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Récemment, sous la pression de
l’Union européenne et de l’OCDE, qui affichent une
volonté de transparence, l’Autriche et le Luxembourg ont
accepté d’abandonner le secret bancaire en vigueur dans ces pays
depuis des décennies. Tous les pays de l’Union européenne
sont maintenant au diapason en la matière. Il existe quelques bonnes
raisons à cette abolition — à commencer par
l’idée que le secret bancaire puisse permettre au crime
organisé de faire disparaître le produit de leurs
activités. Pourtant cette tradition de secret est presque aussi
ancienne que l’activité bancaire elle-même. Elle a originellement
pour but de garantir la probité du banquier vis-à-vis de ses
clients. C’est une pratique qui émane du droit des contrats et
qui est devenue au fil des ans une convention admise par tous, comme celle du
secret médical. Elle a même été codifiée
dans plusieurs pays. Vouloir faire disparaître une telle pratique comporte
ainsi des risques. En se concentrant uniquement sur les aspects socialement négatifs
du secret bancaire, le législateur néglige ses atouts. La
question fondamentale est donc de savoir si les coûts du maintien du
secret sont plus importants que les gains, justifiant ainsi
l’abolition.
Beaucoup d’arrangements
contractuels trouvent leur source dans la défense des droits de
propriété. Ainsi le trust
est une entité de la Common Law
qui a évolué au Moyen Age et qui avait pour fonction de
sauvegarder les droits des propriétaires fonciers partis aux Croisades.
Aujourd’hui, la Commission européenne veut renforcer son arsenal
juridique contre l’usage des trusts
qui, par nature, protègent leurs bénéficiaires, mais
peuvent aussi les dissimuler. Une entité qui, à
l’origine, a renforcé le droit de propriété, est
maintenant vue comme un frein à la transparence. Pourtant les instruments
contractuels reposant sur l’anonymat, comme les actions au porteur, remplissent
des fonctions essentielles.
Le secret bancaire est ainsi vilipendé
alors que son rôle est d’établir la confiance entre les individus,
les entrepreneurs, leurs entreprises et les établissements bancaires. Les
institutions, y compris la propriété et le droit des contrats, ne
peuvent pas être respectées s’il n’y a pas un
fondement de confiance dans la société. Cette confiance ne se
décrète pas, elle émerge de l’interaction des
individus et de la multitude d’arrangements produits — dont certains
reposent sur l’anonymat. Le secret bancaire n’est donc
qu’un des rouages qui créent cette confiance, mais il est souvent
essentiel.
Les bénéfices du secret
bancaire pour la société sont indéniables. Pourtant
l’activité criminelle en profite aussi. À cet effet, les
gouvernements coopèrent régulièrement dans le cadre
d’affaires de blanchiment d’argent. La convention fiscale de
l’OCDE a été ratifiée par la plupart des pays
occidentaux en 2009, elle permet un meilleur échange de données.
Doit-on alors forcément abolir le secret bancaire pour lutter contre ces
crimes ? Pas nécessairement.
Une autre explication peut en fait justifier
de la volonté de faire disparaître le secret bancaire. Les
politiques contre celui-ci remontent aux années 1990 à
l’époque où les pays occidentaux commencent à
s’intéresser aux paradis fiscaux. Tant que les déficits
budgétaires étaient faibles, personne ne se souciait trop de l’atrophie
relative des bases fiscales. Mais depuis que les déficits se sont
accrus, les États s’intéressent de près à
tout « manque à gagner ». La disparition du
secret bancaire est donc sans doute l’une des conséquences de la
lutte internationale contre l’évasion fiscale.
Certains contribuables peu scrupuleux —
le plus souvent des multinationales — utilisent les règles de taxation
à leur avantage. Il est vrai que l’optimisation fiscale peut participer
à la dégradation budgétaire. Mais ces contribuables jouent
aussi un autre rôle qui ne peut être négligé.
L’optimisation fiscale ainsi que l’évasion sont une sorte
de marché noir, et l’on sait que tout marché noir
émerge pour satisfaire une demande qui ne peut s’exprimer autrement.
Les marchés noirs abondent dans les sociétés
hyper-réglementées ou très corrompues (et les deux vont généralement
de pair). On peut ainsi analyser l’évitement et l’évasion
comme étant une réaction à une imposition trop lourde en
rapport avec les bénéfices. Lorsque le taux de l’impôt
sur les sociétés n’est que de 12,5% comme en Irlande par
exemple, les incitations à l’évasion sont bien plus
faibles que lorsqu’il est de 33%.
Les États peuvent réagir
de deux façons. Ils peuvent d’une part écouter le signal
que représente l’évasion et agir comme tout producteur en
concurrence, c’est à dire, en améliorant leur produit (en
l’occurrence en baissant les taux et en offrant un environnement plus
propice aux affaires). Ils peuvent aussi décider que toute concurrence
doit être abolie en se cartellisant pour limiter la possibilité que
tout État propose des conditions plus attirantes. C’est cette
seconde voie qui a été suivie depuis les années 1990. Et
l’abolition du secret bancaire est une pièce importante de cette
stratégie, au même titre que l’harmonisation fiscale
européenne (qui a, jusqu’à présent,
échoué) ou l’exit tax (qui a récemment augmenté).
Il est justifiable que les État
luttent contre les mauvais payeurs. Cependant, la stratégie
d’abolition du secret bancaire dans le but de réduire la
concurrence fiscale est dangereuse. Cette concurrence est un ultime rempart
contre la mauvaise gestion des dépenses publiques. Elle discipline les
États en les obligeant à mieux écouter les citoyens qui
demandent de meilleurs services à moindre coût. De plus, l’abolition
du secret bancaire procède du rationalisme constructiviste qui ne
tient pas compte de l’évolution spontanée des
règles sociales et de leur utilité. Le secret bancaire est un
aspect du respect de la vie privée (article 8 de la Convention
Européenne des droits de l’homme), c’est une arme contre
l’arbitraire étatique, et une aide à la résistance
à l’oppression (article 2 du préambule de la constitution
de 1958). Avec l’abolition du secret bancaire et la mise en place de
l’échange automatique d’informations, les États
vont accroitre leur pouvoir de contrôle sur les individus et les
entreprises. Certains, comme le président François Hollande,
s’en réjouissent. Il y aurait en effet de quoi se réjouir
si les États étaient parfaitement bienveillants et omniscients.
Mais ce n’est pas le cas. Comme l’expliquent Barry Weingast et Douglass North, un État
qui a le pouvoir de faire respecter le droit a aussi le pouvoir de revenir sur
ses promesses. La question fondamentale de l’économie politique
constitutionnelle, comme la voyait James Buchanan, est celle de savoir
comment attacher les mains du législateur avant qu’il ne soit
tenté d’exproprier la richesse créée. L’érosion
lente mais continue des barrières à la prédation
publique est une pente glissante périlleuse. La fin du secret bancaire
est un pas de plus dans cette direction.
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