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1. Quelques faits.
A deux jours d'intervalle, cette dernière semaine, ont été
annoncées la mort du prix Nobel d'économie 1988 – Maurice
Allais - et l'attribution du prix Nobel d'économie 2010 à trois
économistes - les Américains Peter Diamond
et Dale Mortensen et le Britannico-Chypriote
Christopher Pissarides -.
A l'occasion des obsèques de Maurice Allais, Valérie Pécresse,
ministre de la Recherche en exercice, a lu que :
"Tout le génie de Maurice Allais est dans le dialogue permanent
entre le concept et l'expérience, un dialogue qui était
à ses yeux la marque de la science authentique".
Elle a souligné qu'il n'acceptait de se soumettre qu'à un
"seul jugement, celui des faits".
Rien d'original sinon que le défunt faisait peu de cas des
méfaits du protectionnisme qu'il préférait au
mondialisme honni ou de ceux d'une monnaie qu'il réservait aux hommes
de l'Etat.
Les lauréats 2010 sont
récompensés, pour leur part, pour leurs travaux qui
démontrent notamment que :
"plus les allocations chômage sont importantes, plus le taux de
chômage est élevé et la durée de recherche est longue".
Il est précisé que :
"cette théorie est également applicable aux marchés
autres que celui de l'emploi".
Malgré les apparences, rien d'original non plus.
Je
renvoie aux travaux de Jacques Rueff sur la question en 1925 et en 1932 - le titre de ce dernier
article est significatif: "l'assurance chômage, cause du chômage
permanent" -, ses débats avec John Maynard Keynes,
sa joute à la même époque avec A. Marchal, directeur
d'une thèse de doctorat dont le thème était, en
particulier, "La critique de la loi de Rueff" (1) -, et son
dernier travail sur le sujet - à quoi j'ai eu l'heur de collaborer (1976) -.
Les lauréats du prix Nobel 2010 n'ont fait que
"sophistiquer" la "loi de Rueff" avec la "grosse
artillerie économétrique".
Merci le comité Nobel néanmoins, mais en France, à
l'Université comme ailleurs, les économistes de l'école
de pensée économique « non autrichienne »
- qui occupent la place et conseillent les puissants - auront tendance -
à continuer - à enseigner ou à soutenir le contraire !
2. La
rhétorique économique.
Cette rhétorique - car c'est de cela qu'il s'agit en définitive
- est justement la tragédie de l'économie politique - ou de la
science économique - en France, voire ailleurs, qui fait qu'on
déforme ou dénature les mots, les concepts économiques,
et plus personne n'y comprend plus rien.
Au nombre des méfaits de l'intervention des hommes de l'Etat dans
l'économie, du dirigisme, du socialisme, il y a cette déformation,
cette dénaturation qu'ils acceptent ou qu'ils favorisent. Ludwig von Mises a eu l'occasion de l'écrire à de
nombreuses reprises.
« Propos dérisoire », penseront certains. Il
n'en est rien, je vais montrer le contraire ci-dessous dans plusieurs cas.
3. Deux premiers
cas.
J'ai pris conscience de la dérive, il y a quelques années, en
travaillant sur le « chômage »,
puis sur l' « inflation », concepts
économiques largement déformés par les statisticiens qui
tentaient de leur donner une mesure quand ils n'étaient pas
dénaturés par des économistes qui leur accolaient des
adjectifs qualificatifs.
C'est le chômage volontaire, le chômage involontaire, le
chômage naturel, le chômage de frottement, le chômage
déguisé, le chômage des jeunes, etc.
C'est l'I.N.S.E.E. qui, s'affranchissant des concepts de la théorie
économique, mesure les "demandes d'emploi non satisfaites"
en lieu et place des "offres de travail" des employés et les
"offres d'emploi non satisfaites" en lieu et place des
"demandes de travail" des entreprises.
C'est l'inflation par la demande, l'inflation par les coûts,
l'inflation importée, l'inflation par le prix du pétrole,
l'inflation anticipée, etc.
C'est l'inflation mesurée par la variation d'un mois sur l'autre d'un
indice des prix construit par l'I.N.S.E.E....
4. Le cas de la
monnaie.
Mais un domaine économique me semble particulièrement
ravagé, c'est celui de la monnaie.
Il mérite un développement un peu plus circonstancié.
Et la situation de la monnaie dans quoi le monde se débat depuis
maintenant des années – et non pas depuis aujourd'hui ou presque
comme certains donnent le sentiment de vouloir le faire croire... – en
est un des révélateurs, s'il en faut un.
4.A. Il y aurait monétarisme
et monétarisme.
Longtemps « monétariste » pour ma part - quand
il n'était pas bon de l'être... (cf. Pascal Salin, L'homme libre,
2006) tout comme il n'est pas bon d'être autrichien aujourd'hui comme
je le suis devenu (2) - et étant donnée l'école
d'économistes qui se veut aujourd'hui « nouvelle
école monétariste », il me semble nécessaire
d'enfoncer le clou, i.e. de nettoyer la théorie de la monnaie de la
rhétorique pernicieuse qui la perclut.
Soit dit en passant, cette dernière école
est une perversion de l'école monétariste.
Elle se caractérise par sa double conviction que la politique
budgétaire est critique pour les effets de la politique
monétaire et que l'économie monétaire devrait faire bon
usage de théories développées dans le domaine de la
finance et de l'économie publique.
Elle a surtout comme principe clé que la théorie
monétaire et l'analyse de politique ne peuvent progresser qu'au prix
de la modélisation des accords monétaires telle qu'a pu lui
donner vie Lucas (1976) pour mener une expérience politique dans un
modèle économique.
3.B. Les ""frictions".
Et les membres de l'école de considérer comme essentiel que la
monnaie améliore des "frictions fondamentales dans le processus
d'échange".
« L'amélioration des frictions fondamentales dans le
processus d'échange », voilà une proposition qui
tient de la pire rhétorique qui soit et qui entrave la théorie
économique.
Et nos membres de disserter sur les « façons de
conceptualiser la notion de frictions » !
Et d'en arriver à considérer qu'il vaut mieux s'inspirer de la
théorie de la prospection et des jeux que de la théorie de
l'équilibre général.
Au royaume des aveugles, les borgnes ...
Car cette notion de "friction" introduite par Hicks dans la
décennie 1930, alors que Keynes disait voir dans l'économie
"de la matière pâteuse avec de fortes résistances
internes" - ce à quoi s'opposait Rueff -, n'a rien
d'économique, mais tout de la rhétorique.
Le concept économique à utiliser est celui de coût de
l'échange. Seulement, pour l'utiliser, il ne faut pas avoir au
préalable mis à l'écart le concept d'action humaine, ni
celui d'échange, type d'action humaine, comme ils le font.
4.C. Ne pas (se) cacher les vrais
concepts économiques.
Quand nos économistes comprendront-ils qu'ils ne pourront jamais
sortir de l'impasse où ils se rendent compte qu'ils se trouvent car
leurs concepts, aussi récents et améliorés à
leurs yeux soient-ils, qui doivent les en faire sortir, ne sont pas bons ?
Que n'utilisent-ils les concepts de l'école de pensée
économique autrichienne qui leur permettraient d'en sortir ?
De fait, et c'est vraiment là ou le bât blesse, leurs concepts
sont à mi-chemin de ceux de la théorie dont ils sont
arrivés à se dégager et de ceux de la théorie
économique « autrichienne » qu'ils refusent
aveuglément, pour ne pas dire qu'ils travestissent ces derniers dans
la mesure où ils les connaissent, ce dont on peut douter.
Mais leurs concepts ne pourront les emmener bien loin.
Ils raisonnent en termes de « résultats
d'action » et non pas en termes d'« action
humaine », tout en se référant à l'
« analyse d'activités » – les
activités en question n'étant jamais depuis T.
Koopmans (1951) que des dénaturation de l'action humaine
réelle (cf. Mises, 1949) comme l'esquisse dans un
compte rendu Malinvaud (1954) - et en tentant de
cerner leur "bouteille à l'encre" à la mode
aujourd'hui, je veux parler de leur concept de « coût de
transaction ».
Que ne voient-ils dans l'échange une action humaine comme une autre,
donc coûteuse en ressources – à coût
d'opportunité - et profitable – dès lors qu'elle est
menée par quelqu'un - ?
Que ne voient-ils dans la monnaie ce qui a réduit le coût de
l'échange, mais pas au niveau zéro ?
5. Le ravage de la
monnaie.
Que ne voient-ils dans la monnaie, rétrospectivement, une organisation
à la fois spontanée et progressive qui a conduit les hommes de
l'Etat, dans un premier temps, à mettre la main dessus pour en tirer
des revenus … fiscaux ?
Tout cela jusqu'au jour où des orfèvres et autres banquiers ont
inventé les certificats ou les coupures de billets convertibles
à la demande en monnaie métal, les ont fait
« circuler » - ce qui a réduit le coût de
l'échange - et où, en conséquence, les hommes de l'Etat
se sont donnés ou faits donner des privilèges pour contrecarrer
la liberté des orfèvres ou banquiers et ne pas perdre ainsi de
revenus fiscaux.
Nous
avons alors atteint le XVIIIème siècle et les pièces de
métal continuaient à circuler parallèlement aux coupures
de billets - sauf périodes extraordinaires comme celle de la
décennie 1790 en France, avec les "assignats" puis les
"mandats" (cf. Florin Aftalion, 2007) -.
Tout cela jusqu'au jour où les banquiers ont inventé le compte
de dépôt à vue sur quoi « on peut tirer par
chèque ou en faisant un virement » - ce qui a réduit
le coût de l'échange - et où, en conséquence, les
hommes de l'Etat se sont donnés ou faits donner des privilèges
pour contrecarrer la liberté des banques commerciales et ne pas perdre
ainsi leurs revenus fiscaux.
Nous sommes désormais au XIXème siècle et billets et
pièces de métal continuent à circuler
parallèlement aux chèques et aux virements.
Tout cela jusqu'au jour où les hommes de l'Etat de divers pays se sont
rencontrés pour, selon leurs dires, créer un systèmes
monétaire international « organisé » -
rhétorique, litote... -, en fait pour détruire l'étalon
or et ils y sont parvenus d'où la lancinante « guerre des
monnaies ».
Nous
sommes maintenant au XXème siècle et, si les billets,
chèques ou autres virements continuent à circuler, c'est sans
convertibilité à la demande car les législateurs
nationaux l'ont interdite.
Pour
leur part, les pièces de métal qui circulent ne sont plus ni
des pièces d'argent, ni des pièces d'or, mais des pièces
en alliage de métal de prix inférieur au chiffre dont chacune
est marquée.
Simultanément ou presque, aidés en cela par des
économistes, les hommes de l'Etat ont compris qu'ils avaient beaucoup
plus à gagner que leurs revenus fiscaux avec ce qu'ils allaient monter
en épingle, à savoir la "politique monétaire".
La
politique monétaire permettrait de modifier l'équilibre
économique dans un sens favorable, de l'améliorer.
Un récent indicateur - méconnu - de cette compréhension
est que des hommes de l'Etat, comme ceux de la France et ceux d'autres pays
de l'Union européenne, ont fait abandonner - fin décennie 1990
- les monnaies respectives de leur pays pour les fusionner dans une monnaie
dénommée « euro » et pour appliquer une
prétendue politique monétaire.
Seulement, ils ne semblent pas s'être souciés que les politiques
monétaires ne peuvent pas faire bon ménage avec le
système monétaire international
« organisé » et ce "grand jeu" a
donné lieu à la « guerre des monnaies, à ce
jour de moins de cent ans».
Qu'à cela ne tienne, les nouvelles techniques d'informations et de
communications qui voient le jour à la fin du XXème
siècle, vont être appliquées à l'organisation
qu'est en définitive, et aussi, la monnaie, leur côté "spontané"
faisant pièce au côté "organisé" et
changer d'ère monétaire : l'ère du codage analogique des
informations sur les formes de monnaie a laissé la place à
l'ère du codage numérique et le coût de l'échange
a été encore diminué...
Bref, et à cause de cette sorte de course poursuite entre l'innovation
en matière de monnaie qui réduit le coût de
l'échange et la réglementation d'icelle par les hommes de
l'Etat d'un ou plusieurs pays qui tend à l'augmenter, le coût de
l'échange/action humaine a certainement diminué, mais n'a
toujours pas atteint le niveau zéro.
Les politiques monétaires ne peuvent pas être en harmonie avec
un système monétaire international "organisé"
par les hommes de l'Etat.
C'est cela qu'il est important de comprendre, rien d'autres.
6. L'issue...
Cela étant, sauf la rhétorique, rien ne justifie de mettre
l'accent sur le seul concept de coût de l'échange/action et donc
de ne pas le relier au concept d'action humaine, ni à celui de
monnaie.
A fortiori,
rien n'autorise à le dénaturer en le dénommant
"coût de transaction" ou en le confondant avec le concept de
"transaction cost"
- en relation avec les "imperfections" imputées par des
économistes aux droits de propriété ou au contrat -.
Rien n'autorise à y voir la révélation des « inconvénients »
de la monnaie ou d'autres « frictions dans le processus
d'échange » comme le fait, par exemple, la nouvelle
économie monétariste.
En conséquence, rien ne doit inciter à appeler de ses voeux l'intervention des hommes de l'Etat - pas de
mot d'ordre du type « hommes de l'Etat de tous les pays,
unissez-vous ! » - pour apporter des remèdes aux
prétendus inconvénients et autres frictions.
Tout porte à espérer que les hommes de
l'Etat comprennent les méfaits qu'ils ont commis en matière de
monnaie au XXème siècle, soit directement par politique
monétaire, soit indirectement par institutions internationales
interposées du type "Fonds monétaire international".
Tout porte à espérer qu'une nouvelle génération de monnaie
électronique voie le jour et nous affranchisse des
destructions qu'ils ont pris l'habitude de perpétrer (cf. les dernières en date), une bonne
fois pour toutes.
Notes.
(1) Parisiades, N. (1949) Essai sur les relations entre le
chômage, le salaire, les prix et le profit. Etude critique de la loi de
M. Rueff. Avant-propos de A. Piatier, Préface de A.Marchal,
Paris, P.U.F., in-8°,182 p. (lnstitut National
de la Statistique et des Etudes Economiques, Etudes et Documents,
série Th4., 1949).
(2) Il est courant aujourd'hui de parler des "économistes autrichiens"
ou de l'école de pensée économique
"autrichienne". Cette école est tout autant
française (avec Rueff) qu'autrichienne sinon que les
économistes ciblés - Ludwig von
Mises, Friedrich von Hayek - sont de
nationalité autrichienne, ont émigré aux Etats-Unis dans
la décennie 1930 et ont prolongé les travaux de Jean Baptiste
Say ou de Frédéric Bastiat en toute connaissance de
causes.
Sur l'état de la théorie autrichienne aujourd'hui, i.e sur la vraie économie politique ou science
économique, on pourra se reporter à un livre de Renaud Fillieule qui vient d'être publié par les
presses universitaires du Septentrion intitulé L'école
autrichienne d'économie : une autre hétérodoxie.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous
droits réservés par l’auteur
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