Ces
tous derniers jours, le monde financier était et reste suspendu aux
décisions que la Fed va prendre mercredi prochain. Jamais une
réunion de celle-ci n’aura suscité autant d’attente
et des annonces de la Fed, autant d’expectations et de commentaires
avant qu’elles ne soient rendues publiques. Mais le paradoxe est que
c’est moins en raison des bienfaits qui en sont attendues, en faveur de
la relance économique, que des dangers qu’elles recèlent
pour les marchés des capitaux.
S’il
est acquis que la planche à billet devrait être remise en
marche, les spéculations fleurissent sur le volume initial du
programme ainsi que sur les conditions qui vont l’assortir. Une fois
lancé, selon quels critères la Fed annoncera qu’elle
décidera ultérieurement de l’arrêter : un volume
final d’achat de bons du Trésor, un taux d’inflation
déterminé, une diminution donnée du chômage et une
amélioration de la croissance ? Prendre cette décision semble
rien moins qu’évident, étant donné le nœud de
contradictions dans lequel la Fed se trouve et la totale nouveauté de
la situation qu’elle affronte.
L’attente
des marchés en faveur d’un programme de création
monétaire est telle qu’il semble impossible que la Fed ne
s’y engage pas, même si elle s’aventure en terrain
miné et à reculons. Si une relance économique n’en
résultera pas nécessairement, celle du marché des
actions est très attendue.
Une
grande confusion règne cependant, au sein de laquelle prévaut
le sentiment que les moyens monétaires classiques d’intervention
sont devenus inopérants. Le spectre de la « trappe à
liquidité » est présent dans toutes les têtes,
même si on évite d’y faire explicitement référence.
A
quoi vont servir les ressources financières libérées par
la Fed, via l’achat de bons du Trésor, dans le contexte
d’endettement des ménages et de grande frilosité de la
consommation ? On n’invente pas du pouvoir d’achat par ce biais :
le lent désendettement en cours est loin d’être
terminé, la demande n’est pas au rendez-vous, la planche à
billet n’y changera rien. Mais pourtant il faut tenter le coup, une
relance budgétaire étant exclue dans un contexte politique de
défaite électorale des démocrates qui y fait
résolument obstacle.
La
cause semblant entendue, la Fed devrait donc acheter des bons du
Trésor à long terme, pesant à la baisse sur les taux
obligataires ainsi que sur le dollar. Tout pourrait alors paraître pour
le mieux, du point de vue des intérêts américains, le
poids de la dette étant diminuée et les capacités
d’exportation renforcées, si l’on ne craignait
d’autres effets.
En
premier lieu la constitution de ce qui ressemble à s’y
méprendre à une bulle obligataire. La Fed allant y contribuer
par ses achats, les autres banques centrales continuant à acheter du
dollar pour tenter de contrer l’appréciation de leur monnaie. Un
retournement de situation brutal pourrait s’en suivre, la bulle en
question éclatant sans crier gare, selon les spécialistes,
aboutissant à une hausse des taux et à la baisse correspondante
de la valeur des titres. Générant alors d’importantes
pertes pour les investisseurs qui ont ces deux dernières années
acheté des obligations en masse. En d’autres termes, la
mariée se révélerait trop belle.
En
attendant, la baisse des rendements pourrait être une forte incitation
à une prise de risque accrue des fonds de pension américains,
souvent en fâcheuse posture, qui iraient chercher sur d’autres
marchés les moyens d’honorer leurs engagements. La faiblesse
accentuée du dollar pourrait également encourager la
spéculation sur les matières premières, pétrole
et produits alimentaires en premier lieu, contrecarrant les intentions de la
Fed.
Un
très grand manque de visibilité règne sur les
marchés de capitaux, justifiant que les scénarios les plus
divers y circulent. Dans tous, il est cependant attendu que, par un jeu de
bascule habituel et à l’initiative de la Fed, les marchés
d’actions connaissent un grand retour en grâce chez les
investisseurs, en raison des moindres rendements obligataires. Accompagné
sans coup férir d’une bulle financière sur les
marchés d’actions occidentaux, vu l’impatience des
investisseurs, parallèlement à celles qui se développent
déjà dans les pays émergents en raison de
l’afflux des capitaux qui y sont enregistrés, attirés par
les taux élevés qui y sont pratiqués.
La
vision des marchés des capitaux proposée par ceux qui les
commentent au jour le jour est impressionnante. Tout est prédit et son
contraire, suivant qui l’on écoute. Tout se passe comme si la
machine à faire des dettes ne fonctionnant plus, celle à faire
des bulles – déjà menaçante – se
préparait à tourner à plein régime. Expression
d’une situation marquée par d’énormes masses de
capitaux en mouvement, à la recherche imprévisible de
sécurité d’un côté et de rendement de
l’autre. Rendant les anticipations illusoires, du dire des hommes de
l’art, et les risques grandissants. Une mécanique de plus de
déréglée.
Il
sera alors plus que jamais justifié de qualifier la Fed
d’apprenti sorcier. La titrisation en panne sèche, c’est
la création monétaire qui va prendre le relais pour tenter de
relancer le crédit et la croissance économique. Mais les bases
d’appui le permettant faisant défaut, des bulles
financières vont à nouveau être constituées. Les
marchés sont insatiables et vont le faire savoir.
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
|