par effet de levier, et les actionnaires limiteraient
les vélléités de leur management de vouloir trop
augmenter la rentabilité des fonds propres par recours à
l'effet de levier.
Un bon processus de
faillite est le meilleur remède anti contagion systémique
Couplée à une autre grande réforme que j'appelle de mes
voeux, celle de la neutralité fiscale
entre rémunération de la dette et du capital, la faillite
express par échange de dette contre capital serait la meilleure
garantie contre le sur-endettement et contre tout risque d'écroulement
systémique du système financier, et par la même, permettrait
aux états de se débarasser sans crainte de moult
réglementations normatives de type préventif qui, nous l'avons
vu, seront toujours truffées d'effet pervers et qui iront à
l'inverse de l'effet recherché.
L'état pourrait donc se recentrer sur ses deux principaux rôles,
la lutte contre les malhonnêtetés et la garantie de la bonne
application des règles de la faillite, mais laisser les entreprises
libres de la façon dont elles font leur métier tant qu'elle le
font honnêtement. Les régulations "préventives"
se limiteraient alors à exiger d'une part des contrats
rédigés sans "pièges", d'autre part un maximum
de transparence dans les portefeuilles détenus par les banques, ce qui
permettrait aux investisseurs d'analyser eux mêmes ces actifs sans avoir
à passer par le filtre réducteur de quelques agences de
notation en situation d'oligopole.
Il est illusoire de vouloir empêcher les gens de se tromper et faire
faillite, l'erreur est humaine et consubstantielle à chacune de nos
expériences. La faillite, pour désagréable qu'elle soit
pour ceux qui la vivent, n'en est pas moins un épisode sain, si elle
est bien gérée, de la vie économique, en ce sens qu'elle
permet aux différents investisseurs de reconnaître les erreurs
faites et de réallouer un certain nombre de ressources en
conséquence.
Se doter, aux USA comme en France, d'une procédure de règlement
des faillites bancaires ultra-rapide par formules
prédéterminées, par échange de dette contre
capital, capable de garantir les clients de nos banques contre le
défaut de l'une d'entre elles, voire même contre la faillite
d'un état souverain, et ce sans disruption de l'activité ni
risque d'évaporation massive des comptes des déposants, serait
le meilleur service à rendre au secteur financier et à ses
clients, ainsi qu'à nos économies occidentales malades de leur
niveau d'endettement excessif.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard, bientôt la quarantaine,
a une formation d'ingénieur et est un ancien militant syndical de
Force Ouvrière, passé graduellement au libéralisme entre
94 et 2000, ayant fini par déduire de ses multiples expériences
personnelles et professionnelles que l'intervention de l'état ne
résolvait que rarement les problèmes de société
qu'elles prétendait combattre, mais qu'elle était au contraire
en grande partie le problème.
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos