Le député Gilles Carrez, rapporteur
général d’un rapport
d’information sur l’état des finances publiques
publié en juin 2010, ne pensait sans doute pas que ce rapport aurait
autant d’influence sur le débat public et les politiques qui ont
depuis été mises en œuvre.
Instrumentalisé, il sert de justificatif à
des plans d’austérité financés à 90%
par des hausses de prélèvements obligatoires ou de critique
à l’égard du gouvernement actuel. Si ce dernier
n’avait pas accordé de « cadeaux aux
riches », cela aurait évité de créer un
déficit. Sauf qu’on fait dire beaucoup trop de choses inexactes
à ce rapport et que les conclusions qui en sont tirées
relève d’une mauvaise analyse.
Le rapport en question s’intéresse aux dix
années de pertes fiscales imputées à un
« mouvement ininterrompu de baisse des prélèvements
obligatoires. » Entre
2000 et 2009, le budget général de l’État aurait
ainsi perdu entre 101,2 et 119,3
milliards d’euros de recettes fiscales, environ les deux tiers
étant dus au coût net des mesures nouvelles – les «
baisses d’impôts » (p.7)
On est cependant en droit de se demander où sont
passées ces baisses d’impôts. Car, selon les chiffres
d’Eurostat, la charge fiscale, relativement à la richesse
produite annuellement, est restée stable. Elle était ainsi
de 50,2% en 2000 par rapport à 50.8% en 2011.
Cela n’a pas empêché nombre de
commentateurs de conclure qu’en l’absence de ces baisses
d’impôts, associées à autant de multiplication de
niches fiscales, les finances publiques ne seraient pas dans
l’état lamentable que l’on connaît, avec un
déficit public de 116 milliards en 2011.
C’est d’ailleurs ce que l’on peut lire
dans un
article de l’ancien Premier ministre Michel Rocard et
l’économiste Pierre Larrouturou. Ils
écrivent : « En 2012, la France doit emprunter quelque 400 milliards : 100
milliards qui correspondent au déficit du budget (qui serait quasi nul
si on annulait les baisses d'impôts octroyées depuis dix ans) et
300 milliards qui correspondent à de vieilles dettes,
[…] ».
Cette affirmation revient à comparer un
déficit réalisé sur une année et des baisses
d’impôts cumulées sur 10 ans. Or, la France n’a pas
eu un budget équilibré depuis de nombreuses années. Sur
la période considérée de 10 ans, ils
s’élèvent à 562 (Insee)
milliards d’euros. Les « pertes en recettes
fiscales » ne représentent ainsi que 20% des
déficits accumulés au cours des 10 dernières
années. Autant dire que le problème du déficit ne peut donc pas être imputé aux seuls
« cadeaux fiscaux ».
La Cour
des comptes ajoute d’ailleurs à ce sujet que la
détérioration des comptes publics n’est pas non plus due
à la crise seulement mais bel et bien à des problèmes
structurels.
Or, à ce jour, aucune solution sérieuse
n’a été proposée. En effet, cette même Cour
appelle de ses vœux à lutter contre les niches fiscales. Les
plans d’austérité français ont d’ailleurs
pris son conseil à la lettre en rabotant bon nombre d’entre
elles. Sous prétexte qu’il y aurait eu un mouvement ininterrompu
de baisses des prélèvements obligatoires, il serait
justifié de les faire repartir à la hausse.
Au-delà de la bataille des chiffres, il est sans
doute utile de rappeler que l’existence de niches fiscales dans un pays
criblé de taxes n’est pas le fruit du hasard. Elles visent
à redonner un peu d’oxygène à un pays en manque de
dynamisme et de compétitivité du fait d’un fardeau fiscal
probablement trop lourd.
En s’y attaquant de la sorte, et donc en poussant
les impôts, taxes et charges à la hausse, il y a peu de chance
de voir le pays renouer avec la croissance, croissance sur laquelle compte le
gouvernement pour sortir de la crise.
Il n’y a donc pas d’autre alternative
que d’affronter les problèmes structurels de la France et
d’envisager une réelle baisse des dépenses publiques. Car
s’il est risqué de creuser des déficits
déjà à la limite du soutenable par des baisses
d’impôt, il devient urgent de créer les conditions de leur
baisse dans le futur en diminuant drastiquement le poids de l’État.
|