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La machine à faire des bulles

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Publié le 03 novembre 2010
973 mots - Temps de lecture : 2 - 3 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Ces tous derniers jours, le monde financier était et reste suspendu aux décisions que la Fed va prendre mercredi prochain. Jamais une réunion de celle-ci n’aura suscité autant d’attente et des annonces de la Fed, autant d’expectations et de commentaires avant qu’elles ne soient rendues publiques. Mais le paradoxe est que c’est moins en raison des bienfaits qui en sont attendues, en faveur de la relance économique, que des dangers qu’elles recèlent pour les marchés des capitaux.


S’il est acquis que la planche à billet devrait être remise en marche, les spéculations fleurissent sur le volume initial du programme ainsi que sur les conditions qui vont l’assortir. Une fois lancé, selon quels critères la Fed annoncera qu’elle décidera ultérieurement de l’arrêter : un volume final d’achat de bons du Trésor, un taux d’inflation déterminé, une diminution donnée du chômage et une amélioration de la croissance ? Prendre cette décision semble rien moins qu’évident, étant donné le nœud de contradictions dans lequel la Fed se trouve et la totale nouveauté de la situation qu’elle affronte.


L’attente des marchés en faveur d’un programme de création monétaire est telle qu’il semble impossible que la Fed ne s’y engage pas, même si elle s’aventure en terrain miné et à reculons. Si une relance économique n’en résultera pas nécessairement, celle du marché des actions est très attendue.


Une grande confusion règne cependant, au sein de laquelle prévaut le sentiment que les moyens monétaires classiques d’intervention sont devenus inopérants. Le spectre de la « trappe à liquidité » est présent dans toutes les têtes, même si on évite d’y faire explicitement référence.


A quoi vont servir les ressources financières libérées par la Fed, via l’achat de bons du Trésor, dans le contexte d’endettement des ménages et de grande frilosité de la consommation ? On n’invente pas du pouvoir d’achat par ce biais : le lent désendettement en cours est loin d’être terminé, la demande n’est pas au rendez-vous, la planche à billet n’y changera rien. Mais pourtant il faut tenter le coup, une relance budgétaire étant exclue dans un contexte politique de défaite électorale des démocrates qui y fait résolument obstacle.


La cause semblant entendue, la Fed devrait donc acheter des bons du Trésor à long terme, pesant à la baisse sur les taux obligataires ainsi que sur le dollar. Tout pourrait alors paraître pour le mieux, du point de vue des intérêts américains, le poids de la dette étant diminuée et les capacités d’exportation renforcées, si l’on ne craignait d’autres effets.


En premier lieu la constitution de ce qui ressemble à s’y méprendre à une bulle obligataire. La Fed allant y contribuer par ses achats, les autres banques centrales continuant à acheter du dollar pour tenter de contrer l’appréciation de leur monnaie. Un retournement de situation brutal pourrait s’en suivre, la bulle en question éclatant sans crier gare, selon les spécialistes, aboutissant à une hausse des taux et à la baisse correspondante de la valeur des titres. Générant alors d’importantes pertes pour les investisseurs qui ont ces deux dernières années acheté des obligations en masse. En d’autres termes, la mariée se révélerait trop belle.


En attendant, la baisse des rendements pourrait être une forte incitation à une prise de risque accrue des fonds de pension américains, souvent en fâcheuse posture, qui iraient chercher sur d’autres marchés les moyens d’honorer leurs engagements. La faiblesse accentuée du dollar pourrait également encourager la spéculation sur les matières premières, pétrole et produits alimentaires en premier lieu, contrecarrant les intentions de la Fed.


Un très grand manque de visibilité règne sur les marchés de capitaux, justifiant que les scénarios les plus divers y circulent. Dans tous, il est cependant attendu que, par un jeu de bascule habituel et à l’initiative de la Fed, les marchés d’actions connaissent un grand retour en grâce chez les investisseurs, en raison des moindres rendements obligataires. Accompagné sans coup férir d’une bulle financière sur les marchés d’actions occidentaux, vu l’impatience des investisseurs, parallèlement à celles qui se développent déjà dans les pays émergents en raison de l’afflux des capitaux qui y sont enregistrés, attirés par les taux élevés qui y sont pratiqués.


La vision des marchés des capitaux proposée par ceux qui les commentent au jour le jour est impressionnante. Tout est prédit et son contraire, suivant qui l’on écoute. Tout se passe comme si la machine à faire des dettes ne fonctionnant plus, celle à faire des bulles – déjà menaçante – se préparait à tourner à plein régime. Expression d’une situation marquée par d’énormes masses de capitaux en mouvement, à la recherche imprévisible de sécurité d’un côté et de rendement de l’autre. Rendant les anticipations illusoires, du dire des hommes de l’art, et les risques grandissants. Une mécanique de plus de déréglée.


Il sera alors plus que jamais justifié de qualifier la Fed d’apprenti sorcier. La titrisation en panne sèche, c’est la création monétaire qui va prendre le relais pour tenter de relancer le crédit et la croissance économique. Mais les bases d’appui le permettant faisant défaut, des bulles financières vont à nouveau être constituées. Les marchés sont insatiables et vont le faire savoir.



Billet invité : François Leclerc

 


Paul Jorion

pauljorion.com



(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.



Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).


 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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