J'aurais souhait�, � la fin
de ce livre [Droit, l�gislation et libert�, PUF, Libre �change, tome
3], indiquer quelque peu ce que les principes d�velopp�s auraient pour
cons�quence dans les affaires internationales, mais il m'est impossible de
le faire sans allonger l'expos� de fa�on exag�r�e. Il y faudrait d'ailleurs
un suppl�ment d'investigations que je r�pugne � envisager � ce stade. Mais
supposons admis le d�mant�lement de l'�tat monolithique, et le principe
cantonnant tout pouvoir supr�me dans des t�ches essentiellement n�gatives �
dans des pouvoirs de dire non � tandis que tout pouvoir positif serait
r�serv� � des instances tenues � respecter des r�gles qu'elles ne
pourraient modifier; le lecteur verra ais�ment, je pense, que cela aurait
forc�ment des cons�quences de tr�s grande ampleur par leur application dans
l'organisation internationale.
Comme je l'ai sugg�r� pr�c�demment, il me semble qu'en ce si�cle nos essais
de cr�ation d'un gouvernement international capable d'assurer la paix ont
g�n�ralement abord� l'entreprise par le mauvais bout: en instaurant un grand
nombre d'autorit�s sp�cialis�es tendant � des r�glementations
particuli�res, au lieu de viser � un v�ritable droit international qui
limiterait la capacit� des gouvernements nationaux � nuire aux autres. Si
les valeurs communes les plus �lev�es sont n�gatives, non seulement les lois
communes les plus hautes mais aussi la plus haute autorit� devraient se
borner essentiellement � des prohibitions.
Il serait difficile de contester que d'une fa�on tr�s g�n�rale la politique
a pris une place trop importante, qu'elle est devenue trop co�teuse et
nuisible, absorbant beaucoup trop d'�nergie mentale et de ressources
mat�rielles; et que parall�lement elle perd de plus en plus le respect et
l'appui sympathique du grand public, qui en est venu � la consid�rer comme
un mal n�cessaire mais incurable qu'il faut bien endurer. Or, l'�normit� de
l'appareil politique, son �loignement des citoyens dont il envahit
cependant toute l'existence, ne sont pas choses que les hommes ont choisies
de leur plein gr�, mais la cons�quence d'un m�canisme anim� d'une dynamique
distincte qu'ils ont instaur� sans en pr�voir les effets.
Le souverain
maintenant n'est �videmment pas un �tre humain en qui l'on peut placer sa
confiance, ainsi que continue � le concevoir un esprit na�f influenc� par
l'id�al ancestral du bon monarque. Ce n'est pas non plus le produit des
sagesses conjointes de repr�sentants honorables dont une majorit� peut se
mettre d'accord sur ce qui est le meilleur. C'est une machinerie mue par
des � n�cessit�s politiques � qui n'ont de lien que fort lointain avec les
opinions de la majorit� du peuple.
Alors que la l�gislation proprement dite est affaire de principes
permanents et non d'int�r�ts particuliers, toutes les mesures
particuli�res que le gouvernement peut avoir � prendre sont
n�cessairement des questions de politique au jour le jour. C'est une
illusion de croire que de telles mesures sp�cifiques sont normalement
d�termin�es par des n�cessit�s objectives sur lesquelles tous les gens
raisonnables devraient pouvoir se mettre d'accord. Il y a toujours des
co�ts � mettre en regard des fins poursuivies, et il n'existe aucun test
objectif quant � l'importance relative de ce qui pourrait �tre accompli
et ce qu'il faudra sacrifier. C'est la grande diff�rence entre des lois
g�n�rales qui tendent � am�liorer les chances de tous, en �tablissant un
ordre o� il y a de bonnes probabilit�s de trouver un partenaire pour une
transaction satisfaisant les deux parties, et des mesures contraignantes
visant � avantager tels ou tels particuliers ou groupes de particuliers.
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D�s lors que l'on tient pour l�gitime que le gouvernement emploie la force
pour effectuer une redistribution des avantages mat�riels � et c'est l� le
coeur du socialisme � il n'y a aucun frein possible aux instincts rapaces
des groupes r�clamant chacun pour soi. Lorsque la politique devient un
tournoi de traction-�-la-corde � propos de parts du g�teau des revenus,
gouverner d�cemment devient impossible. Cela implique que tout emploi de la
contrainte pour assurer un certain revenu � tels et tels groupes (� part un
minimum uniforme pour tous ceux qui ne sont pas capables de gagner plus sur
le march� [une des absurdit�s auxquelles restait attach� Hayek, dont l'incoh�rence
sur ce genre de passe-Droit a �t� soulign�e par H.H. Hoppe � la suite de
Rothbard.]) soit proscrit par la loi comme immoral et antisocial au sens
strict du mot.
Aujourd'hui, les
seuls potentats affranchis de toute loi qui les bride, et pouss�s par les
n�cessit�s politiques d'une m�canique autonome, ce sont les pr�tendus �
l�gislateurs �. Mais cette forme aujourd'hui r�gnante de d�mocratie est
finalement autodestructive, parce qu'elle impose aux gouvernements des
t�ches � propos desquelles aucune opinion commune de la majorit� n'existe
ni ne peut exister. Il est par cons�quent n�cessaire de restreindre ces
pouvoirs afin de prot�ger la d�mocratie contre elle-m�me.
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/* Une constitution du
genre ici propos� rendrait �videmment impossible toutes les mesures
socialistes de redistribution. Cela n'est pas moins justifiable que toute
autre limitation constitutionnelle de pouvoirs, inspir�e par le souci de
rendre impossible la destruction de la d�mocratie et l'instauration de pouvoirs
totalitaires. Au moins quand arrivera le temps � � mon avis pas tr�s
�loign� � o� les illusions traditionnelles du socialisme seront reconnues
pour vaines, il sera n�cessaire de prendre toutes pr�cautions contre les
risques end�miques de rechutes dans ces superstitions, qui engendrent
p�riodiquement d'involontaires d�rapages dans le collectivisme.
Car il ne pourra
suffire de barrer la route � ceux qui veulent d�truire la d�mocratie dans
le but d'instaurer le socialisme, ni m�me � ceux qui sont enti�rement
acquis � un programme socialiste. Le plus puissant facteur, dans la
tendance actuelle vers le socialisme, est constitu� par ceux qui affirment
ne vouloir ni du capitalisme ni du socialisme, mais une � voie moyenne � ou
un � Tiers Monde � [La myst�rieuse � troisi�me voie �. Hayek reprend ici la
conclusion de son ma�tre von Mises qui avait d�montr� l'impossibilit�
logique de cette � troisi�me voie �]. Les suivre est une piste qui
m�ne au socialisme, car une fois que nous donnons licence aux politiciens
d'intervenir dans l'ordre spontan� du march� au b�n�fice de groupes
particuliers, ils ne peuvent refuser de telles concessions � l'un
quelconque des groupes dont le soutien leur est n�cessaire. C'est ainsi
qu'ils amorcent le processus cumulatif dont la logique intrins�que aboutit
forc�ment, non pas � ce que les socialistes imaginent, mais � une
domination sans cesse �largie de la politique sur l'�conomie.
Il n'existe pas de
tiers chemin quant au principe d'organisation du processus �conomique, qui
pourrait �tre rationnellement choisi pour conduire � des objectifs
d�sirables; il n'y en a que deux: ou bien un march� dont le fonctionnement
ne permet pas que quiconque puisse fixer efficacement l'�chelle de
bien-�tre dans les divers groupes et entre individus; ou bien une direction
centrale dans laquelle cette �chelle est � la merci d'un groupe organis�
pour conqu�rir le pouvoir. Les deux principes sont inconciliables, car
toute combinaison rend irr�alisables les fins de l'un comme de l'autre.
Qu'il soit impossible d'atteindre le but imagin� par les socialistes,
n'emp�che pas que la licence g�n�rale conf�r�e aux politiciens de
distribuer des avantages � ceux dont ils escomptent l'appui ne doive
finalement d�truire l'ordre autog�n�r� du march�, favorable au bien
g�n�ral, et le remplacer par un ordre factice impos� de force par quelques
volont�s arbitraires.
Nous sommes en
pr�sence d'un choix in�luctable entre deux principes incompatibles, et si
loin que nous restions in�vitablement de la pleine r�alisation de l'un ou
de l'autre, aucun compromis durable ne peut s'instaurer entre les deux.
Celui que nous aurons choisi comme fondement de nos d�marches, que ce soit
l'un ou l'autre, nous poussera plus avant vers quelque chose qui restera imparfait
mais ressemblera de plus en plus �troitement � l'un des deux extr�mes.
Une fois reconnu
clairement que le socialisme, tout autant que le fascisme ou le communisme,
conduit in�vitablement � l'�tat totalitaire et � la destruction de l'ordre
d�mocratique, il est incontestablement l�gitime de se pr�munir contre un
d�rapage involontaire dans un syst�me socialiste, au moyen de dispositions
constitutionnelles qui �tent au gouvernement des pouvoirs discriminatoires
de contrainte, m�me l� o� l'on pourrait un temps croire g�n�ralement que
c'est pour une bonne cause.
Si peu �vident qu'il
y paraisse souvent, le monde social est gouvern� � long terme par certains
principes moraux auxquels croit la multitude des gens. Le seul principe
moral qui ait jamais rendu possible la croissance d'une civilisation
avanc�e, fut le principe de la libert� individuelle; ce qui veut dire que
l'individu est guid� dans ses d�cisions par des r�gles de juste conduite,
et non par des commandements sp�cifiques. Dans une soci�t� d'hommes libres,
il ne peut exister des principes de conduite collective obligatoires pour
l'individu. Ce que nous avons pu r�aliser, nous le devons � ce que les
individus se sont vu garantir la facult� de se cr�er pour eux-m�mes un
domaine prot�g� (leur � propri�t� �) dans l'enceinte duquel ils puissent
mettre en oeuvre leurs aptitudes � des fins choisies par eux. Le
socialisme, � qui fait d�faut tout principe de conduite individuelle n'en
r�ve pas moins � une situation qu'aucune action morale de libres individus
ne peut r�aliser.
L'ultime bataille
contre le pouvoir arbitraire, nous avons encore � la livrer le combat
contre le socialisme et pour l'abolition de tout pouvoir contraignant
pr�tendant diriger les efforts des individus et r�partir d�lib�r�ment leurs
fruits. J'esp�re que le temps s'approche o� ce caract�re totalitaire et
essentiellement arbitraire de tout socialisme sera aussi g�n�ralement
compris que celui du communisme et du fascisme; alors des barri�res
constitutionnelles contre tout essai d'acqu�rir de tels pouvoirs
totalitaires, sous n'importe quel pr�texte, recueilleront l'approbation
g�n�rale.
Ce que j'ai tent�
d'esquisser dans ces trois volumes (et dans l'�tude distincte sur le r�le
de la monnaie dans une soci�t� libre), c'�tait un itin�raire pour sortir du
processus de d�g�n�rescence du pouvoir politique dans sa forme actuelle;
j'ai voulu confectionner un outillage intellectuel de secours qui soit
disponible lorsque nous n'aurons plus d'autre choix que de remplacer la
structure branlante par quelque �difice meilleur, au lieu d'en appeler par
d�sespoir � une forme quelconque de dictature. Le Pouvoir, au sens large,
est n�cessairement le produit d'un dessein intellectuel. Si nous pouvons
lui donner une forme telle qu'il procure un cadre favorable � la libre
croissance de la soci�t�, sans donner � quiconque mission de diriger cette
croissance dans le d�tail, sans doute pouvons-nous esp�rer voir se
poursuivre le d�veloppement de la civilisation.
Nous devrions en
savoir assez long, pour �viter de d�truire notre civilisation en �touffant
le processus spontan� de l'interaction des individus, en chargeant une
quelconque autorit� de le diriger. Mais pour ne pas tomber dans cette
faute, nous devons rejeter l'illusion d'�tre capables de d�lib�r�ment �
cr�er l'avenir de l'humanit� � � comme l'a dit r�cemment, avec une d�mesure
d'orgueil caract�ristique, un sociologue socialiste.
Telle est l'ultime
conclusion des quarante ann�es que maintenant j'ai consacr�es � l'�tude de
ces probl�mes, apr�s avoir pris conscience de l'Abus et du D�clin de la Raison qui n'ont cess�
de se poursuivre tout au long de ces d�cennies
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