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Je soupçonne 98 % des investisseurs,
et peut-être même plus, de ne rien comprendre, ou si peu,
à l'histoire de la monnaie. Bien
que personne ne puisse imaginer toutes les conséquences de la fin de
l’hégémonie du dollar sur des marchés financiers
désormais mondiaux et liés, il est possible de se
préparer à ce qui arrive en se souvenant de l’un des
multiples exemples du chemin des monnaies papier vers les oubliettes. Ces problèmes
sont déjà survenus dans le passé, et nous tirons,
où devrions tirer les leçons de l'histoire. Mais comme nous
allons le voir, l'homme apprend peu et se souvient rarement de ses erreurs.
L'article suivant, de Shannara
Johnson, rédactrice à International Speculator,
examine les racines monétaires de la Révolution
Française, et fournit par la même occasion un parallèle incontestable
avec l'état actuel du dollar américain. Lisez-le et faites-le
lire autour de vous.
Doug Casey
L'un des comptes-rendus
les plus fascinants des effets catastrophiques du remplacement par de
l'argent papier d'une devise basée sur l'or ou l'argent nous vient
d’Andrew Dickson White (1832 – 1918), diplomate, auteur et
éducateur ayant cofondé Cornell University.
Au début du XIXe siècle, White
a commencé à rassembler et analyser des articles de journaux et
des documents publiés pendant la Révolution Française,
plus particulièrement ceux se rapportant aux problèmes du
papier–monnaie sous la Révolution. En 1912, il a publié Fiat
Money Inflation in France, un essai qui aujourd'hui n'a pas pris une
ride.
En 1789, à la veille de la
Révolution Française, le gouvernement français faisait
face à de graves problèmes de surendettement et de
déficit chronique. Un manque général de confiance de la
part du monde des affaires avait conduit à la baisse des
investissements, et l'économie stagnait.
“Des mesures dignes de
véritables hommes politiques, une surveillance attentive et une
gestion raisonnable auraient sans aucun doute mené rapidement à
un retour de la confiance, à la réapparition de l'argent et la
reprise des affaires, mais cela demandait de la patience et de
l'abnégation, et jusque-là, dans l'histoire de
l'humanité, ce sont les choses les plus rares de la sagesse politique.
Peu de nations ont jamais été capables d'exercer ces vertus, et
la France n'a pas fait exception », a écrit White.
Au lieu de cela, à la manière
habituelle des hommes politiques, l'Assemblée Nationale
française a cherché un raccourci vers la
prospérité, et des appels à l'introduction de
papier-monnaie se firent bientôt entendre. Certains individus prudents,
tel que le Ministre des Finances de l'époque, Jacques Necker, ont
opposé d'insistantes mises en garde. Après tout, seulement 70
ans avant, le pays avait appris une rude leçon lorsque
l'économiste écossais John Law avait présidé
à un système de monnaie fiduciaire aux conséquences
ruineuses.
Mais puisque « les pressions vers une
devise populaire à usage universel devenaient de plus en plus fortes
», Necker et ses sympathisants n'ont pas été
écoutés. Le plan avait l’air sensé : le gouvernement
confisquerait les terres de l'église française, qui à
cette époque possédait entre un quart et un tiers de tout
l’immobilier français, et émettrait un total de pas plus
de 400 millions de livres en billets de 1000, 300 et 200 livres,
appelés assignats, échangeables contre une parcelle de terre.
De plus, chaque billet portait un intérêt de 3 %, afin
d'encourager ceux qui en possédaient à les garder.
L'influx d'argent neuf fournirait aux
finances françaises « de quoi rembourser les dettes...satisfaire
les besoins nationaux...stimuler les affaires…[et] donner à tous
les capitalistes, petits ou gros, les moyens d'acheter à la nation
l’immobilier de l'église ». Grâce aux recettes, le
pays rembourserait ses dettes et obtiendrait de nouveaux financements pour
les besoins nouveaux : une proposition en béton, du moins c'est ce qui
semblait.
Au début, les résultats de
l'émission des assignats prirent l'apparence d'un rêve devenu
réalité, dit White : « les finances furent
immédiatement grandement soulagées, une partie de la dette publique
fut remboursée, les créditeurs furent encouragés, le
crédit fut relancé, les dépenses courantes furent
réglées…le commerce se développait et toutes les
difficultés semblaient disparaître ».
Si les autorités
s’étaient arrêtées là, suggère Wight,
les effets auraient pu être réellement bénéfiques.
Mais malheureusement, « cinq mois après l'émission des
400 millions d'assignats, le gouvernement les avait dépensés et
se trouvait à nouveau dans une situation très difficile
».
À travers tout le pays, les gens se
mirent immédiatement à réclamer une nouvelle
émission de billets. Les détracteurs de la monnaie papier
avertirent qu'il ne serait plus possible de s'arrêter une fois que la
nation se serait engagée sur la pente savonneuse de l'inflation, mais
les autres ignorèrent l’avertissement, en déclarant que
«désormais le peuple était aux commandes et qu'il pouvait
se faire rembourser leurs assignats quand il le désirerait, et qu'ils le ferait ».
C'est là que commence le troublant
parallèle avec l'Amérique d'aujourd'hui.
En 1790, les partisans du papier-monnaie
s'étaient persuadés que les espèces (les métaux
précieux et les pièces) étaient une forme d'argent
démodée... Après tout, qu'y avait-il de mieux que
l'argent échangeable contre des terres dont la valeur ne ferait qu'augmenter ?
Cela rappelle de sinistre mémoire le boum de l'immobilier
américain et les prêts hypothécaires « subprime » qui avaient été
facilement consentis.
Prenez le Comte de Mirabeau, l'un des plus
grands démagogues et défenseurs du papier-monnaie, qui à
l'époque avait prononcé son convaincant discours
« Allons jusqu'au bout », en concluant « Nous
devons terminer ce que nous avons commencé ».
Ou Pierre Paul Royer-Collard, rappelant de
manière troublante Ben “Helicopter”
Bernanke, lorsqu'il déclara à l'Assemblée
Nationale, « si il faut créer 5 milliards, ou plus, de
papier-monnaie, faisons-le ».
L’affaire était entendue, et la
France commença à glisser vers l'inflation. Des appels de plus
en plus insistants pour l'introduction de billets de petite dénomination
se firent bientôt entendre. « La monnaie faible avait largement
remplacé la monnaie forte », écrit White, « le
papier-monnaie avait fait disparaître la petite monnaie de cuivre et
d'argent, et toutes sortes de billets circulant sous le nom de ‘billets
de confiance’ inondèrent la France. Rien qu'à Paris, il
en circulait 63 sortes différentes. »
Tout fut tenté afin de fournir des
pièces d'argent et de cuivre de petite dénomination et de les
maintenir en circulation. Des lois furent votées afin de forcer les
citoyens à envoyer leur argenterie et leurs bijoux pour en faire des
pièces de monnaie. Les églises et les couvents furent
obligés de donner la plus grande partie de leur argent et de leur or,
et les cloches des églises furent fondues afin de fournir du cuivre
pour battre de la monnaie. Malgré cela, l'argent et le cuivre se
faisaient de plus en plus rares, si bien qu'à la fin le gouvernement
abandonna et imprima des billets de plus faible valeur, à commencer
par des billets de 5 francs jusqu'à des billets de 1 sou.
Lorsque la pression inflationniste monta,
écrit White, « une vieille doctrine de mauvais augure
émergea, selon laquelle toute devise, qu'elle soit d’or, de
papier, de cuir ou de n'importe quel autre matériau, tire son efficacité
du cachet qu'elle porte, et par conséquent, un gouvernement peut se
soulager de ses dettes et se rendre riche et prospérer simplement au
moyen d'une presse à billets : fondamentalement, c’était
la théorie à la base de la doctrine américaine plus
tardive de la ‘monnaie fiduciaire’. »
Et exactement comme les Américains
d'aujourd'hui, qui dépensent sans problème l'argent
qu’ils n'ont pas encore gagné, « les Français
devinrent des optimistes acharnés, déclarant que l'inflation
était synonyme de prospérité... Le pays s'enivrait de
papier-monnaie. Ils ressentaient le bien-être d’un ivrogne
après un verre, et comme les émissions de papier-monnaie
devinrent de plus en plus fréquentes, les périodes successives
de bien-être devinrent plus courtes. »
Cependant, de plus en plus de signes du
cataclysme à venir commencèrent à apparaître. Bien
que la quantité de papier-monnaie avait
augmenté, la prospérité avait décliné. Les
affaires se mirent à stagner, et les usines se mirent à
licencier les ouvriers. Dans une ville, 5000 ouvriers furent licenciés
de plusieurs usines textiles, mais les gens ne reconnaissaient toujours pas
la vraie cause. L’exportation était trop bon marché,
disaient-ils, et des tarifs élevés étaient appliqués
sur les marchandises importées.
Un effondrement dans les secteurs de la
manufacture et du commerce était inévitable, dit White, «
de la même manière que cela arriva à différentes
périodes en [France], en Autriche, en Russie, en Amérique, et
dans tous les pays qui ont essayé de construire la prospérité
sur du papier irremboursable. »
Face à la perspective d'une
dévaluation continue du papier-monnaie, le public commença
à considérer l'économie et la prudence ridicules, et les
Français naturellement économes devinrent une nation de gloutons
et de risque-tout. Les gens commencèrent à jeter leur argent au
petit bonheur la chance dans la bourse, et « il monta dans l'ensemble
du pays une aversion à l'égard du travail et un mépris
pour les revenus modérés et le train de vie simple. »
La tumeur, telle que l’appelle White,
s'étendit au cercle des affaires, du journalisme de la
politique ; l’indulgence fut suivie d'une corruption croissant
« aussi naturellement que la moisissure sur un tas d'ordures ».
Une première perversion
économique engendra la suivante. Mirabeau, en déclarant que le
patriotisme et l'individualisme constructif maintiendraient la valeur du
papier-monnaie, ne pouvait se tromper davantage. En réalité, il
s'avéra qu’un très grand nombre de gens endettés,
composé essentiellement de ceux qui avait
acheté les terres de l'église au gouvernement avait tout
intérêt à ce que la devise soit dévaluée.
Puisque seuls de petits acomptes étaient requis, et que le solde
devait être payé en versement différés, les gens
qui achetaient des terres espéraient qu’une monnaie
dévaluée diminuerait leurs dettes.
“En peu de temps, cette classe de gens
endettés devint un groupe puissant s'étendant à tous les
rangs de la société… Ils faisaient tous pression pour
obtenir de nouvelles émissions de papier-monnaie... Ils étaient
apparemment capables de montrer au peuple que la seule chance de
prospérité nationale résidait dans de nouvelles
émissions de papier-monnaie…[comme]
chaque émission de papier-monnaie aggravait la situation, les gens
furent gagnés par la superstition qui stipulait que si assez de
papier-monnaie était émis et qu’il était
géré plus habilement, les pauvres deviendraient riches.
Dorénavant, toute opposition était inutile. »
En décembre 1791, une nouvelle
émission fut décrétée, et dilua la valeur du
billet de 100 livres
(dont la valeur avait déjà chuté à 80 livres) à 68 livres. Alors que la
valeur de l'argent chutait, le discours officiel prit une tournure encore
plus résolument optimiste. Les journaux, les discours politiques et
les tracts soutenaient qu’ « une monnaie
dévaluée est un bienfait, que l'or et l'argent sont des
étalons de mesure de valeur peu satisfaisants...que le commerce avec
d'autres nations peut être un fléau, et qu'un obstacle à
ce fléau peut être un bienfait...que les lois de
l'économie politique, bien qu'applicables à d'autres
époques, ne le sont pas aujourd'hui en France ; que les règles
ordinaires de l'économie politique conviennent peut-être aux
sous-fifres du despotisme mais pas aux Français libres et éclairés
de cette fin du XVIIIe siècle », et ainsi de suite.
En mars 1792, après la
cinquième émission de 300 millions de livres de papier-monnaie,
le gouvernement décida que les paiements à tous les
créanciers publics de toute somme au-dessus de 10 000 Francs
seraient suspendus. Cela fut accueilli comme une aubaine par les classes
pauvres, mais les résultats furent contraires aux espérances.
Les capitalistes commencèrent à retirer discrètement
leur argent des classes ouvrières et à le bloquer « de
toute les manières que l'ingéniosité financière
pouvait imaginer. Ce qui sauva des milliers d'ouvriers...de la famine fut
qu’ils furent envoyés à l’armée puis se
firent tuer sur des champs de bataille étrangers. »
Grâce à des sources de
l'époque, nous savons que le prix de la farine passa de 2 francs en
1790 à 225 en 1795, et qu'une paire de chaussures passa de 5 francs
à 200.
Alors que les prix de tous les produits
avaient énormément augmenté, les salaires des classes
laborieuses stagnaient. Les émissions de papier-monnaie se
succédèrent, jusqu'à ce que la quantité d'argent
en circulation atteigne 3 milliards de francs en 1793...et ce n'était
pas encore fini. L’agitation monta au sein de la population, et de plus
en plus de gens issus des classes ouvrières exigèrent la peine
capitale pour l'uniformisation des prix ainsi qu'un impôt de 400
millions de francs sur le pain des riches.
Le 28 février 1793, une foule
d'hommes et de femmes déguisés se mit à piller 200
magasins dans Paris, se saisissant de tout ce qu'ils pouvaient. L'ordre ne
pût être rétabli qu'en donnant 7 millions de francs
à la foule.
Choqué, le gouvernement
français mit en place de nouvelles mesures afin de récolter de
l'argent, dont le Prêt Forcé, un impôt
prélevé sur toute personne ayant un revenu de plus de 1000
Francs. L'impôt était fixé à 10 % pour toute
personne gagnant moins de 1000 Francs et à 50 % pour toute personne
gagnant plus de 9 000 Francs.
Une autre mesure d'urgence, la Loi du
Maximum, consistait en quatre règles qui étaient supposées,
une fois encore, aider la classe ouvrière. «
Premièrement, le prix de chaque produit de première
nécessité devait être fixé à un tiers
au-dessus de son prix en 1790. Deuxièmement, le coût du
transport des marchandises devait être ajouté à un taux
fixe par catégorie. Troisièmement, 5 % devaient être
ajoutés au profit du grossiste. Quatrièmement, 10 %
étaient ajoutés au profit du détaillant. »
Le premier effet de cette loi fut que les
commerçants firent tout ce qui fut dans leurs moyens pour échapper
au prix fixe. Les fermiers, par exemple, vendaient aussi peu que
possible ; les approvisionnements se firent rares, par conséquent
les citadins se virent imposer un rationnement et ne pouvaient acheter qu'une
quantité limitée de produits. Les produits étrangers,
dont les prix étaient bien plus élevés que le plafond
qui était fixé, ne pouvaient pas être vendus
légalement par les marchands, et nombre d'entre eux durent fermer.
D'autres finirent sur la guillotine pour avoir violé la Loi du
Maximum.
« Afin de découvrir les
marchandises cachées par les fermiers et les commerçants, un
système d'espionnage fut mis en place, consistant pour l'informateur
d'une récompense d'un tiers de la valeur des produits découverts.
Afin de répandre la terreur, le tribunal criminel de Strasbourg
ordonna la destruction du domicile de quiconque serait coupable de la vente
de produits au-dessus du prix fixé par la loi…[Si un fermier]
tentait de garder ses récoltes ou son bétail, en
prétextant qu'il ne pouvait pas se permettre de les vendre au prix
fixé par la loi, ceux-ci lui étaient souvent pris de force et
le fermier pouvait s'estimer heureux s'il était payé,
même avec cette monnaie fiduciaire dévaluée, et encore
plus heureux s'il s'en tirait avec la vie sauve. »
Lors d'une transaction, la discrimination
entre la monnaie papier et les espèces devint un crime punissable de
mort, tout comme la vente de pièces d'or ou d'argent. Au plus fort de
cette folie, en 1794, la Convention décréta que « la
peine de mort devrait être infligée à quiconque serait
convaincu ‘d’avoir demandé, avant qu'une affaire soit
conclue, avec quelle monnaie serait effectué le
paiement’ ». Tout commerce utilisant les métaux
précieux fut supprimé, jusqu'à ce que la Loi du Maximum
soit abolie un an plus tard.
Le cauchemar de la monnaie prit fin le 18
février 1796, lorsque sous le nouveau gouvernement, les machines, les
planches et le papier utilisé pour l'impression des assignats furent
démolis et brûlés sur la place Vendôme à
Paris. Des calculs montrèrent que la quantité totale de
papier-monnaie existant s’élevait à 40 milliards de
francs. En comparaison, la valeur d'un louis d'or était passée
de 920 francs papier en août 1795 à 15 000 moins d'un an
après. Une pièce d'or de 1 franc valait 600 Francs papier.
Bien que les assignats aient fait du tort
aux riches, ils s’étaient révélés
une véritable catastrophe pour la classe ouvrière. Selon
l'historien Heinrich Von Sybel, « les financiers et les gens
très aisés furent assez astucieux pour mettre autant que possible
de leurs richesses dans des objets à valeur permanente. La classe
ouvrière ne voyait pas aussi loin, ou n'en avait pas l'astuce ou les
moyens. Après le premier effondrement, vinrent les premiers cris de
famine. Les routes et les ponts furent négligés, et de
nombreuses manufactures furent abandonnées dans le désarroi le
plus total. »
Tout cela est incroyable, mais c'est aussi
une grande leçon pour nous. En interprétant et en comparant les
signes - la stagnation des revenus réels, l'euphorie
déchaînée du public causée par l'économie
déjà chancelante, les mêmes discours encourageants
presque mot pour mot traversant les siècles - nous pouvons en conclure
que nous sommes peut-être plus proches du point de non-retour que nous
le pensons.
Et ne commettez pas l'erreur de penser que
ces hommes politiques français étaient des idiots, avertit
Andrew Dickson White. « Les hommes qui étaient
chargés des finances de la France durant le règne de la
Terreur, et qui ont pratiqué ces expériences qui nous
paraissent si monstrueuses…étaient reconnus comme faisant partie
des financiers les plus doués et les plus honnêtes
d'Europe… Ce qui montre l'impuissance des maîtres de la finance
les plus doués à endiguer la vague calamiteuse de la monnaie
fiduciaire une fois lancée, ainsi que l'inutilité de tout ce
qu'ils peuvent imaginer contre les lois de la nature. »
Doug Casey
CaseyResearch.com
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