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De
l'éducation nationale à la protection sociale - Juin 1990)
Introduction
Quand on lit, dans l'avant-dernière livraison de la Lettre d'information du Club de
l'Horloge (1989), dont le thème est "La nation",
les articles de M. Leroy, H. de Lesquen et F. Terré, et qu'au terme de
la lecture on cherche à donner une définition de la nation, on
se rend compte qu'on est dans l'impossibilité de la donner et que
cette définition reste encore une énigme.
Car enfin comment accepter des origines situées au crépuscule
dirigiste du XVIIIè siècle, quand on n'oublie pas que la
"nation" est d'abord un type d'association qui a
émergé spontanément aux XIIè-XIIIè
siècles en Europe, finalisée par l'enseignement et la
protection libres de ses membres .
Comment passer sous silence le socle et l'impulsion que ce type d'association
donna au développement des associations plus complexes que vont
constituer, dans toute l'Europe, les universités.
Comment passer sous silence qu'en France les universités ont
été déformées par les hommes de l'Etat, en
particulier entre le XVè et le XVIIIè siècles.
Bien plus, comment ne pas souligner que progressivement les hommes de l'Etat
sont parvenus à se donner un quasi-monopole sur l'enseignement ,
d'abord en détruisant la variété effective et possible
des associations-nations d'individus, puis en instaurant le principe de la
nation du peuple.
Et comment expliquer le contexte des dernières décennies
(depuis 1930) où les dirigistes sont arrivés d'abord à
ne plus mentionner dans leur discours l'"Etat-nation", qu'ils
avaient pourtant contribué à construire de toutes
pièces, puis à faire référence presqu'uniquement
à la "protection sociale", leur dernière invention.
Une attitude est d'affirmer que ces faits n'ont rien à voir avec
l'explication de la nation, voire les uns avec les autres. Une autre est de
dire qu'ils sont intimement liés car ils ont un dénominateur
commun : la richesse insoupçonnée de l'association médiévale,
qu'est la "nation". Les lignes qui suivent se proposent de
développer cette seconde attitude.
Ce n'est pas parce que la richesse de l'association-nation a toujours
été tûe, volontairement ou non, en particulier par les
historiens, qu'il faut tomber dans le piège de continuer à la
taire.
En quoi consiste la richesse en question ? Rétrospectivement, et
malgré les outrages que lui ont fait subir les hommes de l'Etat depuis
son émergence, elle tient d'abord dans ses principes : liberté
de l'individu, liberté d'association, liberté d'enseignement et
libre examen .
Ensuite, elle peut être caricaturée par les deux fronts
qu'identifieront, isoleront et attaqueront les dirigistes au fil des
siècles :
- d'un côté, association d'individus - natifs d'un même
"pays" géographique parfaitement délimité et
connu de chacun - désireux de (s')enseigner - d(e s)'instruire et d(e
s)'éduquer - par le libre examen dans le (ou les) domaine(s) de
connaissance de leur choix.;
- de l'autre, association de protection de ces mêmes individus contre
les dangers de tous ordres qu'ils courent au quotidien et contre lesquels
leur activité, l'étude ou l'enseignement, ne saurait les
protéger, étant donné le contexte de risques de perte où
ils vivent .
La richesse résulte enfin de l'état d'esprit dans lequel la
"nation" est apparue. Celle-ci n'a pas été
créée par décret. Au contraire, elle a suscité
l'abrogation des "bulles" - les décrets de l'époque -.
Elle est le fruit d'une recherche et d'une découverte des individus en
matière d'organisation. .
La richesse a été volontairement tûe, ou
sous-estimée, peut-on penser, quand on prend garde que la
"commune", association très voisine et émergée
simultanément, n'a pas eu le même sort, i.e., l'oubli. Personne
n'envisagera de la faire remonter au XIXè siècle, mais au
minimum au moyen âge. En tête, K. Marx ! Une explication : la
nation médiévale déplaît aux dirigistes, hommes de
l'Etat ou non, car ses principes sont un obstacle à leurs desseins. A
l'opposé, la commune médiévale, dont les principes sont
autres, les agrée . On sait d'ailleurs les conséquences que
cette dernière attitude a engendrées (Commune de Paris au
XIXè ou communisme au XXè).
La richesse est involontairement sous-estimée, peut-on penser aussi,
à cause du "dérapage" de 1789 et des
différentes déclarations des droits de l'homme et du citoyen.
Une illustration : ce qu'écrit au XIXè siècle Guizot qui
ne distingue pas "nation" et "commune", mais les
identifie par exemple de la façon suivante :
"Malgré ce changement, nul doute que le tiers-état de 1789
ne fût, politiquement parlant, le descendant et l'héritier des
communes du XIIème siècle. Cette nation française, si
hautaine, si ambitieuse, qui élève ses prétentions si
haut, qui proclame sa souveraineté avec tant d'éclat, qui prétend
non seulement se régénérer, se gouverner
elle-même, mais gouverner et régénérer le monde,
descend incontestablement en grande partie du moins, de ces communes qui se
révoltaient au XIIème siècle" (Guizot, 1846,
p.188).
Les lignes qui suivent, se proposent d'isoler et de décrire les deux
faits qui cadenassent la connaissance de la richesse de l'association-nation
médiévale et concourent à ce que la définition de
la nation soit aujourd'hui une question sans réponse.
L'un tient dans la construction étatique progressive de l'enseignement
"instruction publique-éducation nationale", obligatoire pour
l'individu (2ème section) ; l'autre dans la construction
étatique progressive de la "protection sociale", tout autant
obligatoire pour l'individu (3ème section). Mis ensemble, i.e.
"nation moderne", ils sont l'avatar des nations
médiévales, mais un avatar dégénéré
puisqu'il n'y a plus de variété possible des nations, que
l'individu est obligé, et non libre, d'en faire partie, et qu'il est
obligé de poursuivre l'objectif que lui assigne l'Etat qui en a pris
le commandement, et non l'objectif qu'il pourrait choisir.
Comment ces faits ont-ils été sélectionnés ? Par
simple application de la théorie économique des organisations
à l'association-nation médiévale, et non par
référence à l'histoire officielle des historiens
(1ère section).
I. 1. Individu et
famille
Depuis quelques années, la théorie économique
explique :
- en quoi la famille constitue, pour l'individu, une organisation de
protection contre, d'une part, les dangers de toute nature qui l'assaillent,
et, d'autre part, les conséquences néfastes de l'incertitude de
l'avenir, étant donné l'état de la connaissance
technologique et plus généralement l'état de l'ignorance
authentique ;
- en quoi cette protection peut s'avérer au fil des jours, aux yeux de
l'individu, moins efficace que des formes de protection plus récemment
découvertes et être anticipée comme telle, et, à
ce titre, pourquoi certains d'entre ceux-ci choisissent un jour de
l'abandonner pour recourir, à la place, aux nouveautés.
Elle donne cette explication en tenant compte du fait que l'individu est
toujours issu d'une famille et du principe qu'il a le choix de jouer (ou non)
un rôle dans son extension
Elle montre aussi pourquoi, si l'individu cherche à se séparer
de sa famille au plus grand dam de celle-ci, la famille peut de son
côté chercher à lui opposer des obstacles pour qu'il
renonce à son entreprise.
Elle montre enfin pourquoi la famille peut chercher elle-même à
s'étendre, compte tenu ou abstraction faite des désirs de l'un
ou l'autre de ses membres.
I.2. Famille et nation.
A partir de cette approche économique de la famille, et par analogie,
on peut expliquer l'émergence d'une association plus large que la
famille, qu'on appellera "nation abstraite", dont les
caractéristiques sont les suivantes :
- la nation abstraite est, pour la famille (ou tel ou tel de ses
individus-membres), une organisation de protection contre les dangers de
toute nature qui la (le) menace ;
- la nation abstraite peut s'avérer, pour la famille (ou tel ou tel de
ses individus-membres), moins efficace que les formes de protection plus
récemment découvertes ; alors, il faut s'attendre à ce
que la famille (l'individu-membre) désire changer de protection et
adopter la forme nouvelle qu'elle anticipe la plus efficace ;
- l'individu peut mettre en concurrence la "nation abstraite"et la
famille et choisir de ne pas appartenir à l'une ou à l'autre ;
- de même que la famille peut chercher à résister
à son membre qui veut s'éloigner d'elle, de même la
"nation abstraite" peut s'opposer à une famille (ou à
tel membre de celle-ci) qui veut s'en affranchir.
Une différence essentielle entre les deux situation est à
souligner néanmoins. Si l'une et l'autre ont des moyens d'y parvenir,
il faut se rendre compte que, pour sa part, la "nation abstraite"
dispose d'un moyen déterminant dont ne dispose pas la famille dans un
état de droit : c'est la force, la coercition, la contrainte de corps
de l'individu (voire de la famille elle-même).
I.3. Un choix ordinaire
Comme l'individu-unité de décision ou la famille-unité
de décision ou toute autre association-unité de décision
(la firme par exemple), la "nation abstraite"-unité de
décision peut désirer se "rationaliser" dans le but
affiché d'améliorer son efficacité, i.e.,
l'efficacité avec laquelle elle protège "ses" membres
contre les dangers.
A cette fin, elle a un large éventail de choix. Elle peut choisir de
se doter d'une autorité, ou de s'étendre en créant des
appendices ou de passer des alliances avec certaine unité de
décision.
I.4. Les erreurs
prévisibles en théorie
Comme les autres unités de décision, si elle effectue l'un de
ces choix, la "nation abstraite" prend le risque de voir dans
l'avenir :
- l'autorité concédée lui échapper,
- ou l'appendice croître à ses dépens et y parvenir ;
Bien plus, devenues respectivement autonomes ou véritables
institutions juxtaposées, rien n'exclut que les nouvelles
entités cherchent à rivaliser avec elle-même. Rien
n'exclut qu'elles la coiffent si elles parviennent à lui subtiliser sa
matière, à savoir sa propre autorité, ou sa propre
étendue (sa priorité, ses acquis) .
I.5. Education nationale
et protection sociale obligatoires : la nation au sens moderne du terme.
La nation, au sens moderne du terme, est à la fois une illustration de
ces choix possibles des "nations abstraites" et une
vérification de leurs erreurs prévisibles en théorie.
Ainsi, la facette "éducation nationale obligatoire" de la
nation d'aujourd'hui procède directement des choix des nations
médiévales en France. Elle s'articule à
l'autorité que, parfois, celles-ci ont décidé, un jour
dans le passé, de concéder à l'université
où elle se trouvait en se dotant d'un Etat . L'Etat en question
"n'a pas été à la hauteur" des espérances
qui était mises en lui ou il s'est compromis avec l'Etat politique.
Il en est résulté que le politique l'a
"exproprié" et, en même temps a supprimé la
variété des nations dans une université et la
variété des universités dans le territoire sur lequel il
affirmait son autorité.
Au point où elle se trouve aujourd'hui, cette évolution a
conduit à la disparition des "nations"
médiévales elles-mêmes, en tant qu'organisation possible,
libre et volontaire, d'étude et d'enseignement de ses membres , et par
son remplacement par une organisation obligatoire, unique et
hiérarchisée.
La facette "protection sociale obligatoire" de la nation moderne
est liée indirectement aux choix des nations médiévales.
Elle plonge ses racines dans la protection contre les dangers de toute nature
que celles-ci offraient à leurs membres, une fonction dont fera
abstraction l'éducation nationale obligatoire quand les hommes de
l'Etat l'institueront.
Elle a pris une forme tangible quand l'Etat-nation a choisi de créer
l'appendice "Sécurité sociale" en 1945 et de lui
concéder la protection obligatoire des individus contre certains
risques de perte : les risques sociaux.
En évolution continue mise en oeuvre par l'Etat-nation depuis, elle a
acquis une position qui lui permet aujourd'hui de rivaliser avec son
Pygmalion.
Pour sa part, l'individu est confronté à deux monopoles
étatiques de protection sociale qu'il ne peut mettre en concurrence
puisque obligatoires.
I.6. Les erreurs des
nations médiévales.
Mais les deux facettes de la nation moderne ne sont pas indépendantes
l'une de l'autre. La seconde est un sous-produit de la première et les
deux ont en commun d'être des étapes, soit dans la lente
dégradation de la richesse de l'organisation spontanée
"nation.médiévale", soit dans la lente consommation
de la richesse de l'organisation par les hommes de l'Etat.
Que la nation médiévale présente, en tant
qu'organisation, certaine déficience pour atteindre à coup
sûr ses objectifs, n'est pas pour surprendre. Toutes les organisations
en sont là.
Qu'elle tente de s'en affranchir, ne surprendra pas plus. Ni qu'elle
choisisse, comme moyen pour y parvenir, de se doter d'une autorité
pour y parvenir. Ni que l'autorité la dévore par la suite et se
suscite à son tour une rivale.
Sauf ... si on tient compte de sa spécificité majeure :
l'étude et l'enseignement, i.e., l'acquisition de connaissance (la
réduction de l'ignorance) comme objectif et le libre examen comme
méthode. Avec cette double spécificité, on se serait
attendu à ce que son autonomie ne lui échappât pas,
qu'elle se fût auto-protégée contre
l'éventualité de sa destruction par l'étatisation.
C'est pourtant tout le contraire qui s'est produit puisqu'au fil des
siècles, elle va être capturée par les hommes de l'Etat
pour devenir éducation nationale obligatoire (le qualificatif
"nationale" est essentiel) .
Beaucoup plus surprenant, qu'une fois en cage de jure, elle soit
réactivée au XVIIIè, dans l'état
déformé où elle se trouve, par les Economistes qui voit
dans l'éducation publique une garantie non pas contre l'ignorance,
mais contre l'abus de pouvoir, comme l'évoque Tocqueville :
"Ils [les économistes ou les physiocrates] sont, il est vrai,
très favorables au libre-échange des denrées, au laisser
faire et au laisser passer dans le commerce et dans l'industrie ; mais, quant
aux libertés politiques, ils n'y songent pas" [...] La seule
garantie qu'ils inventent contre l'abus de pouvoir, c'est l'éducation
publique ; car, comme dit encore Quesnay, 'le despotisme est impossible si la
nation est éclairée'" (Tocqueville, 1856, p.1048).
Mais la surprise est de courte durée si on comprend bien les propos de
Tocqueville. Tocqueville est très réticent sur
l'éducation publique, pour protéger contre l'abus de pouvoir,
car il l'envisage comme l'éducation, on dirait aujourd'hui,
"nationale", et non comme l'éducation du public, de
l'individu, par toutes les voies possibles et imaginables (individuelles,
collectives ou familiales) et, en particulier, par la voie découverte
aux XIIè-XIIIè siècles, la voie de la "nation au
sein d'une université", fondée sur la liberté de
l'individu et le libre examen.
Si on adopte la définition première de l'organisation
d'étude et d'enseignement, que constitue la "nation" par
exemple au sein de l'université, à Paris, au moyen âge,
et si on suppose que c'est à elle que Quesnay se réfère,
on pensera que l'inquiétude de Tocqueville n'était pas
fondée. Quesnay ne fait que revenir effectivement aux sources de la
liberté.
Mais si on doute de l'efficacité de la "nation" au sein de l'université,
en tant que type d'association, pour atteindre l'objectif que ses
individus-membres se sont fixés , il en est tout autrement.
Si, en particulier, avertis de l'expérience passée, on doute de
l'efficacité de la "nation" pour mettre en garde chacun de
ses membres contre les errements possibles qui le conduirait, par exemple,
à voir d'un bon oeil qu'il n'ait pas la liberté de son propre
enseignement, et à accepter de plus que les hommes de l'Etat, non
seulement s'en donnent le monopole , mais encore l'obligent à la
recevoir, il y a de quoi être réticent.
Et Tocqueville est vraisemblablement réticent pour cette
dernière raison. Tout laisse à penser que sa réticence
n'est pas seulement fondée sur le spectacle que lui offre
l'éducation-instruction du public.à l'époque où
il écrit ces mots (et auquel nous assistons encore aujourd'hui).
Elle vient surtout des économistes du XVIIIè siècle qui
ont dénaturé le principe de la "nation" au sein de
l'université, et de la morale de ceux-ci qu'il stigmatise en ces
termes :
"L'Etat, suivant les économistes, n'a pas uniquement à
commander à la nation, mais à la façonner d'une certaine
manière ; c'est à lui de former l'esprit des citoyens suivant
un certain modèle qu'il s'est proposé à l'avance ; son
devoir est de le remplir de certaines idées et de fournir à
leur coeur certains sentiments qu'il juge nécessaires. En
réalité, il n'y a pas de limites à ses droits, ni des
bornes à ce qu'il peut faire, il ne réforme pas seulement les
hommes, il les transforme ; il ne tiendrait peut-être qu'à lui
d'en faire d'autres ! 'L'Etat fait des hommes tout ce qu'il veut ' dit
Bodeau. Le mot résume toutes leurs théories" (Ibid. pp.
1049-50).
En d'autres termes, pour Tocqueville, que les individus de la nation
acceptent l'Etat pour les commander est une chose, mais que des individus, en
l'espèce les économistes, préconisent
l'étatisation totale de l'instruction-éducation en est une
autre. Et l'étatisation est ce qu'il condamne.
La réticence de Tocqueville semble venir ainsi et enfin, a contrario,
de l'efficacité de la "nation"-association à
objectifs et méthodes spécifiques. En portant ses regards sur
la période révolutionnaire (qui s'ouvre en 1789), il ne peut
que constater que, malgré l'enseignement qu'il a pu recevoir ou
être amené à donner, l'individu lui-même, membre de
la "nation", a accepté d'atteindre un objectif opposé
à celui qu'il poursuivait, c'est-à-dire celui d'être
étatisé . Cela apparaît, d'une part, avec la construction
de la notion nouvelle d'"instruction publique-éducation
nationale" sur les décombres de la notion de "nation"
déformée par les siècles et les dirigistes. Cela se
renforce, d'autre part, avec l'organisation étatique résultante
(dénommée "instruction publique" puis
"éducation nationale" plutôt que respectivement
"public instruit" ou "nation éduquée").
D'une certaine façon, la première étape sera franchie de
1790 à la fin du XIXè siècle.
La réticence de Tocqueville ne saurait être imputée
à l'ultime surprise que réserve le XVIIIè siècle
: la nation médiévale, bien que réactivée
déformée, ne recouvre pas sa spécificité
originelle d'association de protection de ses membres contre tous les dangers
qu'ils courent, étant entendu que l'activité qu'ils poursuivent
, qui leur prend tout leur temps comme maître ou élève,
présente des inefficacités. Car Tocqueville est muet sur ce
point.
En revanche, on s'attendrait à ce que, conscient de la méthode
qu'utilise le dirigisme, il envisage la façon dont les hommes de
l'Etat vont continuer sur leur lancée et accrocher cette seconde
caractéristique de la "nation médiévale"
à leur construction de l'Etat-nation. Mais, au moment où il
écrit ces mots (en 1856), il ne semble pas l'imaginer.
Lui échappent ainsi les conséquences concrètes de la
méthode que les Français vont se voir appliquer :
l'enfouissement de la nation d'abord sous la "solidarité
sociale" (fin XIXè), puis sous la "protection sociale"
(des décennies 1930-1970), et enfin sous la "protection sociale
doublée de solidarité" (à partir de 1981).
A fortiori, Tocqueville ne conçoit pas la construction future de la
notion de "protection sociale", ni celle de l'organisation
bicéphale résultante "Etat-nation,
Sécurité-sociale" , seconde étape de l'oubli du principe
de la nation médiévale (libre protection des individus contre
les dangers connus et inconnus qu'ils courent dans le cadre de leur
activité) et tout simplement de la notion de nation .
A côté d'être une vérification de faits
prévisibles en théorie, les lignes qui suivent se proposent
donc de souligner que la nation, au sens médiéval du terme, est
une association d'individus dont le principe est beaucoup plus riche que
celui de la nation, au sens "post 1789" du terme, sa forme
dénaturée.
L'association à objectif d'étude-enseignement libre et
volontaire de ses membres ne saurait être séparée de
l'association de sécurité-protection libre et volontaire
qu'elle leur offre au quotidien. Cette dichotomie n'a aucun
intérêt. Elle peut être évoquée seulement
parce que les dirigistes, hommes de l'Etat ou non, ont procédé
à la vivisection de la nation médiévale et
qu'après avoir réussi, en jouant sur les mots, à isoler
la branche étude-enseignement et à donner droit de cité
à une distinction entre organisation de l'éducation - nationale
- et nation , en suivant la même méthode (à partir de la
fin du XIXè siècle), ils ont isolé, progressivement, une
protection sociale et donné droit de cité à la
distinction entre Etat-nation et Sécurité-sociale ..
Désormais, la "sociale" remplace la nation et la
sécurité l'état.
Bien plus, et étant donné ces derniers développements,
la dichotomie s'avère néfaste puisqu'elle a conduit à
l'éviction du mot nation et du mot état. Les racines sont
tranchées et les hommes de l'Etat ont la voie libre.
II. Des nations médiévales libres à l'éducation nationale
obligatoire.
II. 1. La
"nation" au XIIIème siècle : un type d'organisation
spontanée
La définition de la nation médiévale n'est pas celle de
la nation "économique" à laquelle il a
été fait allusion et qu'on peut résumer en parlant de
l'association volontaire, librement choisie, de familles ou d'individus, dans
le but de se protéger contre des risques de perte, des dangers de
toute nature, contre les conséquences néfastes de l'incertitude
de l'avenir, l'association étant la méthode suivie, la technique
utilisée pour y parvenir. Pour autant, en se dotant d'une
autorité, les nations médiévales n'ont pas pris une
direction originale à l'issue.imprévisible. Au contraire, elles
se sont exposées aux risques évoqués à propos de
la nation "économique". Le risque s'est même
réalisé pour les nations en France : l'autorité qu'elles
avaient décidée de concéder, s'est retournée
contre elles et a amené leur dénaturation.
A. Les "nations" en France.
a) Définition.
Le mot "nation" désigne une association volontaire
d'individus (maîtres et étudiants) natifs d'un même
région (diocèse), dont l'objectif est le savoir, et la
méthode générale, l'apprentissage de la connaissance par
le "libre examen" de ce qui existe, de tous les domaines possibles
et imaginables de la connaissance.
"D'après Valet de Viriville et Charles Jourdain [...] Dès
le principe, une division naturelle s'établit entre les jeunes gens
que la renommée des grandes écoles parisiennes y faisait
affluer, de tous les points de la chrétienté. Les
écoliers se groupèrent par nations ; les maîtres et les
étudiants originaires du même pays vivaient ensemble et
habitaient, à l'origine, dans la même maison, et plus tard,
devenus plus nombreux, dans le même quartier" (Anonyme, 1887,
pp.13-14)
"Il y avait alors, entre le maître et l'élève, des
relations très différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui. Le
maître n'était en quelque sorte qu'un camarade plus instruit et
plus âgé" Il allait réclamer son élève
à la prison du Chatelet, lorsque le jeune homme s'était fait
prendre dans quelque échauffourée. Si l'écolier a besoin
d'une dispense ou d'une faveur, c'est son maître qui le demande pour
lui à l'assemblée de la nation ou de la faculté [...]
Maîtres et écoliers d'une même nation logent dans les
mêmes hôtelleries, mangent à la même table ; [...]
aucune marque de servilité".(Ibid.,p.63)
"Ces différents groupes ayant adopté [à
l'université à Paris], par analogie de langue,
d'intérêt, de sympathie, une forme plus régulière,
il n'y eut que quatre nations, ainsi désignées : celle de
France, celle d'Angleterre, celle de Normandie et celle de Picardie.
La nation de France se composait de cinq tribus, qui comprenaient les
évêchés ou provinces métropolitaines de Paris, de
Sens, de Reims et de Bourges, et tout le midi de l'Europe, en sorte qu'un
Espagnol et un Italien qui venaient étudier à Paris
étaient compris dans la nation de France.
La nation d'Angleterre qui se subdivisait en deux tribus, celle des
insulaires et celle des continentaux, embrassait toutes les contrées
du Nord et de l'Est étrangères à la France.
Mais quand un violent antagonisme se fut déclaré entre les deux
peuples que sépare le canal de la Manche, le nom d'Angleterre
étant devenu un objet d'exécration générale pour
les Français, la nation universitaire, qui depuis plus d'un
siècle avait porté ce nom-là, prit celui de nation
d'Allemagne, nom seul employé dans les actes publics, à dater
de la rentrée de Charles VII à Paris, en 1437.
La nation de Normandie n'avait qu'une seule tribu, correspondant à la
province qui portait son nom ; la nation de Picardie, au contraire, en avait
cinq, représentant les cinq diocèses de Beauvais, de Noyon,
d'Amiens, de Laon et des Morains ou de Térouanne" (Ibid.,
pp.13-14)
"Les nations avaient aussi leurs patrons particuliers. Lorsque les
guerres des Anglais eurent diminué en France la faveur qu'on accordait
au culte de l'archevêque de Cantorbéry, la nation de France
invoqua de préférence saint Guillaume de Bourges, ancien
élève de l'université. La nation d'Angleterre [...] ne
manqua pas quand elle fut devenue la nation d'Allemagne, de
célébrer régulièrement la fête de Saint
Charlemagne (Ibid. p.90)
b) Propriétés
i) La nation est une organisation fondée sur le libre examen.
"L'importance de ce premier essai de liberté [Introduction
à la théologie d'Abailard] de cette renaissance de l'esprit
d'examen, fut bientôt sentie. Occupée de se réformer,
l'Eglise n'en prit pas moins l'alarme [...] C'est la le grand fait qui
éclate à la fin du XIè et au commencement du
XIIè" (Guizot, op.cit., p.181)
"Abailard [1079-1142] avait suivi d'abord les leçons de Guillaume
de Champeaux, mais il se prononça bientôt contre lui et contre
les docteurs réalistes, dans un cours public de philosophie qu'il
ouvrit en son nom personnel, en dehors de tout patronage étranger,
sine magistro, comme ses rivaux le lui reprochaient" (Anonyme, op.cit.,
pp.123-4)
ii)Elle est aussi une organisation fondée sur la liberté de
l'individu
- point de vue théorique
"Ce système [d'Abailard] a reçu le nom de conceptualisme.
Il consiste à dire que les universaux ne sont ni des
réalités, comme le veulent les réalistes, ni de simples
mots, comme le prétendent les nominalistes, mais des conceptions de
l'intelligence, qui, ayant observé la ressemblance que plusieurs
individus ont entre eux, résume ces ressemblances en une notion
qu'elle étend à tous ces individus. Il n'y a, dans l'immense
domaine des créatures ou des choses nées, rien qui ne soit
essentiellement individuel, ou qui ne prenne nécessairement la forme
de l'individualité ; les qualités générales
elles-mêmes n'ont de réalité que dans les individus qui
les possèdent ; mais, en face des choses individuelles, il y a la
pensée qui perçoit leurs rapports, qui dégage ce
qu'elles ont de commun, et qui engendre ainsi les notions de genre et
d'espèce, en un mot les universaux" (Ibid.)
- point de vue pratique
Par exemple,
"Aux termes des canons de l'Eglise, la personne d'un clerc (tout
écolier acquérait ce titre avec la licence) était
inviolable ; se porter à des voies de fait envers un clerc,
c'était commettre un crime qui entrainait l'excommunication et que le
pape seul pouvait absoudre" (Ibid.., p.88)
iii) La nation est surtout une organisation spontanée avec ses propres
règles.
"Grâce à la célébrité promptement
acquise à l'éloquence d'Abailard, l'école de Notre-Dame
prit une importance qu'aucune autre école n'avait encore eue en
Occident ; et quand il eut cessé d'y professer, Paris ne perdit pas
les avantages que sa présence lui avait valus. Les circonstances
étaient favorables et fécondèrent le germe
déposé par son enseignement. Tous les étudiants
rêvaient de la gloire d'Abailard et aspiraient à professer comme
lui" (Ibid., p.10)
"Pour maintenir l'ordre parmi ces jeunes gens qui, lachés
brusquement dans les rues de la capitale, loin de leurs familles,
étaient sujets à toutes sortes d'entrainements, on avait
dû peu à peu imaginer une organisation administrative, qui
achève de prendre forme au milieu du XIIIè siècle"
(Halphen, 1940, p.566)
"Pour subvenir à ses dépenses, chaque nation levait sur
chaque candidat une certain somme au moment où il prétait
serment. Cet impôt était considéré comme une
cotisation qu'on devait payer pour participer aux privilèges de la
corporation. La cotisation imposée par la nation aux candidats
était fixée d'après leur revenu présumé.
L'unité de compte était appelée bourse (bursa) ; une
bourse était la somme que le candidat dépensait pur son
entretien,n déduction faite du loyer de sa chambre et du salaire de
son domestique. Le candidat affirmait cette somme par serment : le procureur
multipliait la bourse, ou , comme on disait, "la taxait" suivant
les besoins de la nation, de la faculté, de l'université. Les
bacheliers, les licenciés, les maîtres payaient ordinairement quatre
bourses" (Anonyme, op.cit., p.28)
"Le candidat, qui n'était pas assez riche pour payer ses bourses,
affirmait sous serment, en présence de la nation, qu'il était
placé dans les conditions de pauvreté qui exemptaient des frais
d'examen. Au quatorzième siècle, dans la nation anglaise, celui
dont la bourse ne dépassait pas 16 deniers était exempté
comme pauvre. Le candidat qui ne pouvait payer ses bourses comptant remettait
des gages au receveur, ordinairement les livres, que la nation vendait si
elle n'avait reçu à l'époque fixée"
(Ibid.,p.29).
B. L'Université de Paris
"[Mi-XIIè siècle] on voit apparaître la
première preuve d'une organisation universitaire : Henri II, roi
d'Angleterre, proposait de soumettre le différend qui s'était
élevé entre lui et Thomas Becket, évêque de
Cantorbéry, à l'arbitrage des écoliers des diverses
nations, étudiant à Paris" (Ibid., p.10)
a) Les nations et l'université à Paris
"Quant à l'étymologie du nom de l'Université, il
faut la chercher dans le sens du mot latin universitas, qui, au moyen
âge, représentait une réunion, une catégorie de
personnes, une corporation. Ainsi, dans les actes et mandements
publiés au nom des écoles de Paris, on employait la formule
ordinaire : noverit universitas vestra (c'est-à-dire : sachez, tous
autant que vous êtes!), et cette formule, qui s'appliquait à
tous les protocoles, figurait aussi en tête de tous les diplômes
émanés des maîtres et adressés aux
élèves" (Ibid., pp. 10-11).
"On comprend que le mot universitas, prenant peu à peu un sens
spécial ou restreint, finit par désigner
particulièrement l'Université ou la totalité des
étudiants, puis l'institution universitaire elle-même que
formaient ces étudiants, et, enfin le vaste quartier de la ville qui
leur était presque exclusivement réservé sur la rive
gauche de la Seine" (Ibid., pp. 10-11)
"Les quatre nations réunies constituèrent d'abord
l'Université des études ; plus tard, une nouvelle division
s'établit, selon l'ordre des études de chaque nation, et les
facultés prirent naissance" (Ibid., p.14))
"En 1200, Philippe-Auguste délivre un diplôme, daté
de Béthisy, dans lequel se trouve, en quelque sorte, le fondement des
privilèges de l'université, nous montre cette nouvelle
institution fonctionnant sous un chef, dont l'immunité, ainsi que
celle de tous ses membres, est solennellement garantie vis-à-vis de la
justice laïque" (Ibid, p.10)
"Ce diplôme rassemble en un corps d'université et dote de
précieux privilèges cette multitude d'écoliers"
(Ibid, p. 34)
"Ce fut le pape Innocent III, favorablement disposé pour les
écoles de Paris, où il avait étudié
lui-même, qui autorisa les maîtres, en 1208, à se faire
représenter par un syndic, et en 1209 à s'imposer sous la foi
du serment, l'obligation d'observer les règlements qui leur
paraîtraient convenables. Ces deux bulles constituaient les
maîtres et les étudiants de Paris en une vraie corporation
(universitas), selon le droit romain" (Ibid, p.12).
D'après Halphen (1940), les maîtres des écoles non
épiscopales de toutes les disciplines ou facultés se groupent
en une association générale, contre l'autorité
tatillonne du chancelier. En 1208-1209, les étudiants y
adhèrent. C'est l'université à Paris.
Groupement inorganique, début XIIIè, l'association
générale des maîtres et des étudiants n'avait ni
chef reconnu, ni porte parole régulier. Unis pour la défense de
leurs intérêts personnels lorsque les circonstances
l'exigeaient, les maîtres et étudiants des diverses disciplines
perdaient contact aussitôt la situation redevenue normale. Seule la
communauté de discipline de "faculté" établissait
un lien permanent entre eux (cf. Halphen,.op.cit., p.565)
D'après Halphen (1940), "1212 : le pape prend position en faveur
des maîtres Il reconnait leur association et conserve au chancelier le
droit de décerner la licence d'enseignement et lui réserve la
collation du titre, mais le tient d'y procéder si le jury des
maîtres le juge bon.
"1215 : la papauté établit les statuts de l'association
scolaire de Paris - officiellement traitée d'universitas - de
collectivité - pour étendre ses prérogatives et fixer le
régime des études.
"1219 : bulle pontificale pour Bologne non plus comme à Paris,
pour limiter le droit d'intervention de l'autorité diocésaine
dans la collation de la licence d'enseigner, mais, inversement, pour
contraindre le corps professoral, à abandonner cette
prérogative à un mandataire "
"1221 : professeurs et élèves font fabriquer un sceau de
leur groupement".(Halphen, op.cit., pp.331 et sq)
b) La liberté des nations et de l'université
"1231 Bulle Parens scientarum : Grégoire IX édicte les règles
auxquelles, dans leurs rapports mutuels, l'université et
l'évêque devront se conformer. L'université [à
Paris] y est considérée comme un organisme régulier dont
il ne reste plus qu'à préciser le statut légal. C'est
seulement dans la seconde moitié du XIIIè que le statut prendra
forme définitive ; mais dès ce moment la révolution est
accomplie : le corps scolaire, en tant que tel, est à Paris
pratiquement indépendant de l'évêque, il a son organisation
propre, son autonomie administrative,
"en 1246, le droit du sceau lui est officiellement reconnu".(Ibid.)
D'après Halphen (1940), "l'université de Paris -
l'association générale des maîtres et des
étudiants de Paris - qui dans la première moitié du
XIIIè siècle, avait réussi à s'affranchir des
évêques grâce à l'appui de Rome, essaie dans la
période qui suit de rejeter pareillement la tutelle pontificale et de
s'assurer dans l'Eglise une vie autonome.
1253 : exclusion des "réguliers" par les
"séculiers" avec défense à tout
étudiant, membre de l'Université de suivre leur cours ;
1254-1257, conflit.
"L'université de Paris s'était placée sous
l'égide de l'Eglise et de la royauté. Souverains pontifes et
rois favorisaient donc à l'envi, chacun dans la mesure de ses propres
intérêts, cette institution qui, relevant à la fois du
pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, se servit habilement de ce double
caractère pour conserver son indépendance. Cette jeunesse folle
et indisciplinée se permettait tout, sous le bénéfice de
l'espèce d'inviolabilité qu'elle devait à l'affection
généreuse de ses patrons religieux et laïques"
(Anonyme, op.cit., p.30)
L'université donnait elle-même à ses écoliers
l'exemple de cet esprit de révolte, dès qu'il s'agissait de
défendre la moindre de ses prérogatives Trois moyens :
- si la violation venait du pouvoir séculier, se plaindre au roi ;
- si elle avait à se plaindre de l'autorité
ecclésiastique, se plaindre au pape ;
- la cessation générale d'activité, d'études (ce
fut le cas en 1221, 1225, 1228, 1229 en particulier)
c) La bulle d'Urbain IV Scientarum
fontem.
"Savigny fait remarquer que, dans les actes relatifs à
l'Université avant 1261, le mot universitas est toujours
employé avec le génitif magistrorum ou scholarium sous-entendu
; il exprime l'association des maîtres de Paris considéré
comme corporation légale. L'expression d'universitas Parisiensis est
appliquée, pour la première fois, au sens de corps enseignant,
dans la bulle d'Urbain IV, Scientiarum fontem" (Anonyme, op.cit., p.12).
"Déjà au mois de février 1254, dans le manifeste
retentissant qu'ils adressent alors aux membres du clergé pour les
prendre à témoin de leur bon droit, les maîtres
séculiers des quatre Facultés et leurs étudiants
n'hésitent pas à [...] qualifier [le recteur de la
Faculté des arts] de 'recteur de leur Université',
lançant ainsi dans la circulation un titre que dès mars 1259 la
pape lui-même emploie au cours d'une lettre officielle où il met
le recteur personnellement en cause à raison d'une dette contractée
trente ans auparavant par l'association générale des
maîtres parisiens.[...] En 1286, on l'accusera formellement d'avoir
depuis quelques années et à leur détriment pris
l'habitude de citer devant lui et de juger les étudiants de
l'Université pour des affaires dont il n'avait pas à connaitre,
ce qui prouve qu'à cette date il avait réussi à se
constituer une juridiction qui achevait de lui donner dans
l'Université une situation hors de pair" (Halphen, op.cit,
p.568-69).
En 1316 (mort de Louis X) et en 1328 (mort de Charles IV) le suffrage de
l'université de Paris fut d'un grand poids, pour fonder la
jurisprudence du royaume à l'égard de la loi salique et
empêcher que le gouvernement de France ne passât aux mains d'un
prince anglais.
Concile permanent des Gaules, tous ses membres, maîtres et
élèves sont indistinctement reconnus inviolables, exempts de
péages, de subsides, d'impôts, du service de guerre et
même des devoirs de simple milice urbaine. C'est alors que Charles V
lui octroie le titre de fille ainée des rois.
C. Les nations, les universités et l'Europe.
La nation, type d'association, est apparue simultanément en divers
points de l'Europe aux XIIè-XIIIè siècles (en
particulier, Bologne, Paris et Oxford ). Cette émergence ne saurait
être attribuée à quelque intervention orientée,
mais à la spontanéité.
"L'université de Paris servit de modèle à toutes
celles qui se fondèrent au Moyen-Age ; du moins, quant aux
facultés de théologie et de philosophie, car toutes les
facultés de droit sont des copies de celle de Bologne [1158].
"'L'organisation des études dans l'Europe chrétienne, au
moyen âge', écrit M. Thurot, 's'est partagée en ces deux
systèmes : le premier a été exclusivement
appliqué en Angleterre et en Allemagne ; le second, plus
généralement dans l'Italie, l'Espagne et le midi de la France.
"L'organisation de l'enseignement dans les deux université de
Paris et de Bologne a été exactement imitée : les autres
universités reproduisent souvent presque littéralement les
dispositions de leurs règlements relatives aux cours, aux grades, aux
épreuves, aux actes probatoires.
"Le mode de gouvernement et d'administration a seul subi d'importantes
modifications suivant les temps et les pays. Toutefois, entre les deux
systèmes persiste cette différence fondamentale, que le pouvoir
est, dans le système parisien, aux mains des professeurs, et dans le
système bolonais, aux mains des étudiants'. Cette distinction a
été fort nettement établie par Savigny, qui l'a
posée le premier." (Ibid., pp.56-57).
Cette distinction nous semble fondamentale à retenir pour comprendre
pourquoi l'Etat-nation est apparu en France bien avant l'Etat-nation en
Italie, si tant est qu'on puisse parler encore aujourd'hui de l'Italie comme
d'un Etat-nation .
"En 1219, bulle pontificale pour Bologne non plus comme à Paris,
pour limiter le droit d'intervention de l'autorité diocésaine
dan la collation de la licence d'enseigner, mais, inversement, pour
contraindre le corps professoral à abandonner cette prérogative
à un mandataire de l'évêque et se borner lui -même
à de simples présentations" (cf. Halphen, 1940, p.334).
"A Bologne, les étudiants sont groupés en une quinzaine
d'associations "nationales" qui se sont elles-mêmes
réparties en deux fédérations auxquels le nom
d'université a été réservé : celle des
Cismontains et celle des Ultramontains. Alors que les professeurs ne sont pas
organisés, n'y ne s'entendent, ils sont obligés de jurer
respect aux statuts des associations d'étudiants dans deux secteurs
qu'elles se sont donnés [...]
"A Bologne, c'est presque l'indépendance totale. On rechercherait
en vain à Bologne rien qui rappelle l'organisation parisienne ou
l'organisation anglaise. D'université, au sens que ce mot a pris
désormais dans les autres pays d'Occident, il n'est même pas
question. Ni les maîtres, ni les étudiants des diverses
disciplines n'ont éprouvé le besoin de se liguer et de former
une corporation unique. On en arrive peu après le milieu du
XIIIè à cette situation paradoxale : des professeurs, qui faute
d'organisation et d'entente, sont obligés de subir la loi que leur
dictent les élèves dont ils tiennent leurs salaires, qui sont
obligés de jurer respect aux statuts des associations
d'étudiants entre les mains des deux recteurs qu'elles se sont
données et soumettre à l'approbation de ces derniers horaires
et programmes . Les étudiants bolonais sont amenés à se
grouper en une quinzaine d'associations "nationales", qui sont
elles-mêmes réparties en deux fédérations,
auxquelles, à Bologne, le nom d''universités' a
été réservé : celle des Cismontins et celle des
Ultramontains".(Halphen, op.cit, pp. 571-572)
"[ ] à Bologne le recteur est un étudiant"
(Calmette,1923, p.169)
II.2."La"
nation au XVIIIème siècle : un artifice révolutionnaire.
Sautons quelques siècles. Il semble admis par les historiens que le
mot "nation" refait surface au XVIIIème siècle, avec
la signification qu'on lui connait aujourd'hui, c'est-à-dire, une
signification ambiguë, multiple et controversée.
Entre-temps, les nations et universités en France ont
été étatisées :
- Charles VII (1403-1461) porte le premiers coups : il soumet les
universitaires au Parlement, non plus au conseil du roi ; il réforme
les diverses facultés (diminution de rétributions scolaires,
restriction de privilèges, création de censeurs réformateurs
perpétuels).;
- en 1498, Louis XII, ayant égard aux voeux des états
généraux convoqués sous le règne de Charles VIII,
ramène l'université aux limites du droit commun.;
- et au XVIè, elle dévie de plus en plus de ses origines, de
sorte que, quand Henri IV entreprend de réformer les statuts du
cardinal d'Estouville, qui la régissait depuis 1452, elle était
sécularisée (Anonyme, op.cit, p.36)
A. Nation et révolution
Dans la perspective du XVIIIème siècle et de jure, la nation
n'est plus cette association libre d'individus, finalisée par la protection
contre les conséquences néfastes de l'ignorance (de l'avenir ou
non), contre les dangers, contre les - vrais - risques de perte, que cette
association était anticipée à leurs yeux pouvoir rendre
disponibles.
Ce n'est pas non plus cette association libre d'individus, qui utilise comme
technologie le "libre examen", la libre étude de ce qui
existe.
Les hommes de la Révolution (fin du XVIIIè), comme c'est la
mode alors depuis quelques années, jouent sur les mots pour
réinstaurer un succédané de "nation". Ils se
disent prêts à régénérer "la"
nation et piquent ainsi au vif la liberté qu'elle implique dans les
souvenirs de chacun ; le peuple les croit et les suit car il pense qu'ils
réactivent le principe de la nation médiévale que la
royauté avait dénaturée en étatisant nations et
universités.
Mais bien vite, il doit déchanter car nos révolutionnaires
portent leurs soins sur la partie "instruction-éducation"
qu'ils isolent et pour la réaliser autrement . Elle devient :
- l'instruction - publique - que chacun devra avoir dans les domaines de la
connaissance choisis par les hommes de l'Etat, en d'autres termes, par la
protection obligatoire contre les conséquences néfastes du
risque d'ignorance dans des domaines politiquement délimités ;
- l'éducation - nationale - qu'il devra accepter de recevoir pour
avoir le comportement que les hommes de l'Etat jugent bon qu'il ait , en
d'autres termes, par la protection obligatoire contre le risque que ceux-ci
supposent ou lui disent qu'il court, de n'avoir pas le "bon"
comportement. En particulier :
"Les jeunes gens qui, au sortir des écoles du premier
degré d'instruction, ne s'occupent pas du travail de la terre, sont
tenus d'apprendre une science, art ou métier utile à la
société - Sinon, arrivés à l'âge de vingt
ans, ils seront privés, pour dix ans, des droits de citoyen, et la
même peine sera appliquée à leurs père,
mère, tuteur ou curateur" (Taine, II, p. 72n).
B. La supercherie révolutionnaire.
Curieusement, les historiens ne voient pas dans cette réapparition du
mot de nation une supercherie. Est-ce parce qu'à l'image de Guizot,
ils identifient la "nation" et la "commune" ?
Pourtant, la supercherie est évidente. Très
schématiquement, et hormis la forme démagogique qui lui a
été donnée elle tient dans la démarche suivie,
qui a consisté d'abord à taire la variété
originelle des nations pour mettre l'accent sur "la" nation, une
nation unique, et par là même à dénaturer le mot.
Elle a consisté ensuite à fonder la nation ainsi construite -
sans le dire - sur l'acception "parisienne" (non pas
"bolonaise") de l'organisation administrative de
l'université qu'ont pu déformer en France à loisir des
siècles de dirigisme.
La supercherie a consisté enfin à faire
référence, plus ou moins explicitement, à sa
méthode, "le libre examen", pour la mâtiner de
plusieurs caractéristiques en opposition avec son essence. Le libre
examen est en effet l'idée couramment avancée par les
historiens pour identifier le XVIIIè siècle :
"Que l'élan de l'esprit humain, que le libre examen soit le trait
dominant, le fait essentiel du XVIIIè, ce n'est pas la peine de le
dire [...] l'apparition de l'esprit humain comme principal et presque seul
acteur [...] Un second caractère qui me frappe dans l'état de
l'esprit humain du XVIIIè siècle, c'est l'universalité
du libre examen. Jusque-là et particulièrement au XVIè,
le libre examen s'était exercé dans un champ limité,
spécial [...] Dans le XVIIIè, [...] tout devient à la
fois un sujet d'étude, de doute, de système ; les anciennes
sciences sont bouleversées, les sciences nouvelles
s'élèvent [...]. Le mouvement a de plus un caractère
singulier, et qui ne s'est peut être pas rencontré une seconde
fois dans l'histoire du monde : c'est d'être purement spéculatif"
(Guizot, 1846, pp. 392-395)
Mais le "libre examen contraint" est en fait la véritable
méthode imposée. Le caractère "choix
volontaire" de l'association-nation médiévale par
l'individu est oublié et celui de l'obligation révolutionnaire.le
remplace. Le caractère territorial limité, le pays où ses
membres sont nés, une des spécificités de
l'originalité de la nation médiévale, est ignoré,
et celui d'une zone beaucoup plus vaste, mal connue en définitive de
ses membres, délimitée par des frontières reconnues en
définitive par l'étranger seul et susceptibles d'être
éloignées de gré ou de force,.prend sa place. Il
s'ensuit ainsi que le pays de naissance des membres de la nation est
confondue avec le territoire de naissance de l'ensemble de la population, du
"peuple" , qui lui même est confondu avec le territoire de
l'Université, qui reçût le nom de territoire
"national".
II.3. Une
première conséquence : l'éducation nationale obligatoire.
La supercherie a pour effets les conséquences de la
"régénération" du peuple, du citoyen, qui vont
faire que rapidement (avec Napoléon, et ses successeurs dirigistes),
la méthode "libre examen" n'est même plus
évoquée et passe à la trappe : l'important pour le
citoyen ou le peuple est désormais d'apprendre à
connaître non ce qui l'intéresse, mais ce que l'empereur ou le
gouvernement du moment (aidé de ses comités d'experts ou
commissions de sages) veut qu'il sache .
Apparaissent ainsi des domaines d'enseignement et de recherche permis
à l'individu par la puissance publique et des domaines qui lui sont
interdits, des domaines que seule la recherche publique peut explorer. Pour
ne pas parler de la censure que mettent en place les hommes de l'Etat.
Apparaissent aussi des méthodes d'enseignement pour le moins curieuses
: - "Les fêtes nationales sont une partie essentielle de
l'éducation publique [...] 'un système de fêtes
nationales est le plus puissant moyen de régénération' -
Robespierre -" (Taine, II, p.70n) ;
"Vous pouvez appliquer à l'instruction publique et à la
nation entière la marche que J.J. Rousseau a suivie pour Emile"
(Ibid. p.71n).
Ainsi, la "nation", type d'association concurrentielle d'individus
libres, est devenue la nation-éducation nationale, quasi-monopole
étatique obligatoire. Car l'individu a commis l'erreur de croire les
Economistes, d'admettre leur argument qu'un enseignement public, fondé
sur la contrainte, ne lui nuirait pas pour résister aux abus de
pouvoir des hommes de l'Etat et, en particulier, aux abus que ceux-ci
commettraient dans le domaine de l'enseignement.
Dans ces conditions, il est vain de vouloir distinguer aujourd'hui
instruction publique-éducation nationale et nation (au sens moderne du
mot). La nation, l'éducation nationale, ce n'est rien d'autre que la
"nation", au sens médiéval du terme :
- dont la variété possible a été interdite et
réduite par la force à l'unité, dans le territoire de
l'université, désormais lui-même qualifié de
national (autrement dit, dont les frontières sont reconnues par
l'étranger) et
- dont la liberté de l'individu a été
"prélevée".
En revanche, la distinction n'est pas vaine si on garde présent
à l'esprit qu'à l'opposé de la nation, au sens
médiéval du terme, l'éducation nationale-nation ne
protège pas l'individu contre les risques de toute nature auxquels il
est exposé dans sa vie quotidienne, contre lesquels son action de
maître ou d'élève ne le protège pas. Et nos
dirigistes ont conscience de cette situation. A la supercherie près,
pour que la nation originelle soit
"régénérée", ils se rendent bien compte
qu'il faut que cette protection existe. Aussi vont-ils faire tendre leurs
efforts à construire cette "protection nationale".
III. De la prétendue protection contre l'abus de pouvoir à la
prétendue protection sociale.
III.1. La nation au
XIXè : la dénaturation en mouvement.
La prétendue protection contre l'abus de pouvoir , entrée dans
les faits avec l'éducation publique obligatoire chère aux
Economistes, il ne restait plus aux dirigistes qu'à achever de lui
donner une forme. Ils y parviendront avant la fin du XIXè.
Forts de leur réussite et pour étendre le domaine
d'intervention de l'Etat-nation ainsi élargi, ils se sont
préoccupés alors d'inventer d'autres formes de protection
à juxtaposer à côté de la "protection contre
les abus de pouvoir" et des protections traditionnelles . C'est ainsi
qu'ils vont construire la protection obligatoire contre une sélection
de dangers individuels, avec la création de l'appendice
"Sécurité sociale".
Mais avec cette démarche, ils vont à leur tour exposer
l'Etat-nation, l'autorité désormais toute puissante, au risque évoqué
ci-dessus : le risque que l'appendice créé rivalise un jour
avec lui, voire le coiffe.
III.2. La protection
sociale au XXè siècle : le renforcement de l'artifice
révolutionnaire.
1945-1946, en France, le gouvernement du moment dote une partie de la
population française de la Sécurité sociale.:
modèle type d'appendice de l'Etat-nation. Plus
précisément, en 1945-1947, la Sécurité sociale
(et les autres régimes complémentaires obligatoires)
reçoit comme mission de fournir à certains citoyens
français - les travailleurs salariés de certains secteurs de
l'économie - une protection spécifique contre une
sélection politique de risques .
Décennie 1970, La Sécurité sociale a été
étendue entre-temps progressivement par les pouvoirs publics à
tous les "travailleurs" - salariés ou non - sauf rares
exceptions - et à tous les secteurs de l'économie de sorte que
la Sécurité sociale est devenue un Etat-nation bis.
Désormais, quiconque exerce une activité rémunérée
- un travail - en France, a l'obligation de verser une "cotisation"
à la Sécurité sociale. Et quiconque(à quelques
exceptions près) vivant sur le territoire national
bénéficie d'une protection automatique contre les risques du
domaine de la Sécurité sociale.
Etant donné cette situation, rien ne justifie aujourd'hui que cet
appendice de l'Etat constitue de facto une entité à part, un
co-état, sauf à ce que cette situation ait été
souhaitée par les hommes de l'Etat. En 1945, où une partie
seulement des citoyens français y était assujettie, cette
situation pouvait se concevoir. La Sécurité sociale
était établie sur une discrimination légale entre les
citoyens, sur la base du type de travail qu'ils exerçaient, du secteur
économique où il l'exerçait. L'Etat ne pouvait s'engager
d'emblée dans une telle discrimination.
A. L'Etat-nation et la Sécurité sociale : des clubs rivaux
à terme.
Dans ces divers éléments se trouve la raison pour laquelle la
Sécurité sociale pose aujourd'hui aux hommes de l'Etat une
difficulté
Après avoir vu son domaine d'intervention jouxter de plus en plus
finement celui de l'Etat, la Sécurité sociale (et ses
institutions de 1945 désormais élargies et étendues)
veut tout simplement supplanter l'Etat-nation dans la fonction de protection
spécialisée qu'il a encore, au prétexte de couvrir des
risques - vrais et faux - que ne couvrirait pas ou ne veut plus couvrir
l'Etat pour des raisons d'efficacité. Elle veut maintenant, d'une
certaine façon, absorber son domaine.
Dans ce but, elle feint d'oublier les conditions dans lesquels le peuple l'a
acceptée, et le but aujourd'hui caduque (la protection d'une partie
des citoyens, de certains travailleurs dans certains secteurs
d'activité) qui lui avait été donné.
Elle s'efforce surtout de détourner l'attention des
"assujettis", des missions qu'elle remplit d'une façon dont
elle ne veut pas connaître l'efficacité, vers d'autres horizons
sans relation avec sa mission originelle.
B. Premier horizon choisi : l'horizon social.
a) National et social
Elle se veut entité sociale et non plus nationale comme si l'un
excluait l'autre. Elle veut donner droit de citer à l'argument qu'il y
aurait une protection qui serait sociale et une protection qui ne le serait
pas. Utilisant au pied de la lettre l'appellation qui lui a été
donnée, elle n'inclut plus le social dans le national. Bien que
nationale, elle se décréte unilatéralement sociale,
à défaut de mondiale, et prête à venir en aide au
monde entier comme elle vient en aide à la nation! Bien plus, elle
s'efforce d'acclimater l'idée qu'elle doit fournir la protection
qu'elle fournit aux Français, aux étrangers qui désirent
sa protection et que les Français n'ont rien à y redire.
Quiconque y redira sera qualifié de "raciste" ou de
xénophobe et le cas échéant passible des tribunaux.
En fait, en procédant ainsi, elle rompt le contrat implicite qu'elle a
passé avec l'Etat-nation et qu'elle s'est engagée à
respecter, et pose à celui-ci une difficulté. Et la
difficulté est institutionnelle, et non pas comptable, comme certains
tentent de le faire croire ou admettre
Car anticipant que cette situation pourrait se produire, l'Etat-nation (par
l'intermédiaire du législateur) a pris au fil des années
des précautions et fait voter des lois. Parmi elles, on peut citer
celle de distinguer un budget de l'Etat - faisant apparaître en
particulier la protection que les impôts des citoyens financent - et un
budget social - en fait, un budget de la protection sociale tous organismes
confondus, et toutes consommations des individus nationaux et individus
étrangers agrégées.-
Mais la loi n'a pas été appliquée par la
Sécurité sociale (cf. rapports de la Cour des comptes pendant
la décennie 1970) qui a fait comme si une réforme n'avait pas
été votée en 1967. Il faudra attendre 1979 pour qu'entre
autres, une Commission des comptes de la Sécurité sociale soit
mise sur pieds et que des comptes périodiques lisibles soient
établis. Aujourd'hui, ces derniers suscitent encore des controverses.
b) Nationalité et "socialité"
L'institution Sécurité sociale tente de vider l'Etat-nation de
la partie de sa substance, qu'est la protection de l'individu . Au
départ, aide à la protection que fournissait l'Etat, elle s'est
arrogée par la suite la fonction d'être protection à part
entière en faisant valoir qu'elle offre une protection que n'offre pas
l'Etat-nation (et pour cause). Pour cela, elle oppose aussi implicitement
"socialité" et nationalité .
Il convient de remarquer en effet qu'un critère de nationalité
préside naturellement à l'établissement du budget de
l'Etat, et que ce critère n'est pas le critère de la
"socialité", critère implicite, qui préside en
fait à l'établissement du budget (de la protection) social(e).
A l'évidence, ces critères se heurtent dans la situation
actuelle. Que penserait-on d'un étranger qui demanderait à
être remboursé des impôts (en espèce ou en nature -
service militaire -) qu'il aurait versés à l'Etat
français par le passé sous prétexte qu'il retourne dans
son pays. L'idée ne lui viendrait pas.
Pourquoi admettre alors qu'un étranger puisse demander le
remboursement de ses cotisations sociales ou bénéficier de
prestations pour sa famille vivant à l'étranger et régie
par des règles non nationales ?
Bien plus, comment admettre que l'institution elle-même - la
Sécurité sociale en l'espèce - favorise ce genre
d'exigence ? Aucune raison hormis le souci de ses administrateurs de
créer la situation qu'ils veulent que la SS atteigne, et de lui faire
acquérir une mission nouvelle ou une totale indépendance ? De
cette façon, la Sécurité sociale se démarque une
fois de plus de l'Etat-nation, elle le met en rivalité : "nous,
nous remboursons ou vous suivons où que vous soyez", pourraient
dire ses administrateurs !
La morale n'est pas en cause. Dans un cas comme dans l'autre, l'individu a
été obligé de verser des ressources (au budget de l'Etat
et au budget de la Sécurité sociale). Dans le cas où il
rentre chez lui librement, non forcé, il quitte volontairement ces
clubs, il n'est pas exclu.. Et ses "droits" deviennent caduques.
Quiconque quitte un club, n'est pas remboursé du droit d'entrée
qu'il a acquitté et des cotisations périodiques qu'il a
versées.. Et cette règle est acceptée. Pourquoi en
serait-il autrement dans le cas de la Sécurité sociale ?
Ou alors la règle est autre, et on juge que ses "droits" ne
sont pas caduques. Mais, dans ce cas, il devrait être remboursé
des deux types de ressources qu'il a versées par obligation
(impôts à l'Etat-nation et "cotisations" à la
Sécurité sociale).
La vérité est qu'au départ, les hommes de l'Etat et les
administrateurs de la Sécurité sociale ont fait une erreur
volontaire ou involontaire : prendre les cotisations des étrangers.
L'erreur n'aurait pas été trop grave s'ils avaient tenu un
compte séparé des sommes reçues - et des "droits
conséquents" -. Elle a été aggravée par
cette négligence ou faute ou erreur.
Mais faut-il que le peuple de France soit tenu pour responsable des erreurs
commises par les gens d'un système qui lui est imposé et
l'oblige, s'il le désapprouve en totalité ou en partie ?
De plus quelle est la nature de ces erreurs ? Volontaire ou involontaire ?
Pourquoi la Sécurité sociale s'est permise de ne pas respecter
la réforme de 1967 ? N'oublions pas que la commission des comptes de
la Sécurité sociale a vu le jour seulement en 1979 !
C. L'horizon des avantages acquis.
Second horizon visé par la Sécurité sociale pour
détourner l'attention des assujettis : celui des prétendus
"avantages acquis".
Rien ne justifie que le peuple accepte aujourd'hui la notion
d'"avantages acquis", colportée à l'envi par
certains, sauf à vouloir que ces derniers restaurent les
privilèges qu'ils disent abhorrer, et les conférer à une
institution autre que l'Etat.
Dans les circonstances présentes, la Sécurité sociale a
certes acquis un avantage sur l'Etat, puisque jusqu'à sa
création, l'Etat était à l'évidence la seule
institution de protection "sociale", protection contre certains
risques, des individus et que maintenant il partage la position dans le
domaine. Ont aussi acquis des avantages les administrateurs de la Sécurité
sociale et les syndicats eux-mêmes, dont ils émanent, qui ont
acquis la qualité de "représentatifs".
Ont aussi acquis des avantages ceux qui sacralisent , tout en le cachant
à ceux à qui ils s'adressent, l'"institution de protection
" à cheval sur des territoires nationaux, l'institution "non
nationale" et par conséquent, selon eux, "sociale" Ils
sacralisent tout autant l'administration de l'institution, le
véritable gouvernement bis de la nation, même si le gouvernement
légal a encore aujourd'hui sur lui la préséance et
dispose de la contrainte violente. Mais jusqu'à quand ? On peut
constater déjà qu'aucun gouvernement n'a envisagé
jusqu'à présent de mettre fin à l'entreprise
"Sécurité sociale".
Dans le même mouvement, ils condamnent, toujours sans le dire,
l'Etat-nation lui-même -"institution de protection" des
individus nationaux dans les limites du territoire national. Ils condamnent
aussi l'administration de la protection en question par le gouvernement
légal, ou toute entreprise de protection d'une autre forme plus
efficace, a fortiori les entreprises privées. On n'évoque pas
d'ailleurs, pour étayer la condamnation, l'efficacité de
l'organisation actuelle de la SS, qu'on ne connait pas. On évoque
seulement l'opinion (qui reste à prouver), que la
Sécurité sociale satisferait tout le monde et serait la
meilleure du monde !
Il reste que dans tous les cas il est abusif de dire que les individus ont
acquis des avantages. Ils ont avant tout acquis le désavantage
fondamental qui tient dans les obligations supplémentaires qui leur sont
imposés et qui ont limité leur liberté de choix et
d'actions. Et ces désavantages ne sauraient être ni sous
estimés, ni tus, comme ils le sont. Ils sont sans commune mesure avec
les prétendus avantages acquis. Rien ne justifie qu'on parle de
"cotisations" de Sécurité sociale et qu'on ne parle
pas à la place d'impôts - "contributions directes ou
indirectes" - pour dénommer les versements que doit faire
l'individu. Pour l'individu, ce sont des ressources qui lui sont prises dans
tous les cas, qu'il doit obligatoirement verser, dont il ne peut choisir la
destination, l'emploi. Les impôts vont à l'Etat, les cotisations
vont à la Sécurité sociale...
III.3. Seconde
conséquence : la protection sociale obligatoire.
Ainsi, après avoir été simple appendice de l'Etat-nation,
la Sécurité sociale se pose aujourd'hui en véritable
rival dans le contexte qu'elle favorise et qu'elle veut institutionnaliser :
celui de la protection sociale obligatoire. Cette situation n'est pas pour
surprendre. Elle est le résultat prévisible en théorie
de l'évolution d'une organisation. Le risque qu'a pris l'Etat-nation
en créant un appendice pour s'étendre, s'est
réalisé. L'appendice rivalise avec lui.
Seulement, pour sa protection tout azimut, le citoyen français n'est
pas face à des clubs qu'il peut mettre en concurrence, mais à
une diarchie à laquelle il est assujetti : obligé par l'un
(l'Etat-nation) comme par l'autre (la Sécurité sociale)
à verser des ressources et, le cas échéant, consommateur
des services qu'ils rendent disponibles, il est dépourvu de sa
liberté de choix.
La situation est bloquée pour lui, la protection sociale obligatoire
le soumet.
Conclusion : qu'est ce que la nation ?
Pour le commun des mortels français, la nation n'est plus aujourd'hui
un type d'organisation s'articulant à l'enseignement, i.e., à
la réduction de l'ignorance authentique, et fondée sur le libre
examen. Un rôle d'enseignement, où intervient une autre
méthode, a été dévolu à une construction
étatique : le quasi-monopole de l'Etat sur l'éducation
nationale-instruction publique, obligatoire pour l'individu, i.e., dont il a
l'obligation d'acheter les services. Cette évolution artificielle
n'est pas pour surprendre. La théorie économique la
prédit.
Elle n'est plus non plus un type d'organisation de protection de ses membres
contre tous les dangers qui les menacent et dont il leur est impossible de se
préoccuper au quotidien. Un rôle prioritaire de protection
contre certains risques, a été pris par une autre construction
étatique, aujourd'hui dédoublée : d'un
côté, les divers monopoles de l'Etat-nation (au sens
traditionnel du terme) et, de l'autre,les divers monopoles de la
Sécurité sociale, obligatoires les uns comme les autres pour
l'individu, i.e., dont il a l'obligation d'acheter les services Là
encore, cette évolution artificielle est prédite par la
théorie économique.
Mais, autre constatation, personne ne sait plus aujourd'hui ce qu'est la
nation. La nation est confondue par certains (défenseurs ou non d'une
certaine idée de la nation) avec l'Etat-nation et distinguée
néanmoins de la Sécurité sociale. L'idéal de la
protection sociale est mis par d'autres à côté ou
au-dessus de l'idéal national. Des défenseurs actuels de la notion
la font remonter pour leur part seulement à la période des
années 1780-1790, et la remplisse d'un contenu spécifique,
dupes de la désinformation des artificiers du XVIIIè
siècle
Les lignes qui précèdent ont essayé de faire
apparaître schématiquement que cette "nouvelle
ignorance" de ce qu'est la nation, est le fruit de la supercherie,
écoutée en France à partir du XVIIIè, et que
stigmatise Tocqueville quand il parle du socialisme des Economistes. Ce que
la période des années 1790 - "la Révolution
française" - n'avait pu dissimuler dans l'originalité de
la nation (par la déformation de la notion), les années post
Seconde Guerre mondiale - la seconde révolution française - ont
tenté d'y parvenir (par la substitution, i.e., par la
dénaturation indirecte de la notion) et failli réussir.
Mais il semble désormais que les individus se ressaisissent et
reviennent sur les errements, tant l'efficacité de la nation-type
d'association est forte et ne saurait être gommée, quels
qu'aient été ses déficiences (quelle entité n'en
a pas) et les moyens utilisés par les dirigistes pour y parvenir. Et
ce n'est pas la solidarité que les socialistes exsangues du
XXème siècle finissant, exhument de leur idéologie du
XIXè pour renforcer la protection sociale qu'ils ont imposée au
peuple, qui y fera obstacle, même par "substitution".
Le principe de la nation renaît face à la situation
bloquée dans laquelle se trouvent aujourd'hui l'Etat-nation et la
Sécurité sociale et que cherche à cacher l'expression
"protection sociale", dernière invention des dirigistes. La
nation, type d'association d'individus libres, n'a pas été
anéantie hier bien que le pire semble lui avoir été
infligé. Tout porte à croire qu'elle ne le sera pas demain,
mais au contraire retrouvera son identité.
La raison essentielle : l'ordre de marché a fait émerger la
nation au début du millinéaire. Tant qu'il n'aura pas permis de
découvrir un type d'association au moins aussi efficace, les nations
ne disparaîtront pas. Aucun artifice (appendice ou
réglementation) des hommes de l'Etat ne pourra les anéantir,
seulement les dénaturer en monopole public un temps jusqu'à ce
que le coût de l'artifice soit reconnu exorbitant et amène
à le faire rapporter ou exploser.
Notes.
1) Fondé sur le libre examen.
2) Dénommé "instruction publique" ou
"éducation nationale", à partir de 1790, et qu'ils
vont renforcer jusqu'à aujourd'hui.
3) Et où nous vivons encore. Parmi ces dangers, l'action même
des hommes de l'Etat.
4) Pour cette raison, elle possède une efficacité, une force
propre qui échappe à la réglementation, qui peut un
temps être contrainte, mais qui inévitablement un jour ou
l'autre retrouve sa plénitude, son identité. La
"nation" est, d'une certaine façon, sortie de la
concurrence, du marché. Aussi, tant que la concurrence n'aura pas fait
apparaître un type d'organisation comparable plus efficace, tout porte
à croire qu'elle sera inexpugnable, que l'idéologie
étatiste pourra la meurtrir, mais ne saura la détruire par
réglementation.
5) "C'est la le grand fait qui éclate à la fin du
XIè et au commencement du XIIè siècle [...]Pour la
première fois, à cette époque, une lutte sérieuse
s'est engagée entre clergé et les libres penseurs. [...] Au
même moment, se produisait un mouvement d'une autre nature, le
mouvement d'affranchissement des communes. [...] Si on eût dit à
ces bourgeois qui conquéraient avec passion leur liberté, qu'il
y avait des hommes qui réclamaient le droit de la raison humaine, le
droit d'examen, des hommes que l'Eglise traitait d'hérétiques,
ils les auraient lapidés ou brûlés à l'instant.
Plus d'une fois Abailard et ses amis coururent ce péril.[...] D'un
autre côté, ces mêmes écrivains, qui
réclamaient le droit de la raison humaine, parlaient des efforts
d'affranchissement des communes comme d'un désordre abominable, du
renversement de la société". (Guizot, 1846, pp.181-182)
6) Sans prétendre ranimer le débat toujours pendant des causes
et origines du mouvement communal, il suffira de dire que l'on tend de plus
en plus à voir, dans l'élan remarquable qui conduisit à
reconstituer de nouvelles libertés municipales, l'effet d'un courant
économique puissant, générateur d'un esprit dont les
communautés urbaines ne furent que l'une des multiples manifestations.
D'une manière très générale, la liberté
urbaine est née de l'effort d'une collectivité.[...] Si
spontanée qu'ait été en général la
floraison des communes, une particularité introduit quelque ordre dans
cette diversité, la fortune de certains types d'organisation
(Calmette, pp.98-100) "Pris au sens intellectuel qui, aujourd'hui, lui
est réservé, le mot "université" ne
s'écarte pas du sens général que nous lui connaissons au
moyen âge, celui de collectivité constituée en personne
civile" (Ibid. pp.168-9)
7) Cf. sur tous les points évoqués, par exemple, Becker, 1981
ou Lemennicier, 1988.
8) Si ces risques se réalisent, c'est qu'en fait le plus souvent le
choix initial contient, sous-jacents mais inconnus et non voulus, et des
dispositions d'abandon de pouvoir, de non recours à la contrainte ou
des possibilités d'abus de pouvoir, et des germes
d'irréversibilité (les techniques mises en oeuvre sont par
exemple non abandonnables, sauf à coûts très
élevés), bref une certaine inefficacité que vont
exploiter à leur avantage l'autorité ou l'appendice.
9) Par exemple, ces choix n'ont pas été effectués en
Italie. Il s'est produit avec l'établissement d'une autorité
sur l'université à Paris, qui est devenue ainsi
université de Paris (1261), puis avec son
"étatisation" (en fait sa "royalisation")
progressive jusqu'au XVè-XVIè siècles, et enfin avec sa
transformation en "éducation nationale-instruction publique"
(obligatoire pour l'individu) à partir de la décennie 1790.
10)Causée par les hommes de l'Etat (l'une par volonté et
l'autre par erreur.
11) Le qualificatif "nationale" est essentiel. On est en droit de
penser qu'il a été utilisé à dessein et que s'il
n'avait pas été utilisé, la supercherie n'aurait pu
déboucher, les hommes de l'Etat n'aurait pu se rendre maître de
l'enseignement.
12) Dans le passé, la nation a fait apparaître des
déficiences à au moins deux reprises :
- puisque, si la nation-type d'organisation, élément des
universités en Europe, a évolué diversement sitôt
découverte, selon les villes aux XIIè-XIIIè
siècles, elle a parfois évolué, comme en France, dans
une direction opposée à son intérêt ,
- et que l'université à Paris, pour sa part, à laquelle
elle a donné naissance, une fois devenue université de Paris, a
été "étatisée" (on devrait dire
"royalisée") par la suite, avec sa première conséquence
: la disparition de la variété des "nations", la
création d'une université uninationale, bref d'une nation
étatisée.
13) Etant donné ces seuls faits, on peut diagnostiquer que
l'étatisation de l'université et de ses nations a
été rendue possible en France à cause des abus de
pouvoir contre lesquels celles-ci ne s'étaient pas assez
prémunies (ou n'ont pas été efficaces pour
déjouer les attaques). Le plus grave d'entre eux,
l'"étatisation totale", a pu ainsi être commis
14) Vers le milieu du siècle, on voit paraître un certain nombre
d'écrivains qui traitent spécialement des questions
d'administration publique, et auxquels plusieurs principes semblables ont
fait donner le nom commun d'économistes ou de physiocrates. Les
économistes ont eu moins d'éclat dans l'histoire que les
philosophes. <...> ils n'ont pas seulement la haine de certains
privilèges, la diversité même leur est odieuse : ils
adoreraient l'égalité jusque dans la servitude. Ce qui les
gène dans leurs desseins n'est bon qu'à briser. Les contrats
leur inspirent peu de respect ; les droits privés, nuls égards
; ou plutôt, il n'y a déjà plus à leurs yeux,
à bien parler, de droits privés, mais seulement une
utilité publique ...
Le passé est pour les économistes l'objet d'un mépris
sans bornes. 'La nation est gouvernée depuis des siècles par de
faux principes ; tout semble y avoir été fait par hasard' dit
Letronne" (Tocqueville, 1856, pp. 1047-1048).
Et Tocqueville de prendre l'exemple des propos de Turgot :
Pour lui comme pour la plupart des économistes, la première
garantie politique est une certaine instruction publique donnée par
l'Etat, d'après certains procédés et dans un certain
état d'esprit." (Ibid.)
15) Et qui est d'apprendre à l'individu qui le désire, à
connaître par le "libre examen" en particulier la
liberté, l'abus de pouvoir et comment la liberté empêche
l'abus de pouvoir de prendre corps
16) Qu'il ne voie pas là l'abus de pouvoir par excellence)
17) Pour lui comme pour la plupart des économistes, la première
garantie politique est une certaine instruction publique donnée par
l'Etat, d'après certains procédés et dans un certain
état d'esprit." (Ibid.)
"J'ose vous répondre, Sire, dit-il dans un mémoire
où il propose au roi un plan de cette espèce, que dans dix ans
votre nation ne sera plus reconnaissable, et, par les lumières, les
bonnes moeurs, par le zèle éclairé pour votre service et
pour celui de la patrie, elle sera infiniment au-dessus de tous les peuples.
Les enfants qui ont maintenant dix ans se trouveront alors des hommes
préparés pour l'Etat, affectionnés à leur pays, soumis
non par crainte, mais par raison, à l'autorité, secourables
envers leurs concitoyens, accoutumés à reconnaître et
à respecter la justice (Ibid. pp. 1048-49).
18) Par la destruction de la variété des
instructions-éducations possibles, la destruction de la liberté
de choisir une éducation, l'instauration de l'obligation de suivre une
seule instruction-éducation, celle que jugent bonne les hommes de
l'Etat
19) En fait au prix d'une supercherie (sur laquelle on reviendra ci-dessous),
les hommes de l'Etat lui ont retiré sa liberté ancestrale
d'enseignement alors qu'Ils lui expliquent qu'il lui redonne sa
liberté
20) Dénommée aujourd'hui globalement "protection
sociale")
21) On parle de protection sociale et non plus de protection nationale.
22) Qui leur permettra d'asseoir l'Etat-nation (fin XVIIIè,
début XIXè)
23) On remarquera que cette fois le qualificatif "nationale" a
été passé à la trappe.
24) D'après le dictionnaire étymologique Larousse, le mot
apparait dans le psautier d'Oxford (XIIè siècle).
25) Trois classes de maîtres :
- régents (regere scholas : professer et magister regens : professeur)
- non régents
- régents d'honneur
Pour être considéré comme régent, il fallait
donner des leçons ordinaires dans des écoles
possédées ou louées par la nation dont on faisait
partie.
26) En 1274, le principe des nations (boréales et australes) qui
constitue Oxford est aboli.(cf. Halphen, 1940, pp.560-573).
27) Et Guizot, quelques siècles plus tard, de renforcer implicitement
l'alternative Paris ou Bologne, sans en tirer les conséquences, quand
il écrit (tout en confondant commune et nation) : "Les faits que
je vais mettre sous vos yeux ne s'appliquent point indifféremment
à toutes les communes du XIIè siècle, aux communes
d'Italie, d'Espagne, d'Angleterre, de France. Il y a bien un certain nombre
qui conviennent à toutes, mais les différences sont grandes et
importantes" (Ibid. pp.189-90).
28)"Ainsi a commencé à se former la nationalité
française. Jusqu'au règne des Valois, c'est le caractère
féodal qui domine la France ; la nation française, l'esprit
français, le patriotisme français n'existent pas encore"
(Guizot, 1846, p.295).
29) On remarquera que cette évolution ne s'est pas produite à
Bologne et en Italie.
30) Il ne faut pas oublier ce qu'écrit à ce sujet Taine. Si les
idées des philosophes ou prétendus tels ont marqué les
salons, c'est qu'elles étaient exprimées de façon
humoristique voire grossière. Il intitule ainsi un paragraphe
"Deux assaisonnements particuliers, la gravelure et la
plaisanterie" pour expliquer la propagation de la doctrine (Taine,
I,p.193).
31)"Le Tiers, disent d'autres cahiers, étant les 99 pour 100 de
la nation, n'est pas un ordre. Désormais, avec ou sans les
privilégiés, il sera, sous la même dénomination,
appelé le peuple ou la nation. (Taine, I, p.240).
32) "La nation va être régénérée ;
cette phrase est dans tous les écrits et dans toutes les bouches"
(Taine, I, p.240).
33) "Tant qu'on n'apprendra point dès l'enfance s'il faut
être républicain ou monarchique, catholique ou
irréligieux, l'Etat ne formera pas une nation ; il reposera sur des
bases incertaines et vagues, il sera constamment exposé aux
désordres et aux changements [Pelet de Lozère, 154, (paroles de
Napoléon au Conseil d'Etat, 11 mars 1806)].
En conséquence il s'attribue le monopole de l'instruction publique, il
aura le seul le droit de la débiter, comme le sel et le tabac :
'L'enseignement public , dans tous l'Empire, est confié exclusivement
à l'Université. Aucune école, aucun établissement
quelconque d'instruction [...] ne peut être formé hors de
l'Université impériale et sans l'autorisation de son chef"
(Taine, II, p. 694).
34) Exemple des démêlés de J.B. Say avec Napoléon
35) Qu'on peut décomposer maintenant en :
- protection obligatoire contre la non instruction "publique" ;
- protection obligatoire contre la non éducation
"nationale".
36) Jusqu'alors, et parallèlement désormais à
l'éducation nationale, l'Etat-nation avait la mission de produire la
protection contre certains dangers (protection de la propriété
contre l'étranger ou autrui, et garde de la loyale exécution
des contrats), quand les citoyens n'avaient pas découvert des moyens
de marché pour s'en protéger d'une façon ou d'une autre.
Bref, l'Etat-nation, c'était la protection - sociale au sens de
dernier ressort - des citoyens.
37) Cette idée n'est pas entièrement originale, elle est
présente, avons-nous écrit ci-dessus, dans Tocqueville qui
ajoute : "On croit que les théories destructives qui sont
désignées de nos jours sous le nom de socialisme sont d'origine
récente ; c'est une erreur : ces théories sont contemporaines
des premiers économistes. (Tocqueville, op.cit..p.1050) Et au moment
où il écrit ces mots, l'économie politique est
propulsée au milieu du pont que certains prétendent jeter entre
le libéralisme et le socialisme.
Ceci étant, on ne peut qu'être frappé que, malgré
sa clairvoyance, il n'imagine pas que, concrètement, un jour prochain
viendra où ce que les dirigistes ont décidé pour
l'enseignement de l'individu, sera décidé pour "sa"
protection en général, et où le principe de la
"nation", organisation spontanée,libre et volontaire de
protection de l'individu, sera définitivement émasculé.
Bref, on ne peut que regretter que Tocqueville n'ait pas entrevu les
principales conséquences du mouvement pernicieux sur lequel il met le
doigt. Peut-être est-ce parce que, dans la perspective du XIXème
siècle, l'originalité de la nation médiévale,
association spontanée d'individus libres, destinée à les
protéger au quotidien, avait déjà été
oubliée.
38) Il est curieux que personne n'évoque plus aujourd'hui la
période des années post seconde guerre mondiale, en France,
comme une période révolutionnaire. Pourtant ce qu'elle a
produit a été stigmatisé par beaucoup comme tel à
l'époque (Cf. par exemple Camus, 1950, 1951 ou 1953 pour justifier le
jugement).
39) La sélection des risques est politique parce que les risques
choisis sont tantôt de vrais risques de perte (maladie et accidents
autres), tantôt des objets que seul un abus de langage permet de
qualifier de - faux - risques (maternité, avortement, famille et
vieillesse).
40)D'une certaine façon, elle procède comme avait
procédé par le passé les hommes de l'Etat pour enlever
à la nation sa liberté d'enseignement et sa méthode (le
libre examen).
41) Le critère de la nationalité est le Droit, le choix initial
de la famille et le sang (la filiation et le respect du choix initial de la
famille par l'individu, tant que celui-ci n'en effectue pas un autre ).
Le critère de la socialité, critère en définitive
non défini, est d'une part le travail effectué
rémunéré par l'individu dans les limites du territoire
national (point de vue cotisations sociales) et d'autre part la famille du
"travailleur" (au sens du droit auquel ressortit le travailleur et
sa famille et non toujours le droit national- point de vue indemnisations
sociales) - .
42) Comme de plus la SS ne saurait rembourser tout le monde, étant
donné la technique de gestion qu'elle utilise, tout va bien pour elle,
au moins le pense-t-elle.
43) Il reste qu'il n'a pas payé de droit d'entrée dans le club,
il n'a pas à recevoir une prime de sortie. Il reste aussi que
quiconque qui quitte un syndicat (autre forme de club) n'est pas
remboursé de ses cotisations. Pourquoi quelqu'un qui quitte une nation
serait-il remboursé des cotisations versées ?
44) Remarquons qu'ils privilégient aussi dans le même mouvement
implicitement le point de vue de l'indemnisation net et taisent le point de
vue des cotisations)
45) Cf. par exemple, Club de l'Horloge, 1989
46) Cf. Club de l'Horloge (1989). Le Club de l'Horloge ne fait que reprendre
en particulier les idées de Guizot (1846) entre autres (De Lesquen
évoque Renan) pour qui :
"Ainsi a commencé à se former la nationalité
française. Jusqu'au règne des Valois, c'est le caractère
féodal qui domine en France,; la nation française, l'esprit
français, le patriotisme français n'existent pas encore (Ibid.
p. 295).
Ou encore "c'est en ce sens que la lutte contre les Anglais a
puissamment concouru à former la nation française, à la
pousser vers l'unité" (Ibid. p. 296).
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régime et la révolution, dans Lamberti, J.C. et
Melonio, F. (eds), (1986), pp.921-1122
Georges
Lane
Principes de science économique
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publiés par Georges Lane
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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